*L’histoire coloniale de l’Algérie

*BENJAMIN STORA À CONSTANTINE
«L’Algérie demeure un passé non digéré»
 On n’a pas fini le travail d’apaisement. C’est pourquoi, il faut la raconter en évitant de juger, mais en tentant de serrer la vérité au plus près.

Il a quitté la ville, qui l’a vu naître et grandir, en 1962, il est revenu en 1983, puis, plus rien. Mais la flamme de la ville des Ponts suspendus est restée vivace chez ce pied-noir pas comme les autres.
Benjamin Stora n’est pas à présenter. Il est considéré par de nombreux intellectuels et décideurs des deux côtés de la Méditerranée, comme une référence dans le domaine de l’écriture de l’histoire coloniale de l’Algérie. Il est en train de jeter des passerelles entre les deux rives que les incompréhensions, les malentendus et une arrogance colonialiste persistante continuent de séparer.
Mercredi dernier, à l’occasion de la conférence qu’il a animée au Centre culturel français de Constantine, il est parvenu à effacer une frustration personnelle, en y venant exposer son travail au débat public. «Incroyable, cette histoire! Je suis venu à Constantine en 1983; à cette époque, je travaillais sur Messali et cette figure était mise en retrait», a-t-il expliqué.
Sans qu’il ne le dise, ce serait par rapport à cette question jugée «sensible» par Alger, durant trois décennies environ, qu’il aurait été gentiment «reconduit». «J’ai quitté l’Algérie à l’âge de douze ans. J’ai traversé la guerre comme un enfant et pourtant, certains n’ont pas manqué de dire que j’étais l’avocat du FLN pendant la guerre», a-t-il ironisé, avant de poursuivre: «J’ai animé beaucoup de conférences en Algérie et c’est la première fois que je le fais dans la ville où je suis né. C’est quand même incroyable!» Les années 1990, terribles, tragiques et sanglantes avaient condamné l’historien à un retrait forcé.
Ce n’est qu’avec le début des années 2000, qu’il retrouve avec beaucoup d’enthousiasme un pays enfin apaisé et où il est possible de travailler. Contrairement à Alger où une certaine pression a imprégné les débats, à Constantine, la conférence s’est déroulée dans une ambiance studieuse et l’auteur a eu toute la latitude d’évoquer son travail, les contraintes rencontrées et les objectifs. Tout en consacrant une bonne partie de la conférence à son dernier livre et à Mitterrand, il a parlé du problème des sources et de la difficulté d’accéder aux archives. «Les archives. Elles sont très difficiles d’accès concernant cette période.
Nous avons d’ailleurs trouvé très peu de choses sur le fonctionnement même du ministère de la Justice de 1956 à 1957», souligne François Malye, le co-auteur de «François Mitterrand et la guerre d’Algérie» dans la dernière édition du Point.
Benjamin Stora, qui partage certainement l’avis de son collaborateur lorsque ce dernier estime que «l’Algérie demeure un passé non digéré. Cette histoire demeure l’otage de différents lobbys. On n’a pas fini le travail d’apaisement. C’est pourquoi, il faut la raconter en évitant de juger, mais en tentant de serrer la vérité au plus près», a, bien sûr, évoqué les guillotinés, les milliers de disparus, dans la région de Khenchela et durant la bataille d’Alger entre autres, mais en adoptant scrupuleusement une attitude loin de toute idéologie.
C’est possible que ce soit une démarche globalement positive, mais elle demeurera insuffisante tant que les historiens et les témoins-clés algériens qui demeurent en vie ne se manifestent pas de façon déterminante.
Docteur en sociologie, docteur d’Etat en histoire, membre de plusieurs institutions académiques et auteur d’une trentaine d’ouvrages dont le dernier intitulé François Mitterrand et la guerre d’Algérie et cosigné avec un journaliste de l’hebdomadaire français Le Point, Benjamin Stora fait un travail de mémoire considérable. (L’Expression-05.11.2010.) 

*****************

**Pourquoi France Télévisions s’intéresse à la Guerre d’Algérie

Depuis la nomination de Rémy Pflimlin, France Télévisions est devenue la vitrine de la mémoire historique de la Guerre d’Algérie. Le nouveau P-DG de la chaîne publique française a programmé en quatre mois plus de huit documentaires et fictions sur le thème de la Guerre d’Algérie: les harkis, la guerre entre le MNA et le FLN, le 8 mai 45, Mitterrand et la Guerre d’Algérie, De Gaulle,
Le Pen, la torture et Indigènes. Cet intérêt soudain de France Télévisions pour la Guerre d’Algérie n’est pas un hasard, il traduit une volonté et une touche personnelles du nouveau responsable de la chaîne publique. Cette nouvelle tendance se confirme aussi par la remise du prix Roman de France Télévisions à Ferrari pour son roman sur la Guerre d’Algérie «Où j’ai laissé mon âme» qui retrace le destin de trois hommes au cours de la Guerre d’Algérie. La première sélection, forte de six ouvrages, avait été effectuée par un jury présidé par le journaliste Olivier Barrot et composé des animateurs et journalistes «spécialistes» de la littérature de France Télévisions, mais l’influence du nouveau responsable de celle-ci n’est pas à écarter. Il faut dire que le nouveau patron de France Télévisions, connaît assez bien l’histoire douloureuse entre l’Algérie et la France et la guerre de 7 ans qui a marqué les deux pays. Son oncle Pierre Pflimlin, avocat, homme politique démocrate-chrétien, ancien ministre français, ancien maire de Strasbourg et ancien président du Parlement européen, était un ami très proche de Abane Ramdane. Selon les révélations récentes d’un moudjahid, c’est à cause de sa relation avec Pflimlin, que Abane Ramdane fut assassiné. Quelques jours après la mort de Abane, Pierre Pflimlin est investi le 13 mai 1957 comme président du Conseil de la IVe République, mais le 28 mai suivant, devant la menace de guerre civile en France, il préféra remettre sa démission. C’est ainsi que la famille Pflimlin garda un souvenir douloureux de la Guerre d’Algérie, connaissant à la fois les secrets de la République française et les tensions internes au sein du FLN. Le nouveau P-DG de France Télévisions était également devenu depuis, un proche du secrétaire général à l’Elysée, Jean-Claude Guéant, grand connaisseur des relations entre l’Algérie et la France. C’est lui-même qui a favorisé sa nomination auprès de Sarkozy. Rémy Pflimlin était déjà catapulté directeur de France 3 entre 1999 et 2005, ancien de HEC, il est issu de la presse régionale (Les dernières nouvelles d’Alsace), il fut nommé à ce poste car Marc Tessier, qui a débarqué comme président de France Télévisions, cherchait «un régional» pour diriger France 3. Catherine Trautmann, la ministre socialiste de la Culture et de la Communication, à l’époque ancienne et maire de Strasbourg, (une ville chère à la famille Pflimlin), a soutenu également le nom de Rémy pour le poste de P-DG de la puissante chaîne publique. Selon le livre de Marc Endeweld, France Télévisions est écartelée entre sa tutelle budgétaire, le ministère des Finances et du Budget, sa tutelle organisationnelle, le ministère de la Culture et les intérêts à court terme dans le pouvoir, l’Elysée et Matignon. Mais on peut rajouter l’implication de la mémoire vivante de l’histoire commune entre l’Algérie et la France, qui ne cessera pas de revenir au petit écran durant les mois et les années à venir.(L’Expression-06.11.2010.) 

 **********************

*

LA GUERRE D’ALGERIE DANS LE ROMAN FRANÇAIS

Jérôme Ferrari : “J’avais peur que le texte soit reçu à travers le prisme simplificateur des oppositions idéologiques”

Dans cet entretien, l’auteur de  « Où j’ai laissé mon âme »  revient sur l’élaboration de son roman qui s’intéresse à la guerre d’Algérie ainsi qu’à l’usage de la torture dans celle-ci, tout en évoquant son écriture, ses thèmes de prédilection ainsi que les questionnements qui le traversent en tant qu’écrivain.

Liberté : Dans Où j’ai laissé mon âme, on ne peut pas réellement affirmer que vous êtes passé de la philosophie à la littérature. On est en plein dans la philosophie. D’ailleurs, dans un des quatre monologues d’Andreani, on lit que “le corps est tombeau” ; ce qui rappelle l’aphorisme de Platon : “Le corps est le tombeau de l’âme”…
**En fait, on ne peut pas affirmer que je suis passé de la philosophie à la littérature, parce que je n’ai jamais rien produit en philosophie. Je ne pense pas que la littérature se distingue de la philosophie par ses thèmes mais par la façon dont elle les met en forme : elle ne dispose pas des mêmes outils, mais elle puise dans le même chaos. Et on peut très bien utiliser une citation philosophique d’une façon purement littéraire. Tous les philosophes ne le permettent pas, bien sûr, mais on trouve chez Platon, par exemple, ou chez Nietzsche et Schopenhauer, des expressions extraordinairement poétiques qu’on peut saisir intuitivement.

Faussement interrogatif, très ironique, le titre de votre roman est largement suggestif. Vous proposez de (re)chercher l’âme au milieu du chaos. Un paradoxe ou une envie de saisir la complexité ?
**J’aime qu’un titre de roman soit polysémique. Le titre s’applique évidemment en premier lieu au capitaine Degorce mais peut-être le lecteur peut-il finir par envisager qu’il renvoie au lieutenant Andreani et, finalement, à tous les personnages.

Vous avez déclaré lors de votre rencontre, en février dernier au CCF d’Alger, que le déclic pour écrire ce roman a été le documentaire l’Ennemi intime, de Patrick Rotman, mais que si vous n’aviez pas vécu en Algérie, vous n’auriez jamais osé l’écrire. Pourquoi ?
**Le documentaire de Patrick Rotman m’aurait, quoi qu’il en soit, particulièrement bouleversé. Mais je n’aurais pas pu construire un roman sans mon expérience algérienne. Il faut pouvoir parler de ce qui est étranger, bien sûr, et j’ignore tout de la guerre, mais, en même temps, il faut que cet étranger devienne intime. Pour moi, ce n’est possible que si j’arrive à le rattacher à une expérience qui a réellement été la mienne. C’est pourquoi je voulais absolument parler de l’Algérie contemporaine dans le roman. Et j’avais besoin qu’Alger ne soit pas un décor. Je ne peux pas écrire à partir de guides touristiques. J’ai besoin de connaître la couleur du ciel, la nature particulière de la chaleur et de l’humidité, le visage des gens. Ce n’est pas seulement une exigence psychologique : je crois que le roman y gagne en justesse.

Vous y allez sans retenue sur le chapitre de la torture. Est-ce parce que le sujet ne vous concerne pas directement, et que vous êtes né après cette guerre, que vous avez pu en parler si “ouvertement” ?
**Je parle ouvertement de la torture mais de manière bien moins détaillée que les témoins du documentaire de Rotman. Je ne perds jamais de vue que les mots ont un sens, qu’ils renvoient vers une réalité, en l’occurrence une réalité atroce qui ne doit pas servir de prétexte à faire des jolies phrases et avec laquelle on n’a pas le droit de faire le malin. Peut-être que la distance est un atout, mais dans mon travail, je ne l’ai pas vu comme ça. Elle m’est plutôt apparu comme un problème. Comment pourrais-je parler de quelque chose que je ne pouvais même pas me figurer avec précision ?

La figure du héros a été contestée, en littérature, il y a bien longtemps, pourtant vous nous proposez de véritables héros tragiques, notamment avec Tahar (personnage inspiré du révolutionnaire Larbi Ben M’Hidi). Tahar connaît très bien son destin… funeste, et malgré cela, il continue à croire. Pourquoi l’usage du héros tragique ?
**Pour moi, tous les personnages du roman, et pas seulement Tahar, ont une dimension tragique, au sens propre du terme : ils sont pris au piège de leur liberté et il n’y a rien qu’ils puissent faire pour échapper à leur culpabilité. Dans ce sens, c’est Tahar qui est le moins tragique parce que, quoi qu’il ait pu faire et ordonner, il est en paix avec lui-même. C’est d’ailleurs ce qui fascine le capitaine Degorce.

Vos personnages (surtout le capitaine Degorce) sont très croyants, pourtant ils commettent parfois l’innommable qu’ils expliquent avec un discours logique. La logique est-elle un danger pour l’homme ?
**Je n’aime pas beaucoup tenir des propos trop généraux. La logique tient dans le roman un rôle précis : elle justifie aux yeux de Degorce, avec une cohérence redoutable, quelque chose qu’il est à la fois incapable d’accepter et de refuser – l’usage de la torture. Il est, à mes yeux, très symptomatique que le général de la Bollardière ait refusé la torture pour des questions de principe, sans accepter de rentrer dans une discussion sur son efficacité et sa nécessité. La grandeur de ce refus, c’est justement qu’il ne s’occupe pas de ce qui est logique et de ce qui ne l’est pas.

Dans ce livre, on se sent, en tant que lecteur, enfermé dans le passé et le présent. On est coincé dans les ténèbres. Il n’y a pas de futur, il n’y a pas d’avenir, et c’est comme s’il n’y avait pas de perspectives. Pourquoi ? Est-ce parce que le débat demeure ouvert ?
**L’absence de futur est d’abord une nécessité narrative : quand on écrit à cinquante ans de distance, c’est-à-dire depuis le futur des personnages, le risque est grand d’intégrer au récit, sans le savoir, des remarques ou des jugements anachroniques. Mais nous vivons au présent. Nous ne savons pas comment les choses finissent par tourner. Cela, nous ne l’apprenons que rétrospectivement. Le capitaine Degorce ignore ce qui se passera après mars 1957. Les problèmes qui se posent à lui ne peuvent pas être éclairés par les réponses que leur apportera le futur. Il est prisonnier du présent, comme nous le sommes tous, d’ailleurs.

Dans un entretien que nous a accordé, il y a quelques mois, Laurent Mauvignier, qui a également écrit sur la guerre d’Algérie (Des Hommes), il nous dit que “la France n’a pas su, pas pu, pas vu, ou pas même trouvé, comment parler de la décolonisation”. Qu’en pensez-vous ?
**Laurent Mauvignier a raison. Nous sommes empêtrés dans des débats moralistes et partisans insupportables d’où la prise en compte de la complexité du monde est exclue. Des hommes ne parle pas de la décolonisation en général. C’est un roman, un grand roman, qui ne s’intéresse, par définition, qu’à une réalité partielle et fragmentaire : mais c’est ça la force du roman, c’est ça qui lui permet de saisir la complexité à jamais inaccessible aux discours généraux et globalisants. À la sortie de Où j’ai laissé mon âme, j’avais peur que le texte soit reçu à travers le prisme simplificateur des oppositions idéologiques. Ça n’a pas été le cas en France et, ce dont je suis particulièrement heureux, ça n’a pas été le cas en Algérie.

Vous avez opté pour un narrateur omniscient lorsque vous décriviez les trois jours de mars 1957. C’est récurrent chez vous ou alors est-ce parce que ceci convient au thème que vous développiez dans ce livre ?
**Seuls les chapitres qui décrivent les trois jours de mars 57 utilisent un narrateur omniscient. Mais c’est davantage une nécessité qu’un choix. Degorce est un personnage sans voix. Il ne parle que pour les nécessités du service mais il est incapable de parler à sa femme ou à Dieu. Il était donc exclu qu’il puisse être le narrateur. Du coup, la troisième personne s’imposait. Et je crois qu’elle permet aussi d’introduire une distance froide et méticuleuse dont j’avais besoin dans ces chapitres pour les opposer aux monologues d’Andreani.

Comment qualifieriez-vous votre roman ?
J’ai un très, très gros faible pour le mysticisme : c’est donc une qualification qui me convient tout particulièrement !

**Où j’ai laissé mon âme, de Jérôme Ferrari, roman, 156 pages, éditions Barzakh (coédition avec Actes Sud), Algérie, janvier 2011. 500 DA.

*************** 

**Bio express**
l Jérôme Ferrari est né en 1968 à Paris. Agrégé de philosophie, il enseigne cette discipline depuis plusieurs années. Entre 2003 et 2007, il a vécu en Algérie où il a enseignait la philosophie au Lycée international d’Alger. Auteur prolixe, Jérôme Ferrari a entamé sa carrière littéraire en 2001 avec la publication d’un recueil de nouvelles Variété de la mort. Suivront plusieurs romans, notamment Dans le secret (2007), Balco Atlantico (2008), Un Dieu un Animal (2009), et dernièrement, en août 2010, Où j’ai laissé mon âme, qui est sorti en Algérie au début de cette année. Plusieurs fois primé, Jérôme Ferrari a reçu le prix France Télévisions 2010 pour ce dernier roman qui s’intéresse à la guerre d’Algérie. (Liberté-31.03.2011.)

****************

3 réponses à “*L’histoire coloniale de l’Algérie”

  1. 7 08 2011
    fieldrunners hd (22:57:47) :

    I agree with your *L’histoire coloniale de l’Algérie at ElAyam.5, superb post.

    Répondre

  2. 7 11 2011
    a4847025 (17:09:13) :

    I’ve said that least 4847025 times. The problem this like that is they are just too compilcated for the average bird, if you know what I mean

    Répondre

  3. 9 08 2015
    Vincennes Bijoux (12:36:41) :

    Top récit ! Une parenthèse pour vous montrer le site d’un magasin en France à Vincennes de bijoux fantaisie.

    https://bijouxtutti.wordpress.com

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>




humain, trop humain! |
ACTUBUZZ BY GBA |
Quoi de neuf Cerise? |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | ActuBlog etc...
| Badro
| ENTV, une Pose Café