*Les turbulences dans le monde arabe.1
*La contestation dans le monde arabe
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**Lakhdar Brahimi : « l’Algérie peut aller vers un changement sans une révolution »
L’ancien ministre des affaires étrangères, Lakhdar Brahimi a assuré que l’Algérie faisait partie des pays qui semblaient ne pas avoir besoin d’une révolte politique pour un changement, puisqu’il existe une volonté de changement pacifique chez le président Bouteflika.L’envoyé spécial onusien, Lakhdar Brahimi a déclaré dans son intervention lors du colloque « « Monde arabe en ébullition », que l’Algérie était un des pays arabes à pouvoir appliquer des réformes dans le calme et un changement pacifique ans avoir recours à une révolte populaire et a déclaré « j’ai dit dans un programme télévisé américain très connu qu’en Algérie, au Maroc et en Arabie saoudite, ce sont les dirigeants qui peuvent provoquer ce changement sans l’organisation de manifestations, sans effusion de sang et sans provoquer de grosses pertes ».Brahimi a expliqué dans une déclaration à la presse pourquoi il avait écarté la possibilité d’une révolte dans ces trois pays, en déclarant que « le discours du président Bouteflika (15 avril) et le discours du roi du Maroc sur les réformes politiques étaient une démarche positive que les citoyens des deux pays attendent de voir appliquer, mais qui ont besoin d’être exécutées sur le terrain », indiquant que « les dirigeants de ces pays ont la capacité de créer ces changements et en ont exprimé la volonté ».Brahimi a considéré que le maintien de la fermeture des frontières algéro-marocaines était une grande perte pour les deux pays et a appelé à leur ouverture, « il est dommage que les frontières entre l’Algérie et le Maroc soient fermées depuis 1994, nous espérons que nos dirigeants y trouveront une solution, parce que la constitution du Grand-Maghreb arabe, dépend principalement d’une entente entre ces deux pays ». Brahimi a considéré que cette fermeture ne permettait pas au Grand-Maghreb de jouer son rôle dans les mutations importantes que connaît le monde arabe, ajoutant que « le Moyen Orient a besoin du Maghreb, et le Maghreb arabe peut contribuer à changer le Moyen Orient ». … « j’ai dit à la télévision algérienne en mai que nous avions le droit d’intervenir en Libye, l’Algérie a une dette envers la Libye d’avant Kadhafi, c’est le pays qui a le plus aidé la révolution algérienne, avec de l’argent et des armes, c’est pour cela que nous devions être les premiers à intervenir dans la crise libyenne ».Indiquant que l’intervention de l’Otan était « un grand problème », parce qu’il pourrait intervenir dans d’autres pays de la région, considérant que « L’Otan cherche à se faire une nouvelle mission après la fin de la guerre froide et nous ne devons pas lui donner de rôle dans notre région. L’Otan a exploité la décision de la Ligue Arabe après la décision du conseil de sécurité et l’a utilisé pour attaquer la Libye, comme ils l’ont fait en Irak ». (El Khabar-29.09.2011.)
*** L’ancien diplomate s’est prononcé sur les événements en Libye.
«Nous sommes les premiers à être concernés en tant qu’Algériens par ce qui se déroule chez notre voisin. Le peuple libyen nous doit bien de l’aide et de l’appui», a-t-il estimé. L’ex-ministre des Affaires étrangères s’est aussi prononcé sur l’intervention des forces de l’Otan qui constitue, selon lui, un vrai problème. Il précise, lors de cette rencontre organisée dans le cadre du Salon international du livre, que cette organisation a exploité le feu vert de la Ligue arabe pour s’adjuger un rôle de premier ordre dans la région. «La genèse des interventions est à chercher dans le comportement ignominieux des leaders politiques et la situation dramatique à laquelle sont parvenus les régimes arabes», déplore-t-il. Selon lui, les pays arabes sont dans une phase de transformation caractérisée par des mouvements populaires, qui exige en premier lieu un changement démocratique. Brahimi a considéré que quelques pays arabes peuvent faire l’économie de révoltes. Il cite l’Algérie, le Maroc et l’Arabie Saoudite grâce aux réformes qui y sont entreprises. Toutefois, il ne s’arrête pas dans ses analyses. Selon lui, il y a lieu d’ouvrir les frontières entre l’Algérie et le Maroc. «On ne peut parler de Maghreb arabe sans réouverture des frontières», a-t-il dit lors des débats qui ont suivi son intervention. L’orateur n’a pas hésité à mettre en avant ses craintes sur le devenir des pays de la Ligue arabe. Il s’étonne du fait qu’aucun de ces pays n’a pu s’imposer en tant que puissance régionale. Il affirme que la Turquie, l’Iran et Israël sont les acteurs principaux de la région, ce qui n’est pas sans danger sur le devenir de la question palestinienne. Il lance cet avertissement: «Imaginez un seul instant que l’Iran se réaligne sur la position israélienne comme au temps du çhah et que la Turquie règle son différend avec ce pays et vous verrez le drame dans lequel sera plongé le Monde arabe.» Brahimi a consacré une bonne partie de son intervention intitulée «Le Monde arabe en ébullition: fractures et continuités à travers l’histoire contemporaine» à identifier deux tares des régimes arabes: l’armée est politisée et l’Etat de droit est absent.
La ministre de Culture, Khalida Toumi, a émis, quant à elle, le souhait de voir le printemps des peuples profiter aux peuples eux-mêmes et non à une horde d’affairistes «qui remplissent actuellement leurs bons de commande pour venir reconstruire ce que leurs armadas ont détruit». Elle a également formulé l’espoir que ce printemps puisse profiter aux peuples et non à des castes locales prêtes à toutes les compromissions pour enfin saisir l’opportunité de devenir calife à la place du calife, a-t-elle asséné. Elle a estimé que le maître-mot de l’heure devrait être la vigilance sur le front intérieur pour ne plus jamais reproduire les dévastatrices expériences connues. Sur le plan extérieur, il faut prendre très au sérieux les menaçantes menées de reconquêtes, a ajouté la ministre. Pour Mme Toumi, la sinistre politique de la canonnière n’est pas définitivement enterrée.
L’autre intervention qui a suscité de l’intérêt auprès de l’assistance est celle de Fawaz Traboulsi, professeur de sciences politiques à l’université américaine du Liban. Il constate actuellement à travers les révoltes arabes une réelle volonté et une aspiration à un changement radical des relations entre gouvernants et gouvernés. Selon Fawaz Traboulsi, ce changement devrait être institutionnalisé par l’adoption de nouvelles Constitutions où sera transcrite cette relation de confiance dont la finalité reste l’abolition des systèmes dictatoriaux, autocratiques, paternalistes ou autoritaires.
La solution idoine consiste à remplacer ces anciens systèmes par des régimes démocratiques consacrant pleinement la souveraineté populaire dans des conditions de liberté retrouvée et des régimes électoraux appropriés reflétant fidèlement la volonté populaire, a-il estimé. L’Exécutif, insiste-t-il, devrait être issu des opérations électorales propres. La rue arabe est en train de témoigner d’un processus d’évolution démocratique qui n’est qu’à ses débuts, selon lui. Ce professeur fait savoir que le pire des cas serait de voir ce processus déboucher sur un simple changement de leaders politiques dans la continuité de l’ancien système.(L’Expression-29.09.2011.)
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« Le monde arabe en ébullition, révoltes ou révolutions ? »
*Ce que vit le monde arabe, ce ne sont pas des révolutions, mais des révoltes populaires pour changer les conditions de vie…
Les participants au colloque sur le thème « Le monde arabe en ébullition, révoltes ou révolutions ? » se sont accordés sur le fait que ce que vit le monde arabe, ne sont pas des révolutions, mais des révoltes populaires pour changer les conditions de vie, et ont fait porter aux régimes arabes la responsabilité de tout éventuelle intervention étrangère, à l’instar de ce qui s’est passer en Libye, s’ils persistaient à être fermés à des réformes politiques.
Le ministre de la culture, Khalida Toumi a déclaré que le monde arabe vit actuellement une nouvelle phase, et connait toujours une phase de changement, considérant que ce qui se passe dans le monde arabe est « gorgé » de promesses mais, aussi de « vents mauvais » qui font craindre à certains, à tort je l’espère que « la sinistre politique de la canonnière n’est pas définitivement enterrée. Le ministre de la culture a précisé hier lors de son allocution d’ouverture du colloque « Le monde arabe en ébullition, révoltes ou révolutions ? » à la bibliothèque nationale à El Hamma, et organisé à l’occasion du salon international du livre, en coordination avec l’école nationale supérieure de sciences politiques, que les peuples arabes étaient actuellement appelés à la vigilance, déclarant « Vigilance sur le front intérieur pour ne plus jamais reproduire les dévastatrices expériences que nous avons connues. Vigilance sur le plan extérieur aussi dont il faut prendre très au sérieux les menaçantes menées de reconquêtes ».Mme Toumi s’est interrogée sur la place de ce pays dans le printemps arabe, ce qu’a expliqué Lakhdar Brahimi, l’ancien ministre des affaires étrangères en déclarant que « Les gouvernements arabes ont négligé la cause palestinienne. Les peuples arabes ont également oublié cette cause ». Ajoutant lors de son intervention sur « les cas de rupture et de continuité dans l’histoire arabe contemporaine », que « la faiblesse des arabes a donné l’opportunité à l’Otan d’intervenir dans le monde arabe »faisant porter à la ligue arabe et aux nations unies la responsabilité de cette opportunité que cherchait l’Otan. Et a déclaré que « lorsque la communauté arabe a demandé une zone d’exclusion aérienne en Libye pour protéger les civils, cela était une chose normale. Mais la ligue arabe aurait du participer à l’application de la décision », « mais les armées arabes sont malheureusement politisées » a-t-il ajouté. Brahimi a également fait porter la responsabilité des révoltes populaires aux régimes arabes, attribuant cela à l’absence d’un état de droit, les appelant à lancer rapidement des réformes politiques, et déclrant que « l’Algérie, le Maroc et l’Arabie Saoudite sont capables de lancer des réformes sans passer par des révolutions, puisqu’il y a une volonté politique dans ces pays d’aller vers des réformes ». il a indiqué dans ce contexte avoir dit il y a des années aux américains qu’un changement dans le monde arabe était possible mais qu’il arriverait de manières différentes d’un pays arabe à un autre. Selon Brahimi, le drame actuel des arabes est de vivre dans une région sur laquelle ils n’ont pas d’influence, faisant références aux trois forces régionales au Moyen-Orient, la Turquie, Israël et l’Iran. (El Khabar-29.09.2011.)
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«L’Algérie est partie prenante»
Mettant à profit la réunion du dernier Conseil des ministres (dimanche), le Président Bouteflika est sorti de son mutisme pour faire le point et recentrer le débat.
Le chef de l’Etat a déclaré dimanche soir que l’Algérie est «partie prenante des différentes mutations en cours marquant la communauté internationale, y compris la Nation arabe» indiquant que «chaque peuple forge souverainement sa propre expérience nationale. En ce qui le concerne, le peuple algérien a su instaurer son propre système politique pluraliste, qu’il a sauvegardé malgré une tragédie nationale douloureuse» a affirmé le Président Bouteflika à l’issue de l’approbation des projets de lois inscrits à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Le peuple algérien «a su par la suite restaurer la paix et relancer le développement dont nul ne peut contester la réalité, ni occulter les lacunes qui persistent», a-t-il ajouté. Pour d’aucuns, parmi les politiques et de nombreux analystes, les hautes autorités de l’Etat ont vécu, et vivent le printemps arabe comme le pire des moments, une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de leurs têtes. La révolte arabe n’a pas fait boule de neige sous nos latitudes. Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Bahreïn, Yémen se sont enflammés simultanément comme des bosquets desséchés arrosés d’essence.
Les propos du chef de l’Etat ont été faits alors que le champ politique attend toujours le résultat des consultations sur les réformes, supervisées par M. Bensalah, président du Sénat en avril et mai derniers.
Ainsi, la synthèse retenue des propositions de réformes enregistrées et remises à la présidence de la République par Abdelkader Bensallah, chargé par le président Bouteflika de recueillir les avis, les idées et les propositions des uns et des autres, sur l’ensemble des réformes, notamment la révision de la Constitution, n’a pas encore été rendue publique. «Chaque peuple forge souverainement sa propre expérience nationale», a fait savoir le chef de l’Etat. Le changement se fera donc à l’algérienne. Le pays a vécu plusieurs centaines d’émeutes, marches et sit-in, depuis le mois de janvier dernier. Mais les doléances exprimées concernaient pour la majeure partie des cas, des revendications corporatistes ou en rapport avec la flambée des prix de produits de large consommation.
Les contradicteurs de cette vision affirment en revanche qu’en Algérie existent les mêmes ingrédients (qui ont mis le feu aux poudres ailleurs).
Le chômage, la jeunesse marginalisée, le système politique sclérosé et verrouillé, la corruption généralisée, le terrorisme qui fait toujours des victimes, ainsi que la montée en puissance de l’idéologie islamiste et leur tentative de retour sur la scène politique, sont autant d’opportunités susceptibles de faire bouger les choses dans un sens ou dans l’autre.
Toutefois, le chef de l’Etat a relevé que l’Algérie est assise sur un «socle solide» afin de poursuivre sa bataille du développement, dans le domaine de l’emploi – notamment pour ses jeunes – de la justice sociale et de la solidarité nationale qui participent de ses principes fondateurs et de l’émergence véritable d’une économie diversifiée, gage d’un bien-être durable.
Il a souligné aussi que cette bataille du développement sera désormais confortée par les réformes politiques que l’Algérie a souverainement décidé d’engager et qui seront concrétisées au cours des prochains mois, «comme j’en renouvelle solennellement l’engagement», a-t-il conclu. (L’Expression-01.09.2011.)
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Coalition des monarchie arabes arabes: une « sainte alliance » contre qui?
*Surprenante proposition des monarchies du Golfe au Maroc
Le Conseil de Coopération du Golfe (C.C.G.) fait l’actualité depuis quelque temps. Plus exactement depuis que, devançant la Ligue des Etats arabes et lui indiquant la voie à suivre en la mettant devant le fait accompli, il a demandé l’intervention des puissances occidentales en Libye. Cette organisation économique, sociale, politique et militaire rassemble six monarchies formant une ligne discontinue face à l’Iran, s’étendant d’Oman au, sud, au Koweït, au nord, en passant par les Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn et l’Arabie Saoudite qui en est le leader et la locomotive. La charte de cette organisation a été signée le 25 mai 1981, dans un contexte dominé par les guerres du Liban et entre l’Irak et l’Iran, ces deux derniers pays étant considérés porteurs de défis pour les monarchies du Golfe, le premier à travers l’idéologie baathiste et le second à travers sa révolution khomeyniste.
Dans cet environnement régional instable, ces monarchies ont cherché à renforcer leur sécurité collective en décidant de considérer toute agression contre l’un d’eux comme une agression contre tous. Le porteur de ce projet fut l’Arabie Saoudite épaulée par les Etats-Unis où le président Reagan venait d’accéder au pouvoir avec l’intention bien arrêtée de faire payer à l’Iran l’outrage qu’a constitué la prise d’otages des diplomates américains par les gardiens de la révolution. Ryadh et Washington, alliés stratégiques depuis la Seconde Guerre mondiale, avaient donc les mêmes intérêts objectifs en ce qui concerne Téhéran – et les ont toujours. Il faut rappeler que, laissé à l’écart du CCG, l’Irak créa une organisation concurrente, le Conseil de coopération arabe, comprenant outre ce pays, la Jordanie, le Yémen et l’Egypte. Le CCA n’a pas survécu à l’invasion du Koweït en 1990.
Bouclier de la Péninsule
Dès le 11 novembre 1981, les Etats membres du CCG conclurent un accord de coopération économique, lançant ainsi un processus d’intégration devant conduire ultimement à leur unité. Le Marché commun du Golfe, devant déboucher vers la mise en place d’une monnaie commune, connaît aujourd’hui des retards en raison, entre autres des divergences nées entre Ryadh et Abou Dhabi, principalement au sujet du siège de la future Banque centrale. L’entrée en vigueur effective de l’Union douanière est désormais prévue pour 2015, soit 12 ans après son lancement en 2003. Vu les précédents reports, rien n’indique que la nouvelle date annoncée puisse être respectée.
Au plan sécuritaire, le premier défi qui se posa au CCG fut la tentative de coup d’Etat à Bahreïn, en décembre 1981. En 1982, les six monarchies signèrent un accord de sécurité intérieure et commencèrent à organiser des manoeuvres militaires conjointes baptisées «Bouclier de la Péninsule».
Ce fut le prélude à la constitution, en 1984, d’une force conjointe disposant d’un quartier général à Hafa Al-Batin en Arabie Saoudite, à la frontière avec le Koweït et l’Irak. La Force «Bouclier de la Péninsule» se montra d’une totale inefficacité lors de l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et les monarchies du Golfe durent faire appel à une coalition internationale conduite par les Etats-Unis (opération «Bouclier du désert» en 1991). Depuis, la situation de cette Force ne s’est pas améliorée. Elle ne constitue toujours pas un «bouclier» sérieux pour les Etats membres en cas de coup dur.La première intervention effective de la Force «Bouclier de la Péninsule» a eu lieu le 14 mars 2011, à Bahreïn, le ventre mou des pays du Golfe en raison de la composition de la population à grande majorité chiite, dirigée par une monarchie sunnite. Elle a consisté en l’envoi à Manama, d’un millier de soldats saoudiens et d’un demi-millier de policiers émiratis que la population considère comme une «force d’occupation». Les dernières déclarations d’un haut responsable militaire bahreïni font état de la prochaine construction d’une base militaire permanente pour abriter les forces du «Bouclier de la Péninsule» dont la mission est de défendre les sites stratégiques et les frontières de Bahreïn contre les menées déstabilisatrices «des Iraniens, des Syriens et des Libanais». L’intervention à Bahreïn se situe dans un contexte marqué par les soulèvements pour la démocratie qui ont lieu dans plusieurs pays arabes et qui ont déjà causé la chute des présidents Ben Ali de Tunisie et Moubarak d’Egypte, tous deux alliés de l’Arabie Saoudite. Outre Bahreïn, des contestations en cours à Oman et au Koweït pourraient dégénérer sur des mouvements plus sérieux.
L’Arabie Saoudite est concernée au premier plan par la situation à Bahreïn en raison de sa proximité avec ce pays auquel elle est liée par un pont, -la chaussée Fahd -, et surtout en raison de la présence d’une importante population chiite dans sa partie orientale où se trouve l’essentiel de ses réserves pétrolières. En raison aussi de la situation au Yémen où son allié, le président Abdallah Salah, risque d’être chassé du pouvoir, ouvrant la voie à une possible partition du pays qui verrait l’installation à proximité de la frontière saoudienne d’un Imamat zaydite (chiite) allié de l’Iran. (Dans les années 60 et 70, les Zaydites étaient appuyés par l’Arabie Saoudite contre les républicains yéménites alliés de Nasser qui était taxé d’antimonarchiste). Le royaume serait ainsi pris en tenaille par des alliés de Téhéran sur deux flancs.
L’exemple de Bahreïn et de certains pays arabes n’est pas fait pour rassurer le roi Abdallah qui, dès son retour à Ryadh, a annoncé lui-même à la télévision un programme massif d’aides sociales se chiffrant à 70 milliards de dollars (2500 dollars/habitant) ainsi que d’autres mesures comme l’augmentation des salaires et des primes de chômage (la majorité des chômeurs se recrute dans la tranche d’âge des 19-21 ans) ou la création d’un comité contre la corruption. Après la carotte, le roi a brandi le bâton en annonçant dans le même discours le recrutement de 60.000 agents de sécurité pour faire face à «tous ceux qui envisagent de porter atteinte» au royaume. Au plan extérieur, l’Arabie Saoudite risque de ne plus compter sur l’aide de l’Egypte sans Moubarak. Les contours du nouveau régime qui prendra le pouvoir au Caire sont encore incertains, mais on peut dire que la politique étrangère égyptienne connaîtra des changements. Sa diplomatie a déjà à son actif la réconciliation entre l’Autorité palestinienne et le Hamas qui a provoqué l’ire d’Israël. Il est question d’un rétablissement des relations avec l’Iran, rompues depuis une trentaine d’années. Le ministre des Affaires étrangères égyptien et le vice-ministre des Affaires étrangères iranien ont tenu à rassurer les monarchies du Golfe sur leur sécurité. Mais le ministre iranien de la Défense a dénoncé le «front des dictatures arabes», entendre des monarchies arabes. La domination de la Ligue des Etats arabes par le CCG avec l’aide du Président Moubarak, était de moins en moins acceptée. Son instrumentalisation par le même CCG qui fut le premier à demander l’intervention occidentale en Libye, a laissé des traces et a mis en lumière la complicité de Amr Moussa. Cette situation risque de perdurer en raison de la faiblesse des républiques qui mettront du temps pour faire ou digérer leurs «révolutions». La position de l’Egypte sur cette question sera déterminante dans l’avenir. Comme le sera l’évolution de la situation dans les monarchies. Ce qui précède permet de dire, qu’aux plans économique, militaire, sécuritaire et même diplomatique, le CCG a encore des efforts à faire et des soucis à se faire. Ce qui précède permet aussi de situer dans son contexte l’annonce faite le 10 mai 2011, par le secrétaire général du CCG qui a déclaré que le Sommet qui venait de clore ses travaux à Ryadh pour discuter de la situation économique régionale, de Bahreïn et du Yémen, a donné une suite favorable à la demande d’adhésion de la Jordanie à l’organisation et invité le Maroc à formaliser la sienne.
L’annonce concernant le dernier pays cité a surpris au moins l’opinion publique. En effet, géographiquement, la Jordanie est frontalière avec l’Arabie Saoudite qui est le leader du CCG Il y a donc une continuité territoriale entre ce pays et ceux du Golfe. Une partie de la population jordanienne et la dynastie au pouvoir à Amman sont originaires de la péninsule arabique où ils ont des racines plus profondes que celles qui ont poussé dans leur actuelle terre d’accueil. Par ailleurs, la Jordanie n’a aucun port d’attache, elle n’appartient à aucune organisation sous-régionale.
Par contre, le Maroc se situe à l’extrémité ouest du Maghreb. Il est très excentré par rapport aux pays du Golfe avec lesquels il n’a aucune continuité géographique. La majorité de sa population – on peut dire la totalité – est berbère et voit son avenir dans un Maghreb des peuples plutôt que dans un Machrek lointain et peu connu. Le Maroc est membre fondateur de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) dont il abrite le siège.
Conscient de l’incongruité de sa démarche et de la difficulté à la justifier vis-à-vis de son opinion publique et d’une partie de sa classe politique, Rabat a pris les précautions nécessaires pour que l’invitation à l’adhésion vienne du CCG. Peine perdue car il est difficile d’imaginer qu’elle n’ait pas été préalablement agréée par le palais royal. On ne met pas un pays, de surcroît ami, dans une situation qu’il n’a pas préalablement acceptée. On peut supposer avec raison que l’idée a fait l’objet de consultations entre le roi Mohammed VI et le roi Abdallah lors du séjour de ce dernier pour convalescence à Casablanca, après une intervention chirurgicale à New York. L’arrivée du monarque saoudien au Maroc, en provenance des Etats-Unis, a eu lieu le 22 janvier 2011, en pleine «révolution» tunisienne et une semaine à peine après la fuite de Ben Ali vers l’Arabie Saoudite. Il est impensable que les deux rois n’aient pas échangé leurs points de vue sur ce bouleversement et n’aient pas fait un peu de prospective pour examiner les moyens à mettre en oeuvre et les actions à entreprendre pour préserver leurs trônes de l’ennemi de toujours des monarchies que sont les soulèvements populaires, lesquels ouvrent une brèche dans la digue de la légitimité.
Dans un communiqué, le ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération déclare accueillir avec grand intérêt l’invitation du CCG tout en réitérant «son attachement naturel et irréversible à l’idéal maghrébin et à la construction de l’UMA, choix stratégique fondamental de la nation marocaine». Cette profession de foi aurait pu être convaincante si Rabat n’était pas à l’origine du gel de l’UMA…-Et la question du Sahara n’a rien à y voir puisqu’elle est antérieure à la création de cette organisation. Il suffit de rappeler que Hassan II était présent au Sommet de Zéralda et que l’acte constitutif de l’UMA fut signé à Marrakech-. En fait le Maroc est attiré par le CCG pour plusieurs raisons dont celle d’ordre mercantile qui vient immédiatement à l’esprit: l’espoir de bénéficier d’aides financières conséquentes de la part de pays riches afin de surmonter une situation économique difficile. Plus important encore serait aussi de trouver un havre pour se protéger des turbulences qui secouent le Monde arabe. Si c’est le cas, le meilleur havre est celui qu’offre un peuple à ses dirigeants. Il est plus sage de chercher chez soi au lieu d’aller courir après des chimères à des milliers de kilomètres. Les nouveaux adhérents au CCG devront satisfaire à des obligations économiques, politiques et militaro-sécuritaires, mais aussi bénéficier de tous les avantages. A titre d’exemple, le principe de défense mutuelle jouerait-il en cas de besoin pour la Jordanie et le Maroc comme il a joué pour Bahreïn? Ceci risquerait de les mettre en porte-à-faux avec certains de leurs voisins. Peut-on, par exemple, imaginer les armées des monarchies du Golfe campant à la frontière jordano-syrienne? Ainsi, l’élargissement du CCG pourrait ne pas aller dans le sens d’une plus grande cohésion et stabilité des pays arabes. Il risque même d’exacerber les antagonismes existant entre certains d’entre eux et de déboucher sur de plus grandes cassures.
Coalition de monarques
D’autant plus que le régime monarchique est le seul dénominateur commun entre la Jordanie, le Maroc et les six pays du CCG, et c’est le seul paramètre pris en compte par ces derniers pour leur ouvrir la porte de l’organisation dont l’élargissement projeté est donc basé sur l’exclusion. -Sinon, comment expliquer que le CCG demeure fermé à l’Irak où la présence étrangère ne constitue nullement un repoussoir pour les pays de la région, et surtout au Yémen dont l’adhésion aurait pu lui éviter les tourments qu’il vit et pourrait, dans la situation actuelle, constituer une solution à ses problèmes?
Le CCG vient de faire un choix politique et stratégique important, mais douteux, pour ne pas dire aventureux: aller vers sa logique ultime, soit devenir une sorte de «Sainte Alliance»(1) rassemblant toutes les monarchies du Machrek et du Maghreb, dans un contexte où les pays arabes sont si divisés que la Turquie a pu s’ériger à moindre frais en «champion» de leur cause principale, la Palestine, et en arbitre de leurs différends. On ne peut interpréter autrement l’annonce faite concernant l’adhésion de la Jordanie et du Maroc au CCG. (L’Expression-16.05.2011.)
(1) L’Acte final du Congrès de Vienne, qui instaura un nouvel ordre en Europe après les guerres napoléoniennes, fut signé le 9 juin 1815. Dans son article 63, les Etats parties s’engagent à se porter mutuellement assistance en cas d’agression. La «Sainte Alliance» fut formée initialement par les vainqueurs de Napoléon, les Empires russe et autrichien et le Royaume de Prusse, à l’initiative d’Alexandre 1er de Russie. Ils furent rejoints par d’autres puissances européennes. La France y adhéra en 1818, après avoir effacé les séquelles des guerres napoléoniennes.
La «Sainte Alliance» joua un rôle contre-révolutionnaire dans une Europe secouée par les idées du «siècle des lumières».
C’est ainsi qu’en 1923, la France organisa une expédition militaire en Espagne pour restaurer le roi Ferdinand VII sur le trône d’où il a été chassé par un soulèvement populaire dont l’exemple était craint de l’autre côté des Pyrénées. Cette coalition de monarques contre les aspirations des peuples procédait d’une volonté vaine de faire marche arrière à la roue de l’Histoire.
* Hocine MEGHLAOUI (*) Ancien ambasadeur
***Le Maroc sollicité par le club des monarchies du Golfe
L’annonce a été pour le moins surprenante. Réunis le 10 mai dernier en sommet à Riyad en Arabie Saoudite, les dirigeants du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), se sont déclarés favorables à une adhésion du Maroc à leur groupement régional. Le CCG réunit l’Arabie Saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar. Et pour bien faire passer la pilule qu’ils veulent faire avaler aux Arabes, ils lancent également l’invitation à la Jordanie.
Ce qui est encore plus surprenant a été la réaction en deux temps du Maroc à cette invitation. Dans un premier temps, il décline diplomatiquement la proposition du CCG. Un refus qui avait déjà les relents d’une manipulation à grande échelle. Puisqu’il a a réitéré son «attachement naturel et irréversible» à la construction de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Une autre manoeuvre du voisin marocain qui a trouvé une occasion pour relancer le dossier de la réouverture des frontières avec l’Algérie. Comme quoi vis-à-vis de la communauté internationale, c’est le Maroc qui s’attache à la construction de l’UMA et c’est l’Algérie qui bloque cette construction. Des assertions totalement fausses. Mais c’est de bonne guerre.
Dans un second temps, le Maroc se rétracte. Une adhésion du Maroc au Conseil de coopération du Golfe (CCG) «prendra du temps» et devra être «progressive», a estimé le ministre marocain des Affaires étrangères, en tournée dimanche dans la région. Taïeb Fassi, qui se trouvait à Abou Dhabi au lendemain d’une visite à Riyadh, est porteur de messages du roi Mohammed VI «remerciant» les dirigeants du CCG pour leur offre en vue d’une adhésion de son pays à leur club. «Le Maroc a réagi positivement à cette offre, qui doit se concrétiser selon une approche progressive», a dit M.Fassi au quotidien arabe Al-Hayat. «Nous sommes volontaires pour adhérer» au CCG mais cela «prendra du temps», a ajouté le ministre, qui a été reçu avant-hier, à Riyadh, par le roi Abdallah d’Arabie Saoudite et dimanche à Abou Dhabi par le président des Emirats arabes unis, cheikh Khalifa Ben Zayed Al-Nahyane. D’autre part, il convient de se poser la question de savoir «pourquoi le Yémen, qui fait le pied de grue depuis des années devant ce Conseil, n’a-t-il pas bénéficié du même accueil que le Maroc?» Voilà donc les monarques du Golfe se souciant de leur sécurité en ouvrant grandes leurs portes au royaume du Maroc. Tous les observateurs s’accordent à dire que l’un de leurs principaux objectifs consiste à isoler l’Algérie.
Tout simplement parce que l’Algérie a toujours servi d’intermédiaire entre les Occidentaux et l’Iran dans le cadre des négociations pour la dénucléarisation. Un rôle de leadership que les monarques contestent à l’Algérie. D’autre part, l’Algérie refuse de s’impliquer dans le conflit libyen. Il faut alors faire feu de tout bois contre l’Algérie allant jusqu’à l’accuser de soutenir le régime d’El Gueddafi. Depuis le déclenchement des révoltes arabes, les potentats du Golfe ont ressenti le besoin d’avoir leurs propres réseaux pour renforcer leur sécurité et protéger et leurs intérêts et leur sécurité. Ils se manifestent alors par des actions spectaculaires exhibant leur forces contre…d’autres Arabes, jamais contre Israël. N’a-t-on pas vu des chars rutilants appartenant aux soi-disant forces du Bouclier de la Péninsule, se déployer en mars dernier pour mater un mouvement de contestation au Bahreïn? Il s’agissant en fait de protéger un roi sunnite dans un pays majoritairement chiite. N’a-t-on pas assisté ahuris, aux déclarations incendiaires du prince qatari contre le régime libyen? Le Qatar s’est impliqué directement dans l’effort international contre le régime d’El Gueddafi en participant aux frappes aériennes. Des avions arabes pour casser de l’Arabe.
On n’a pas entendu la moindre contestation de ces mêmes pays, de ce même Conseil lorsque les Israéliens massacraient les populations à Ghaza en 2008. Les incursions de ces pays, notamment au Bahreïn, n’ont pas été du goût de l’Iran qui a violemment contesté cette situation.
Entre le groupement régional et Téhéran, les relations n’ont jamais été au top. Elles se sont envenimées depuis l’intervention des troupes de la Force commune du Golfe à Bahreïn. D’ailleurs, lors de la réunion du CCG du 10 mars dernier, le dossier de l’Iran a été largement abordé.
Les propos tenus récemment par du chef d’état-major des armées en Iran, le général Hassan Firouzabadi, qui a dénoncé le «front des dictatures arabes» du Golfe, ont suscité l’ire des rois. En général, les monarques arabes quand ils s’énervent, se mordent la queue. C’est ce qui s’appelle une colère royale.(L’Expression-16.05.2011.)
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**Gene Sharp. Politologue américain partisan de la non-violence
La libération requiert de la planification, du jugement et de la discipline
Certains surnomment Gene Sharp «le théoricien des soulèvements arabes». D’autres, le «Machiavel de la non-violence». Son œuvre, De la dictature à la démocratie*, préconise 198 méthodes pacifiques pour défaire les dictatures. Partout, on murmure que ce petit guide, publié en 1993, aurait inspiré les révolutionnaires égyptiens et tunisiens. Un rôle que ce politologue de 83 ans, partisan de la non-violence mais fin stratège, réfute en toute humilité. Pour lui, les révoltes sont l’œuvre des peuples. Entretien avec cet «apôtre» de la non-violence.
-On parle de vous dans les médias comme «l’inspirateur des révolutions arabes», car les méthodes utilisées par les manifestants, particulièrement en Egypte et en Tunisie, auraient été directement influencées par votre livre De la dictature à la démocratie. Qu’en pensez-vous ?
Si mon livre De la dictature à la démocratie a aidé les gens à avoir confiance dans le fait qu’ils pouvaient, par leurs propres efforts, apporter une plus grande liberté à leur société, c’est formidable, et mes dizaines d’années d’études ont alors été un bon investissement. Toutefois, je ne sais avec certitude si c’est vraiment ce qui s’est passé. En tout cas, ce sont les peuples tunisien et égyptien qui se sont libérés tous seuls, je n’y suis pour rien. Ce sont eux qui méritent les honneurs. Reste à voir s’ils seront en mesure d’empêcher que d’autres s’emparent de leurs succès.
-On sait que des révolutionnaires arabes ont été formés dans des camps de stratégies non violentes. Lorsque vous voyez des Egyptiens avec un exemplaire de votre livre, que ressentez-vous ? Est-ce une forme de consécration ?
Je n’ai pas vu de révolutionnaire égyptien avec mon livre De la dictature à la démocratie. Si tel était le cas, cela montre simplement qu’ils peuvent l’avoir lu !
-Vous avez écrit De la dictature à la démocratie en 1993, à destination notamment des guérilleros birmans. Les principes et méthodes que vous invoquez peuvent-ils réellement défaire toute forme de système politique dictatorial, et à toute époque ? Le régime birman n’est pas tout à fait comparable au régime de Hosni Moubarak…
Aucune dictature n’est identique, mais toutes partagent certaines caractéristiques communes, certaines différences. De la dictature à la démocratie a été écrit pour tous les peuples de Birmanie, pas seulement les guérilleros, qui voulaient mettre fin à la dictature militaire qui les oppressait. U Win Tin Maung, un important démocrate birman en exil, m’a demandé d’écrire pour son journal Pyaing Khit, aussi connu sous le nom du Journal New Era. Et parce que je ne connaissais pas la Birmanie en profondeur, j’ai dû écrire sur le sujet de manière générale, et pas seulement sur la dictature militaire en Birmanie spécifique à cette époque. Mes études antérieures sur les dictatures se sont fortement axées sur les systèmes totalitaires, le type le plus extrême de dictatures, en particulier les systèmes nazi et stalinien.
Le fait que mon analyse revête un caractère générique peut expliquer pourquoi le texte a été publié en trente-quatre langues. Dans chaque pays, les gens qui vivent sous le poids de différentes dictatures nous ont dit : «Ce livre a été écrit pour nous.» De la dictature à la démocratie offre un cadre conceptuel qui permet d’élaborer la libération. Mettre le texte sous son oreiller la nuit ne mènera à rien. La mise en œuvre exige beaucoup plus d’efforts que ça pour ceux qui veulent être libres. Elle requiert de la planification stratégique, ce que j’ai appelé «l’autolibération», de la sagesse, du jugement, de la bravoure et de la discipline.
-Le fait que ce sont les peuples tunisien et égyptien, seuls, qui ont réussi à faire tomber leurs régimes pacifiquement vous conforte-t-il dans l’analyse que vous faites des dictatures et de la manière de les renverser ?
Les révolutions non violentes n’ont pas seulement eu lieu en Tunisie et en Egypte, mais aussi partout ailleurs, et sans mes écrits pour les aider. Par exemple, l’autocratie tsariste de l’empire russe est tombée suite à la révolution de février 1917. Les dictatures militaires du Guatemala et du Salvador ont été dissoutes de manière non violente en 1944. Les régimes communistes de Pologne, Lituanie, Allemagne de l’Est, Tchécoslovaquie, etc. ont été anéantis dans les années 1980 et au début des années 1990. Bien sûr, tous ces succès n’ont pas été utilisés à bon escient par la suite, mais ils démontrent la capacité de la lutte non violente à détruire une dictature. Mon analyse du potentiel de la révolution non violente pour parvenir à la libération s’enracine en partie dans cette réalité.
-Vous affirmez qu’il ne faut pas combattre les régimes dictatoriaux avec leurs propres armes, c’est-à-dire en utilisant la violence. Quels conseils pourriez-vous donner aux peuples syrien et yéménite par exemple, qui, malgré leurs mouvements pacifiques, meurent chaque jour sous le feu des balles de leurs dirigeants ?
Choisir de combattre les dictatures avec ce type d’armes, grâce auxquelles elles ont pu acquérir leur supériorité, donne à ces dictatures un avantage. Il devient alors presque impossible pour ces gens qui luttent pour la liberté de gagner la partie. C’est insensé. Et quand une dictature est l’objet d’attaques, que ce soit par une résistance non violente ou par une non coopération avec le régime, il est naïf de penser qu’elle va gentiment accueillir cette révolution non violente. Il faut s’attendre à faire face à des blessés graves, à des brutalités, et savoir résister. Lorsque la répression est sans pitié, c’est la preuve que la dictature est extrêmement menacée, et que la lutte doit continuer. Et il est alors possible, mais ce n’est pas certain, que l’armée fasse l’objet d’une mutinerie, qui affaiblirait sérieusement le pouvoir de la dictature.
-En Libye, la résistance contre le régime se fait par les armes. Quelles sont vos prédictions quant au sort de cette révolte ?
Le passage à la lutte militaire en Libye s’est vraisemblablement opéré quand un général libyen, qui a fait défection, s’est tourné vers l’opposition et a offert ses soldats et ses armes aux résistants anti-Gueddafi, qui les ont follement acceptés. Le conflit s’est mué en une guerre militaire. Cependant, les rebelles se sont vite rendu compte que seuls, ils ne faisaient pas le poids face aux forces des fidèles pro-Gueddafi. Même aidées des Nations unies et de l’assistance militaire de l’OTAN, les forces militaires antirégime font face à de sérieux problèmes. Elles pourraient mettre fin au conflit en tuant El Gueddafi. Toutefois, il est fort probable que le conflit aboutisse à l’avènement d’un gouvernement autoritaire, fortement influencé par les pays qui ont fourni une aide militaire. A ce moment-là, le peuple libyen ne se sentira pas assez puissant, ni suffisamment solide pour bâtir une démocratie.
-Et maintenant que les régimes tunisien et égyptien sont tombés, que préconisez-vous pour assurer à ces peuples libres que la dictature ne reprenne pas ses droits, et pour les empêcher de cultiver toute forme d’espoir utopique ?
Avec le départ des anciens régimes, les peuples de Tunisie et d’Egypte sont confrontés à cette dure épreuve qu’est la construction d’un nouvel ordre politique démocratique. Ils doivent rester très prudents, afin qu’une nouvelle dictature ne s’empare pas à nouveau du pouvoir, progressivement ou brutalement, que ce soit par un coup d’Etat politique ou militaire. L’anti-coup, de Bruce Jenkins et de moi-même, est un guide pour prévenir et faire avorter les coups d’Etat…
-Vous avez été accusé en 2008 par l’Iran d’être un agent de la CIA. Ne craignez-vous pas des réactions des dirigeants arabes encore au pouvoir, qui pourraient vous accuser d’attiser la révolte populaire par le biais de votre «guide» ?
Cela supposerait que certains des dirigeants autocratiques actuels souhaiteraient conserver leurs positions au détriment des libertés démocratiques et de la justice. Dans ce cas, ils pourraient alors me dénoncer à cause de mes écrits. Si cela arrivait, je leur recommanderais simplement mes écrits, qui sont des alternatives non violentes conçues pour leurs peuples mécontents !
Bio express :
Né en 1928, Gene Sharp est un politologue américain reconnu pour ses nombreux écrits sur la lutte non violente. Après de nombreuses années passées sur les bancs universitaires, il devient docteur en philosophie des sciences politiques à l’université d’Oxford et professeur émérite à l’université de Darmouth. Il est, entre autres, titulaire d’une maîtrise de sociologie et d’une licence de sciences sociales. Il tient depuis trente ans un poste de chercheur au Centre de l’université de Harvard pour les affaires internationales. Il est également chercheur principal à l’Institut Albert Einstein de Boston, qu’il a fondé en 1983, fondation qui promeut la non violence dans la résolution des conflits actuels. Il a écrit de nombreux ouvrages dont La politique de l’action non violente en 1973 et De la dictature à la démocratie en 1993, qui ont été publiés dans plus de trente langues. (El Watan-24.06.2011.)
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** L’intervention militaire en Libye
Motivations ambiguës et conséquences incertaines
Périodiquement, un mouvement tectonique fait trembler la terre une fois tous les dix ans au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (la décolonisation, la crise de Suez, la guerre des Six jours, la chute du shah, la guerre du Golfe 1990-1991, le 11 septembre et ses implications — la guerre en Afghanistan et en rak, etc.)
Chaque événement et ses répliques immédiates bouleversent l’ordre existant, redéfinissent l’environnement, et conduisent à des ajustements significatifs dans la manière dont les Etats-Unis et d’autres acteurs conçoivent et se comportent les uns envers les autres. Sans minimiser l’importance de ces événements, la vague de contestation qui secoue la région est historique : «L’un des développements les plus marquants de notre temps». Il n’est pas exagéré de dire que «ces changements sont parmi les plus importants que la rive sud de la Méditerranée a connus depuis la Seconde Guerre mondiale». En outre, ils auront nécessairement «des implications profondes sur l’avenir des relations entre les pays arabes et l’Union européenne»(1). Une bonne compréhension des problèmes de la région et leurs solutions potentielles font souvent défaut chez les officiels, même dans les pays dont leur histoire a été directement liée au monde arabe.
Plus exactement, les experts de la région sont marginalisés parmi les centres de décision. Trop souvent, la première question porte sur ce qui devrait être fait plutôt que de la nature du problème, comme c’est le cas en Libye.
L’évolution de ces relations doivent être appréhendées en fonction de ce que Z. Brzezinski appelle le «Global Political Awakening». Cela signifie tout simplement que «pour la première fois dans l’histoire, la quasi-totalité de l’humanité est politiquement active, politiquement consciente et politiquement interactive. L’activisme mondial génère une forte poussée de quête du respect des cultures et des opportunités économiques dans un monde marqué par le souvenir de la domination coloniale ou impériale».(2) En outre, les travaux de Jack Snyder montrent la façon dont la démocratisation produit le nationalisme.
Les flux et l’incertitude institutionnels, caractérisant les périodes de transition, ont tendance à générer des niveaux élevés de nationalisme et appels nationalistes par les nouvelles élites politiques. Il note qu’«un large éventail de soutiens institutionnels civiques, de coalition et idéologique est nécessaire pour écarter de manière fiable les résultats nationalistes agressifs».(3) Cela implique de l’extrême prudence dans le cas d’une implication d’un acteur extérieur. En tant que tel, l’attitude des pays occidentaux à ces événements n’est guère à la hauteur de ce moment historique, pourtant tant attendu. Bref, deux hypothèses se présentent désormais : ce serait l’occasion, d’une part, de tester cette incompatibilité supposée entre le monde arabe et la démocratie et, d’autre part, de sonder les réelles intentions des discours américains et européens sur la démocratie.(4) L’«ordre étant préférable au désordre», R. Kaplan appelle à une approche réaliste qui «devrait se concentrer sur la nécessité d’une réforme politique et sociale, non pas sur un changement de régime» pour faire face aux événements de la région.(5) La première des choses est de cesser avec une pratique de deux poids, deux mesures. Les analystes évoquent un changement de la politique de l’UE et des Etats-Unis envers la région, à la lumière de ces événements.
Ce point de vue qui n’est pas partagé, disant tout simplement qu’il y a un critère qui ne trompe pas en fonction duquel la politique américaine et même celle de l’UE peuvent être jugées objectivement : le conflit israélo-palestinien. Sans qu’il y ait de changement à l’égard de cette question, il n’est guère sérieux de prétendre que la politique américaine dans la région a changé. Dans le cas de la Libye, la question, désormais, n’est pas de savoir s’il faut ou non intervenir, mais plutôt que peut-on et doit-on faire ? En outre, l’histoire a montré que non seulement les interventions ne sont pas toujours couronnées de succès(6), mais qu’elles ne sont jamais désintéressées ou altruistes.
«Pour près de 400 ans, les Européens ont considéré la place de l’Afrique dans les affaires mondiales comme une «magnifique gâteau» de ressources naturelles — depuis les fleurs et plumes d’autruche au pétrole, diamants et l’uranium — et un espace géophysique et humain extrêmement complexe, sur lequel il est possible de jouer aux échecs géopolitiques et d’essayer un large éventail d’idées farfelues. Ainsi, les théories occidentales contemporaines de «développement», de «transition démocratique» et de «consolidation de la paix» ont leurs antécédents historiques dans le «fardeau de l’homme blanc» et de «la mission civilisatrice». La traite négrière, la destruction des empires autochtones, la sujétion des peuples étrangers et l’annexion formelle de territoires — important dans la concurrence intra-européenne mercantiliste — étaient justifiées par des faits scientifiques en ce qui concerne le retard des personnes de couleur et les préjugés religieux en ce qui concerne la suprématie chrétienne.
Sans doute, l’élite africaine a joué un rôle dans cette triste histoire de la conquête impérialiste, comme les Européens exploitaient les différences historiques, la concurrence et les préjugés. Mais le raisonnement politico-économique qui sous-tend ces actions reflète les besoins et les intérêts des Européens — pas des Africains».(7) C’est ainsi qu’au jour d’aujourd’hui, le rôle positif de la colonisation est reconnu, alors que dès 1833 une commission parlementaire française a rapporté que «nous avons dépassé en barbarie les barbares qui sommes nous venus pour civiliser».(8) Dans cette perspective de raisonnement, les missiles Tomawaks lancés sur la Libye sont perçus pour faire entrer «l’homme africain dans l’histoire». Dit simplement, comme le notent deux anciens Secrétaires d’Etat, le choix entre «idéalisme» et «réalisme» est faux en matière élaboration d’une politique étrangère.(9) C’est incontestable que le régime libyen a fait une erreur stratégique monumentale, l’usage de la force armée contre les manifestants en l’occurrence, qui a eu un impact sur la décision des Américains de changer leur avis, et participer, enfin, à la campagne militaire.
Toutefois, «quiconque cherche principe et logique de l’attaque sur le régime tyrannique de Muammar El Gueddafi sera déçu».(10) Au Yémen, l’Administration Obama avait maintenu son soutien au président Ali Abdullah Saleh en privé, et s’est abstenue de le critiquer directement en public, alors même que ses partisans ont tiré sur des manifestants pacifiques, parce qu’il était considéré comme un allié crucial dans la lutte contre la branche d’Al Qaîda au Yémen. Cette position a alimenté les critiques des Etats-Unis dans certains milieux jugeant hypocrite de se précipiter pour évincer un autocrate répressif en Libye, mais pas parmi des alliés stratégiques comme le Yémen et Bahreïn.(11) Le ministre britannique des Affaires étrangères, ainsi que le conseiller à la Sécurité nationale du président Obama ont fait valoir qu’il y a une différence entre ces deux pays.(12) Ce qu’ils considèrent comme une différence, c’est le fait que la Ligue arabe a sollicité cette intervention.(13) «Hillary Clinton a dit que ce qui l’a fait réellement changer d’avis pour intervenir en Libye a été la déclaration de la Ligue arabe appelant à l’action. Mais les membres de cet organe, un peu discrédité, sont pour la plupart des autocraties qui n’aiment pas El Gueddafi, mais dont les méthodes de gouvernement ne sont pas moins répressives».(14)
Toutefois, il y a une vérité dans cette distinction, mais pas au sens où ils l’entendaient — au moins sur un point central. Aussi cruel soit-il, la raison centrale est qu’El Gueddafi n’est pas «our bastard» des Américains.
Cela signifie, comme le suggère Ruth King, que «la stratégie des Etats-Unis devrait être de chercher un changement de régime parmi nos ennemis, tout en encourageant nos amis de la région à réformer leurs institutions nationales sur des voies plus libérales».(15) En effet, il faut comprendre que dans le dictionnaire géopolitique et sécuritaire des Etats-Unis, la signification de radical ne se limite pas aux groupes fondamentalistes. Leur croyance n’est même pas le critère central, mais plutôt leur attitude envers les intérêts et objectifs de politique étrangère des Etats-Unis. Simon Jenkins souligne la contradiction et l’ambiguïté de la position occidentale, en notant que la résolution 1973 interdit la vente d’armes à la Libye, mais pas quand il s’agit d’armer les amis à l’est de la Libye (les rebelles), car cela permet de protéger les civils — sans se soucier des civils dans les régions de l’ouest sous le contrôle d’El Gueddafi.(16)
L’opposition systématique d’El Gueddafi aux politiques occidentales pourrait expliquer pourquoi d’autres régimes de la région ont toujours bénéficié de la bénédiction de Washington, mais pas la République islamique d’Iran. Deux pays riches en pétrole avec deux régimes incontrôlables et causant des difficultés pour les pays occidentaux — en fait, non seulement l’Iran est plus riche en pétrole que la Libye, mais aussi El Gueddafi est beaucoup plus acceptable que les ayatollahs du point de vue occidental. «Il se pourrait qu’ils soient des bâtards, mais sont nos bâtards», disait Franklin Delano Roosevelt à propos des dictatures de l’Amérique centrale.(17) Les deux régimes ne peuvent être considérés comme «our batards». Alors, pourquoi une telle intervention n’a pas eu lieu en Iran, qui a connu une répression sanglante ? La raison est que la Libye est une proie facile — au moins, ce que l’on croyait. Abdenour Benantar fait valoir que la coalition est intervenue en Libye tout en étant certaine que leurs avions ou territoire sont à l’abri des missiles libyens.
En effet, en vertu de l’accord qui a été signé entre Washington et Tripoli en 2003, la Libye a non seulement renoncé à son programme nucléaire, mais a aussi détruit tous ses missiles dont la portée dépasse 350 km. En d’autres termes, l’histoire se répète encore une fois de plus, car les Américains ont envahi l’Irak, alors qu’ils savaient que celui-ci ne disposait pas d’armes nucléaires. En somme, la question du pétrole, isolé, une proie facile sont autant de facteurs qui ont balancé la décision finale. A cela s’ajoute un fait important intrinsèquement lié à l’évolution du système politique américain — l’intervention en Libye a seulement confirmé la transformation des Etats-Unis en un empire — comme le montre l’absence d’une déclaration de guerre.
C’est dans ce cadre qu’il devient plus clair de comprendre les accusations systématiques de l’Algérie quant à son rôle dans le soutien d’El Gueddafi. D’une part, tout laisse penser que la question des mercenaires relève davantage d’une stratégie de communication qu’une réalité. Ces mercenaires ressemblent à la femme de l’inspecteur Colombo, il en parle toujours mais on ne la voit jamais. Aucune preuve n’a été apportée sur le rôle de l’Algérie, ni de l’existence de ces mercenaires. Cela signifie que le Conseil de résistance manque gravement d’expérience politique ou, tout simplement, celui-ci est devenu un instrument des grandes puissances engagées en Libye et le porte-parole de l’Alliance.
D’ailleurs, au-delà de la question du bien-fondé de la position algérienne dans la crise libyenne, la résolution 1973 a envoyé un signal à Alger, en notant que le Conseil de sécurité se dit «préoccupé par le sort tragique des réfugiés et des travailleurs étrangers forcés de fuir la violence» en Libye «se félicitant que les Etats voisins, en particulier la Tunisie et l’Egypte, aient répondu aux besoins de ces réfugiés et travailleurs étrangers» — ne pas mentionner l’Algérie, alors des refugiés transitaient par son territoire n’est pas anodin. Malheureusement, cela ne constitue, en aucun cas, une stratégie de paix. Cela dit, au lieu de courir derrière des gains tactiques qui pourraient avoir des effets pervers, c’est plus compréhensif si la pression était de pousser le régime algérien vers plus d’ouverture et de réformes.
Au lieu de cela, la France et les Etats-Unis se félicitent des promesses de réformes partielles du discours du président Bouteflika, alors que, d’une part, il a été largement considéré insuffisant par l’opposition et, d’autre part, les réformes partielles, dans le long terme, peuvent retarder, plutôt que de stimuler une véritable démocratisation.(18) Le même constat peut être fait sur le Maroc. Les Etats-Unis vont jusqu’à soutenir le plan d’autonomie du Maroc sur la Sahara occidental. Une fois de plus, c’est la position par rapport aux objectifs de politique étrangère de la coalition qui prime que la démocratie. Cela n’exonère nullement le régime algérien de ses responsabilités. William Shakespeare disait qu’«il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark». Il en est de même pour le régime algérien et les autres pays de la région qui, aujourd’hui, sont confrontés au phénomène de «King’s Dilemma».(19) Le choix n’est pas entre le statu quo et des réformes profondes, mais plutôt entre chaos et réformes. Mais le discours officiel n’est guère rassurant. Cela nuit gravement à la diplomatie algérienne. La conséquence est que les actions de l’Etat et de la société civile, le plus souvent, se neutralisent au lieu de faire converger leurs efforts.
Un communiqué du ministère des Affaires étrangères algériennes dénonce «cet acharnement irresponsable à vouloir impliquer à tout prix les autorités algériennes [qui] nous interpelle sur les desseins et les motivations de ceux qui sont derrière cette conspiration contre un pays dont le tort est de refuser de s’immiscer dans les affaires intérieures libyennes, de déplorer l’usage disproportionné de la force et de mettre en garde contre les dangers mortifères de l’infiltration de troupes terroristes sur le territoire libyen». En effet, la non-ingérence fait partie des vieux principes de la diplomatie algérienne. De même, il n’y a pas que l’Algérie qui a dénoncé l’usage de la force. Enfin, les inquiétudes liées au terrorisme d’Alger sont légitimes. En effet, trois facteurs contribuent à la ramification des organisations terroristes islamistes et l’intrusion d’Al Qaîda : idéologique (la présence du salafisme djihadiste), institutionnel (la fragilité de l’Etat) et organisationnel (en pariant sur les activités des organisations existantes).
Des ingrédients présents dans la région que la crise libyenne pourrait aggraver. Outre que les responsables américains ne cessent pas de mettre en garde que les réseaux de recrutement et de soutien continuent d’opérer en Afrique, facilitant ainsi les activités des combattants étrangers en Irak, en Afghanistan, au Pakistan — l’affaire de Sinjar a montré que l’organisation terroriste libyenne était la mieux intégrée parmi les organisations terroristes maghrébines dans l’organisation d’Al Qaîda.(20)
En outre, il existe des preuves récentes que les stratèges d’Al Qaîda ciblent délibérément les Etats pauvres et faibles. Le Combating Terrorism Center of the US. Military Academy at West Point considère que «The Management of Savagery : The Most Critical Stage through Which the Umma Will Pass» est l’un des textes stratégiques des djihadistes à étudier avec soin. Dans ce document, Abou Bakr Naji décrit les étapes successives de la création d’un califat islamique. En tant qu’étape-clé, «la gestion de la sauvagerie» vise à mettre de l’ordre, la sécurité, et la loi de la charîa islamique dans des Etats autrefois chaotiques, comme en Afghanistan pré-talibans, de sorte qu’ils puissent former la base d’un califat éventuel. Selon lui, «parmi les rebondissements heureux […] est que la plupart des pays prioritaires sont dans des régions éloignées, ce qui rend difficile à tous les pouvoirs de l’Etat de contrôler l’échelle de la région au cœur du monde islamique». «Les Etats, initialement désignés pour être inclus dans le groupe des régions prioritaires, sont les régions des Etats suivants : la Jordanie, les pays du Maghreb, le Nigeria, le Pakistan et les pays de la Haramayn et le Yémen».
Les «liens communs entre les Etats des régions dans lesquels la sauvagerie peut naître», comprennent «la faiblesse du régime au pouvoir et la faiblesse de la centralisation de son pouvoir dans les périphéries des frontières de son Etat et, parfois, dans les régions intérieures, en particulier ceux qui sont surpeuplés» et «la présence de djihadistes, l’expansion islamique se propageant dans ces régions». Nous avons commencé l’article en notant que la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sont bouleversées par un séisme tectonique chaque dix ans en moyenne ; le souci est qu’une intervention est menée dans cette région tous les dix ans également. Déjà, en 1999, «les responsables américains soulignent que 80% des contingences militaires impliquant les Etats-Unis depuis la disparition de l’Union soviétique (décembre 1991) ont eu lieu dans la zone de responsabilité de la Sixième flotte»(21), c’est-à-dire la Méditerranée.
La région connaît une intervention occidentale d’une grande envergure presque tous les dix ans (Liban au début des années 1980 ; Irak 1990-91 ; Afghanistan/Irak 2001-2003 ; Libye 2011). Le contexte et les motifs de chaque intervention sont différents, mais c’est fou que les zones d’intervention ne changent pas — sont presque les mêmes. La stratégie de la coalition en Libye, la manipulation des Nations unies, l’instrumentalisation d’une Ligue arabe en perte de légitimité, le recours au soutien d’Etats autoritaires, les deux poids, deux mesures, etc. ; tout cela laisse à penser que les Etats-Unis et les grandes puissances européennes n’envisagent pas de changer leur politique suite au «printemps arabe». Au lieu de courir derrière des gains tactiques, «une véritable grande stratégie» est «soucieuse de la paix (peut-être même plus) autant que de la guerre […] au sujet de l’évolution ou l’intégration des politiques, qui doivent fonctionner pendant des décennies, voire des siècles», fait valoir Paul Kennedy.
Tewfik Hamel : Attaché à FARE (Frontières, acteurs et représentations de l’Europe) de l’université de Strasbourg et consultant/expert correspondant à la FMS et membre du cercle prospectif de la Méditerranée (FMES).
Notes de renvoi :
1) Le ministre des Affaires étrangères du Portugal, Louis Amadou, lors d’une visite à Alger. Cité in «L’Algérie rassure, par la voie de son ministre des Affaires étrangères, ses partenaires européens sur sa situation intérieure», El Khabar, 1er mars 2011.
2) Zbigniew Brzezinski, «The Global Political Awakening», The New York Times, 16 décembre 2008 ; Zbigniew Brzezinski, Major Foreign Policy Challenges for the Next US President, International Affairs, vol. 85, n°1, 2009, pp53-60.
3- Le meilleur récit de la façon dont la démocratisation produit le nationalisme peut être trouvée dans Jack Snyder, From Voting to Violence : Democratization and Nationalist Conflict (New York : W. W. Norton, 2000).
4) «Maintenant, nous allons tester la théorie selon laquelle les politiciens et les chercheurs ont longtemps débattu. Est-ce que une Egypte (un monde arabe en général) plus démocratique deviendra un Etat islamique radical ? La démocratie peut-elle fonctionner dans le monde arabe ?», écrit Fareed Zakaria, «How Democracy Can Work in the Middle East», The Time, 3 février 2011.
5) Robert Kaplan, «The Middle East Crisis Has Just Begun», The Wall Street Journal, 26 mars 2011.
6) Richard Haass, «Bleak History Lessons for Libya’s future», Financial Times, 28 mars 2011.
7) Larry A. Swatuk, «The Unitde States and Africa : Cybernetic Foreign Policy, Continental Decline», Journal of Military and Strategic Studies, vol. 6, n°. 4, Summer 2004, pp. 1-29. (3)
8) «We have exceeded in barbarity the barbarians whom we came to civilize». Cité par Clarence T. Hunter, Jr., The Islamic Fundamental Movement in Algeria, Industrial College of the Armed Forces, Washington, D.C., avril 1993, p 10. Faut-il encore que les populations autochtones soient vraiment des barbares.
9) Henry Kissinger & James A. Baker III, «Grounds for U.S. military intervention», The Washington Post, 7 avril 2011.
10) Eugene Robinson, «In the Mideast, U.S. policy is still driven by realism», The Washington Post, 21 mars 2011.
11) David E. Sanger, «U.S. Shifts to Seek Removal of Yemen’s Leader, an Ally», The New York Times, 3 avril 2011.
12) «Le Conseil à la sécurité nationale : il n’y a point de comparaison entre la Libye et le Bahrein», Al-Sharq Al-Awsat, 22 mars 2011. «At War in Libya», The New York Times, 21 mars 2011 (éditorial) Jeffrey Fleishman, «Double standard seen in Arab response to Libya», Los Angeles Times, 21 mars 2011.
13) Jeff Zeleny, «Airstrikes in Libya ; Questions Back Home», The New York Times, 20 mars 2011.
14)- «Patrick Cockburn : To have an impact, this kind of intervention needs clear objectives», The Independent, 18 mars 2011.
15) Ruth King, «The Arab Revolt and U.S. Interests : A U.S. strategy has to begin by distinguishing between friends and enemies», The Wall Street Journal, 4 avril 2011.
16) Simon Jenkins, «By merely bolstering the weaker side, we are prolonging Libya’s civil war», The Guardian, 31 mars 2011 ; «Rather than arm Libyan rebels, US should let others do it», Boston Globe, 2 avril 2011 (editorial).
17) Gary G. Kohls, «Mubarek Was A Bastard, But He Was Our Bastard», http://baltimorechronicle.com/2011/022811Kohls.shtml.
18) Daniel Brumberg, Beyond Liberalization ? Wilson Quarterly 28, n° 2, spring 2004, pp. 47-56.
19) Le concept fut d’abord formulé, il y a quatre décennies, par Samuel Huntington, selon lequel les autocrates peuvent nuire à leur base de pouvoir par adoption de réformes, mais risquent le même résultat s’ils ne le font pas. Samuel Huntington, Political Order in Changing Societies (New Haven, CT : Yale University Press, 1968).
20) Joseph Felter & Brian Fishman, «Al-Qaida’s Foreign Fighters in
Iraq : A First Look at the Sinjar Records», Harmony Project, Combating Terrorism Center at West Point, janvier 2008.
21) Mario Zucconi, NATO in the Mediterranean, in Stephen J. Blank (sous. Dir.), Mediterranean Security Into the Coming Millennium, Strategic Studies Institute, United States Army War College, 1999, pp. 111- 123 (119) ****Tewfik Hamel -(El Watan.05.05.2011.)
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**la supercherie est dévoilée : Amina, la blogueuse syrienne n’existe pas
*Amina, une jeune syrienne se battant pour la démocratie par internet et arrêtée par les forces de sécurité, se révèle finalement, un homme américain de 40 ans, aux objectifs douteux…
Un Américain de 40 ans s’est fait passer pendant plusieurs mois pour une jeune Syrienne lesbienne sur un blog. La fausse nouvelle de son arrestation par les forces de sécurité du pays avait suscité l’émoi à travers le monde.
L’Américaun se faisait passer pour Amina, une jeune lesbienne vivant en Syrie. Elle se bat pour l’arrivée de la démocratie dans son pays, et relate son combat sur son blog depuis le mois de février. La semaine dernière, Amina se fait enlever par les forces de sécurité du pays. La blogosphère est en émoi, les médias du monde entier relatent cette histoire. Des groupes de soutien se forment sur Facebook.
Dimanche, la supercherie est dévoilée : la blogueuse n’existe pas. Amina s’appelle en réalité Tom MacMaster, un Américain de 40 ans étudiant en master à l’Université d’Edimbourg, en Écosse…
Les doutes s’étaient multipliés ces derniers jours. Tom MacMaster avait publié une photo censée représenter Amina, et qui a été en réalité prise sur un profil Facebook. De nombreux internautes syriens ont déclaré ne pas connaître cette jeune femme après l’annonce de son arrestation. Quant à la responsable du blog lesbien Lez Get Real, elle a affirmé que les e-mails qu’Amina lui envoyait provenaient d’Edimbourg.
La vérité n’allait pas tarder à sortir.
Le blogueur a révélé dimanche le pot aux roses dans un billet de blog nommé «excuses aux lecteurs». «Je n’aurais jamais cru provoquer un tel niveau d’intérêt», explique-t-il. Si le personnage d’Amina est fictif, «les faits relatés sur ce blog sont authentiques et ne sont pas trompeurs quant à la situation sur le terrain», se justifie l’Américain, qui estime «ne pas avoir fait de mal à qui que ce soit.»
Les blogueurs syriens furieux
Tom MacMaster s’est longuement expliqué ce lundi. Il affirme ainsi au Guardian avoir inventé une narratrice syrienne pour son blog afin d’être écouté du public occidental. «J’évitais ainsi les remarques du type «pourquoi détestes-tu l’Amérique ? Pourquoi détestes-tu la liberté ?» que j’aurais eu si j’avais signé de mon propre nom».
Quant à l’orientation sexuelle de son personnage, il s’agissait «d’un défi littéraire». Un défi qu’il aura poussé jusqu’à entretenir une correspondance régulière avec une lectrice canadienne, qui tombera amoureuse de cette mystérieuse syrienne. «Je me sens mal vis-à-vis de ça», reconnaît-il. Jusqu’où est allée cette relation ? Il refuse d’en dire plus.
Les écrits de Tom MacMaster ont d’autres conséquences. Le correspondant en Syrie du Guardian a ainsi pris de nombreux risques sur le terrain pour essayer de rencontrer la fausse blogueuse. L’agence de presse officielle du régime syrien, Sana, s’est elle emparée de l’affaire. «Ceci illustre bien les mensonges et les allégations comme quoi le régime kidnapperait des blogueurs et des activistes», souligne-t-elle.
Les vrais blogueurs syriens sont, eux, furieux. «À M. MacMaster, je dis: Honte à vous!!! Des blogueurs en Syrie tentent de faire remonter les informations sur ce pays en prenant de nombreux risques», écrit ainsi l’éditeur syrien du site GayMiddleEast. «Ce que vous avez fait a heurté beaucoup de monde, et nous a tous placés dans une position dangereuse. J’avais moi-même commencé à enquêter sur l’arrestation d’Amina. J’aurais vraiment pu me retrouver en danger.» «Je me sens mal pour les personnes à qui j’ai fait du mal», a répondu Tom MacMaster au New York Times. «Cela me rend malade». (source: Le Figaro-13.06.2011.)
**réactions des internautes:
-dacey …Bienvenue dans le monde merveilleux du net et de sa « démocratie directe et planétaire » !
- ali boudar …Un étudiant de 40 balais , qui joue au blogueur, sans penser à tout le mal qu’il fait autour de lui avec son »passe-temps »,c’est vraiment n’importe quoi!
- Alex Kerem …C’est comme ça: la révolution démocratique au M.O n’est que le fruit des fantasmes des occidentaux. Arrêtez de regarder toujours dans le mirroir! L’Autre ne vous ressemble pas du tout!!!
-AlainDeBriis … et voilà encore une preuve de la qualité de l’info sur le net.
- Poquelin …Quel pauvre type. Un « pieux » mensonge finit toujours par se retourner contre la cause que l’on est censé servir.
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–par Ahmed Cheniki
Les sociétés arabes tanguent tragiquement sous le poids de l’incertitude et de l’absence de sérieuses perspectives. Dirigés par des oligarchies reproduisant souvent, peut-être de manière inconsciente, le discours et les pratiques coloniales dangereusement intériorisées,
les gouvernements en place n’arrivent pas encore à se libérer d’une désastreuse passivité et de la constante conjugaison de leur vécu au futur antérieur.
Les secousses actuelles ont certes, quelque peu transformé les choses et permis d’inciter les dirigeants à entamer des réformes, sous la pression de puissances étrangères. Les dirigeants arabes, trop peu marqués par la voix de leurs «peuples» préfèrent s’adresser aux étrangers pour annoncer des «réformes» décidées sous la dictée parce que les dirigeants en place ont toujours considéré que la «foule» était trop peu mûre pour décider de son avenir. Ce déficit de citoyenneté est le lieu fondamental autour duquel se mobilisent les populations trop méprisées et considérées comme quantité méprisable. La situation actuelle était-elle évitable ou correspond-elle à une sorte de fatalité historique et sociologique après un processus de «décolonisation» clôturé par des luttes sournoises pour le pouvoir ?
La colonisation n’est nullement étrangère à ces dérèglements politiques marquant les différentes élites, souvent installées à la tête de territoires dépecés, mal organisés, avec des pouvoirs imposés et soutenus par l’ancienne puissance coloniale. Depuis la «décolonisation», ces territoires, chaque fois, qu’ils tentent de procéder à des changements, sont sujets à des actions de déstabilisation. C’est le cas de certaines expériences africaines (Lumumba, Nkrumah…) asiatiques, (Soekarno…) ou arabes sabordées au nom de la «démocratie». Ce qui fragilise dangereusement celle-ci qui, pour reprendre l’ancien président français, Georges Pompidou, commence à virer vers des conduites fascistes. Il faudrait souligner que la «démocratie» bourgeoise actuelle est extrêmement éloignée des espaces démocratiques grecs. Une lecture d’Aristote et des textes tragiques nous fournirait de fructueux et enrichissants enseignements. Il est peut-être possible de penser sérieusement la démocratie en partant d’Athènes qui est son territoire originel, réapproprié très tardivement par l’ «Occident» qui tente d’en faire un espace de légitimation historique et culturelle. Les Arabes ont bien découvert Athènes et traduit un certain nombre de textes, notamment durant ce qu’on appelle communément l’âge d’or (10ème-14ème siècle). Ce qui pourrait inciter à une réappropriation et à une réadaptation de la démocratie athénienne par les sociétés arabes en partant de ses fondateurs et en interrogeant l’expérience actuelle dans les pays «occidentaux». Ainsi, le discours sur le «choc» des cultures et des civilisations deviendrait trop peu opératoire, ouvrant le monde à des rencontres interculturelles, loin des sirènes d’une mondialisation présentée ici et là comme une fatalité.
Ce contexte peu réjouissant caractérise la situation actuelle de pays arabes appelés à se remettre fortement en question et menacés de graves crises dans une sorte d’espace où la «démocratie», rompant avec l’héritage grec, est transformée en un lieu de mise en relief du discours néolibéral, à travers cette illusoire idée d’une hypothétique «fin de l’Histoire» (Francis Fukuyama). La langue de bois néolibérale est assourdissante. Tout a commencé en Tunisie, en dehors de ce geste du jeune Bouazizi, où il y eut une sorte de manifestation d’un ras-le bol général dû à un enfermement qui dure depuis 1956, prolongeant les malheurs coloniaux, mais par la suite les interventions des appareils du syndicat officiel (une structure qui a longtemps rompu avec l’expérience réformiste et quelque peu contestataire de Habib Achour) et de l’armée ont, jusqu’à présent posé problème, au-delà de cette conviction de beaucoup d’analystes considérant celle-ci comme «proche du peuple». Ce qui reste à démontrer d’autant plus que cette institution a accompagné le pouvoir autocratique tunisien depuis 1956. Des interrogations, beaucoup d’interrogations restent encore en suspens. Comme d’ailleurs dans l’expérience égyptienne où les Etats Unis ont joué un rôle de premier plan depuis le début de l’opération. La situation au Yémen, en Libye et en Syrie est presque similaire. Au Bahreïn, manquent quelques ingrédients qu’on retrouve ailleurs, avant son invasion par les troupes saoudiennes, avec la complicité et le silence des organisations non gouvernementales et des nations dites démocratiques.
Que se passe t-il réellement dans les pays arabes ? Sont-ce des mouvements «populaires» spontanés ou ont-ils été provoqués comme dans d’autres pays où on avait parlé de «révolutions» aux diverses couleurs ? Certes, tout le monde semble d’accord pour affirmer que les conditions actuelles favorisent toutes les possibilités et toutes les hypothèses. Dépouillées de leur citoyenneté depuis la colonisation, les populations, rêvent, un petit peu comme dans une tragédie grecque, à devenir des acteurs, répudiant ainsi la posture de locataires dans des pays où les libertés sont dramatiquement absentes. Ce qui facilite l’enrôlement de nombre d’entre eux dans des situations pouvant déboucher sur de sérieuses impasses. La latence du rejet du discours des dirigeants et l’intériorisation de sentiments d’injustice sont des éléments importants participant de l’éveil à tout moment, et surtout dans des manifestations collectives, d’une posture de résistance et d’opposition agissante. Cette exceptionnelle posture a sérieusement fait trembler les gouvernements en place et permis la mise en œuvre d’un autre discours et d’un autre lexique, provoquant des césures et de sérieuses contradictions au sein d’appareils étatiques dominés par la prééminence de la pensée unique et d’une logorrhée verbale utilisée pour provoquer une certaine diversion. Le discours est monologique, même si les hommes et les femmes changent, morts, assassinés ou relevés de leurs fonctions, beaucoup d’entre eux, aigris, déçus après avoir servi des dictatures, cherchent à se faire une virginité en s’exhibant dans l’opposition. Ce sont ces gens qui vont devenir les opposants les plus radicaux. Mais proposent-ils un projet différent de ceux qu’ils ont fidèlement servi pendant longtemps ? Les sociétés arabes ont besoin de réformes radicales, donnant la possibilité à leurs populations de recouvrer la voix, pas de simples replâtrages, comme c’est le cas actuellement en Syrie, en Jordanie, au Maroc ou en Algérie ou, plus grave dans les pays du Golfe, où toute parole et toute manifestation libre sont interdites. Les dernières expériences, singulières, demeurent encore obscures, marquées par une excessive opacité. Mais ce qui se passe permet de mettre en lumière certaines vérités allant dans le sens de questionnements et de conclusions déjà proposés par Frantz Fanon et Edward Said dans d’autres contextes.
Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que les sociétés anciennement colonisées restent prisonnières du schéma colonial. Ce discours investit les pratiques politiques et sociologiques. Les conditions dans lesquelles ont été adoptées les formes de représentation-politique, culturelle, économique ou militaire- et donc, l’idée d’Etat-nation, ont engendré de sérieuses crises et de graves ruptures. Il faudrait ajouter à cela la reproduction-souvent inconsciente- des attitudes coloniales, provoquant un vaste fossé entre les élites et leurs sociétés, ce qui permet de comprendre la propension des populations à considérer l’Etat formel en place comme une structure étrange et étrangère. Cette reproduction du discours et des pratiques coloniales provoque parfois chez notamment les dirigeants le sentiment que les populations sont trop peu mûres, une masse compacte, appelée à entrer dans le moule pour postuler à une parole plus ou moins libre. C’est pour cette raison qu’il est peu surprenant d’entendre les dirigeants algériens dire que les Algériens ne seraient pas mûrs pour la pratique démocratique, considérés comme trop peu dignes du statut d’individu. Ce refus de l’individuation est symptomatique d’une attitude marquée par la constante résurgence du complexe du colonisé. Ainsi, se joue une tentative de s’assimiler et de s’identifier à l’autre, reproduisant ses comportements, les considérant comme seuls valables.
Ce n’est pas sans raison que les politiques et les journaux algériens sont extrêmement fascinés par l’Europe, reproduisant tout discours élogieux à leur encontre comme un vrai certificat d’authenticité et de réussite. Ce n’est pas une surprise que toute décision sérieuse prise par les autorités est tout d’abord adressée aux Américains et aux Européens. Le complexe du colonisé, pour reprendre Fanon, traverse toute la «classe» politique et la presse algérienne, à commencer par les personnalités et les partis dits d’opposition. Les journaux algériens, trop prisonniers des dépêches de l’AFP et d’un regard quelque peu aliéné, privilégient paradoxalement les analyses des Européens et des Américains sur le pays. Les universitaires et les «analystes» utilisent souvent les espaces conceptuels et référentiels «occidentaux» pour illustrer leurs propos. Ce n’est que maintenant, après les dernières secousses, qu’on a commencé à parler, au niveau des gouvernants, de possibles réformes, mais surtout dans l’espoir de satisfaire les pays «occidentaux» qui considèrent les anciens colonisés comme leurs obligés. Le rapport colonisé-colonisateur n’a pas fondamentalement changé. Si on avait prétexté une «entrée en civilisation» des populations trop «sauvages» et «barbares» à leur goût pour légitimer la colonisation, on reproduit le même modèle avec l’idée de «libérer les populations des dictatures» et de les «faire entrer dans la démocratie, même de force». Les textes de Huntington, de Bernard Lewis et Zbigniew Brezinski ont la particularité d’être très clairs sur la question des rapports Nord-Sud. Au-delà des calculs géostratégiques, transparait un regard sur les Arabes et les Africains, trop réducteur, «une vue du dehors», une construction d’images stéréotypées.
Contrairement au discours de Frantz Fanon et d’Edward Said, l’ «Occident» comme l’ «Orient» ne sont nullement des totalités, mais ils sont sérieusement traversés par de profondes contradictions politiques et idéologiques. Ces deux ensembles, trop flasques sont fatalement des créations idéologiques, même si l’ «Occident» se caractérise essentiellement par son appartenance à l’aire chrétienne engendrant souvent un discours dual, binaire. On a beaucoup parlé de «croisades» ces derniers temps, notamment par rapport à l’intervention militaire en Libye. Bush et Berlusconi l’ont déjà utilisé. Le lexique religieux est très prégnant dans les formations discursives européennes et américaines. Les espaces conceptuels relatifs aux anciens colonisés sont fortement marqués par ces constructions idéologiques. D’où la nécessité d’un examen critique des instances épistémologiques. C’est l’hypertrophie du moi «occidental» opposé à la «barbarie» et la «sauvagerie» des autres nations, notamment les pays arabes qui devraient effacer leur culture et s’assimiler pour pouvoir être admis dans la «civilisation» et l’universalité européenne. Mohamed Arkoun l’explique très bien : «Les Français modernes, représentants des Lumières laïques, ont créé en Algérie le droit de l’indigénat conçu et géré par l’État républicain. L’Autre est ainsi vraiment l’étranger radical, qui ne peut entrer dans mon espace citoyen ou dans mon espace de valeurs religieuses et/ou démocratiques que s’il se convertit ou s’assimile, comme on dit encore à propos des immigrés». Dans cet univers, l’Européen survalorisé est le détenteur d’une parole unique péjorant et minorant la parole de l’Autre est considérée comme peu crédible. Les paroles de Gbagbo, Kadhafi ou Assad deviennent inaudibles, expression d’une péjoration et d’une diabolisation prises en charge par les média. Dans l’inconscient européen et américain, il n’y a aucune différence entre les proches de Kadhafi et ses adversaires du CNT de Benghazi. L’Arabe est ce personnage sans identité, ainsi présenté par Albert Camus dans L’Etranger. Cette image se retrouve dans de nombreux romans et films américains, surtout après le 11 septembre. On donne à voir un ennemi potentiel, fabriqué de toutes pièces et proposé aux consommateurs américains et européens désormais fonctionnant comme de simples consommateurs, dépouillés de leurs oripeaux de citoyens, condamnés à être des sujets aux mains du capitalisme financier. Cette marchandisation de la personne humaine traverse, ces dernières décennies, la représentation littéraire et artistique. La démocratie est vidée de son contenu initial, c’est-à-dire telle que présentée par Aristote dans La Politique et par les grandes œuvres tragiques d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Cette perversion du jeu démocratique est l’expression du discours néolibéral, décidément dominant aujourd’hui dans le monde, préfigurant de graves périls. C’est ce qu’on veut imposer aux pays arabes et africains qui ne seraient admis dans le cercle de la «modernité» qu’au cas où ils adopteraient ce discours, clairement développé dans l’ouvrage de Francis Fukuyama, «La fin de l’Histoire».
Finalement, nous retrouvons le même discours colonial du 19ème siècle énoncé différemment, en fonction des nouvelles données sociohistoriques. Fortement endettées et connaissant des situations parfois difficiles, l’Amérique (plus de 14290 milliards de dollars de dette publique) et les autres puissances européennes (la France, l’Italie et l’Espagne comptabiliseraient plus de 6000milliards de dette publique), rompant avec la colonisation classique, mais usant toujours de la violence, vivant mal la montée de pays comme la Russie, la Chine, l’Inde ou le Brésil, n’admettent nullement des voix dissonantes ou des tentatives d’autonomie, surtout dans un moment de quête de l’énergie pétrolière et de l’énergie. Les jeux géostratégiques sont extrêmement importants, surtout aujourd’hui, où de graves crises, plus sérieuses que celle de 2008, risqueraient de déstabiliser le monde. Ce n’est donc pas sans raison que les pays arabes ont été les premiers à être ciblés dans une opération de conquête qui, apparemment, ne fait que commencer. (Quotidien d’Oran-2011.)
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