Le vent contestataire touche les pays du Golfe

**Le vent contestataire n’épargne pas les pays du Golfe

*Par Hugo Micheron (Spécialiste du Moyen-Orient, diplômé du King’s College de Londres et de Sciences Po Aix)

Le vent contestataire touche les pays du Golfe

Des protestations ont éclaté depuis 2011 dans trois Etats de la région : Bahreïn, Oman et l’Arabie saoudite. Ces pays présentent des caractéristiques communes avec les autres nations arabes : une société civile jeune et plus éduquée que par le passé, des despotes vieillissants à l’image d’Abdallah d’Arabie saoudite âgé de 88 ans, des taux de chômage et de sous-emploi élevés, des inégalités sociales extrêmes et des ressources budgétaires devenues insuffisantes. Il n’est donc pas surprenant que les slogans déployés dans ces pays fassent écho à ceux entendus dans les autres villes arabes.

A Bahreïn, où la famille royale des Al-Khalifa occupe tous les ministères-clés depuis 1971, le mouvement populaire dit du 14 février a protesté contre l’autoritarisme du régime. Bien que pacifiste, la mobilisation a été durement réprimée par des troupes saoudiennes, entrées à Manama le 14 mars 2011, faisant au moins 35 morts.

A Oman, des manifestations ont éclaté dans la ville portuaire de Sohar le 28 février 2011, exigeant des réformes démocratiques. Un fait nouveau pour le sultan Qabous, septuagénaire cumulant les fonctions de chef d’Etat, premier ministre, ministre de la défense, des finances, des affaires étrangères et gouverneur de la banque centrale, qui n’avait jamais eu affaire à l’ire de ses sujets.

MYTHE DE LA STABILITÉ

En Arabie saoudite, la minorité chiite a commencé à se mobiliser en février 2011 à Qatif. Dans cette ville de l’ouest du pays, les femmes ont manifesté aux côtés des hommes, un phénomène extraordinaire dans le contexte ultra-conservateur saoudien. Les mobilisations se sont ensuite propagées à Riyad et à Al-Qassim, bastions traditionnels des Al-Saoud. Dans ce pays de 30 millions d’habitants évoluant en vase clos, où 30 % des moins de 25 ans sont au chômage, et qui offre pour seul projet de société l’application des règles de l’islam salafiste, les manifestations ont pris une tournure inhabituellement politique, mettant à mal le mythe de la stabilité du royaume wahhabite.

En 2011, les régimes ont accompagné la répression de ces mouvements de mesures clientélistes exceptionnelles : 20 000 fonctionnaires ont été embauchés à Bahreïn, 50 000 à Oman, 120 000 en Arabie saoudite, où le roi Abdallah a débloqué 130 milliards de dollars d’aides sociales en février, et le versement de nouveaux subsides en mars s’élevant à 20 % du PIB saoudien.

Les réactions des régimes soulignent autant leur inquiétude face aux revendications populaires que leur incapacité à y répondre. En dépit des moyens déployés, le mécontentement n’a pas disparu ; il s’exprime dans tous les pays du Golfe, sur Internet ou dans la rue.

A Bahreïn, des manifestations ont lieu chaque semaine. Au Koweït, la gouvernance du pays est mise à l’épreuve par les dissolutions à répétition du Parlement. Le Qatar tente de contenir le vent révolutionnaire en confortant les Frères musulmans égyptiens et tunisiens tandis que l’Arabie saoudite supporte les salafistes, et que l’un et l’autre financent les islamistes en Syrie. Portant ainsi à son paroxysme l’affrontement avec l’Iran qui soutient le président syrien Bachar Al-Assad.*Le Monde-01.04.2013.

**Les contradictions et les contestations s’amplifient en Arabie saoudite

Quand les Séoudiens prêchent les vertus de la démocratie chez les autres et refusent cette même démocratie dans leur pays! 

(…) Le royaume du vieux monarque Abdallah s’est fait l’un des premiers défenseurs du  »Printemps arabe » et donc pourfendeur des dictateurs contestés, quand il vit que l’écume allait irrémédiablement avaler tous ces régimes hors du temps.

Par un incroyable changement de rôle, l’Arabie Saoudite qui incarne l’arriération politique par excellence, se présente sous ses beaux (mais faux) atours de défenseur du choix du peuple et d’alliée des  »mouvements révolutionnaires » en Libye, en Tunisie, en Egypte et aujourd’hui en Syrie. 

Avec l’émirat du Qatar – dont elle partage la nature de son régime foncièrement fermé à l’expression politique libre – elle s’en est allée prêcher, à partir de la tribune du «machin» ligue arabe, les vertus de la démocratie et le droit des Egyptiens, des Tunisiens, des Libyens et des Syriens à se libérer des «Toughates» (dictateurs).   L’exercice paraissait hallucinant pour un pays qui, de par son mode de gouvernance archaïque, est absolument allergique à tout ce qui symbolise l’évolution humaine.Sauf que ce faux rôle de parangon de la vertu démocratique dans la sphère arabe bénéficie d’une onction américano-occidentale pour des raisons géopolitiques évidentes. 

Au royaume du vice et de la vertu

En échange, le royaume des Al Saoud paye sa redevance de protection au géant américain en ouvrant à fond les vannes de son immense gisement de pétrole Ghawar, quitte parfois à froisser ses partenaires au sein du cartel de l’OPEP. 
Eh oui, pour cette monarchie vieillissante, le parapluie américain est une question de vie ou de mort. C’est le prix à payer pour pouvoir mater impunément la minorité chiite à l’est du royaume qui réclame sa part de développement. C’est comme cela aussi que les Al Saoud ont pu envoyer leurs chars achetés aux Etats-Unis pour aller «casser» un printemps prometteur dans le Bahreïn voisin de peur d’une contagion.

Si les experts s’accordent à constater que le royaume a réussi jusque-là à mettre ses 28 millions d’habitants hors d’état de nuire à la dynastie, la grogne plus au moins bruyante de la jeunesse reste tout de même bien présente. On estime ainsi qu’entre 3 et 4 millions de Saoudiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire en Arabie avec moins de 17 dollars par jour dans un pays qui croule sous les pétrodollars.

Mais sentant les vents contraires souffler, le monarque a débloqué  130 milliards de dollars pour s’acheter la paix sociale. Il a aussi consenti quelques réformettes somme toutes cosmétiques pour farder un royaume hideux, où la femme est quasiment un sous-citoyen.  Ses mentors américano-occidentaux se chargeant d’en couvrir ces réformes en trompe-l’œil d’épithètes racoleuses du genre «historique», «modernes», «osées»…

Mais ce discours mystificateur d’une réalité bien rétrograde est vite battu en brèche par la chronique quotidienne rythmée par une répression féroce de la minorité chiite et les exécutions sommaires et publiques de personnes coupables de vol ou de consommation d’alcool.

Paris Hilton à La Mecque !

Il y a un peu plus d’un mois (13 mars dernier), sept jeunes hommes condamnés à mort pour attaque à main armée ont été exécutés dans la ville d’Abha, dans le sud du pays, alors que c’étaient des mineurs à l’époque des faits. Les ONG occidentales des droits de l’homme n’ont vu que du… sang. Mais dans ce royaume grand «exportateur» de salfistes des temps modernes, le châtiment ne s’applique pas à tout le monde. Fayhan Ghamdi, un prêcheur radical habitué des chaînes de télévision religieuses, coupable du meurtre de sa propre fille Lama, âgée de 5 ans, dont il a abusé sexuellement, s’en est sorti grâce à son chéquier.

45 000 euros représentant  le «prix du sang» et le tour est joué !  Tout se passe comme si les préceptes religieux qu’ils  appliquent de façon moyenâgeuse sont à géométrie variable, selon la tête du «client». Et parfois, ce royaume si rigoriste se laisse aller même à des errements hollywoodiens…   Dans ce pays où la femme est interdite de conduire sans tuteur, la griffe commerciale de la sulfureuse Paris Hilton trône dans ses cinq boutiques de sacs à main à travers le royaume, dont une depuis novembre dernier au Makkah Mall, à… La Mecque.  Le café à l’effigie du sex-symbol Marylin Monroe, situé dans le Jouf Plaza Mall, pourtant autorisé par les gardiens de la foi, a dû fermer sous la pression des dignitaires religieux à travers les réseaux sociaux. C’est dire que le royaume des Al Saoud tient aussi grâce à cet incroyable équilibre entre le vice et la vertu.

Ainsi et au-delà des impératifs géopolitiques qui commandent aux Etats-Unis de maintenir en «vie» une famille régnante – au propre et au figuré – pour contenir le spectre de «l’arc chiite» sous la férule de l’Iran, le royaume sait se mettre à la «US fashion» même hard quand cela devenait vital, quitte à perdre la «Qibla» de La Mecque au profit de celle de Hollywood. Tous les habitants du royaume ne sont évidemment pas d’accord avec cette famille qui dicte ses lois selon ses lubies. Mais gare à celui qui oserait ouvrir sa bouche publiquement. Sauf que les masques commencent lentement mais sûrement à tomber dans les réseaux sociaux, où les jeunes Saoudiens s’épanchent à visage découvert. Encore un produit made in USA, mais qui risque celui-là de ne pas être un bon cadeau de l’oncle Sam.*source: El Watan-18.04.2013.

***Dr Mansouria Mokhef. Responsable du programme Moyen-Orient/Maghreb à l’IFRI

«L’Arabie Saoudite n’est pas à l’abri de secousses retardataires du Printemps arabe»

-L’Arabie Saoudite est secouée par des mouvements de protestation mineurs mais récurrents. Faut-il s’attendre à plus d’ouverture visant à déverrouiller un peu ce pays ?    

**L’Arabie Saoudite a subi maintes pressions pour un déverrouillage politique, fut-il partiel. Des pressions externes (émanant de la communauté internationale et notamment de ses alliés les Etats-Unis), mais aussi depuis peu des pressions internes. Même si l’Arabie Saoudite a été épargnée par le Printemps arabe, il y a des frémissements de contestation, et à défaut de les voir gonfler et  prendre de l’ampleur, des dignitaires, comme le prince Al Walid Ben Talal, un neveu du souverain et l’une des grosses fortunes du monde (25 milliards de dollars), recommandent des mesures pouvant montrer que la monarchie est à l’écoute des préoccupations de la population relatives aux conditions sociales qui se sont dégradées malgré les redistributions financières du régime, la hausse du chômage qui touche principalement les jeunes et beaucoup de femmes, liberté d’expression pour une jeunesse dont l’accès à Internet ne peut être ni fermé ni limité, etc.

Ce ne sont ni des mesures phare ni des réformes profondes qui sont suggérées à travers des élections du majliss al choura, une instance  créée, en 1993, juste après la guerre du Golfe, qui n’est pas élue, mais nommée par le roi, qui ne dispose ni d’un pouvoir ni d’un droit de légiférer, et dont le rôle se limite à conseiller le gouvernement sur les politiques générales du pays. Même si le prince Al Walid Ben Talal est perçu comme un libéral (il a maintes fois appelé à diverses mesures de libéralisation, telle que l’autorisation pour les femmes de conduire), il ne faut pas traduire cela comme un quelconque changement de cap, ni même comme les prémices d’une véritable ouverture, mais y voir, tout au plus, une concession sans risque et sans danger pour l’équilibre du pouvoir dont le but viserait à renforcer celui-ci et non à l’affaiblir.

-On a pourtant l’impression que le royaume commence à s’ouvrir un peu à travers quelques gestes, certes, mineurs…

**Les dirigeants saoudiens ont bien compris qu’il leur fallait introduire certaines réformes et ils s’y emploient, notamment sur les questions relatives à la condition féminine, dans un royaume où les femmes ont clairement moins de droits que celles des autres pays arabes. Même si le régime n’est pas véritablement remis en cause, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour critiquer un système politique et social, qui reste extrêmement rétrograde au regard des changements et bouleversements que la région a connus.

Depuis l’explosion du Printemps arabe, le pouvoir distille des petites réformes, d’abord la distribution de 35 milliards de dollars (une hausse de salaire de 15% pour 1 million de Saoudiens travaillant dans la Fonction publique et l’injection de près de 11 milliards de dollars dans un Fonds d’aide au logement) et des autorisations mineures en faveur des femmes : autorisation de pratiquer un sport, de vendre dans certaines boutiques spécialisées, la nomination de 30 femmes au Conseil consultatif (sur les 150 qui siègent), décision présentée comme «historique», le droit de vote  aux élections municipales de 2015.

Sont-ce pour autant des vraies mesures destinées à améliorer le sort des Saoudiennes qui sont de plus en plus éduquées (elles représentent plus de la moitié des étudiants dans les universités), informées, branchées sur les réseaux sociaux et déterminées à secouer la tutelle dont elles en sont l’objet ? Alors que le pays souffre d’un taux de chômage (notamment des femmes) très élevé et que la grogne sociale est de plus en plus grande ? Le pouvoir occulte les véritables réformes politiques qui concerneraient un meilleur partage du pouvoir et une amorce de démocratisation. Comme cela fut le cas pour d’autres régimes autoritaires qui ont utilisé la question des femmes comme carte de visite d’honorabilité (Tunisie), le régime saoudien joue les effets d’annonce pour satisfaire l’Occident, d’autant plus que Mme Clinton avait à plusieurs reprises porté ses critiques sur le sort fait aux Saoudiennes, et aussi pour renvoyer une bonne image à l’Occident. D’ailleurs, la presse étrangère a très bien accueilli cette mesure et lui a donné un large écho, la présentant comme une avancée majeure. Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry,  lui-même, a félicité le royaume pour cette décision.

-La minorité chiite est un peu le porte-étendard de la protestation. Pensez-vous qu’elle puisse contaminer la population du royaume ?

**Depuis des années maintenant, des revendications non satisfaites et des soulèvements fortement réprimés à l’est du pays ont mis la question chiite au cœur du débat politique en Arabie Saoudite, et en constituent aujourd’hui une sérieuse source d’inquiétude pour le régime  qui n’y voit que la «main de l’étranger», nommément l’Iran. Il faut savoir que la contestation chiite saoudienne émane d’une région riche en pétrole, habitée par quelque deux millions de chiites qui représentent plus de 10% de la population du royaume ; que cette mobilisation ne date pas d’hier : les revendications pacifiques chiites pour une meilleure représentation dans un pays où tout le pouvoir est concentré entre les mains des élites wahhabites issues majoritairement de la région du Nedjd et du  Hedjaz datent d’avant la révolution iranienne qui a mis en lumière l’existence sur le territoire de ces communautés considérées par les wahhabites comme hérétiques et mécréantes.

Les chiites exigent des réformes économiques et sociales sans demande de sédition ou de remise en cause  du régime, ils sont cependant accusés de terrorisme à la solde de l’Iran et leurs actions régulièrement dénoncées  comme faisant partie d’un complot  fomenté par la République islamique  contre le royaume, contre le sunnisme et contre tous les pays de la péninsule. La persistance du cauchemar relatif à la volonté  de l’Iran de mettre en place un «croissant chiite» a justifié la décision des pays du CCG, l’Arabie Saoudite en tête, de tenter d’écraser la rébellion chiite à Bahreïn, et continue d’alimenter la méfiance à l’égard de la population chiite saoudienne, qui réclame avant tout une reconnaissance et des réformes sociales.

-Donc cette agitation ne remet pas en cause le régime wahhabite…

**La récurrence de l’agitation maintient une pression certaine sur le régime, mais la mobilisation reste circonscrite aux régions chiites, elle n’a pas débordé de celles-ci  et  ne risque donc pas d’embraser le pays, tant la méfiance qui prévaut entre les nationaux wahhabites et chiites du royaume est grande et empêche toute entente ou coordination. Tant que les puissances occidentales (Etats-Unis en tête) qui redoutent, autant que les pays du Golfe, l’émergence d’un axe chiite qui pourrait alors déstabiliser toute la région en faveur de l’ennemi commun qu’est l’Iran, laissent le royaume  soucieux de maintenir sa domination sur la région et ses richesses pétrolières,  et continuaient d’assimiler ces troubles à une nouvelle forme de terrorisme intérieur, celui-ci ne considère guère une autre politique que celle de la répression.

C’est dire que si l’Arabie Saoudite n’est pas à l’abri de secousses retardataires du Printemps arabe, du fait de son système politique autoritaire, despotique et sclérosé, le danger ne viendra pas forcement des chiites du royaume. D’autant plus que le régime iranien, affaibli et isolé sur le plan régional, et connaissant de sérieux troubles intérieurs, n’est pas véritablement en position de soutenir une remise en cause de l’équilibre régional. Du moins pas dans l’immédiat.*El Watan-18.04.2013.

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