L’enseignement de la langue arabe en France
10032011**En France, les élèves apprennent l’arabe par cohérence identitaire et ambition professionnelle. Ils étudient l’arabe au lycée et rêvent de « travailler à Dubaï »
**En France, 6 000 élèves seulement du secondaire, ont opté pour la langue arabe
Photo : Sonia, élève de première, dans son cours d’arabe au lycée Montgrand, à Marseille, fin février 2011 ; Zina Chamla, professeure d’arabe, dans sa classe du lycée Montgrand à Marseille, fin février 2011 ; Sonia dans son cours d’arabe au lycée Montgrand
* La langue est pour eux un lien entre les deux rives de la Méditerranée
(De Marseille) « Yala ya chebab ! » Il est 8 heures, Zina Chamla, professeure d’arabe au lycée Montgrand, dans le centre-ville de Marseille, invite les élèves à entrer dans sa salle. Dans l’établissement, ils sont 108 à avoir fait ce choix. En France, 6 000 dans le secondaire seulement.Dans le couloir, c’est la pagaille. Dans la classe de madame Chamla aussi, mais ce qui émane du lieu est avant tout une remarquable bonne humeur. Six terminales LV2 (deuxième langue vivante) prennent place sur les chaises alignées en face du tableau noir. Sur l’un des bureaux, un mot griffonné en vitesse au blanco attire l’attention : « Vive l’Algérie et vive la France. »A Montgrand, sur les 108 élèves qui ont choisi d’apprendre cette langue, deux seulement ne sont pas d’origine arabe. Nés en France ou de l’autre côté de la Méditerranée, ils ont en commun le souhait de préserver une culture qui leur est chère. La langue est pour eux un lien entre les deux rives de la Grande Bleue. Kawter, 16 ans, apprend l’arabe depuis la seconde. Née en Algérie, elle n’était pourtant pas débutante : « Je suis arrivée en France à dix ans, je sais parler le dialecte algérien. Mais je voulais apprendre l’arabe littéraire, qui est plus utilisé à la télévision. Et puis c’est une langue que j’aime, j’ai vécu une partie de mon enfance en Algérie… »Aînée d’une fratrie de deux sœurs et deux frères, Kawter est la première de sa famille à avoir fait ce choix, seule. Elle précise : « Mes parents, ils aiment bien que j’apprenne l’arabe. » La relation avec les parents est importante. Nadia, en seconde, a aussi choisi l’arabe en LV2. La jeune fille a vécu quatre ans en Algérie : « Mes parents savent lire et parler l’arabe, j’avais donc envie d’apprendre. C’est un peu pour eux que je le fais. Mais c’est aussi pour moi, ils ne m’ont jamais obligée. » « Aider les jeunes à progresser dans leur quête d’identité »
C’est l’heure du repas. Attablée devant son plateau de cantine, l’adolescente remuante plaisante avec sa copine Berthe, d’origine tunisienne. Entre deux éclats de rire, elles rivalisent d’anecdotes sur le « bled », où on se rend l’été, où on ne parle qu’arabe. Elles évoquent la chaleur écrasante, les « mecs qui sont fous quand ils croisent une fille », mais aussi la famille et les bons moments qu’on passe avec elle. « Le bled, c’est bien quand même », lance Nadia.
Pour Zina Chamla, leur professeure, ce n’est pas tant la langue qui intéresse ses élèves, mais l’univers qu’elle évoque. C’est un prisme par lequel les lycéens approfondissent leur connaissance du monde arabe. A l’aide des textes qu’elle donne à étudier, la professeure entend contribuer à cette découverte.
Quand elle fait travailler ses élèves sur le cinéma arabe, la classe réagit. Noureddine prend la parole : « En Algérie, à la télévision, les scènes d’amour sont souvent proscrites. »
L’occasion pour la prof de présenter Youssef Chahine, acteur égyptien chrétien, qui a joué des scènes osées. Cette découverte est une nécessité pour la professeure : « C’est normal de mettre les jeunes en contact avec leur langue et leur culture, ça les aide à se positionner dans la société, car ils progressent dans leur quête d’identité. »
Car le besoin d’être compétent dans chacun des deux pays est grand. Selma, en seconde, a toujours parlé le français avec ses parents, tunisiens. Aujourd’hui, elle ressent la nécessité de maîtriser l’arabe : « C’est pour être sur un pied d’égalité avec ma famille qui est en Tunisie, pour montrer qu’une fille de France peut parler arabe. »
« C’était juste pour entrer au lycée »
Il est 15 heures, la classe des « terribles » arrive. Une vingtaine de seconde LV3 arabe déboulent dans la salle de madame Chamla.
Si la plupart des élèves entretiennent un lien étroit avec le monde arabe, ils ne sont pas nombreux à avoir déjà acquis les bases de la langue. Sarah, Kabyle, n’en « parle pas un mot ». Yasmina, Comorienne, savait déjà les lire « mais ne comprenait rien à leur sens ».
Parmi eux, une adolescente aux yeux bleus et à la peau claire se détache du groupe. Diana, d’origine roumaine, a elle aussi choisi arabe comme troisième langue. Pour les mêmes raisons que la plupart de ses camarades de classe, issus des quartiers populaires de Marseille : « Mon lycée de secteur n’a pas de bons résultats. Pour être acceptée à Montgrand, je devais choisir entre le portugais, l’allemand et l’arabe. Tous mes copains sont arabes, j’ai donc opté pour cette langue. »
Comme les trois-quarts de la classe, Diana ne compte pas persévérer à la rentrée prochaine : « C’était juste pour entrer au lycée. C’est très dur, je préfère me concentrer sur les autres matières. »
L’arabe est donc aussi une stratégie. Certains le choisissent pour intégrer un bon lycée, d’autres pour ajouter quelques points à leur moyenne générale.
Noureddine a vécu en Algérie pendant six ans et étudie l’arabe depuis le collège. Elève sérieux, il avoue : « C’est aussi un moyen d’avoir des bonnes notes. »
Après Thiers, autre établissement réputé du centre-ville marseillais, Montgrand est le lycée qui accepte le plus de dérogations. Le proviseur, monsieur Gillet, regrette que la langue n’intéresse pas davantage d’élèves étrangers au monde arabe : « Nous souhaitons qu’il y ait davantage de mixité, mais nous ne pouvons pas aller partout. On porte déjà la bonne parole auprès de 38 collèges. »
Un constat qu’a également établi Moktar El Gourari, professeur d’arabe à Lyon et membre de l’association des professeurs de langues vivantes (APLV) : « Seulement 5% environ des lycéens qui étudient l’arabe n’ont pas un lien familial avec cette aire culturelle. »
« Pour comprendre le Coran »…
Vendredi, veille des vacances. L’ambiance est très détendue dans la classe de madame Chamla. La professeure a autorisé les élèves à organiser un goûter. Assise sur sa chaise, elle fredonne une chanson de Marcel Khalife, dont la voix s’échappe d’un magnétophone sorti pour l’occasion. Dans un coin de la salle, un groupe de jeunes filles se maquillent. Un autre écoute le Coran sur un lecteur MP3. Myriam, élève malicieuse et active, affirme :
« C’est aussi pour pouvoir comprendre le Coran que je souhaitais apprendre l’arabe littéraire. Toute notre religion [l'islam, ndlr] est basée sur ce texte, c’est grave qu’un musulman ne puisse pas déchiffrer ce qui est écrit dans ce livre. »
Pourquoi apprendre l’arabe ? Pas facile de répondre à cette question quand on a 15 ans. Pourtant, derrière les regards surpris de certains et les explications argumentées d’autres, une tendance apparaît : tous ont le sentiment que la maîtrise de la langue sera un atout professionnel.
Originaire de Constantine en Algérie, Rym-Malek vit en France depuis un an et demi. La jeune fille, qui se destine à une carrière dans la santé, affirme : « J’ai choisi l’arabe en LV2 car j’avais peur d’oublier ma langue. Mais c’est forcément un plus sur un CV. L’arabe, c’est une richesse, un trésor pour moi. »
Il y a une raison à cela : parmi les arabisants de Montgrand, beaucoup tournent la tête vers l’est : leur Graal, ce n’est ni la France ni les Etats-Unis, c’est le Golfe persique.
Zina Chamla acquiesce : « Quand on organise des voyages scolaires, les élèves nous disent : “Madame, et si on partait à Dubaï ? ” »
Dans le laboratoire de langue, Ryma présente un texte à l’oral. Dans quelques mois, la lycéenne se présentera au baccalauréat avec l’arabe en première langue. Un passage obligé pour elle : « Je veux finir mes études dans le monde arabe. J’ai envie d’aller à Dubaï, là-bas, c’est développé c’est moderne. Mes cousins y habitent, ils ont décroché de bons métiers. »
Quand ils parlent de l’Arabie saoudite, du Qatar ou de Dubaï, les jeunes de Montgrand ont des étoiles dans les yeux. Ces pays représentent des destinations où « on est mieux payé qu’en France », où « il est plus facile de réussir ». C’est le rêve arabe. (Rue89-09.03.2011.)
**l’arabe en France** histoire et mathématiques en arabe
Luc Châtel, ministre français de l’Education nationale, s’est engagé à renforcer l’enseignement de l’arabe à la rentrée prochaine.
Des classes orientales, où les élèves suivent des cours d’histoire et de mathématiques en arabe, devraient être créées.
Le nombre de lycées proposant l’arabe restent rares. Le problème numéro un reste la formation des professeurs : depuis 2004, les postes au Capes et à l’agrégation ont été divisés par quatre. Ces concours ne sont ouverts qu’un an sur deux.
Rachida Dumas, inspectrice d’arabe, ajoute : « On nous a promis que le Capes serait de nouveau ouvert en 2012. »
Selon elle, l’autre problème reste la perception de la langue : « Elle souffre d’une mauvaise image, nous menons un travail de longue haleine. Il y a de plus en plus de chefs d’établissements qui demandent à créer des classes d’arabe. »
Moktar El Gourari, de l’APLV, tempère : « Il y a encore des résistances de la part des équipes pédagogiques : accueillir des lycéens d’origine maghrébine est encore perçu comme un risque de troubles. »
**Montgrand, le lycée des arabophones**
Le lycée Montgrand, autrefois réservé aux jeunes filles, est historiquement l’établissement marseillais d’enseignement de la langue arabe. « Les garçons allaient au lycée Thiers, à deux pas d’ici, les filles à Montgrand », se souvient Zina Chamla, elle-même ancienne élève. Les commerçants bourgeois du quartier, qui disposaient de comptoirs dans les colonies du Maghreb, y envoyaient leurs enfants. A présent, il est le lycée que les immigrés en provenance d’Afrique du Nord souhaitent intégrer en priorité.
« D’un établissement à l’autre, les origines et les motivations des élèves qui apprennent la langue sont différentes. Dans le sud de Marseille, environ 50% d’entre eux n’ont pas de lien avec le monde arabe.
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Catégories : actualité, culture, société
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