*réserves sur les messages attribués à Ben Laden

*ALAIN CHOUET (OFFICIER DE RENSEIGNEMENT FRANÇAIS) :«J’émets des réserves sur le message attribué à Ben Laden»

Plusieurs pays ont entrepris, lundi, de renforcer les règles de sécurité dans le secteur de l’aviation civile après l’interception de deux colis piégés en provenance du Yémen et à destination des États- Unis. La compagnie Qatar Airways a confirmé que le colis, récupéré à Dubaï, avait été acheminé à bord de l’un de ses avions de ligne de Sanaâ, la Capitale du Yémen, via Doha. La Grande-Bretagne a imputé ce complot à Al Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa). L’Allemagne a annoncé la suspension de tous ses vols passagers en provenance du Yémen. Elle envisage d’étendre sa suspension des vols de fret à d’autres pays qu’elle n’a pas désignés. Les services antiterroristes néerlandais ont interdit l’acheminement, par les airs, jusqu’aux Pays-Bas du courrier et du fret en provenance du Yémen. La France a interdit, dès samedi, le fret aérien en provenance du Yémen. Par ailleurs un colis a explosé, lundi, au siège d’une société de courrier à Athènes tandis que des artificiers de la police ont désamorcé deux autres bombes dissimulées dans des paquets, dont l’un était destiné au président français, Nicolas Sarkozy. Alain Chouet (*) revient sur les détails de cette actualité dans cet entretien qu’il accorde au Courier d’Algérie.

Le Courrier d’Algérie : Après le 11- Septembre, les États-Unis ont engagé ce qu’ils appellent une longue guerre globale contre la terreur et plus particulièrement contre Al Qaïda. Quel bilan en faites vous?

Alain Chouet : Le bilan de cette «guerre» est assez négatif et particulièrement contre-productif. Ben Laden, Ayman Zawahiri et Mollah Omar, objectifs premiers de cette guerre courent toujours. L’Afghanistan n’est pas pacifié et on commence à accepter l’idée d’un retour des Talibans au pouvoir. La violence islamique qui n’existait pas en Irak s’y est durablement implantée comme en Somalie après la piteuse expédition américaine. De la même façon, et en réaction à cette «croisade» occidentale, elle s’installe profondément au Pakistan, au Yémen, au Sahel, dans le sud-est asiatique et jusque dans les banlieues à problème des villes européennes. L’Amérique humiliée a voulu voir dans la violence djihadiste l’expression d’une armée en mouvement qu’il fallait contrer par des mesures militaires alors qu’il s’agit d’une violence idéologique contre laquelle on ne peut lutter que par des mesures politiques, économiques, sociales et culturelles.
Martin Scheinin, rapporteur spécial des Nations unies pour la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et contre le terrorisme pour la période 2005- 2008, affirme qu’Al Qaïda n’est qu’une métaphore, vous de votre côté vous indiquez, «qu’ Al Qaïda est morte sur le plan opérationnel dans les trous à rats de Tora Bora en 2002…» À la lumière des récents développements, quel regard portez-vous sur le dernier message de Ben Laden adressé tout particulièrement à la France ?

Quand on cite une phrase, il faut la citer en entier. J’ai dit : «Al Qaïda est morte sur le plan opérationnel dans les trous à rats de Tora Bora en 2002, mais avant de mourir elle a été engrossée par les erreurs stratégiques de l’Occident et elle a fait des petits». Et c’est à ces petits que nous sommes confrontés aujourd’hui. En tant que spécialiste du renseignement et pour des raisons techniques, j’émets les réserves les plus sérieuses sur l’authentification du dernier message attribué à Ben Laden. En admettant toutefois qu’il soit authentique, il signifierait alors que Ben Laden et Ayman Zawahiri en sont réduits à servir d’épouvantails et de faire valoir au profit de mouvements qu’ils ne contrôlent pas et dont les objectifs ne sont pas les leurs. Ils récupèrent au profit de leur image l’action des autres. C’est malin sur le plan de la propagande mais ce n’est pas un signe de puissance.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, une alerte terroriste mondiale a été lancée, de crainte qu’un ou plusieurs attentats soient perpétrés aux États-Unis. Les États-Unis ont été alertés par le service de renseignement britannique MI6. Il s’agit en fait de deux colis piégés venant du Yémen saisis, l’un à l’aéroport d’EastMidlands (Angleterre) et l’autre à Dubaï , lesquels selon les services de renseignement, notamment américains et britanniques, portent la signature d’Al Qaïda . Qu’en pensez-vous ?

Pour les Américains, tout acte de violence commis par un musulman «porte la signature d’Al Qaïda»… Et c’est bien pourquoi tout contestataire musulman, quelles que soient ses motivations, a bien compris qu’il fallait se réclamer d’Al Qaïda s’il voulait être pris au sérieux. De même, tous les régimes des pays musulmans ont bien compris qu’ils devaient coller l’étiquette Al Qaïda sur leurs opposants s’ils voulaient les dévaloriser et les réprimer tranquillement, au besoin avec l’aide de l’Occident. En ce qui concerne la dernière alerte, l’enquête n’en est qu’à ses débuts, mais l’opération ne paraît pas avoir été très sophistiquée ni bien préparée. D’ailleurs elle a été assez facilement déjouée. Il n’est pas évident que son auteur présumé – une femme si j’en crois la presse – fasse partie d’un réseau très structuré ni lié de façon opérationnelle à Ben Laden et à «Al Qaïda centrale». Pour différentes raisons locales, la situation au Yémen est très confuse et diverses parties tentent de déstabiliser le président Saleh en favorisant dans le pays l’expression du djihadisme wahhabite. Il ne faut donc pas s’étonner d’y voir la violence salafiste s’exprimer. Et ce ne sont pas les menaces d’intervention directe des États- Unis dans ce pays qui vont arranger les choses.
Barack Obama parle «d’une menace terroriste crédible». Partagez vous cette crainte ? Et selon vous, cette menace serait crédible par opposition à quoi ou à quelle autre ?
Depuis 2001 et les expéditions américaines en Somalie, en Afghanistan et en Irak avec leur cortège de dégâts collatéraux et de bavures, depuis l’adoption par l’administration Bush du Patriot Act qui fait implicitement de tout arabe et de tout musulman un suspect potentiel de terrorisme, la menace de réactions violentes est évidemment permanente et crédible. La stratégie des Frères Musulmans et de leur bras armé que sont les Jamaâ Islamiyah – dont Al Qaïda n’est que l’une des nombreuses expressions – est de rendre le monde musulman haineux et haïssable vis à vis du reste de la planète de façon à y prendre le pouvoir sans que personne ne songe à intervenir. Les États-Unis se prêtent avec complaisance à ce jeu et, en ce sens, même si Ben Laden n’est plus qu’un ectoplasme réfugié dans une grotte, c’est lui qui gagne la «guerre à la terreur».
Le renseignement américain soupçonne Al Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa). «Nous allons continuer à renforcer notre coopération avec le gouvernement Yéménite, à déjouer de nouveaux attentats d’Aqpa et à détruire cette branche d’Al Qaïda», a promis Barack Obama. Le Yémen au même titre que la Somalie serait dans le collimateur ?

Il faudrait d’abord savoir ce qu’est exactement l’Aqpa au delà de la personnalité de son chef autoproclamé qu’est Monsieur Al-Awlaqi, bi-national yéménite et américain. Il faudrait aussi savoir qui l’inspire, qui le soutient et qui le finance. Espérons que la coopération américanoyéménite permettra d’éclaircir ces points. Mais le Yémen reste un pays fragile où l’État n’a jamais étendu son contrôle sur l’ensemble du territoire. On ne peut qu’espérer que les États-Unis ne céderont pas à la tentation d’une intervention directe qui a toutes les chances de se terminer comme en Somalie, en Afghanistan ou en Irak. (Le Courrier d’Algérie-03.11.2010.)

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