Un peuple savant est toujours plus difficile à gouverner
*Washington ne croit pas à une contagion au Maghreb
*Dans la lancée de la révolte populaire contre le pouvoir en Tunisie
Les États-Unis, qui ont toutes les cartes en main concernant le monde arabe, auquel ils accordent une importance particulière non seulement en raison de ses immenses richesses en hydrocarbures, mais surtout aussi à cause du conflit israélo-arabe, ne partagent pas les avis des experts, qui s’attendaient à un effet domino de l’insurrection du peuple tunisien dans cette partie du monde. Il ne fait aucun doute que la conclusion de Washington repose sur des éléments sérieux et sur les derniers développements dans la région, où la “Révolution des jasmins” a été examinée avec beaucoup d’attention dans plusieurs pays arabes, où elle a inspiré des manifestations sociales et des revendications politiques.
À partir de là, le département d’État américain a émis, vendredi, de sérieux doutes sur la possibilité de voir la révolte populaire, qui a fait tomber le régime du président tunisien Ben Ali, se répéter dans la région, malgré des traits communs entre les sociétés arabes. Il estime qu’une contagion régionale est écartée. Ce qui ressort de la déclaration du porte-parole de la diplomatie américaine, Philip Crowley, qui a affirmé : “Je doute qu’il y ait forcément un effet boule de neige.” Interrogé à ce sujet par les journalistes, le responsable du département de Hillary Clinton a expliqué : “Il y a sans doute de larges tendances dans la région, depuis le Golfe jusqu’à l’Afrique du Nord, et les dirigeants doivent trouver le moyen de créer plus de possibilités économiques et politiques pour des populations qui, dans l’ensemble, sont très jeunes. Mais je doute que chaque pays suive le même chemin.” Ceci étant, Philip Crowley, qui a qualifié les évènements de Tunisie d’“histoire fascinante”, a souligné que les États-Unis souhaitaient voir se poursuivre le processus de démocratisation du pays.
Dans le même ordre d’idées, il avait indiqué la veille que les États-Unis sont prêts à assister la Tunisie de “toutes les manières possibles” afin d’aboutir à la stabilité et à l’organisation d’élections “libres et inclusives”.
Le porte-parole du département d’État, Philip Crowley, a précisé, lors de la rencontre à Washington avec la presse étrangère, que son pays est disposé à fournir une “assistance technique” dans la perspective de l’organisation d’élections transparentes. Rappelant que les États-Unis continuent de suivre de très près la situation en Tunisie, le responsable américain a lancé un appel à l’ensemble des parties à éviter toute forme de violence. Les États-Unis espèrent la stabilisation de la Tunisie après la chute du régime autoritaire de Zine El Abidine Ben Ali, condition essentielle, selon eux, à un processus électoral “crédible”, comme le montre encore le message de Philip Crowley sur Twitter, dans lequel il affirme que “la stabilité politique et sociale est un ingrédient essentiel d’élections crédibles, au moment où le peuple tunisien trace un avenir différent”.
Ainsi, l’administration américaine, discrète pendant la plus grande partie de la crise qui a mené au départ du président déchu, avait proposé, mercredi, l’aide des États-Unis au gouvernement intérimaire afin qu’il “organise une véritable transition vers la démocratie”. (Liberté-23.01.2011.)
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*Un peuple savant est toujours plus difficile à gouverner
*LA TUNISIE NE VEUT PLUS ÊTRE UN «MODÈLE» :
* C’est la première fois qu’un président arabe est chassé du pouvoir non par ses acolytes, par l’armée ou par une puissance étrangère, mais par son peuple.
par A. Benelhadj
« Un peuple savant est toujours plus difficile à gouverner. » Proverbe chinois.Le départ précipité du président tunisien et l’affaissement rapide de son régime ont pris de court la plupart des gouvernements de la région et des observateurs avertis. Il est même probable (cela relativiserait, au passage, ce que l’on croit savoir des acteurs de l’histoire) que le peuple tunisien n’envisageait pas une issue semblable au tout début des premières émeutes spontanées consécutives à l’immolation par le feu de ce jeune universitaire dont la police a saisi les biens à Sidi Bouzid.Ce n’est pas par sa durée, au demeurant très brève, que cette rupture est singulière. 78 morts en un mois : 4 fois moins que les accidents de circulation en France. Les guerres du Viêt-Nam, d’Algérie et la plupart des conflits de décolonisation ont duré beaucoup plus longtemps et ont un nombre considérable de victimes : en Inde, en Chine, à Cuba, en Angola ou en Amérique Latine secouée pendant plus d’un siècle par des conflits intérieurs terriblement meurtriers.C’est la première fois qu’un président arabe est chassé du pouvoir non par ses acolytes, par l’armée ou par une puissance étrangère, mais par son peuple. C’est probablement cela qui a rendu le départ de Ben Ali inévitable.Mais attention ! Les révolutions, quelle que soit leur intensité, partagent une propriété commune avec les tremblements de terre : leurs victimes sont plus nombreuses après que pendant.Maintenant, la priorité est aux intelligences lestes : l’urgence est de faire face pour sauver l’essentiel et d’anticiper le coup suivant. Aussi bien en Tunisie que dans tous les pays environnants de Méditerranée et du Proche-Orient qui craignent que les désordres tunisiens n’aient un impact sur la continuité de leur régime.Dans les officines (aux Etats-Unis, en Europe, en Israël, en Egypte, en Chine…), les géostratèges phosphorent pour s’expliquer leur cécité, récapituler la succession des faits, l’examen des causes, l’évaluation des conséquences et cogitent les recommandations à offrir à des acteurs politiques, militaires, commerciaux, financiers… qui – par-delà l’exercice de la coercition toujours facile mais toujours redoutable et imprévisible – ne savent que penser de la situation et de ses prolongements.N’oublions pas que la Tunisie, pays réputé stable, fiable et prospère, abrite des institutions régionales importantes et des investissements dont la destruction représenterait non seulement une perte considérable pour l’économie tunisienne, mais aussi pour les opérateurs économiques transnationaux déjà perturbés par un paysage commercial et financier international à mutation rapide et problématique.Le silence puis l’absence de réaction adéquate de l’Union européenne et plus particulièrement de la classe politique française dans son ensemble, depuis plusieurs semaines, ont été largement notés – et quelques fois critiqués – par les observateurs.Une paralysie qui rappelle une autre, celle qui a saisi les mêmes politiques français sous Mitterrand lors de l’écroulement du Mur de Berlin. Les Allemands n’avaient pas oublié le peu d’empressement des Français à se ranger plus franchement à leur côté. Leur ralliement tardif – à tort ou à raison – conforte auprès des leurs alliés une image d’opportunisme et d’ingratitude dont ils ont du mal à se défaire [1]. Jusqu’à Nicolas Sarkozy qui, réécrivant l’histoire, prétendait récemment avoir été très tôt, le marteau en mains, au pied du Mur.Le même Sarkozy apporte son soutien aux Etats-Unis en Irak au moment où les Américains décident d’en partir et place les forces armées de son pays sous le parapluie de l’OTAN, 20 ans après la disparition de l’Union Soviétique.
Nous savons par ailleurs en quelle estime Obama tient son homologue français…
À Tunis aussi, les Français arrivent en retard. Les Tunisiens s’en souviendront.
Il est probable qu’ici comme ailleurs, la préservation des intérêts des entreprises françaises en Tunisie ait davantage pesé que les intérêts de la France dans l’analyse et dans les décisions du président français et de son Premier ministre. Chacun sait que ce calcul court-termiste ne préserve aucun intérêt. Les Chinois, qui investissent l’ancien Empire français en Afrique, l’ont très tôt compris.
La position française a évolué dans le plus grand désordre. La prise de conscience progressive que ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée était totalement inédit, a pris tout le monde de court. A la vue des réunions précipitées et des décisions contradictoires prises les unes à la suite des autres, on présume rétrospectivement le manque total d’analyse sérieuse de la situation.
L’absence de vision à long terme a surplombé la politique française depuis si longtemps, les schémas simplistes et peut-être aussi une certaine centralisation excessive et autiste des pouvoirs, qu’une panique a saisi les acteurs économiques et politiques, incapables de s’expliquer et d’avoir prise sur ce qui se présentait à eux comme un maelström illisible. Incapables d’interpréter les faits et incapables de discerner le meilleur réagir. On devine les nombreux échanges violents et angoissés entre les différents partis.
A l’Elysée, comme ailleurs, où la communication a pris – nous le savons – le pas sur l’action, et devant la chute gravissime de la popularité de l’exécutif, sollicité et pressé de tous côtés, on ne savait plus très bien quelle posture adopter. Dans ces conditions, on comprend que la présidence et le Quai d’Orsay aient adopté le choix des « communiqués », laissant aux porte-parole et aux déclarations anonymes le soin de combler le vide et l’absence d’une intelligence politique à la hauteur des événements.
On peut tenter de décrire ce qui s’est vraisemblablement passé dans les coulisses en quatre séquences principales.
1.- Premier temps : Le silence est d’or et le meurtre de sang.
« C’est pas compliqué, en politique, il suffit d’avoir une bonne conscience, et pour ça, il faut avoir une mauvaise mémoire ! » Coluche.
Pendant plusieurs jours ou semaines, la « classe politique » française (président, gouvernement, majorité et opposition « socialiste » confondus) hors d’état de « lire » les événements, fait mine d’ignorer délibérément ce qui se passait à Tunis.
Les feux de la rampe médiatiques étaient braqués sur la Côte d’Ivoire, attachés au départ d’un affreux dictateur pour introniser Ouattara à sa place et sur le Mali et le Niger où les forces spéciales françaises étaient empêtrées dans une affaire d’enlèvement qui a mal tourné.
Vu de Paris, personne ne semblait voir ce qu’il y avait de contradictoire dans l’attitude intransigeante à l’égard de Gbagbo, d’un côté, et conciliante à l’égard de Ben Ali, de l’autre.
En tout état de cause, les cadavres des manifestants tunisiens demeuraient un non-événement.
Pourtant, des dirigeants français nés en Tunisie ne manquaient pas.
Ces mêmes amoureux de la Tunisie, qui ne rataient pas ordinairement une occasion pour clamer leur affection pour ce pays, demeuraient injoignables. Quelques exemples édifiants :
Bertrand Delanoë, maire de Paris, irrité, avait claqué la portière de sa voiture à la face d’un journaliste qui l’interrogeait sur ce qu’il pensait de ce qui se passait dans son pays natal. Cela tranche le lendemain, après le départ de Ben Ali : on le retrouve alors intarissable sur la question, à la poursuite vaine du temps perdu. Trop tard…
Michel Boujenah – comme beaucoup des enfants de Halq El Oued qui aujourd’hui prennent leurs aises à Paris – se réveille après les faits et découvre sur RTL que « l’état actuel de la Tunisie est inacceptable » : « Il faut que ça ça s’arrête, si j’ai choisi de parler aujourd’hui, alors que ça fait plusieurs jours qu’on me demande de parler, c’est parce que dans l’histoire des hommes, le silence a été terrible. Peut-être que je dis ce soir des bêtises, mais au moins, j’aurais dit ma souffrance parce que j’ai mal. »
Lui aussi a raté une occasion de se taire.
Halq El Oued (alias La Goulette), dont le maire n’était rien d’autre que le neveu de Ben Ali, Imed Trabelsi, mort le jour même où l’ancien président et sa famille s’enfuyaient du pays. Imed Trabelsi était, en affaires, obscur avec une enseigne française connue (Conforama).
Pierre Lellouche, tunisois de naissance et stratège sarkozien émérite fut (et demeure) aux abonnés absents. Les téléspectateurs l’ont entr’aperçu, le sourire (jaune) en coin, quitter prestement l’Elysée.
Plus de nouvelles d’Eric Besson, lui-même né au Maroc, qui a convolé récemment en justes noces avec Yasmine Tordjman, arrière-petite-fille de l’ancienne première dame de Tunisie, Wassila Bourguiba.
Sa mère, Jacqueline Fellus d’origine tunisienne, aurait pu inspirer à DSK une compassion sincère pour ce pays si proche et si attachant. Une « économie modèle», disait, il y a peu, le directeur général du FMI. Ne rêvons pas.
Est-il besoin d’explorer davantage cette liste si longue de Français fortement liés à la Tunisie quand tout va bien et dont l’amitié est si… réaliste quand ça va mal.
2.- Deuxième temps : Ben Ali, un dictateur ? Allons donc !
« Ce dont on ne peut parler, il eut mieux valu le taire… » L. Wittgenstein paraphrasé (Tractatus logico-philosophicus).
Les réactions timides ici et là, au lieu d’inviter à la réflexion et à la prudence, poussent au contraire les gouvernants français à l’indignation. Le soutien à Ben Ali est réitéré.
Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, déclarait pompeusement dimanche sur Canal : « Il y a une opposition politique mais qui ne s’exprime pas comme elle pourrait le faire en Europe. Mais dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré. »
On sait que le neveu de « Tonton » a en Tunisie de nombreux « amis » qu’on n’a sûrement pas comptés parmi les victimes des nervis de Ben Ali.
Ultime maladresse : c’est dire à quel point les autorités françaises avaient totalement perdu le sens des réalités, Mme Alliot-Marie, du haut de son expertise, offre mardi à Ben Ali de lui donner un coup de main pour mater les manifestants.
« Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays [sous-entendu à l’Algérie et à la Tunisie], dans le cadre de nos coopérations, d’agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité. » [2]
MAM faisait sans doute références aux aptitudes et aux compétences « spéciales », dont l’Armée française avait fait la démonstration en Algérie au cours de son occupation (et pas seulement depuis 1954), qui ont valu à Aussaresses d’avoir été condamné non pour les avoir industrialisées et enseignées aux dictateurs sud-américains sous la conduite de la CIA, mais pour s’en être vanté (au moment où les nouveaux maîtres du pays voulaient imposer l’idée que la France avait été, au cours des siècles de colonisation, une puissance civilisatrice au service du droit, de la vérité, de la démocratie et de la liberté.
Rafraîchir la mémoire des tortionnaires et rappeler que la politique de la gégène était approuvée par toute la chaîne de commandement, du Président du Conseil à « l’électricien » de service, n’était naturellement plus photogénique.
Toutefois, qu’elle ait été convaincue qu’Alger ait pu donner une suite crédible à une telle offre de service laisse plus que perplexe… Il est vrai que le gouvernement algérien se plaint régulièrement de pas être écouté et que son expérience, dûment éprouvée, suffisamment reconnue et exploitée… Aucune hypothèse n’est alors à dédaigner.
Devant l’incompétence d’une telle attitude (pour ne pas qualifier les propos de MAM de manière plus exacte), le porte-parole du Quai d’Orsay avait publié un communiqué embarrassé et… embarrassant. Mais MAM n’en avait que cure.
Gentiment bousculée devant l’Assemblée nationale (par une opposition opportuniste qui sentait le vent tourner et le parti politique à tirer), sur l’extrême retenue de la réaction française face à la répression en Tunisie, Michèle Alliot-Marie a rétorqué : « On ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons » face à une situation « complexe ».
Certes, ce n’était pas précisément par des « analyses sereines et objectives » que la diplomatie française avait jusque-là brillé.
3.- Troisième temps. Après le silence, les bêtises.
Devant la précipitation des événements et l’augmentation exponentielle du nombre de victimes, on « hausse le ton » après avoir abaissé la France.
A quelques heures à peine de la fuite de Ben Ali, on le croit encore à Paris capable de remettre de l’ordre en ses murs et on donne crédit à son discours inconsistant de la veille :
« Nous avons écouté attentivement les mesures annoncées par le président Ben Ali pour ramener le calme et faire retomber la violence, et les décisions annoncées en faveur de l’ouverture politique et démocratique. Nous encourageons les autorités tunisiennes à poursuivre dans cette voie afin de répondre aux attentes que le président Ben Ali a entendues », avait déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Bernard Valero lors d’un point-presse.
Les Français continuaient de prendre leurs désirs pour des réalités.
4.- Quatrième temps : Une pitoyable curée.
« Qu’est-ce que le passé, sinon du présent qui est en retard ? » Pierre Dac. L’os à moelle – Mars 1940.
On court derrière les événements et on laisse fuiter dans les médias, de manière très maladroite, l’idée que la France refuse l’hospitalité à un Ben Ali, lequel ne lui a rien demandé puisqu’il était – tout le monde le savait alors – en chemin pour le Golfe.
Comment les Français s’expliquent-ils la surprenante discrétion de leur gouvernement face aux événements tragiques qui secouaient la Tunisie ?
Il convenait à l’ancienne puissance coloniale, dit-on à Paris sur les deux rives, de demeurer très prudente dans ses réactions et s’interdire toute réaction qui pourrait être interprétée comme une ingérence dans l’une de ses anciennes colonies.
« On ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons et s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays ami », tel était le mot d’ordre que N. Sarkozy a prescrit à tous les politiques français.
Il faut évidemment tordre le cou à cette fable : les Français interviennent ordinairement dans les affaires intérieures des pays du Maghreb (et des pays africains où ils sont de moins en moins les bienvenus). Leurs hommes d’affaires, leurs « intellectuels » donneurs de leçons, experts en démocratie et en bonne gouvernance, leur administration diplomatique ou leurs ONG (qui sont pour certaines la face informelle d’une ingérence belliciste : chacun garde en mémoire le fiasco de l’Arche de Zoé)… s’immiscent régulièrement et ouvertement dans les affaires des pays du Maghreb.
L’offre de services de Mme Alliot-Marie n’était-ce pas de l’ingérence ?
De leur côté, les Français de Tunisie, travaillés (à tort) par une sourde inquiétude, s’interrogent sur leur destin et la prospérité de leurs affaires. Certains louchent du côté du ministère des « bienfaits de la colonisation ». D’autres vers Israël où l’occupation ne dépend pas des atermoiements des « mollusques » politiques européens. Là où « Tsahal sait parler aux Arabes, dans le seul langage qu’ils comprennent… »
Il reste à Paris de mesurer les dégâts entraînés par sa politique et les réparations qui s’imposent à l’image (déjà passablement) abîmée du pays aussi bien d’ailleurs auprès du peuple tunisien, qui n’oubliera pas les propos de la ministre des Affaires étrangères, qu’auprès des peuples et gouvernants du Maghreb, ceux du sud de la Méditerranée et d’une manière générale aux yeux de l’opinion publique internationale qui a suivi au jour le jour ce raté supplémentaire de la politique extérieure de la France.
Il n’est pas certain que les Européens (qui laissent à la France la bride sur le cou dans la gestion pour le compte de l’Europe des liens avec ses anciennes colonies, modulo les limites apportées au projet UPM) pardonneront à la France ce flop.
Même s’il est peu probable que leurs affaires en souffrent à terme, les Allemands possèdent de gros intérêts, en particulier dans le tourisme. Les troubles tunisiens pourraient avoir, bien qu’il soit difficile de l’estimer, un impact non négligeable sur le bilan saisonnier des entreprises spécialisées dans cette destination très prisée par les vacanciers teutons.
N’oublions pas que si la France est la première destination touristique internationale, l’Allemagne en est le premier pays émetteur. Le déficit bilatéral semble faire écho à cette différence.
Pendant que les Français se mêlaient les pinceaux et qu’à l’Elysée on pesait laborieusement les ‘pour’ et les ‘contre’ dans des salmigondis indécis, à Washington, on n’hésite pas : Le président Barack Obama très vite « condamne et déplore la violence » infligée au peuple tunisien dont il salue le « courage et la dignité ».
L’embrouillamini hexagonal sonne comme un échec supplémentaire de la politique méditerranéenne de la France. L’Union Pour la Méditerranée, un mort-né que Merkel a privé de moyens, que Sarkozy a privé de cap et qu’Israël a privé de sens, est définitivement enterrée.
Panique chez les architectes : le sauve-qui-peut ne sauve personne.
« Les événements nous dépassent. Feignons d’en être les instigateurs. »
Les confusions parisiennes et tunisiennes se succèdent de manière parallèle. Avec une causalité mécaniste qui dévoile l’incapacité des politiques de part et d’autre non seulement à inventer un avenir, mais pas même à l’anticiper, comme le prescrivent les manuels. Tout au long de ce Golgotha, le système de Ben Ali n’eut qu’un unique impératif : sauver les meubles.
Cela commence par la cascade des discours de Ben Ali (jusqu’au tout dernier jeudi à la veille de sa fuite) – sans doute sous la pression combinée des intérêts économiques et politiques internes et externes – qui cède dans le désordre peu à peu à toutes les injonctions de la rue, tout promettre pourvu que l’« essentiel », croyait-il, soit préservé.
Cela se continue par la condamnation de Ben Ali, quelques minutes après sa fuite, par ceux-là mêmes qui l’avaient fermement soutenu peu de temps auparavant.
Un « pragmatisme », un aplomb à l’épreuve des balles et du… ridicule !
Ici, il faut s’arrêter devant la volte-face spectaculaire (la classe politique française n’a pas l’exclusivité de ces acrobaties de haut vol) de l’ambassadeur tunisien auprès de l’UNESCO, M. Mezri Haddad qui a annoncé sa démission contrite sur BFM le 14 janvier, alors que l’avion de Ben Ali venait de décoller.
Une pénitence réactive assortie d’une dénonciation sans appel d’un régime qu’il soutenait avec entrain et zèle.
Cette résipiscence aurait été la bienvenue si la veille, il ne déclarait pas avec véhémence sur la même chaîne, juste après le discours de Ben Ali :
« Le peuple s’inquiète de cette déferlante de hordes. Cette horde fanatisée est en train de brûler, de casser, de s’en prendre aux biens publics et privés. Et bientôt, si on les laisse finir et si vous continuez à faire l’apologie de cet anarchisme en marche en Tunisie, on verra ces hordes attaquer les gens chez eux, les violer, les voler et les massacrer ».
« Ben Ali m’a trompé », s’est-il confessé la larme (de crocodile) à l’œil.
C’est grâce à ces hommes exemplaires que le qualificatif « diplomatique » s’est chargé d’un contenu péjoratif et que les diplomates, comme les touristes hésitent parfois à décliner leur qualité.
Dans le même registre, on recueille avec commisération la confession courageuse et surréaliste d’un universitaire « franco-tunisien » qui sait distinguer (entre Nanterre et Radio-France) Spinoza de Hegel, un supplétif recyclé dans la chasse mondiale à l’islamisme, à l’instar de ce vaste troupeau d’« intellectuels » et de « démocrates» maghrébins expatriés. Il suffit de savoir « témoigner » et dire les mots qu’on vous susurre habilement pour obtenir un poste de chercheur et/ou une fenêtre dans une émission en vue. Voire un label d’opposant patenté ouvert sur toutes les hypothèses.
Ce brillant explorateur de l’âme arabo-islamique déclare benoîtement à propos d’un Ben Ali réduit à sa plus simple expression de fuyard, alors à 10 000 m au-dessus de la Méditerranée, en errance vers Djedda : « Je le soutenais mais je ne l’aimais pas. » (France Info, vendredi 14 janvier).
Avec quelle délicatesse, ces choses-là sont dites !
Dans la plus chaotique précipitation, les journalistes muselés et autocensurés jusque-là et les politiques de tous bords, après les avoir très discrètement désertés, repartent à la conquête des plateaux de télévision et des micros des radios. Les pages « Idées » des quotidiens et des hebdomadaires sont prises d’assaut. Les rédactions ne savent plus où donner de la « tête ». Le signal de la curée fut donné. Et les hordes de commentateurs s’en donnent à cœur joie.
La palme de l’indignation et (peut-être aussi du ridicule) peut être attribuée sans conteste à Serge Moscovici dressé sur ses ergots, condamnant la diplomatie sarkozienne.
« On doit avoir un mot d’ordre et un seul : démocratie. Et ce mot est précisément celui que n’ont jamais prononcé les autorités françaises que j’accuse, car je considère que la France officielle a eu un comportement indigne. J’ai eu honte de notre diplomatie, du président de la République. Les troubles ont commencé le 17 décembre. Il y a d’abord eu le silence étourdissant du président de la République et de François Fillon. Ensuite la complaisance de Michèle Alliot-Marie, qui n’est pas ministre de l’Intérieur, mais ministre des Affaires étrangères, et doit porter une parole diplomatique, réaliste, mais aussi de valeur et qui n’a rien mis de tel dans ses déclarations. Penser que la France a proposé son savoir-faire en matière de maintien de l’ordre alors que se déroulait une révolte sociale, qui est devenue une crise politique… C’est un scandale ! Et aujourd’hui, on n’entend toujours pas une voix claire de la France. On a vraiment une diplomatie sans courage, sans dignité. Oui, j’ai honte de ce que j’ai vu. » (Le Monde, L. 17.01.11, 15h08)
Mais où était donc Moscovici tout au long du mois de décembre ?
Lui aurait-il échappé que le RCD (parti de Ben Ali) siège en compagnie du PS au même titre que les partis de Gbagbo et de Moubarak à l’Internationale Socialiste ?
La blogosphère au secours de la logorrhéique logosphère.
« L’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise naturelle. » Woody Allen
C’est encore à ce brillant universitaire franco-bourguibiste – initié par sa fille, dit-il, aux riches subtilités des TIC – que l’on doit d’apprendre le rôle décisif qu’Internet aurait joué dans la révolution tunisienne. Il apporte ainsi sa contribution à cette supercherie intellectuelle, cette rumeur assassine qui voudrait que ce qui vient de se passer en Tunisie soit le produit des blogs et des réseaux sociaux. Et, ce faisant, participe de l’intox actuel visant à dessaisir les Tunisiens de la maîtrise du mouvement dont ils portent l’unique et exclusive responsabilité.
A la suite de quoi, imaginer un gouvernement numérique virtuel qui piloterait la Tunisie des rives de la Seine serait dans la logique de ces intelligences hors sol.
Si Internet fabriquait des révolutions politiques et sociales, ça se saurait.
Amplifier, sûrement.
Créer, sûrement pas !
Peut-être, cela a-t-il donné au processus la dimension internationale qu’il a eue, notamment auprès des classes moyennes bien équipées et de la communauté tunisienne expatriée. Et à tout ce que le monde compte de pigistes.
Sans doute, cela peut-il susciter ce que certains redoutent dans d’autres pays similaires gouvernés par des potentats soumis aux marchés et aux mafias locales et globales.
Tout le reste relève du délire d’informaticiens ambitieux qui veulent changer de métier, de politiciens orweliens en retard d’une guerre ou de journalistes qui regardent trop les films de science-fiction.
Cela renvoie à un excès d’époque : beaucoup de ces gens passent trop de temps derrière leurs écrans et pas assez sur le terrain. Là où les honnêtes hommes prennent des risques à confronter leurs hypothèses au monde réel.
Croire que les comptes-rendus de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis sur la corruption du système Ben Ali, révélés sur la Toile par Wikileaks, ont été à l’origine de la Révolution tunisienne c’est soit de la naïveté, soit de la malveillance qui participe de la désinformation visant à déstabiliser le mouvement pour liquider le dictateur mais sauver la dictature.
Mohamed Bouazizi avait été privé de son commerce et de sa vie, pas de son accès à Internet.
Le parfum du jasmin et l’odeur du sang.
Quels enjeux ?
Tout a commencé par un fait divers banal bien que tragique dont personne ne pouvait soupçonner les suites.
Vendredi 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de fruits et légumes, seul soutien de sa famille, diplômé de l’université et âgé de 26 ans, a voulu mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu, s’aspergeant d’essence devant la préfecture, après la saisie de sa marchandise par des agents municipaux.
Moins d’un mois après (le vendredi 14 janvier 2011), le président tunisien s’enfuyait à l’étranger devant les enchaînements considérables que la mort du jeune universitaire tunisien avaient entraînés.
Au-delà des analyses sociopolitiques savantes, n’importe quel dirigeant attaché à sa fonction et s’interrogeant sur la légitimité et la permanence de ses pouvoirs, devrait méditer ce singulier destin.
L’expression improvisée de « révolution des jasmins » pour décrire ce qui s’y passe, le rattachant ainsi à un processus connu, pour se convaincre de son intelligibilité et donc de sa maîtrise est trompeuse.
Il y a quelque chose d’inédit dans ce qui vient de se passer qui distingue ces événements des révolutions fleuries, fruitées ou colorée précédentes qui se sont produites dans des contextes dont on restreint abusivement la spécificité: au Portugal en rupture avec la dictature de Salazar (« Révolution des œillets », avril 1974), en Tchécoslovaquie (« Révolution de velours », hiver 1989), en Ukraine (« Révolution orange », novembre 2004), ou au Kirghizistan (« Révolution des tulipes », mars 2005).
La Tunisie n’est pas un pays historiquement et potentiellement belliciste mais, au contraire, un pays paisible, conciliant et industrieux, très bien inséré dans la mondialisation de la sous-traitance capitaliste, fortement dépendant de ses donneurs d’ordre.
Ce n’est ni un ex-pays de l’Est économiquement et politiquement « archaïque » ni une ancienne dictature d’extrême droite où l’armée formerait une caste investie d’une mission, une institution constitutive de l’Etat et de la nation qui rappellerait Francisco Franco, Salazar, Stroessner ou Pinochet.
L’erreur serait de rapporter la rupture tunisienne aux expériences du passé récent. Car tout son intérêt tient aux changements à venir qu’elle annonce.
Une secousse géostratégique
De même que la financiarisation d’une économie désormais mondialisée et les contraintes budgétaires américaines ont entraîné une crise qui n’a pas fini de produire tous ses effets (dans la stricte mesure où les solutions qui lui ont été apportées demeurent seulement symptomatiques), de même que le recyclage des déficits privés dans les rouages des finances nationales déstabilise les équilibres budgétaires des Etats et menace leur solvabilité, de même la Tunisie enregistre les conséquence d’une mondialisation mal maîtrisée, génératrice de différences de potentiels redoutables car uniquement vouée aux profits d’un très faible nombre d’opérateurs qui se soucient peu des nations, des pactes collectifs et encore moins des désordres qu’ils génèrent.
La Tunisie enregistre et aussi, par la réaction de son peuple, préfigure la fin d’un modèle.
Commençons par l’activité par laquelle elle est la plus connue : le tourisme. Activité que les Algériens citent régulièrement en exemple. Le ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement ne tarit pas d’éloges à propos des réalisations tunisiennes qu’il cite en exemple, un Power Point sous le bras qu’il déroule en toutes circonstances avec un professionnalisme et des convictions de nouveau converti.
En 2010, le tourisme contribue à hauteur de 7% au PIB, générant chaque année entre 18 et 20% de recettes en devises, couvre 56% du déficit commercial et emploie 400 000 personnes. En outre, le secteur compte désormais une capacité globale de plus de 241 000 lits.
Arrivées en 2008 : Libyens (1 776 881 visiteurs), Français (1 395 255), Algériens (968 499), Allemands (521 513).
Derrière ces chiffres, se cachent de vrais problèmes que les touristes et les politiques font mine de ne pas voir.
Contrairement aux arguments apportés à son avantage, le tourisme est loin d’être une bénédiction.
Il creuse les déficits commerciaux qu’il se préoccupe de combler en favorisant les importations dispendieuses de biens que consomment les touristes. Il en est de même du déficit budgétaire consécutif aux investissements publics (notamment dans les réseaux de communication) à très longue durée d’amortissement qu’il nécessite. Le tourisme entraîne irrésistiblement la dégradation de la qualité des produits culturels et de l’artisanat fabriqués de manière industrielle à l’intention d’un tourisme de masse très peu regardant sur les babioles bon marché qu’il rapporte avec lui.
Enfin, la multiplication des complexes touristiques clôturés tout au long du littoral et la très courte durée des séjours ne favorisent pas les échanges fructueux avec la population locale. Bien au contraire. Les emplois tunisiens dans leur écrasante majorité sont subalternes et sous-payés.
Sur les 1 300 kilomètres de côtes en grande partie sablonneuses, les pressions générées sur l’environnement sont importantes en particulier les pressions foncières. La raréfaction des ressources hydriques met le tourisme en concurrence avec l’agriculture et avec l’industrie, surtout en été. On observe une consommation quotidienne de 560 litres d’eau par lit occupé, alors que le Tunisien se contente en moyenne de 100 litres d’eau par jour. Les rejets d’eaux usées ne sont pas toujours et partout pris en compte.
Par la concentration de ses activités, le tourisme favorise par ailleurs l’érosion des côtes, avec un déséquilibre spatial, social et économique qui n’est pas étranger à la révolte des Tunisiens dont il est question ici.
Complètement liée aux transnationales du loisir industriel, la Tunisie n’a aucune prise sur les marchés de départ. Ce qui place sa souveraineté sous une dépendance déraisonnable, étant donné l’importance qu’il revêt pour le pays et son économie. Bien qu’elle ait considérablement amélioré la qualité de ses produits et la formation de ses personnels.
Complètement ignoré, le film de Béhi Ridha « Le soleil des hyènes », sorti en 1977, a constitué une des toutes premières remises en cause du modèle de développement adopté par la Tunisie, dénonçant en l’occurrence les dégâts du tourisme sur l’activité de la pêche.
Est-il besoin de s’attarder sur les nuées de gamins qui tournoient autour des bus des touristes pour mendier quelques pièces de monnaie ?
Cette situation, très connue des professionnels et des organisations internationales spécialisées, n’est évidemment pas propre à la Tunisie. On la retrouve tout autour du Bassin méditerranéen, dans l’océan Indien ou dans les îles de la mer des Caraïbes.
La situation de l’industrie (là aussi très dépendante) n’est pas plus reluisante.
La marée asiatique met à mal les délocalisations industrielles en Méditerranée et l’ensemble des partages de tâches initiées il y a une trentaine d’années, notamment à partir de la restructuration de l’industrie textile déménagée sur les rives sud de la Méditerranée.
Le « Sentier » parisien, qui exploitait alors une main-d’œuvre étrangère dans un environnement esclavagiste sur lequel les autorités fermaient pudiquement les yeux, s’était reconverti dans les services informatiques et les combines financières, notamment avec Israël.
La proximité géographique et culturelle n’arrive plus à compenser les dégâts occasionnés par une déferlante qui concilie, de manière surprenante et rapide, compétitivité-prix et compétitivité-qualité. Même l’économie française ne parvient pas à y faire face, et les déficits internes et externes s’accumulent, menaçant la stabilité financière, économique, sociale et politique de l’Union européenne et de ses composantes.
De l’Islande à la Grèce et de la Belgique au Portugal, les mécanismes communautaires édifiés pour construire une Europe solidaire et unie annoncent la faillite inévitable dans ce contexte de l’Italie, de l’Espagne et peut-être de la France où l’on se met à regretter de ne plus pouvoir avoir recours aux dévaluations compétitives.
Ce qui est vrai de la Tunisie l’est aussi des ex-PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) qui ont fait – un temps – office de « tiers-monde à bas coûts intra-muros » dont l’industrie allemande tire un profit substantiel. Y gronde aujourd’hui une colère populaire puissante qui accoucherait de désordres redoutables et reléguerait la fronde tunisienne à la rubrique des faits divers.
Nous savons que la réduction des coûts (avec baisse des salaires et du niveau de vie) est une politique superficielle qui ne saurait constituer une réponse adéquate et suffisante au défi de la mondialisation.
Elle ne permet pas davantage d’engendrer l’économie spécialisée à très haute valeur ajoutée, à l’allemande, qui offrirait une sortie par le haut à la compétition internationale. Inutile de s’attarder sur les illusions entretenues à propos d’une économie du savoir et de la connaissance qui ne peut sérieusement s’envisager (dans la logique actuelle) qu’appuyée sur un Pentagone planétaire omnipotent. Mais cela est un autre sujet.
Par ailleurs, le développement asiatique n’a pas encore produit la dynamique sociale et politique à même d’augmenter les niveaux de revenus et de réduire la compétitivité-prix des produits qui y sont fabriqués. Les débats stériles et polémiques sur le taux de change du yuan illustrent la complexité de la situation et la contradiction structurelle des processus.
Seuls le Japon, l’Allemagne et les Etats-Unis arrivent, selon des rapports de forces et dans des contextes très différents, pour l’instant, à gérer une mondialisation qui transforme progressivement le paysage économique et commercial de la planète. Avec des perspectives et des conjectures préoccupantes.
C’est aussi cela qui est à l’origine de la révolte tunisienne. Une pression sans cesse accrue sur les prix et sur les coûts, qui augmente le chômage et réduit les salaires de Tunisiens qualifiés qui voient bien ce qu’il en est de part et d’autre de la Méditerranée.
Les Tunisiens, pour se doter d’une autonomie de décision minimale, ne se faisaient aucune illusion sur la puissance de leur armée ou sur la richesse de leur sous-sol. Depuis les Phéniciens, ils savaient que leur prospérité reposait sur leur sens du négoce, l’intelligence de leur commerce et la qualité de leur éducation, en mettant l’accent sur celle des petites filles.
Les Tunisiens forment un peuple pacifique très ouvert aux transactions consensuelles. Ils n’avaient consenti peu ou prou à ce contrat et aux sacrifices qu’il impliquait qu’en contrepartie d’une hausse réelle de niveau de vie et d’un vrai développement économique aussi équitable que l’autorise le système capitaliste, au moins au niveau des principes minimaux.
Le « modèle » proposé aux Tunisiens a été un contrat de dupes qui se retourne contre ses promoteurs. On sait depuis le XIXème siècle qu’on ne peut hausser la qualification des travailleurs sans leur donner une éducation et des capacités de discernement critiques. En particulier dans un pays où la roublardise est une culture.
La proximité géographique et culturelle joue alors en sens inverse, à rebours des projets et débouche soit sur l’augmentation des flux migratoires vers une Europe barricadée où s’étendent des idées et des forces extrémistes et dangereuses dignes des années 30, soit sur la remise en cause des ordres économiques et politiques locaux.
En Tunisie s’écrit l’avenir des autres pays voisins. Et demain « Notre ami le roi » (G. Perrault, 1990) fera face à un destin similaire à celui de « Notre ami Ben Ali » (N. Beau, J.-P. Turquoi, 2002). En Jordanie ou en Egypte, les nababs héréditaires, placés à leurs têtes non pour y édifier et y glorifier la démocratie, mais pour l’exclusive défense des intérêts étrangers, seront balayés par une logique implacable.
Et cela fera, là encore, des dizaines, des centaines ou des milliers de victimes innocentes.
Et Paris (de gauche et de droite) sera de nouveau très surpris de constater que, décidément, les choses ne se déroulent vraiment pas comme prévu…
Le silence français et européen n’a d’égal que celui des gouvernants des pays arabes et en particulier ceux du Maghreb qui sont restés coi tout au long des dernières semaines à l’issue desquelles le sort de l’un d’entre eux a été scellé. A un Kadhafi près, toujours fantasque, toujours prévisible [3].
La fin de la récréation ?
Il est possible que le peuple tunisien et les partis d’opposition se contentent du départ de Ben Ali et de son entourage, moyennant une « nuit du 04 août », quelques concessions sur les plans économique, politique et institutionnel, une ouverture plus large aux classes moyennes, une plus grande liberté d’expression et d’association proche de ce qui se pratique en Amérique du Sud, au Brésil ou au Chili, par exemple.
Il est aussi possible que, faute d’avoir pris le temps de préparer une telle éventualité ou que l’opposition réelle ne se satisfasse pas d’une telle pacification et veuille pousser plus loin le partage des richesses et du pouvoir, le changement sera plus profond et plus radical.
Sous ce point de vue, il ne faut pas oublier que la classe dirigeante tunisienne est profondément imbue de ses privilèges selon une ancienne tradition hiérarchique stricte qui confine à l’institution d’une subordination proche d’un système de castes familiales relativement cloisonné, ne consentira pas si facilement à une rénovation sociale qui brise ce qui constitue un des facteurs de la stabilité de la société politique tunisienne.
Y toucher et on aboutirait à un Iran post-pahlévi, le clergé mollah en moins.
Le clan Ben Ali a pris ses précautions et s’est envolé avec ses « économies ». Il n’en est pas de même des membres de la classe sociale qui a longtemps bénéficié de son régime. L’époque des janissaires – nous le voyons – n’a pas complètement disparu, mais, quoi qu’on dise, Bourguiba n’est pas Atatürk.
Ces nantis sont toujours là et n’accepteront pas facilement de se laisser « dépouiller » de leurs biens et de leurs privilèges. Il serait bien naïf de croire que Ben Ali ait pu diriger pendant plus de 20 ans la Tunisie seulement aidé par sa belle-famille et par la complaisance internationale.
Les dernières escarmouches qui agitent encore le pays sont vraisemblablement le fait de milices (les « tontons makout » à la sauce Ben Ali) qui protègent bec et ongles les propriétés des quartiers cossus des banlieues chics de Tunis et des grandes villes où résident les grandes fortunes, les caciques du régime et des riches étrangers. Tout ce beau monde a bénéficié et a aussi contribué à faire de la Tunisie ce qu’elle est aujourd’hui, sous quelque angle qu’on la considère.
Bien que limitée, la réaction exceptionnellement violente du pouvoir de Ben Ali peut être interprétée comme une sorte d’irritation de cette classe dominante hostile à toute remise en cause de ce qu’elle tient pour un « ordre naturel ».
Nous aurons l’occasion d’observer une réplique semblable lorsqu’un jour une remise en cause identique se produira inévitablement : au Maroc (où longtemps après Hassan II, beaucoup avaient espérer un Louis XIV pour se domestiquer « les Grands » du Makhzen et moderniser sans détruire) ou en Jordanie, voire dans les monarchies du Golfe, se battront pied à pied.
Les privilégiés ne lâcheront rien sur aucun terrain où se jouent leurs intérêts. Et cela commence par un détournement constitutionnel : la désignation du Premier ministre Mohamed Ghannouchi en tant que chef d’Etat par intérim, et ceci, contrairement à ce que prescrit la Constitution tunisienne en son article 57.
La veille, Premier ministre de Ben Ali, le lendemain, à la tête d’un gouvernement révolutionnaire. Plus tard, on verra qu’il ira jusqu’à démissionner du RCD et consentir à sa liquidation.
Admirable Ghannouchi ! Edgar Faure, la girouette insubmersible de la IVème République aurait sans doute salué l’artiste.
Un tollé général en a suivi et Ghannouchi a été obligé de se faire marche arrière. Ce sera donc comme le prescrit la loi suprême, le Président de la Chambre des députés, le vénérable Foued Mebazaa qui a prêté serment le 15 janvier.
La désignation de Ghannouchi à la tête de l’Etat n’était pas fortuite. Elle ouvrait la possibilité (selon la Constitution) à un retour éventuel de Ben Ali.
C’est pour éviter tout retour en arrière que – en même temps que la désignation de F. Mebazaa – le Conseil constitutionnel tunisien a proclamé samedi « la vacance définitive du pouvoir ». Ben Ali est donc définitivement parti.
Mais ce n’était que partie remise.
Le Premier ministre sortant Mohammed Ghannouchi était toujours chargé de former un nouveau gouvernement. La guérilla va se déployer sur le terrain de la désignation des ministres. Et là aussi, on a eu des surprises lorsque la composition du gouvernement d’Union Nationale est rendue publique lundi 17 janvier : du Ben Ali sans Ben Ali.
Noyés dans le nombre de ministres issus de la société civile, les trois nouveaux ministres de l’opposition se retrouvent face aux anciens ministres de la Défense, des Affaires Etrangères qui ont conservé leurs portefeuilles, dont le ministre de… l’Intérieur qui tenait à faire savoir que les manifestations (qui sont à l’origine du départ de Ben Ali) ont coûté 1,6 Mds d’euros à l’économie du pays. C’est dire tout le bien qu’il en pense.
Les opposants exilés débarquent les uns après les autres à Carthage, la pression populaire reprend de plus belle, ce qui aboutit à la démission inévitable des opposants formels garants de la démocratie à la Ben Ali.
Retour aux conditions initiales et le jeu d’échecs continue.
La démocratie, une maladie ?
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.» (Mark Twain).
De nombreux médias parlent sur le ton de l’appréhension de « risque de contagion ». La liberté et la démocratie seraient-elles des épidémies à redouter ?
Cette expression est appropriée si l’on admettait qu’elle menace Israël et tous les gouvernements européens (dont le gouvernement français qui ne s’en cache d’ailleurs pas [4]) contrôlés par les réseaux sionistes mondiaux.
Qu’en est-il au juste ?
Il convient de faire un sort à une idée reçue selon laquelle seuls les pays du Maghreb et du Proche-Orient arabes ou musulmans seraient concernés par la chute de Ben Ali.
Certes, il est des potentats qui sont rivés à leur siège et qui s’y maintiennent par tous les moyens pendant des décennies. Au Maroc, en Egypte, en Libye ou en Jordanie, les autocrates n’ont pas du tout apprécié le sort fait à Ben Ali.
Les guéguerres « claniques » en Algérie (simulation locale des influences extérieures et de la rapacité intérieure autour de la rente) sont plus complexes et reflètent une transition avortée sous Chadli vers un régime « démocratique » à la Sadate ou à la Ben Ali.
Les conditions historiques de sa formation et les ressources naturelles du pays qui génèrent plus de 98% des recettes d’exportation ont contribué au blocage de la société algérienne qui n’a ni capital, ni génies capitalistes à même de prendre le relais et assurer une articulation avec l’économie mondiale. Il n’y a eu aucune alternative crédible à la destruction méthodique des bases industrielles et des structures étatiques édifiées dans les années 1970.
Comme le socialisme naguère, le marché fut festoyé et déclaré « irréversible ».
Sur le plan politique, la disparition des formations islamistes (hormis celle de feu Nahnah très bien initié aux jeux subtils du sérail) et des « soutiens critiques » d’antan a laissé la place au vide idéologique peuplé de réseaux ârchiques ou zaouiatiques d’un autre âge, de fantômes qui sortent de temps à autre des placards ou de génies politiques anonymes en quête de reconnaissance pour des projets sans lendemains.
À l’ordre global (convenablement abîmé), ont succédé des ordres locaux, tous plus ou moins nourris par la rente et l’opportunisme.
La professionnalisation de l’Armée algérienne a affranchi celle-ci de ses engagements idéologiques et historiques et lui a ouvert l’espace qu’il fallait pour s’adonner à toutes les compromissions.
La lutte contre l’intégrisme, dont elle se proclame experte, lui a concilié l’écoute bienveillante de l’OTAN et des pays de la Méditerranée Occidentale avec les armées desquelles elle collabore très amicalement.
Tout cela, dans un contexte géostratégique propice : l’affaissement du Mur de Berlin et de l’ex-URSS, elle-même en butte (encore aujourd’hui) à des contraintes et dilemmes similaires.
En sorte que le paysage algérien ne relève pas (pour l’instant) du modèle tunisien, en dépit de l’entêtement suspect avec lequel les médias français et leurs relais indigènes tiennent à l’y rapporter.
Un dernier mot cependant : à l’attention de tous ceux qui ont accumulé en Algérie des fortunes et qui les ont transférées à l’étranger – ou qui s’apprêtent à le faire – en toute illégalité (et il en est de même de tous les patrimoines camouflés sous des prête-noms ou des sociétés écrans), ils devraient savoir que rien ni personne ne les sauvera des enquêtes qui seront diligentées lorsque inévitablement, un jour ou l’autre en Algérie, sera édifié un Etat de droit soucieux du bien public et des intérêts de la nation. Ni les arguties juridiques, ni la topologie complexe des structures comptables et financières, ni les soutiens éphémères et labiles de puissances étrangères, ni la brutalité ou la violence ne les protègeraient du sort qui est réservé aux truands et aux délinquants, quels que soient leur nom, leur titre ou la gloire éventuelle de leurs ascendants.
Par-delà le droit, il y a la justice.
Les TIC et la mondialisation ont généré un nouveau principe de conservation mémorielle : rien ne se perd, rien ne se crée. Tout se sait. Tout se saura.
De plus, l’Algérie dispose de contreparties substantielles qui lui donnent un pouvoir de négociation persuasif qui n’épargnera personne.
Il n’a échappé à personne et en particulier aux principaux intéressés que les despotes menacés par le mouvement tunisien doivent bien mesurer la fragilité des soutiens qui leur sont prodigués par les puissances étrangères au nom desquelles ils administrent leurs pays. Soutenus aujourd’hui, universellement honnis et lâchés demain.
Que blessants, pour l’ancien président tunisien après sa chute, durent être les mots employés par les ministres français, à les comparer avec les propos dithyrambiques du président français lors de sa visite en 2008, ou tout récemment quand on l’interrogeait sur la situation à Tunis.
Ainsi en fut-il de Saddam Hussein lorsqu’on avait eu besoin de lui pour lutter contre la « dictature des Mollahs » (1979) ; ainsi en fut-il de « face d’ananas » (Manuel Noriega) que Reagan est venu chercher chez lui à Panama en décembre 1989 pour l’embastiller et le livrer à la justice française après qu’il eut purgé sa peine ; ainsi en fut-il de Gbagbo, grand ami de la France il y a peu ; ainsi en fut-il de tous les dictateurs jetés sans reconnaissance après usage.
Ainsi en sera-t-il du magot (une tonne et demie d’or, dit-on, sans compter le reste…) que la famille Ben Ali a emporté avec elle et des autres butins constitués sur le dos des Tunisiens dont on a fait suer le burnous et exploité les richesses. Aucun coffre-fort de Dubaï ne sera assez solide pour les soustraire à leurs propriétaires légitimes. Aucun gouvernement provisoire d’union nationale habilement concocté ne parviendra à faire perdre de vue l’essentiel…
Ainsi, lorsqu’on s’interroge sur le risque de « contagion », on oublie de poser les bonnes questions : qui les a placés là, qui les y maintient et au profit de qui ?
Un silence pesant accompagne et soutient ces despotes reçus et honorés en grande pompe en Occident, comme il accompagnait et soutenait Ben Ali pendant 23 ans.
Les peuples arabes qui subissent ces régimes n’accordent que peu de crédit à ces critiques asymétriques dont la sévérité à l’égard des uns et des autres dépend de leur soumission aux pouvoirs étrangers et à leurs intérêts stratégiques, politiques et économiques.
En sorte que derrière l’inquiétude exprimée à propos du départ de Ben Ali, comme celle qui affecterait les dictateurs de la région, on peut aussi y discerner le désarroi des entreprises et des gouvernements occidentaux qui souffriraient tout autant de l’effondrement de ces régimes corrompus.
Israël vient de perdre un précieux allié en Ben Ali. En février 2005, sous prétexte d’un Sommet mondial sur la Société de l’information (SMSI), Ben Ali avait adressé une invitation officielle au Premier ministre israélien Ariel Sharon que celui-ci avait acceptée. Cette visite n’eut pas de suite devant l’indignation qu’elle a suscitée.
Ce sont tous les régimes qui ont reconnu Israël qui se trouvent fragilisés, au Maghreb et au Machrek. De la Mauritanie aux Emirats qui ne sont au reste rien d’autres que des provinces américaines extra-territorialisées. En témoigne la délocalisation surprenante du siège social de Halliburton en 2007 de Houston à Dubaï, qui est passée presque inaperçue.
De Ben Laden à Ben Ali
Proposer un choix binaire et cornélien : les islamistes ou les dictateurs, fut une belle construction d’une efficacité redoutable. Mais elle a fait son temps.
Récapitulation : l’idée de reformater le monde arabe dans ce projet délirant de «Greater Middle East», concocté par les néo-cons (dont Bush avait abrité et béni les crimes), projeté bien avant l’attaque des Tours de Manhattan, dès l’écroulement du bloc soviétique, s’était très vite heurtée à des limites évidentes : la démocratisation de ces pays allait renvoyer aux assemblées des hommes et des partis opposés à Israël et à la politique américaine pratiquée dans la région depuis 2001.
Pour G.-W. Bush, « c’est un front de la guerre contre le terrorisme et que – Al-Qaida – redoute l’expansion de la démocratie dans le «Grand Moyen-Orient». » M. Wolfowitz s’était alors fendu d’une métaphore savoureuse à ce propos: « … ce ne sera pas le passage de la nuit au jour. Ce sera plutôt comme le passage de la fin de la matinée au début de l’après-midi. »
C’est ainsi que l’on a prétendu, à n’en plus soif, que Ben Ali a été mis en place pour lutter contre l’islamisme et qu’on a toléré ses excès au nom de cette lutte, face à deux maux, on aurait choisi le moindre. On se souvient du mot de Moubarak en mars 2004, appelant à l’édifice de ce « Grand Moyen-Orient », publié dans un quotidien romain La Repubblica, qui a fait bondir son homologue algérien :
« Certains pays de la région, rétifs aux progrès démocratiques que l’humanité ne cesse de réaliser dans son évolution, continuent de justifier leur attitude réfractaire à la démocratie par des difficultés auxquelles l’Algérie a dû faire face…». Et il précise que ce projet allait bouleverser la donne politique et économique dans une région allant du Maroc à l’Afghanistan, pour éviter d’entraîner les Etats arabes dans «la tragédie algérienne qui dure depuis 12 ans».
On continue à diffuser ces inepties, auxquelles plus aucun analyste sérieux n’accorde le moindre crédit. Dans la mesure où Ben Laden et Ben Ali sont deux faces successives de la même stratégie.
On peut faire remonter la logique qui a engendré le « terrorisme islamiste » à l’Accord secret Sykes-Picot franco-britannique (16 mai 1916) relatif au démembrement et au partage entre les Alliés des provinces non turques de l’Empire ottoman (Mésopotamie, Palestine, Jordanie et Syrie), dont il était un volet tactique. Plus proche de nous, il découle directement du pacte signé sur l’USS Quincy, le 14 février 1945, par Ibn Saoud et Roosevelt de retour de Yalta.
Ce pacte, qui pue le pétrole, visait aussi, en utilisant l’Islam, à compromettre et à endiguer toute influence soviétique dans les pays arabes et musulmans, sous quelque forme qu’il se présente : non-aligné, nationaliste, baasiste, socialiste, toutes obédiences confondues…
L’Arabie saoudite, au cœur du dispositif, notamment l’industrie rituelle des pèlerinages à la Mecque, a docilement assuré sa part du contrat sous la protection des Flottes US mouillant en Méditerranée et dans l’océan Indien. En finançant les réseaux d’influence et la guerre antisoviétique en Afghanistan pour y établir les Talibans amis de l’Amérique d’alors, qui rendent la vie si difficile aujourd’hui aux troupes d’occupation coalisées.
L’accord fut déclaré sans objet après 1990, à la fin des Démocraties Populaires. Cependant, la machinerie mise en place pendant des décennies vécut de sa propre inertie et devint très vite encombrante. D’autant plus que les Saoudiens commençaient à prendre conscience de ce qui se tramait : l’Amérique ne voulait plus partager. Elle voulait tout.
Ecoutons un des architectes d’un projet (aujourd’hui abandonné à cause de l’échec US en Irak et en Afghanistan) qui visait explicitement le démembrement de l’Arabie saoudite, Laurent Murawiec, expert à la Rand Corporation, un influent institut de recherches, déclarant le 10 juillet 2002, au beau milieu d’une réunion du Defense Policy Board (Bureau sur la politique de défense) au Pentagone : «Les Saoudiens sont très actifs à tous les niveaux de la chaîne de la terreur, des planificateurs aux financiers, des cadres aux militants, des idéologues aux leaders. [...] L’Arabie saoudite soutient nos ennemis et attaque nos alliés. »
Il n’avait pas tort, car les Saoudiens avaient eu vent du vent qui tournait et du changement de règles du jeu. D’honorable partenaire qui émargeait à Langley, Ben Laden devenait un irréductible ennemi, la tête mise à prix.
Un mot d’esprit circulait à cette époque au Proche-Orient : «En Arabie, 50% du peuple est antiaméricain. Les cinquante autres sont pour Ben Laden.»
L’Algérie, quant à elle, travaillée avant et surtout après la mort de Boumediene, comme tous les pays de la région, par un islamisme viscéralement antisocialiste, allait être emportée par un soulèvement populaire puissant dès lors qu’il s’avérait au vu et su de tous que les richesses et contraintes étaient très inégalement réparties. Chadli aurait pu faire office d’un très bon Ben Ali et en Tunisie voisine où les mêmes causes engendraient les mêmes effets.
Le contre-choc pétrolier en 1986 n’a fait que creuser les contradictions aboutissant, dans un pays où on ne plaisante pas avec l’égalité et l’équité, à un monstre que le peuple algérien, plus que l’armée (qui se présente à tort comme ayant été le seul bouclier), a vite fait de répudier, en payant un prix exorbitant, celui du sang et d’une perte d’expérience et de forces vives de plus de 15 ans. La facture laissée par le régime Chadli, au nom de laquelle le FMI et la Banque mondiale ont légalement sous-développé le pays, allait, comme on sait, être très lourde.
C’est à cette époque que l’on doit de voir aujourd’hui des moutons et des chacals (dont Cheikh El Anka a dressé en son temps un portrait définitif) nous parler en maîtres.
De tout cela, il faudra bien en rendre compte…(Quotidien d’Oran-20.01.2011.)
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par Djamel Labidi
Comme en Octobre 88 en Algérie, il y a actuellement en Tunisie un large consensus social autour de l’évolution vers un régime démocratique. C’est le cas y compris pour des forces sociales et politiques proches du régime et de ses privilèges, mais qui considèrent cette évolution comme une nécessité pour la survie du système.
La similitude est encore plus frappante: l’annonce faite d’abord par le président Ben Ali d’ouverture démocratique, ressemble à celle faite à l’époque par l’ex- président Chadli. Son départ du pays et du pouvoir avec le coup de pouce de l’armée ont aussi un air de déjà vu, malgré bien sûr les différences d’époque et de situation.
Reste à savoir si ce consensus actuel en Tunisie ne va pas se briser, comme cela a été le cas en Algérie, sur la peur de l’Islamisme.
Il y a ceux qui sont de façon conséquente pour la souveraineté populaire et il y a ceux qui sont prêts à la remettre en question si elle ne répond pas à leurs attentes et leurs intérêts, et qui pourraient, pris de panique, « accepter n’importe quel régime pourvu qu’il ne soit pas islamiste.»
Le régime tunisien, encore en place, le sait bien qui, déjà, brandit l’épouvantail de «la menace islamiste» et rappelle, à qui veut l’entendre, qu’il en a été jusqu’à présent le rempart par une répression féroce. L’anti-islamisme a bien des ressemblances avec l’anticommunisme du siècle dernier. Pour paraphraser un manifeste célèbre: «un spectre hante l’Europe, celui de l’Islamisme». Mais ce n’est pas seulement le cas de l’Occident, c’est celui aussi de sensibilités politiques de la société tunisienne.
En résumé, «oui à la souveraineté populaire, mais pas quand elle peut amener Hamas au pouvoir en Palestine, ou le Hizbollah au Liban». Telle est la réalité, on le sait, de la position des Etats Unis, d’Israël et des principaux Etats occidentaux. Mais peut-elle être concevable pour des démocrates maghrébins qui eux ont la tâche de marcher avec leur peuple vers la démocratie dans les conditions culturelles et historiques de leur propre société, et avec leur propre identité..
Pour chaque force sociale et politique, la démocratie est fondamentalement un risque dont l’acceptation définit la qualité même du démocrate: celui d’accepter la possibilité de voir la position ou les intérêts des forces dans lesquelles il se reconnaît être remis en cause ou ne plus prédominer. Accepter cette règle, c’est se hisser au niveau de l’intérêt général, c’est la garantie d’une meilleure cohésion donc d’une plus grande force de la société.
POUR TOUS OU POUR PERSONNE
Il est un peu rapide d’affirmer, comme le font certains analystes, que la situation en Tunisie est bien différente qu’en Algérie de 88. La Tunisie serait selon eux un pays «avec une société civile plus organisée, une population instruite et éduquée, des acquis profonds concernant les droits de la femme, et surtout pas la même influence de l’islamisme.»
En Octobre 88 en Algérie comme actuellement en Tunisie, dans l’atmosphère consensuelle de soutien à la révolte de la jeunesse, la société civile aussi semblait exister, et même s’imposer, avec ses partis politiques, la soif de parler et de libertés, les grandes manifestations de rue de toutes les sensibilités politiques. Ce n’est qu’après, avec la violence extrême, qu’elle a semblé se disloquer.
Pour ce qui est de l’influence de l’islamisme en Tunisie, il est très discutable qu’on puisse se réclamer de la démocratie et dire en même temps, ici et là, qu’»il y est possible, désormais, de passer à la démocratie en Tunisie puisque la menace islamiste y a été éliminée» grâce à…
Ben Ali. En effet ce serait reconnaître des vertus, «un aspect positif» comme n’hésitent pas à le dire certains, aux méthodes policières et répressives du régime de Ben Ali. La démocratie ne peut être que pour tous ou pour personne. Ceux qui refusent la démocratie au peuple, ou à une partie du peuple, doivent s’attendre à ce qu’elle leur soit à leur tour refusée, comme l’a démontré amplement,depuis 88, le parcours pathétique des démocrates craintifs .
Ceux-là, dés que le peuple entre en scène, et déferle en manifestants aux yeux noirs et brûlants de souffrances et de frustrations, reculent effarés «devant ces hordes» et crient que la démocratie, la leur, est en danger ou n’est pas encore possible.
On a entendu aussi, quelques intellectuels maghrébins, à partir de la France où ils résident, réclamer l’ingérence de l’Europe « pour introduire la démocratie en Tunisie et au Maghreb comme elle l’a fait dans les pays de l’Est» (émission «Ce soir ou jamais « sur la chaîne française FR 3, mercredi 12 janvier). L’un d’eux est allé jusqu’à dire « qu’il a fallu 2 siècles à la démocratie pour exister en Europe», ce qui est au fond un argument qui suggère que les Arabes ne seraient pas prêts pour la démocratie. Ce sont eux et non pas le peuple qui ne sont pas prêts pour la démocratie. Le peuple y est prêt immédiatement pour la simple raison qu’il y a totalement intérêt et représente la majorité.
Il faut, d’autre part, une sacrée dose de naïveté ou d’aliénation à l’européocentrisme pour croire que les principaux Etats occidentaux ont intérêt à la démocratie dans nos pays. L’histoire de la «Françafrique « et des dictatures d’Amérique latine est là pour le prouver. Saddam Hussein a été éliminé par les Américains non pas parce qu’il était un dictateur mais parce qu’il était un dictateur antioccidental. Par contre les régimes antidémocratiques mais pro-occidentaux d’Egypte, d’Arabie saoudite ont toutes leurs faveurs.
Si les principaux Etats occidentaux étaient pour les droits de l’homme et la démocratie, cela se saurait et les peuples de la terre leur voueraient une infinie reconnaissance. Mais ce n’est pas le cas, y compris pour leurs propres peuples.
QUE VA-T-IL SE PASSER ?
Le régime est, en réalité toujours en place et veut survivre à Ben Ali. On connaît la phrase fameuse: Tout changer pour que rien ne change. Des artifices sont utilisés: remplacement de Ben Ali par son Premier ministre puis par le président de l’Assemblée nationale pour l’organisation très rapide d’élections présidentielles. On parle déjà de terreur, d’anarchie organisées, encouragées, pour faire peur aux gens, créer la lassitude et justifier une opération de «rétablissement de l’ordre» avec quelques replâtrages.
Que va-t-il se passer ? Deux choses sont sûres en tout cas.
Premièrement la profondeur et la force de l’élan national et démocratique du peuple tunisien. Il sera très difficile de s’y opposer.
Deuxièmement, c’est la question de l’attitude par rapport à l’Islamisme qui, ici comme ailleurs, va faire la différence entre les démocrates. Elle est inévitable dans les conditions spécifiques de la transition démocratique dans le monde Arabo-musulman. Comme c’est la question de l’attitude des islamistes par rapport aux exigences de la démocratie qui fera la différence entre les courants démocratiques islamistes et les autres.
C’est ici qu’apparaît probablement, et espérons- le, la différence fondamentale entre la situation actuelle en Tunisie et l’Algérie de l’époque: le temps. Plus de 20 ans sont passés. Ce qui s’est passé depuis aura certainement appris aux vrais patriotes et démocrates du Maghreb, que la violence, d’où qu’elle vienne, mène à l’impasse et aura certainement aussi contribué à la maturation de toutes les forces politiques de bonne volonté, dans le sens de la recherche toujours d’un compromis pacifique dans les questions de la construction démocratique.
Il ne fait pas de doute que ce qui se passe en Tunisie aura des conséquences profondes à terme sur tout le monde arabe. Tous les peuples arabes ont les yeux fixés sur le peuple tunisien et reconnaissent leurs propres aspirations dans sa lutte.
La lutte du peuple tunisien pour la démocratie et la dignité nationale est la nôtre.
La France coloniale a toujours essayé de diviser les pays du Maghreb. Elle s’est notamment évertuée à dresser les unes contre les autres les élites qu’elle y a formées, soufflant sur les particularités et les différences, flattant ici et là, développant un chauvinisme local qui a souvent été repris, hélas, par les Etats . Cela a été le principal obstacle à l’unité du Maghreb.
Par un chemin inattendu de l’Histoire, le combat pour la démocratie vient redonner une force et une dimension nouvelles au sentiment d’appartenance au Maghreb. De Bab El Oued à Sidi Bouzid, il y a un seul peuple. (le Quotidien d’Oran-20.01.2011.)
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*Ben Ali au pouvoir depuis 23 ans
*M.Moubarak est au pouvoir depuis 30 ans
*El Gueddafi au pouvoir depuis 41 ans
«L’âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement»,
admettait,tout dernièrement à l’ouverture du Sommet économique arabe, le secrétaire général de la Liguer arabe, Amr Moussa. En fait, le geste désespéré du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi – diplômé et chômeur, subsistant par les ventes à la sauvette – à libéré les vannes des rancoeurs et frustrations, jusqu’ici contenues, d’une jeunesse arabe qui ne trouvait pas son compte dans un Monde arabe, confisqué par les oligarchies. Le schéma est partout identique dans un Monde arabe verrouillé où toutes formes d’expression étaient interdites et ou la répression reste encore le langage le plus usité par les pouvoirs en termes de dialogue. Mais lorsque ceux-ci opposent la sourde oreille aux demandes du peuple, le dernier recours de celui-ci demeure la violence et les émeutes – c’était le cas récemment en Algérie – quand tous les horizons sont bouchés, qu’il n’y a pas de répondant de la part des dirigeants.
En fait, le pouvoir dans les pays arabes est un archétype qui se reproduit en autant de fois qu’il y a de pays arabes, que ceux-ci soient des monarchies ou des républiques. De fait, ces dernières ont de moins en moins le caractère républicain, devenant au fil du temps des «républiques-monarchiques», le fils héritant de la charge du père. On ne peut être plus insolent envers son peuple, auquel on fait comprendre, quelque part, qu’il est exclu des affaires du pays. N’est-ce pas le raïs égyptien, Hosni Moubarak, qui affirmait, dédaigneux, à l’ancien président américain George W.Bush – coupable de vouloir réformer le Moyen-Orient – qu’il sait «mieux que quiconque ce qui convient aux Egyptiens»? M.Moubarak est au pouvoir depuis 30 ans et prépare un de ses fils à lui succéder.
El Gueddafi, lui-même au pouvoir depuis 41 ans, dans une adresse au peuple tunisien, leur assure que Ben Ali était le président «idéal» pour eux, l’estimant toujours le président légal de la Tunisie et est en droit à la «présidence à vie». En fait, c’est le même discours que l’on entend de l’Atlantique à la mer Rouge où les oligarques arabes n’ont cure des demandes et besoins de leurs peuples gagnés par le désespoir et la paupérisation. Cela a fait dire au chef de la diplomatie koweïtienne, Mohammed al-Sabah, en marge du Sommet économique arabe, que «des pays se désintègrent, des peuples mènent des insurrections, (…) et les citoyens arabes se demandent: est-ce que les régimes arabes actuels peuvent répondre à ces défis de manière dynamique?», reconnaissant le bien-fondé d’une révolte arabe plurielle. Reste toutefois à se demander si les dirigeants arabes vont saisir la leçon tunisienne et en tirer tous les enseignements afin de corriger un tant soit peu des politiques qui ont mené leurs pays à l’impasse. Or, cette leçon tunisienne, la rue arabe a vite fait de la prendre à son compte en prenant l’exemple du jeune désespéré tunisien.(source: L’Expression-23.01.2011.)
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par Pierre Morville
Le jasmin blanc, fleur emblématique de la Tunisie, donne son nom à un surgissement démocratique.
« La veille au soir, le spectacle du chariot contenant cinq cadavres recueillis parmi ceux du boulevard des Capucines avait changé les dispositions du peuple ; et, pendant qu’aux Tuileries les aides de camp se succédaient, et que M. Molé, en train de faire un cabinet nouveau, ne revenait pas, et que M. Thiers tâchait d’en composer un autre, et que le Roi chicanait, hésitait, puis donnait à Bugeaud le commandement général pour l’empêcher de s’en servir, l’insurrection, comme dirigée par un seul bras, s’organisait formidablement. Des hommes d’une éloquence frénétique haranguaient la foule au coin des rues ; d’autres dans les églises sonnaient le tocsin à pleine volée ; on coulait du plomb, on roulait des cartouches ; les arbres des boulevards, les vespasiennes, les bancs, les grilles, les becs de gaz, tout fut arraché, renversé ; Paris, le matin, était couvert de barricades. La résistance ne dura pas; partout la garde nationale s’interposait ; si bien qu’à huit heures, le peuple, de bon gré ou de force, possédait cinq casernes, presque toutes les mairies, les points stratégiques les plus sûrs. D’elle-même, sans secousses, la monarchie se fondait dans une dissolution rapide. » Cette page de « l’Education sentimentale » où Flaubert évoque les journées de février 1848 qui virent en France la fin définitive de la royauté viennent irrésistiblement à l’esprit devant la Tunisie de janvier 2011 et l’événement international que constitue la « révolution de jasmin » actuellement en cours. Mais il fallut attendre 1870 et la chute de Napoléon III pour que la République fût définitivement assise…
Vraie révolution et rumeurs diverses
Les journées de janvier 2011 en Tunisie ont sans contestation possible un caractère historique. Tout d’abord parce que cette révolution, au sens noble du terme, ne fut annoncée par quiconque. Aucun géopoliticien, aucun universitaire, aucun dirigeant politique, aucun journaliste n’a eu la prémonition de la formidable accélération de l’histoire qui a abouti, sous la pression directe de tout un peuple, classes populaires et moyennes réunies, au départ, à la fuite, à l’exil sans gloire de Zine El Abidine Ben Ali. Et un mois à peine, l’Homme fort s’évanouissait, le roi était nu.
Historiques également, ces événements n’ont connu qu’un seul acteur, le peuple tunisien, sans armes et paré de son seul courage. Il n’y a pas eu « d’organisateur secret », on recherche vainement une énième théorie du complot. Aucun parti officiel ou clandestin, aucune mouvance idéologique, aucun leader présent ou en exil ne peut revendiquer la paternité de ce changement de régime.
Là où l’immolation de Jan Palach en janvier 69 en Tchécoslovaquie n’avait pas réussi à faire reculer les chars russes, le sacrifice du jeune diplômé Mohamed Bouazizi, marchand ambulant, qui s’immole par le feu le 17 décembre à Sidi Bouzid, pour protester contre la confiscation de sa marchandise, a permis en moins d’un mois à la Tunisie de tourner une nouvelle page de son histoire. Certes, la fin de cet épisode glorieux n’est pas écrite et l’imbroglio de ces derniers jours montre que l’issue politique est difficile à trouver. Certes, cette transition démocratique spontanée a été autorisée par l’attitude de neutralité bienveillante, voire de prise de position active d’un acteur jusque-là resté discret, l’armée tunisienne.
Et les rumeurs vont bon train à Tunis. Ainsi, on raconte qu’un détachement de l’armée était physiquement présent dans les studios lors de l’enregistrement du discours de Ben Ali du 13 janvier où le président chancelant annonça à la télévision qu’il ne briguera pas de nouveau mandat en 2014 et promit la liberté de la presse. Ce qui ne calma pas la colère populaire. Et c’est bien l’armée qui accompagna le lendemain le dictateur à son avion présidentiel pour un départ définitif, à l’aéroport de Tunis qu’elle contrôlait depuis plusieurs heures. Parmi les bruits qui circulent dans la capitale tunisienne, une anecdote a au moins le mérite de la cohérence. Le 12 ou le 13 janvier, une réunion aurait regroupé autour de Ben Ali, le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, le général Ali Seriati, patron de la police et un responsable de l’état-major des armées. Ces derniers auraient réussi à convaincre le président de partir temporairement de Tunisie, avec surtout son épouse honnie par la population, « le temps que le ménage soit fait ». Le 14 janvier, en effet, Mohammed Ghannouchi annonce que Ben Ali est temporairement dans l’incapacité d’exercer ses fonctions et déclare, au nom de l’article 56 de la Constitution (incapacité temporaire), assumer la charge de président par intérim jusqu’à des élections anticipées. L’évocation de l’article 56 fait bondir les juristes : il ne s’agit pas d’une incapacité temporaire mais bien d’une incapacité définitive. Il faut donc exciper l’article 57 de la même constitution. Du coup, Ghannouchi ne reste président que 24 heures et il est remplacé par le président de l’Assemblée nationale, et bien au nom de l’article 57 : C’est donc finalement Fouad Mebazaa qui assure l’intérim, avec pour mission d’organiser une élection présidentielle dans les 60 jours. Loin de ces finasseries juridiques, la rue a déjà tranché : aucun retour en arrière n’est possible et le nouveau gouvernement de coalition est tenu dans la plus grande suspicion. Quant au « ménage promis », l’état-major de l’armée, dès l’avion présidentiel décollé, s’y serait ouvertement opposé. Seul, Ali Seriati aurait voulu tenter avec 3000 barbouzes le coup de force, terrorisant la nuit les principales villes de Tunisie. Mais son aventure a vite tourné court : il est interpellé le 16, à Ben Guerdane dans le sud de la Tunisie alors qu’il tentait de s’enfuir en Libye. On saura dans quelque temps la véracité de ces confidences.
L’introuvable « gouvernement d’Union nationale »
Depuis, devant la formidable accélération des événements, le RCD, le « Rassemblement constitutionnel démocratique », quasi-parti unique tunisien, omniprésent et totalement dévoué à Ben Ali pendant 23 ans, se précipite avec ses notables effrayés vers la seule sortie de secours possible, la constitution d’un « gouvernement d’Union nationale ». D’emblée, la formule bute sur la grande confidentialité de partis politiques d’une opposition polie, tolérés jusque-là sous le règne Ben Ali, les autres formations étant interdites et leurs dirigeants en exil ou en prison. Les ex-oppositions légales et illégales se divisent très vite sur la participation ou non. Après quelques jours d’hésitation, mardi, le puissant syndicat UGTT tranche l’affaire et demande à quatre ministres qui comptent parmi ses adhérents de quitter un gouvernement mort-né d’union, au moins dans sa disposition actuelle.
La population quant à elle semble dénier tout avenir politique au RCD, et beaucoup contestent que cette formation puisse jouer un rôle quelconque dans la transition démocratique : « le dictateur est tombé, pas la dictature » clament les manifestants. Pour accroître encore la confusion, on apprenait avant-hier que Fouad Mebazaa, le président tunisien par intérim, et le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, ont démissionné du RCD. Courage et dignité ! Dans un communiqué, le RCD a dans le même temps annoncé avoir radié de ses rangs l’ex-président Ben Ali et six de ses collaborateurs, « sur la base de l’enquête menée au niveau du parti, à la suite des graves événements qui ont secoué le pays » ces dernières semaines. Pantalonnades !
Le RCD devra inéluctablement disparaître. Il n’a brillé que par la servilité vouée à la cupidité insatiable de son maître et de son clan et par sa capacité à (très bien) vivre des restes.
Le 13 janvier, l’écrivain Abdelaziz Belkhodja a rendu publique une enquête fouillée et un réquisitoire sans appel du pillage organisé par la famille Ben Ali et celle de son épouse du clan Trabelsi. Toute l’économie tunisienne y passe, mise en coupe réglée par une centaine d’individus : les banques, les transports, Tunis Air et les compagnies aériennes et de navigation nationales, la téléphonie, les médias télés, les concessionnaires automobiles, l’immobilier, les cimenteries, la grande distribution, les bananes, l’huile, le sucre, les alcools, la pêche… Rien n’échappait. L’incroyable népotisme de la famille présidentielle qui contrôle 50% des secteurs-clés de l’économie, va même jusqu’à prendre des postions dominantes dans les écoles privées ou la friperie ! Sans oublier une omniprésence dans le secteur « gris » de l’import-export et ses trafics. Comment la dynamique économie tunisienne a-t-elle pu en arriver là ? Tout au moins par une totale confusion entre le bien public et les biens très personnels du président, une corruption généralisée, une police implacable, une presse aux ordres et la complaisance des alliés occidentaux.
Michèle Alliot-Marie devrait s’excuser ou démissionner
Les regards volontiers détournés des puissants partenaires ne signifient pas nécessairement aveuglement. Une longue dépêche envoyée à la Maison-Blanche par l’ambassade américaine de Tunis, le 23 juin 2008 et opportunément révélée par Wikileaks, détaille elle aussi le système de « quasi-mafia » Ben Ali-Trabelsi qui dépouille sur l’économie tunisienne. Le rapport conclut, deux ans avant la révolution de jasmin : « Si les Tunisiens digèrent déjà mal la corruption courante, les abus de la famille du président Ben Ali suscitent leur fureur. Alors que la population fait face à une montée de l’inflation et à un fort taux de chômage, l’étalage de richesses et les rumeurs persistantes de corruption ne font qu’alimenter son ressentiment. »
On ne peut pas dire que l’autre allié, la France, ait eu la même hypocrite lucidité. Les gouvernants de droite et de gauche ont toujours fermé les yeux sur les excès de la politique de Ben Ali au nom de lutte contre les mouvements islamiques. Mais la palme de la myopie complaisante revient sans nul doute à l’actuel gouvernement Sarkozy, incapable de voir l’importance des changements en cours durant ce dernier mois.
Championne toutes catégories de l’inconscience politique, la ministre des Affaires étrangères, Michelle Alliot-Marie, le 11 janvier, a volé au secours du régime, en proposant une « coopération policière », « pour éviter des excès de violence lors des manifestations ». Ah ! Le savoir-faire français, en matière de maintien de l’ordre ! Depuis elle se défend en bafouillant, partagée entre un « principe de non-ingérence et la crainte que la situation ne dégénère en violences ». Ennuyé mais solidaire de sa ministre, François Fillon tente maladroitement de rattraper le coup. Le 1er ministre français suggère, lui, malgré le silence assourdissant du président de la République, une assistance de la France en matière électorale : « Nous sommes prêts à fournir au gouvernement tunisien, s’il le désire, l’assistance nécessaire pour participer à la préparation et à l’organisation de ces élections ». Un jour, on prête les matraques, un autre, on file les urnes. Bévues et pas de clerc. Un mutisme prolongé de nos diplomates devrait être de rigueur.
Sortie de geôle
Le lundi 17, un prisonnier politique a été sorti à l’aube de sa cellule et prestement raccompagné à la sortie, sans explications. Malade, encagé depuis huit ans et mis à l’isolement depuis un mois, c’est en sortant de prison qu’il a appris avec une joie stupéfaite la révolution en cours et le départ précipité de Ben Ali, l’instigateur de son embastillement.
Abderrahmane Tlili, grand commis de l’Etat qui a été patron de plusieurs entreprises publiques, a eu l’imprudence de se porter candidat à l’élection présidentielle de 1999. Malgré les trucages évidents qui virent Ben Ali élu avec plus de 99% des voix, ce responsable d’une formation aujourd’hui dissoute, l’UDU, était volontaire pour une nouvelle candidature et commençait à faire campagne. C’en était trop ! Au trou ! Sur des accusations invraisemblables. (Q.d’O.20.01.2011.)
Cet ami est libre depuis quatre jours.
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par Ammar KOROGHLI *
« Lorsqu’un jour le peuple veut la vie, force est au destin de répondre » (Aboul Kassim Chabbi)
J’ai eu à visiter Tounès trois fois, à quelques années d’intervalle. La ville évoque pour moi l’Italie du Sud, celle du néo-réalisme. Tounès également, Mexique et Inde réunis. D’abord une forte odeur de Mexique en été, le soleil tapant à 37° à l’ombre. L’Inde ensuite, la circulation rappelant la Calcutta des films hindous. Récit d’un voyage et d’un rêve. Le soir, au son des clapotis des vagues, les cafés proches de la plage sont pleins à craquer. Chicha, Safia (la Saïda locale) et Bouga menthe sont les consommations favorites des estivants… Banlieue de Tounès. El Kram. Une scène éloquente. Une fillette d’une dizaine d’années, avec une carrossa, qui vend du khobz ârbi aux passants nocturnes parmi lesquels nombreuses sont celles bronzées, fardées et vêtues à l’européenne. Dieu, que l’injustice a longue vie, après plus de 20 siècles de christianisme, 14 siècles d’Islam et un demi-siècle d’indépendance. Tant qu’il y aura encore des cosettes, il y aura encore des Bastilles à prendre. Et les discours n’y changeront rien, pas même le code de statut de la femme le plus avancé des pays de la Région en mal de révolution démocratique.
Ce que fut Tounès et sa banlieue
Toujours la banlieue. Quartier populaire où les gens ont construit de très modestes logements, les briques s’observant à l’œil nu. Une architecture sommaire. Pas de peinture. Pourvu qu’il y ait un toit. Nous sommes loin des constructions fastes des quartiers résidentiels de la capitale. Une population vouée à la débrouillardise, presque livrée à elle-même. Vente de figues de barbarie par des enfants et des adolescents. Point de vacances. Scolarité laborieuse. Jetés en pâture au monde des adultes avec moult difficultés pour dénicher un job… Ici, la vie est réduite à sa plus simple expression. Quasi biologique ; quête quotidienne de la survie. Ammi Saïd et Khalti Oum Hani, sa fidèle compagne, figurent parmi ces gens partageant le même désarroi au quotidien. Avec un stoïcisme et une patience défiant l’entendement humain. La foi aide beaucoup dans ces cas-là. Khalti Oum Hani me tend, telle une offrande, un transistor pour alléger mon ennui, dans l’attente d’un repas frugal. Une omelette avec des tomates et du poivron doux. L’humilité à fleur de peau. Sur les hauteurs de Sidi Bousaïd – magnifiques par ailleurs –, comme dans les profondeurs de la Marsa, le même constat observable : la coexistence de deux mondes qui se côtoient et s’ignorent. Tout comme le Tunis moderne et la vieille médina. La même musique baigne les veilleurs ; partout celle d’Oum Kalthoum. Toujours elle qui revient avec « Laylati » tel ce passé prestigieux où les musulmans bâtirent une civilisation florissante. Quand donc guérirons-nous cette blessure narcissique ? « El Imran », rirait Ibn Khaldoun dont la statue imposante – sans être convaincante – trône dans la principale avenue de Tounès du nom d’un certain Habib Bourguiba. A El Marsa, la tchi-thi locale est habillé made in Europa, arborant ses Nike et s’exprime dans un français impeccable avec de temps à autre des interjections bien tunisiennes du type « ezzahi ». Vers la plage, les cafés se font de plus en plus populaires et moins cher. Là, Choukri, un jeune Tunisien, m’accoste me prenant pour l’un de ses anciens professeurs. Il m’expliqua qu’après son bac lettres, il fut happé par la vie d’adulte ; après divers menus travaux, il prit conscience des arnaques du monde du travail. Il me souvient qu’il s’en prit crûment au régime qui « à trois heures du matin vous sort du lit » (sic). Il me parla également de la solidarité qui s’organisait dans les quartiers pour venir en aide aux familles les plus démunies… Le pauvre aide le pauvre. La solidarité horizontale. A Halq el oued, une sorte de front de mer oranais. Un coin où affluent les « chichistes » (fumeur de chicha), tabac aspiré dans une sorte de calumet. La rencontre avec Sami, un matelot. Le personnage typique des pays méditerranéens : gouailleur, prêt à la plaisanterie et à s’évader dans des discours axés sur les plaisirs de la vie. Un hédoniste à l’état pur. A peine débarqué d’Argentine après quatorze jours de mer, il se précipite au restaurant où il commande moult plats épicés avec des côtes de « allouch », du mouton au bon goût. Sitôt fini, il se dirige vers un café spécialisé en chicha. S’ensuit avec lui une discussion autour de ses aventures sindbadiennes. Panne en haute mer où il crut sa dernière heure arrivée. J’observai chez lui la même angoisse existentielle que chez beaucoup de jeunes… El Kram. Ali y travaille dans la protection civile. « La situation en Tunisie n’est pas celle décrite par les discours, journaux et TV ; il y a beaucoup de jeunes au chômage », me dit-il. Chose évidente observable ailleurs dans les pays voisins où l’immolation devient un mode désespéré d’expression. La société réelle se distingue toujours de celle légale. Situation classique et devenue hélas récurrente. « Beaucoup de jeunes ne rêvent que de partir en Europe. Pour ne plus revenir. Harrag et clandestin que mahgour dans son pays ! Les autorités françaises notamment mettent d’énormes obstacles pour délivrer les visas. Tout marche par relations, même pour avoir du poisson frais ! »…
Le gérant d’une boutique de téléphone, visiblement découragé, lâche : « L’Etat ne nous aide pas suffisamment ». A ses yeux, les deux maux les plus flagrants sont l’imposition de plus en plus croissante et le problème des « relations sans lesquelles on ne peut rien faire dans ce pays ». Antienne déjà entendue sous nos cieux. Il m’a ensuite longuement entretenu des lourdeurs administratives – que nous appelons bureaucratie – accouplées à la rachoua et la maârifa. Ce soir- là, le raïs fait son one-man-show à la télé. Il lit de façon monocorde un discours manifestement préparé à son intention ; l’apparent look de jeune premier n’empêche pas d’avoir en permanence les yeux rivés sur ses notes. Si la femme occupe une partie de la scène du fait d’un statut libéré et d’une combativité observable par endroits, ainsi que l’unité linguistique constituent des atouts avec un certain dynamisme économique – tourisme et petit commerce (alimentation générale, pâtisseries, cafés…– et une industrie naissante, il y a aussi un civisme urbain non feint au contact des gens. Quant à la petite lucarne, elle reste désespérément inondée, comme la nôtre, de feuilletons égyptiens ; l’appel ostentatoire aux « stars » du grand frère d’Orient exaspère de plus en plus les citoyens comme les chanteurs locaux. Je préférais quant à moi les sons de la musique des fêtes des proches quartiers (el aârs); ce qui me rappelait alors que j’étais bien à Tounès. Il y avait là déjà les ingrédients pour un mécontentement populaire à même d’ébranler le régime caractérisé, à tout le moins, par un fort autoritarisme qui n’est tempéré par aucune balise. Je me surpris un soir à rêver. Au silence imposé, les clameurs au loin des foules débarrassées de leur peur quasi atavique pour se libérer de ses chaînes, le jasmin embaumant soudain Tounès…
En attendant la démocratie, déjà un rêve de liberté…
La foule se faisait menaçante. Tel un grondement de tonnerre dans un ciel apparemment serein, elle se pressait près de la porte immense du palais présidentiel. Les forces de l’oppression, au service du régime, tentaient de réduire au calme cette masse compacte. Formant une chaîne solidement tissée par des bras nourris à dessein, les séides et autres sbires repoussaient la foule qui devenait singulièrement dangereuse. Du haut de son palais, lieu d’exercice du pouvoir, le tyran épiait à la dérobée le peuple venu avec l’intention d’abattre son régime devenu odieux. Il fallait être sot pour y songer ; lui, l’omnipotent et l’inconditionnel ami des pays occidentaux. Arborant cet air d’ennui hautain qu’affectionnent volontiers les gouvernants prétentieux du monde entier, il songeait à l’incommensurable fortune amassée par ses proches. Immobilier, foncier, commerce de gros, association avec de grandes sociétés européennes de distribution, sans compter le trafic d’influence attaché au nom et les innombrables prises illégales d’intérêt. De quoi dynamiter les régimes les plus têtus, même s’il a doté ses affidés du parti unique et autres milices dévouées à sa personne de formations et d’armements lourds pour un petit pays pacifique. Tout au long de son règne, il ordonnait l’incarcération de tout opposant réel ou supposé, intellectuel ou universitaire livrés à la spéculation sur son régime tout à son apogée dans le pillage. Le népotisme érigé en mode de gouvernance. Né des flancs de l’Etat policier, il ne pouvait que se soumettre à ses instincts et réflexes d’ancien militaire. Même affublé du titre pompeux de général, il n’avait mentalement qu’un grade subalterne. Démocratie, Etat de droit, alternance au pouvoir, droits de l’homme… clamait la rue qui rêve d’équité entre les citoyens par l’instauration d’un système fondé sur l’égalité de chance de tous à accéder au pouvoir. Quelle saugrenue idée ! Lui pensait à mettre à exécution la peine de mort. Fallait-il le faire à grande échelle sur les grandes places du pays pour que ces « gueux » et autres roturiers comprennent tout le bien qu’il voue à son Tounès ? Il lui fallait les mater. Point n’était besoin pour lui de recourir au dialogue avec ses administrés qui, pensait-il, ne comprenaient que le langage du bâton. Combattre les idées de ces sots en les embastillant ou les contraignant à l’exil. Les réprimer jusqu’à ce que mort s’ensuive… Il regardait ses sbires contenant à peine une force déchaînée par la dégradation de son niveau de vie, de l’absence de perspectives d’emploi, des bruits incessants sur l’enrichissement indu de « la famille » qui n’est pas révolutionnaire pour deux sous, mais devenue révolue depuis quelques jours. Quelques « têtes brûlées », pensait-on en haut lieu, au paroxysme de l’excitation. Pouvait-on être aussi inconscients pour imaginer la chute du régime. Sa chute ! Lui nanti de fortunes diverses, d’une armée à ses ordres et d’une armada de policiers prêts à se muer en snipers ! Dommage qu’il ne pouvait mettre en place une dynastie. Son nom à perpétuer tout au long des siècles. Après tout, ses voisins préparaient activement la leur. Fils ou filles, frères ou soeurs, femmes. Peu importe. Un impressionnant patrimoine a été constitué ; pour le faire fructifier, il fallait perpétuer le système par progéniture interposée, voire par proches parents. Au Maghreb, comme au Moyen-Orient, c’est la règle. Pourquoi ferait-il exception ? Le tout est de laisser croire, par une bonne mise en scène, que cette situation de corruption généralisée et d’enrichissement illicite n’est pas de son fait. Qu’il s’agit de son entourage. Qu’il n’y est pour rien…
Un jour, alors qu’il venait de se réveiller, il fut mis au courant de l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi. Le désormais martyr de la révolution démocratique du jasmin. Pour quelques légumes et fruits. Sans emploi, il fut spolié de son unique « outil de travail », le désespérant à jamais. Qu’il repose à jamais en paix ! Par son geste irrémédiable, il a permis à la jeunesse tunisienne (maghrébine ?) de jeter la peur par-dessus bord et de libérer son pays de l’omerta. Erreur fatale du régime aux abois, tirer sur un convoi funéraire. L’instinct policier l’emporta sur le souci d’apaisement. La sagesse n’est pas le propre de nos gouvernants ; ils ont fait de la violence leur monopole et leur bouclier. La culture et l’intellect les insupportent plus que tout au monde…
Les chars sillonneront une nouvelle fois le pays, la police secrète fera le reste. Arrêter le peuple de jeunes qui gronde de jour en jour.
Les forces de l’ordre au service du système honni ne purent stopper cette foule nombreuse. L’élan de s’émanciper de ses bourreaux est plus fort. La tyrannie devait cesser d’une manière imminente, les promesses du chef n’ont plus d’emprise sur des consciences juvéniles habituées jusqu’ici à la résignation. La population n’a que ses chaînes à perdre, elle les traînait depuis trop longtemps déjà. Elle avait désormais tout le pays à gagner. Certes, après quelques tentatives de révolte avortées par le passé. Certes, avec les caciques du régime encore en place.
Cette fois, le chef lui-même se mouilla ; habituellement, il se contentait d’instruire son chef de la sécurité dressé à l’effet de briser ce genre de manifestations. Cette fois, les renseignements recueillis par ses agents qui quadrillent le pays à longueur d’année sont formels. C’est sérieux. Le régime risque de vaciller. Et adieu son règne et celui de sa famille… Car enfin, que veulent ces jeunes ? Du travail ? Mais, dans tous les pays du monde, il en manque. La liberté et la démocratie ? Quelle impudence ! Pour lui, c’est un luxe que de croire que les citoyens sont égaux. Il ne pouvait, pensait-il, s’accommoder des fantasmes de son peuple. N’avait-il pas l’appui des principales puissances du monde qui lui proposent même une coopération de nature policière ?
L’heure était grave. Ainsi, nonobstant les medias acquis à sa personne, les séides à son service n’ont pas réussi à faire passer ses messages et sa propagande. A situation catastrophique, une réplique ferme et solennelle, pensait-il. Rien n’y fit. Ses derniers brefs discours sonnèrent le glas de son régime. De la pure mise en scène dictée par des gourous en communication et autres publicitaires.
Le limogeage du gouvernement et son départ annoncé du pouvoir ne firent qu’attiser la colère du peuple au paroxysme de l’impatience. Même l’armée ne jurait plus fidélité à son chef. Elle refusait d’être instrumentalisée pour tirer sur le peuple dont elle est issue. Il ne pourra plus ainsi mettre en coupe réglée le pays, ni ordonner un bain de sang. Ses propositions de réforme résonnèrent chez les jeunes comme un ultime affront. Mensonges pour eux que ces paroles vaines.
Comme le laboureur de La Fontaine, il sentit son heure venue. Il réunit sa progéniture et proches parents. Quitter le pays devint le seul vrai casse-tête pour eux. Le leitmotiv du jour d’après la révolution des émeutiers. Certains d’entre-eux ne purent sortir ; d’autres, dont le chef lui-même, sortirent en catimini par la petite porte de Tounès et… de l’Histoire. Même ses amis occidentaux ne voulurent pas de lui, sans doute même ses collègues des pays voisins, craignant la contagion du soulèvement populaire. Ils le préféraient loin d’eux. L’ombre du shah d’Iran plane. Les uns et les autres ne souhaiteraient pas lui prêter main-forte. Trop dangereux pour leurs personnes et leurs régimes. Et leur patrimoine accumulé à force de spoliation et de corruption. Chacun pour soi au royaume des tyrans. Que peuvent-ils faire face aux peuples déchaînés ?
L’évidence s’imposait. La révolution gronde dans la rue. Comment résister à l’instinct de revanche du peuple longtemps brimé ? Il ne se passa pas un instant sans qu’on lui rapportât une information sur le soulèvement grandissant. La rue voulait sa tête et le pouvoir. Pacifiquement. Par la seule volonté. Il se rendait compte, au fur et à mesure, qu’il était déchu. Que sa fin était proche au pouvoir. Alors, seule la fuite… Sans doute qu’avec l’énergie du désespoir qui a changé de camp, il tenta de manigancer un plan avec l’état-major de son armée afin de stopper l’élan de ces zélés qui osaient s’attaquer à lui. Mais sur le terrain, ses affidés militaires et policiers se rendirent compte de la débâcle, malgré l’assiduité de leurs exactions. Réprimé depuis longtemps, le peuple était capable de dévorer sa chair et de boire son sang (comme disait ma mère, « nèchroub demhoum ». Averti, le chef prépara précipitamment son avion pour s’envoler. Sans destination précise. Le salut était dans la fuite. Le danger était réel. Déjà, une partie de sa famille était loin.
Tel un cri d’une bête blessée à mort, le vrombissement de l’avion sonna définitivement le glas de son régime. Mais son système était encore là, avec son cortège de caciques et de mercenaires à sa solde. Ainsi fut déchu du pouvoir l’un des occupants indus et illégitimes de la région qu’on nomme habituellement le Maghreb où pullulent encore nombre de bailleurs de pouvoir qui cherchent à nous vendre de la démocratie résiduelle. De la marchandise frelatée. Le peuple de jeunes de Tounès saura-t-il séparer le bon grain de l’ivaie ?
Amis Tunisiens, ne vous laissez pas spolier votre victoire par les caciques et les tenants de l’ancien système. Vous vous rendriez service et deviendrez un exemple vivant démontrant que les régimes despotiques dominés par le népotisme et la gérontocratie ne sont que des tigres en papier… Ennemis de leurs peuples, craignez la colère juvénile ! (Q.d’O.20.01.2011.)
Déjà, un grand poète Tunisien, Aboul Kassim Chabbi déclamait ces vers à méditer :
« Tu es né libre comme l’ombre de la brise Et libre telle la lumière du matin dans le ciel.(…)
Pourquoi accepter la honte des chaînes ?
Pourquoi baisser le front devant ceux qui t’ont enchaîné ?(…)
Allons, réveille-toi, prends les chemins de la vie Celui qui dort, la vie ne l’attend pas ».
* Avocat-auteur algérien
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par Brahim Senouci
Décidément, la célèbre phrase que met Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, dans la bouche de Don Fabrizio Salina, personnage central du roman «Le Guépard», semble plus que jamais d’actualité. La toile de fond du roman est l’unification italienne sous la houlette de Garibaldi, qui marqua la transition entre un ordre ancien et un nouvel ordre. L’auteur attaque l’opportunisme qui caractérisa cette époque, loin de l’image romantique dont elle bénéficie dans l’historiographie officielle de l’Italie. Il décrit la résistance de la noblesse à l’irruption de la modernité et comment, du fait de cette résistance, elle a participé à la naissance de la mafia actuelle. Ce mot d’ordre, «il faut que tout change pour que rien ne change», est devenu le symbole de ce qu’on a appelé le conservatisme intelligent. Il rappelle, la nécessité de réformer en douceur, un système dominant pour lui permettre de perdurer. Les adeptes de l’immobilisme feraient ainsi le lit de la Révolution, «il faut que rien ne change pour que tout change».
Ben Ali, conservateur à la poigne de fer, a maintenu un système rigide qui a amené l’explosion de décembre 2010- janvier 2011. Pour autant, l’explosion ne s’est pas encore traduite par une révolution. Le gouvernement qui vient de se constituer est une insulte aux sacrifices de la jeunesse de Tunisie. Comment peut-on imaginer un seul instant que les personnages qui ont interprété la partition écrite par Ben Ali pourraient en jouer une autre ? Or, ils restent aux commandes aux postes essentiels. N’ont été concédées à l’opposition officielle (celle qui était déjà tolérée par le dictateur) que quelques miettes. Par ailleurs, ce gouvernement «nouveau» vient d’annoncer que les prochaines élections législatives n’auront lieu que dans six mois…
A l’évidence, il y a une tentative de reprise en main, une sorte de contre-révolution de velours, visant à déposséder le peuple tunisien de sa victoire. Cela se fait au nom de l’impératif de «stabilité» claironné par les dirigeants tunisiens et repris en boucle en France et aux Etats-Unis. «Il faut que les touristes reviennent», c’est l’appel angoissé, lancinant des agences de voyages, des journaux télévisés qui présentent la grande détresse des rares (et donc courageux) touristes, continuant à siroter du thé à la menthe dans des hôtels de luxe et à faire leur gymnastique matinale sur des plages ensoleillées, en dépit de la menace des snipers et des pillards.
En bref, il faudrait que la Tunisie redevienne… la Tunisie, un pays prospère, peuplé de gens avenants, prévenants, dociles. Bien sûr, il faut prendre en compte leur colère passagère et leur accorder quelques petites libertés. Il faut surtout donner l’impression que ces changements sont profonds, radicaux même. En bref, ce que font les dirigeants actuels consiste à convaincre le peuple «que tout change» pour qu’en réalité, rien ne change. (Q.d’O.20.01.2011.)
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**Tunisie: les effluves du jasmin risquent d’être détournés…
par Farouk Zahi
… Si l’on ne prend pas garde aux superlatifs ronflants. Dans son 20 H en direct de Tunis, David Pujadas ouvre son journal sur la communauté française, bien entendu.
Ils (les Français) seraient au nombre de 20.000 officiellement mais de 30.000 réellement. A quoi serait due cette distorsion arithmétique ? Le deal franco-tunisien est insondable.
Rassuré sur le sort de ses compatriotes, notamment, celui de cette amille d’enseignants qui se sent en sécurité et qui a droit à ses cinq baguettes de pain par jour, comme tous les Tunisiens, il passe à « la Révolution du jasmin ». Elle aurait fait plus de 75 morts dit-on. Ce qui n’a rien de comparable avec celle des œillets. La question centrale est en fait, la crainte du retour des islamistes aux affaires politiques. Mais comme toute population, disparate et stratifiée, la tunisienne ne déroge pas à la règle. Pour le jeune désœuvré, la question est réglée d’avance : « Celui qui veut prier qu’il le fasse et celui qui veut prendre un apéro, il est libre de le faire… », Répond-il candidement. Là, le journaliste avertit qu’il va nous faire écouter, l’avis de musulmans modérés. Et là c’est la douche froide. Pour l’un des interviewés entre deux âges : « Le retour des islamistes est presque souhaité…ils peuvent participer à la moralisation de la société… ». Pour l’autre : « les islamistes ont autant souffert que nous de Benali qui les a exilés ». A partir de son exil, Rached Ghanouchi leader de la mouvance islamiste, rassure les partenaires de son pays que celle-ci, ne compte pas présenter de candidat à la prochaine élection présidentielle. Il donne ainsi, un certain répit à ses détracteurs.
Le jeune ingénieur, lui, qui ne semble n’avoir souffert d’aucune restriction matérielle du fait de son emploi dans l’automobile, dit aspirer à vivre en démocratie. Et que si la nouvelle équipe était tentée par une quelconque dérive : « Nous sortirons encore dans la rue !». Sait-on au moins mis d’accord sur un «smig» démocratique ? Ce qui est sûr, c’est que la chose démocratique a permis à tous les extrémismes de par le monde, du wahhabisme pakistanais à l’évangélisme yankee en passant par les lepénistes, de s’inscrire, sans état d’âme, dans les processus électoraux de leurs pays respectifs ? Et quand les urnes ouvrent les boîtes de Pandore, on pourra toujours s’égosiller sur le bourrage de celles-ci.
La règle du jeu est ainsi faite ! Le must des interventions a été, sans doute, celui de cette grande dame, l’avocate qui a consacré sa vie durant à la défense des droits des femmes, surprise et même étonnée par ce qu’a pu faire l’ex-président Benali : «Que j’ai toujours pris pour un bon père de famille ! D’ailleurs, je n’aurais jamais pensé qu’il s’en irait si vite». Personne, apparemment, ne croyait au coup de dés de l’histoire. Ceci rappelle, étrangement, les lendemains d’octobre 1988 et décembre 1991 moments de flottement qu’a eu à vivre notre pays. Des acteurs jusque-là calfeutrés dans leur confort, font soudainement irruption dans le décor pour claironner qu’ils étaient à l’avant-garde du combat. La maman éplorée de Bouazizi demandera la reconnaissance du martyre pour son fils et l’immortalisation de son nom en lieu et place du 7 novembre commémorant le coup d’Etat médical par lequel fut destitué Bourguiba. Lucide, elle mesure le geste désespéré de son fils qui aura, sans doute, rendu sa dignité à tout un peuple. Pendant ce temps que se passe-t-il chez nous ? Certains appellent de tous leurs vœux, une réaction en chaîne sans préparation et sans aucune militance. On hume même l’odeur de jasmin. On se surprend soudain à admirer le voisin tunisien que nous tenions pour « un pleutre » personnage etc. etc. N’a-t-on pas fait avorter toutes les velléités révolutionnaires que la jeunesse a chèrement payées ? Les tribuns du vendredi n’ont-ils pas spolié la victoire de « Bab el Oued Chouhada ? ». L’ouverture démocratique qui a permis à plus de 60 partis politiques de s’engouffrer dans les abysses politiques sans vocation, n’a-t-elle pas été sans effet sur le devenir de ces jeunes d’octobre rendus d’impuissants vétérans? L’actuelle génération n’étant pas mieux lotie, mais sait, néanmoins, que les nouvelles résidences huppées ne se construiront plus sur les cendres des « Trois horloges ». On tente d’accrocher son wagon à la fracassante locomotive, mais les jeunes, refusent tout protectorat. Ils continuent à s’exprimer à leur manière, extrêmement, dramatique parfois.
Alors, mettons nos carrières et celles de nos enfants en jeu, risquons la prison et l’exil, pourquoi pas, pour notre idéal démocratique. Un idéal, comme tout le monde le sait, n’est jamais gratuit. L’image de ce jeune qui s’est immolé dans la wilaya de Tébessa, est montrée en boucle aussi bien par les chaînes arabes (saoudienne et qatarie) qu’européennes. Les tireurs de ficelles espèrent en faire la flammèche qui mettra le feu aux poudres. Sous le sceau du sacerdotal droit d’informer, ils présenteront les images de désolation d’un Maghreb qui bouillonne. Manière comme une autre, de faire le parallèle entre leurs opinions publiques démocratisées et la rue maghrébine, longtemps inféodée, présentement survoltée. Les pyromanes avides de flammes et de sang, souhaitent le chaos déjà vécu entre 1992 et 1995 où la seule institution constitutionnelle, l’armée en l’occurrence, est restée debout.
Un homme sorti de ses rangs, apolitique de surcroît, a fait le pari fou d’organiser une élection présidentielle que d’aucuns vouaient à l’échec.
Des analystes et autres politologues, prédisent des scénarii catastrophiques et se délectent d’une vision apocalyptique qu’ils n’ont pas pu prévoir pour l’Irak qu’ils voulaient démocratiser à l’insu de son peuple. Certains mêmes, s’oublient et se mettent carrément dans la peau des « suppliciés » des régimes autoritaires dont voici un spécimen de verbiage : « Si la chose est compréhensible pour la Tunisie, elle ne l’est pas par contre pour l’Algérie qui « dort sur un matelas de 155 milliards de dollars US ! ». Le Tunisien, n’a jamais eu faim, contrairement à ses voisins…il vient de donner une leçon de dignité et de bravoure ! » dixit, Abdel Bari Atwan d’ « Al Quds Al Arabi », basé à Londres. Pour le non averti, cette gouaille véhémente, le ferait prendre pour un irréductible opposant tunisien ou algérien. Et à ce propos, des voix d’opposants tunisiens s’élèvent déjà, pour dénoncer « la mascarade » de la désignation du gouvernement de transition où sur les cinq portefeuilles de souveraineté, quatre restent entre les mains de l’ancienne équipe du président déchu. Abid Briki, secrétaire général et porte-parole de la puissante UGTT, encore un superlatif, avertit que son institution ne reconnaît pas le nouveau cabinet ; il appelle toutefois au calme et craint des jours sombres pour l’économie tunisienne qui dépend principalement des recettes du tourisme et des échanges avec la Libye. La destruction du tissu économique du pays, a drastiquement paralysé l’exportation. Y avait-t-il une réelle alternative à l’autoritarisme de Benali et à l’enrichissement éhonté de ses proches ? Cette union générale des travailleurs tunisiens dont on surestime les vertus, n’a-t-elle pas cohabité en bonne intelligence avec le maître de Carthage ? Et ce n’est enfin, que grâce au sacrifice d’un jeune chômeur non syndiqué, brûlé par la soupape du mécontentement, que la strophe ; «Si le peuple, aspire un jour à la vie.. » de Chabbi trouva toute sa résonance. Espérons, tout de même, à nos voisins la stabilité vite retrouvée et qu’ils ne fassent pas la grosse tête de discours creux. Les épopées héroïques auront été, toujours, déboulonnées par leur effacement de mémoires versatiles. (Q.d’O.20.01.2011.)
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**Après la chute du tyran
par Akram Belkaid: Paris
« Tous les réactionnaires sont des tigres de papier », a dit un jour Mao Zedong. C’est cette citation qui m’est venue à l’esprit vendredi 14 janvier lorsque j’ai appris, ébahi, la fuite de Ben Ali. J’ai aussi pensé au jour de l’effondrement du régime de Saddam Hussein. Souvenez-vous de cette statue du zaïm traînée dans la rue par un char avec, à ses trousses, des gamins qui la savataient de leurs chaussures et mules poussiéreuses. Quelle chute ! Quel destin minable ! Quel contraste entre l’arrogance de la puissance la veille et la débandade du lendemain.
Il y a quelque chose de fascinant dans la fuite, presque toujours honteuse, d’un dictateur. Je passe rapidement sur ces villas qui ont été prises d’assaut, sur les premiers règlements de compte visant la belle-famille de Ben Ali et sur les rumeurs de vol de lingots d’or par Leila Trabelsi, la «hajama» qui voulut devenir reine. C’est surtout cette sensation de sauve-qui-peut à la nuit tombée qui est impressionnante. Que se passait-il dans la tête de Ben Ali quand il était dans l’avion et qu’on lui a annoncé que son ami Sarkozy lui refusait l’asile ? Il y a matière à littérature dans l’affaire.
Il y a aussi beaucoup à dire sur la fin du régime des Ben Ali & Trabelsi. Mais commençons d’abord par rendre hommage aux Tunisiennes et aux Tunisiens. Ils ont été épatants et admirables. Avec leur courage, ils ont forcé le respect de millions de gens à travers le monde. Ils ont démontré qu’ils n’étaient pas ces doux pacifiques tant moqués par leurs cousins algériens, si fiers de leur virilité et de leur irrédentisme supposé. Rendons hommage à Mohamed Bouazizi qui a été le premier à s’immoler par le feu le 17 décembre 2010. Son nom est à ajouter à la longue liste des grandes figures de la résistance maghrébine. Et, au passage, c’est aussi l’occasion de se souvenir que le terme fellagha a d’abord désigné les nationalistes tunisiens qui avaient pris les armes contre la puissance coloniale.
Aujourd’hui, les Tunisiens ont la possibilité de prendre leur destin en main. Ce n’est malheureusement pas le cas des Algériens. Mais cela finira par venir, c’est une évidence. Car la révolution tunisienne nous montre une nouvelle fois que les dictatures ne sont pas éternelles et qu’elles finissent tôt ou tard (souvent tard, malheureusement) par s’effondrer. Ces régimes policiers portent en eux des contradictions qui les minent de l’intérieur, comme un arbre qui pourrit silencieusement sous son écorce et qui finit par s’abattre à la grande surprise générale. Cela redonne espoir, cela montre que rien n’est inéluctable, y compris le sort actuel des Arabes en général et des Algériens en particulier.
Dans un système oppressif on ne peut se limiter à condamner celui qui ordonne l’oppression. Ben Ali n’a jamais voulu que son peuple soit libre. Il n’a jamais voulu le bien de son pays et la manière dont ses nervis ont tenté d’incendier Tunis après son départ montre qu’il mérite d’être jugé par la justice tunisienne ou même internationale. Mais il y a ses complices à commencer par ceux qui ont profité du système pour développer leurs petites et grandes affaires. A ce sujet, l’histoire retiendra que c’est peut-être la rapacité de sa belle-famille qui a provoqué la chute du tyran de Carthage. Dans un monde numérisé, tout circule. Grâce soit rendue à Wikileaks qui a confirmé aux Tunisiens ce que radio-trottoir savait déjà. J’ai lu aussi les fuites concernant l’Algérie et, comme les Tunisiens, j’ai ressenti un profond sentiment d’humiliation et de colère. Et je pense que je ne suis pas le seul.
Parlons aussi des valets serviles du système. Ce qui m’a toujours fasciné lors de mes multiples séjours en Tunisie, c’est cette dichotomie dans laquelle baignaient les élites de ce pays. Je parle surtout de ces gens qui semblaient prendre un malin plaisir à toujours s’enfoncer plus dans l’obséquiosité à l’égard du locataire du Palais de Carthage. Aujourd’hui, certains sont en fuite, d’autres terrés chez eux et les plus opportunistes tentent de prendre le train de la révolution en marche. Mais tous sont frappés par le signe indélébile du déshonneur.
Cela vaut pour ceux qui, en Algérie, nous expliquent qu’un complot se tramerait contre le pays. A chaque fois que notre société, surtout notre jeunesse, frémit et s’apprête à revendiquer sa dignité et ses libertés, c’est un concert saisissant de crécelles que l’on nous inflige.«Complot de l’étranger » rimerait donc avec aspiration à la liberté. Ce fut d’ailleurs la réaction de Ben Ali et de ses conseillers qui ont tenté de faire croire à l’implication de l’AQMI dans les émeutes. Insistons sur ce point: l’étranger malveillant, quand il existe et agit, est celui qui souhaite le statu quo en Algérie, pas l’inverse. Il est temps de le dire tranquillement : nous sommes des millions d’Algériens à souhaiter un changement politique dans notre pays. Nous avons droit à la liberté et au pluralisme. Nous avons droit à la dignité. Il n’y a aucune raison de nous en priver. Et comme pour la Tunisie, il n’y aura pas de développement pérenne de l’Algérie sans Etat de droit. Plus le temps passe et plus cette exigence va se renforcer. Parier sur le contraire, serait faire fausse route et ouvrir la voie à une inévitable fuite honteuse le jour où la colère des Algériens et des Algériennes ne pourra plus être contenue. (Le Quotidien d’Oran-20.01.2011.)
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