Scandales sexuels: Berlusconi en mauvaise passe
24012011*Sexe et mensonge. Silvio Berlusconi mis en cause par la justice
A 74 ans, Silvio Berlusconi est mis en cause par la justice, qui a enquêté, notamment, sur ses liens avec une prostituée mineure.
Une bibliothèque blanche en toile de fond. En bas de l’écran, on aperçoit la photo d’un enfant – son petit-fils – qu’il tient par la main. Comment les téléspectateurs à qui Silvio Berlusconi s’adresse, ce dimanche soir 16 janvier, pour rejeter les accusations «d’incitation de mineure à la prostitution» et «d’abus de fonction», pourraient-ils imaginer ce paisible grand-père de 74 ans en sultan jouisseur et corrupteur? Toute la journée, dans sa somptueuse villa San Martino, à Arcore, aux portes de Milan, il a débattu avec ses avocats de la stratégie à mettre en œuvre pour contrer les magistrats du parquet de Milan. Ceux-ci affirment disposer «d’amples éléments de preuve» attestant qu’un «nombre significatif de jeunes femmes se sont prostituées avec Silvio Berlusconi dans ses résidences en échange du versement de sommes d’argent».
La décision est vite prise. Nier. Repousser les évidences. Dénoncer un «complot des juges». Comme en mai 2009, quand il s’est fait «pincer» à l’anniversaire de Noemi Letizia, qui fêtait ses 18 ans. Comme lorsque la call-girl Patrizzia D’Addario a révélé, à l’été 2009, qu’elle possédait des enregistrements où il lui disait d’aller l’«attendre dans le lit de Poutine» – un lit offert par le premier ministre russe.
A chaque fois, Silvio Berlusconi est venu à bout de la curiosité de l’opinion par des explications oiseuses. Et des accès de mâle vanité: «Mieux vaut aimer les belles femmes qu’être gay.» Beaucoup d’Italiens ont pensé comme lui.
Cette fois, l’affaire est plus grave. Même le prudent Parti démocrate (centre gauche) réclame sa «démission» pour «sauver l’Italie». Dans les couloirs du Vatican, le désarroi est visible. Les évêques exigent «une clarification». Le président de la République, Giorgio Napolitano, évoque «le trouble» des Italiens. «Je ne finirai pas comme Craxi», répète Berlusconi à ses interlocuteurs, évoquant l’ancien président du conseil italien poursuivi pour corruption, condamné par contumace, et mort en exil, à Tunis, en 2000.
*L’affaire est grave
L’affaire est grave, plus grave que les procès pour corruption de témoin et fraude dans lesquels il est poursuivi par le tribunal de Milan. «Le sexe, tout le monde comprend. C’est universel», se désole un député. Celle qui fait trembler Silvio Berlusconi et les institutions italiennes s’appelle Karima El-Mahroug, dite Ruby «la voleuse de cœurs». Fille d’immigrés marocains vivants en Sicile, pauvre, elle a 16 ans quand elle se rend pour la première fois à Arcore. 17 quand elle est interpellée pour vol, en mai 2010, par les policiers de Milan. Averti de son arrestation, Berlusconi panique. Téléphone lui-même au commissariat central pour faire relâcher la jeune fille, en expliquant qu’elle «est la nièce de Moubarak». Son chauffeur et son officier de sécurité font pression sur la juge de permanence, qui, ce jour, recevra une quinzaine de coups de téléphone.
Ce dimanche 16 janvier, Silvio Berlusconi rabâche, l’air de ne pas y croire, les deux feuillets de son intervention posés bien à plat sur son bureau: «Je n’ai jamais payé pour fréquenter une femme». Puis il abat une dernière carte: «J’ai une relation stable avec une femme, qui n’aurait certainement pas accepté que se produisent, pendant des dîners ou par la suite, les faits absurdes relatés par les journaux.»
Ce que disent les journaux? Il suffit d’attendre le lundi pour en découvrir les détails tirés du «rapport de preuves» compilé par les enquêteurs milanais. Les écoutes téléphoniques contredisent les aveux de Ruby («Je ne suis allée qu’une seule fois à Arcore») et les dénégations du chef du gouvernement («Je ne savais pas qu’elle était mineure»). Les appels passés depuis le téléphone portable de Ruby permettent d’établir la présence de la jeune fille à douze reprises dans la villa San Martino entre février et mai 2010, date de son arrestation. Ses amies parlent. Caterina: «Ruby disait être très amie avec le président du conseil, qu’elle allait souvent chez lui, où elle dînait, dansait et faisait l’amour avec lui et qu’il lui donnait beaucoup d’argent.»
*RUBY : «J’ai dit beaucoup de choses – aux juges – mais j’en ai caché tant d’autres»
Elle parle beaucoup, Ruby. «J’ai dit beaucoup de choses – aux juges – mais j’en ai caché tant d’autres», explique-t-elle à une amie. Une autre fois, dans une conversation avec son père: «Je suis avec l’avocat pour trouver une solution, lui raconte-t-elle. Silvio a affirmé à l’avocat: «Dis à Ruby que je paierai le prix qu’elle voudra. L’important est qu’elle se taise, qu’elle nie, qu’elle joue la folle pourvu qu’on n’ait jamais vu une fille de 17 ans chez moi.»
Le prix de son silence? Ruby le fixe à 6 millions d’euros. «Il – Silvio Berlusconi – m’a appelée et m’a dit: «Je te donne tout l’argent que tu veux, je te couvre d’or.» Tu te rends compte, raconte-t-elle à une interlocutrice, il va changer ma vie. Réponds-moi franchement, qu’est-ce que tu ferais si on te mettait 6 millions d’euros entre les mains?…»
C’est un véritable système que les magistrats du parquet de Milan ont mis au jour. Un système de prostitution classique avec rabatteurs, comptable et mère maquerelle. Tous aux petits soins pour offrir de la chair fraîche au satrape. Silvio Berlusconi veut des filles nouvelles chaque jour ou presque. Ses moyens sont illimités. Il a non seulement l’argent pour payer 5000 euros la présence de chacune d’entre elles, le pouvoir pour les protéger, mais il peut encore leur faire miroiter un petit rôle, voire une carrière dans une de ses trois chaînes de télévision.
A la base de cette organisation, on trouve deux des collaborateurs les plus proches de Silvio Berlusconi, Dario Mora, dit «Lele», 55 ans, impresario, et Emilio Fede, 79 ans, directeur et présentateur du journal télévisé de Rete 4, une des chaînes du président du Conseil. Ils connaissent les vices du patron, ont l’œil pour découvrir celle qui lui donnera l’illusion de son charme. En témoigne un échange téléphonique, intercepté par les enquêteurs, entre «Lele» Mora et Roberta, une nouvelle recrue. Mora: «Tu vas être l’infirmière officielle.» Roberta: «C’est aussi ce qu’il m’a dit». Mora: «Prends avec toi un tensiomètre et une blouse», Roberta: «Avec rien dessous, évidemment». Mora: «Oui, et avec des bas blancs.» Roberta: «Je lui fais une visite privée pour m’assurer de son état de santé? Je l’ai déjà fait hier soir». Mora: «Je te prévois un grand avenir, mon amour.»
* «J’ai pris 5000 euros et toi?» «Moi je n’ai eu qu’un bracelet en or avec un diamant
La «mère maquerelle», c’est Nicole Minetti. Quelques apparitions à la télévision, un diplôme d’hygiéniste dentaire, la rencontre avec Silvio Berlusconi en décembre 2009, après l’agression dont il a été victime, et la voilà propulsée conseillère régionale de Lombardie. Son rôle? Veiller sur les filles, écarter les vulgaires et les faiseuses d’ennuis, loger les favorites, briefer les nouvelles. A une recrue, elle explique: «Tu vas en voir de toutes les couleurs, là-bas. Il y a des gens pour qui c’est l’occasion de leur vie. Il y a des putes, des filles qui parlent à peine italien, des filles normales. Si ça te plaît pas, tu prends un taxi et tu te casses.»
Elles sont une dizaine à vivre au 65 de la via Olgettina, dans le quartier de Milano 2, construit par Silvio Berlusconi dans les années 1980. Elles ne payent ni loyer, ni téléphone, ni électricité. Dans leurs trois-pièces, elles attendent le coup de téléphone qui les fera débarquer à Arcore, où elles entrent comme dans un moulin, à bord de voitures aux vitres fumées. Commence alors le rituel des soirées que les habitués appellent «bunga bunga». Trois ou quatre hommes, une vingtaine de filles, c’est la proportion idéale. Après le dîner, les blagues et les chansons, tout le monde descend au sous-sol, décoré comme une boîte de lap dance. Dans les salles de bains, les filles trouveront les costumes qui plaisent au maître de cérémonie: habits d’infirmière, tenues de policière, comme dans un porno soft des années 1970 avec Edwige Fenech. Vers 2 heures du matin, toutes s’en vont sauf une, ou deux ou trois…
Les occupantes du 65 de la via Olgettina se jalousent comme entre collègues de travail. Elles comparent leur prime de fin de mois. «J’ai pris 5000 euros et toi?» «Moi je n’ai eu qu’un bracelet en or avec un diamant, j’aurais préféré de l’argent. Elles s’inquiètent quand l’une d’entre elles reçoit les faveurs exclusives du «sultan». «Qu’est-ce qu’il lui trouve, à celle-là?»
Nicole Minetti reçoit les plaintes: «Tu te rends compte, la semaine dernière, à Rome, Barbara s’est acheté vingt-cinq paires de chaussures d’un seul coup.» Pour régler ces litiges, il faut voir Giuseppe Spinelli, le quatrième personnage de la bande. Homme de confiance de Silvio Berlusconi depuis trente ans, il tient la comptabilité personnelle du président du Conseil. Ses dépenses courantes, pourrait-on dire. Pour les fins de mois difficiles, c’est lui qu’il faut voir.
* logistique des fantasmes et rétribution du vice
Sexe et pouvoir, sexe et argent, sexe et chantage, logistique des fantasmes et rétribution du vice: on trouve tout cela dans les 390 pages du «rapport de preuves» établi par le parquet de Milan. 390 pages qui dressent le portrait d’un homme pathétique, obsédé et seul. Un homme de 74 ans qu’une gamine de 17 ans peut faire chanter comme un pervers ordinaire. Un homme qu’on cherche à plumer de toutes parts pendant qu’il est encore puissant et en vie. A «Lele» Mora, qui s’apprête à emprunter 1 million d’euros à son «cher Silvio», Emilio Fede suggère: «Demande-lui 1,2 million, comme ça, je prends 400 000 pour moi.»
Les filles de la via Olgettina ont choisi de se consacrer au président du Conseil comme on opte pour une filière de promotion sociale. Sans honte, en pleine lumière. «J’ai gagné en une soirée ce qu’un homme normal gagne en deux mois», dit l’une à sa mère. Une autre à son frère: «Silvio va nous aider à résoudre tellement de problèmes, les tiens, les miens et ceux de maman»… En mai 2009, lorsqu’elle a demandé le divorce d’avec Silvio Berlusconi, Veronica Lario avait dénoncé «ces vierges qui s’offrent au dragon pour obtenir le succès, la notoriété et l’argent». Elle avait dit aussi: «Aidez-le, il est malade.» Beaucoup avaient pensé qu’elle exagérait. (Le Temps-La Suisse.24.01.2011.)
** Berlusconi en mauvaise passe
«De ma vie, je n’ai jamais payé pour avoir un rapport avec une femme.» Soupçonné de «prostitution de mineure» par le Parquet de Milan, Silvio Berlusconi a tenté depuis dimanche une contre-offensive politique et médiatique. Mais les suites du «Rubygate», du nom de cette très jeune fille marocaine avec laquelle, selon les procureurs, Silvio Berlusconi, âgé de 74 ans, aurait eu des relations sexuelles, donnent lieu à un grand déballage sordide, accablant et extrêmement embarrassant pour le président du Conseil.Dans les 390 pages adressées par le Parquet au parlement italien pour obtenir l’autorisation d’effectuer des perquisitions dans les bureaux du Cavaliere, il apparaît notamment que celui-ci était au courant que Ruby, de son vrai nom Karima El Mahroug, n’avait pas 18 ans lorsqu’elle a participé à des soirées présumées érotiques à son domicile. Dans une conversation téléphonique captée par la police, celle-ci affirme notamment: «Il sait que je suis mineure. Je lui ai demandé 5 millions d’euros (pour) dire que je ne suis jamais venue chez lui.» Au-delà, la presse italienne faisait état mardi des interrogatoires et des écoutes téléphoniques réalisées auprès des «filles» qui auraient défilé chez le Cavaliere. Les jeunes dames étaient, semble-t-il, invitées après dîner à se travestir, à engager des strip-teases et à mimer des scènes érotiques. A la fin, elles recevaient des enveloppes contenant plusieurs milliers d’euros et l’élue passait la nuit avec le maître des lieux.
«C’est une maison de passe»
«Silvio est notre source de revenus», dit l’une des participantes au téléphone. «Il touche le cul des filles devant tout le monde», raconte une autre. «C’est une maison de passe», dit une troisième. Enfin avertit une autre: «Le président du Conseil n’a pas de limites, soit t’es prête à tout soit tu t’en vas.»
Face à cette avalanche de révélations, l’opposition a immédiatement réclamé la «démission» de Silvio Berlusconi. Le quotidien des évêques comme le chef de l’Etat, Giorgio Napolitnao, ont fait part de leur «trouble».
Clairement, Silvio Berlusconi est aujourd’hui sur la défensive. Dimanche soir, anticipant la publication des documents du Parquet, il a diffusé une vidéo dans laquelle il affirme: «Personne n’a pu être troublé par mes soirées. Tout s’est toujours déroulé de manière élégante, sans aucune implication sexuelle.» Et de révéler, comme un mauvais coup de théâtre: «Depuis que je suis séparé, j’entretiens un rapport affectif stable avec une personne» sans en donner toutefois l’identité.
Son entourage tente également de déminer les propos des jeunes femmes en assurant qu’il s’agit de reconstructions fantaisistes. La droite dénonce aussi un complot judiciaire et une atteinte aux libertés personnelles. Quotidien de la famille Berlusconi, Il Giornale stigmatise enfin les moyens déployés pour «espionner» le chef du gouvernement: «Pire que pour un mafieux.» Reste que l’éditorialiste du journal Libero (droite) s’interroge désormais: «Sommes-nous sûrs qu’il soit encore l’homme en mesure d’empêcher l’avènement d’un gouvernement des gauches?» Le Temps-La Suisse.19.01.2011.)
*Nouvelles révélations sur les parties fines de Berlusconi
L’opposition de gauche a de nouveau exhorté le président du Conseil à la démission. «Je n’ai rien à dire. Cette enquête est scandaleuse», a rétorqué Silvio Berlusconi.
Des documents du parquet révèlent que Ruby n’est pas la seule prostituée mineure à avoir participé aux fêtes osées du Cavaliere. Une jeune fille brésilienne de 17 ans a également été invitée et reçu en échange des bijoux.
Silvio Berlusconi, au cœur d’une enquête pour prostitution de mineure, va boire la coupe du «Ruby Gate» jusqu’à la lie. De nouveaux documents transmis par le parquet de Milan au Parlement italien révèlent que la Marocaine Karima El Mahroug, alias Ruby, n’était pas la seule mineure à fréquenter les soirées osées du Cavaliere. Iris Berardi, une Brésilienne présentée par les enquêteurs comme une «prostituée notoire», avait encore 17 ans quand elle s’est rendue à deux reprises à des fêtes organisées dans les villas de Milan et de Sardaigne du président du Conseil italien, en novembre et en décembre 2009, quelques semaines avant son 18e anniversaire. Lors de la perquisition de son domicile menée mi-janvier, les enquêteurs découvrent qu’Iris a reçu de nombreux bijoux (colliers, bracelets) en échange de sa participation aux soirées.
Les révélations entourant Iris sont les plus compromettantes du dossier de 227 pages communiqué aux parlementairesmercredi soir. Ce rapport complète une première salve de près de 400 pages rédigées mi-janvier. Il comprend des transcripts d’écoutes des invitées du Cavaliere, des preuves des compensations financières offertes à ces jeunes femmes et des compte-rendus des perquisitions réalisées à leurs domiciles. Avec ces documents, le parquet de Milan veut obtenir l’autorisation de perquisitionner les bureaux d’un comptable, qui gère les activités parlementaires de Silvio Berlusconi. La commission parlementaire a estimé jeudi que le parquet de Milan n’était pas compétent. Sur proposition du parti du Cavaliere, elle a donc décidé de renvoyer toute la documentation et de ne pas statuer. Cette décision doit être avalisée en session plénière par la Chambre des députés. En Italie, avoir recours à la prostitution n’est pas illégal sauf si la prostituée est mineure. Le délit est passible de six mois à trois ans de prison.
L’organisatrice présumée des soirées se rebiffe
Selon des fuites parues dans la presse, ce second rapport contient également le témoignage d’une danseuse du ventre «révulséeaprès un dîner se terminant en orgie. «Le président du Conseil a lancé: «maintenant nous allons faire un peu de «bunga-bunga» (terme utilisé par ses invités et Berlusconi pour désigner leurs agapes, ndlr). Tandis que je dansais, une fille a défilé en sous-vêtements. Une Brésilienne en string a dansé une version suggestive de la samba», confie-t-elle aux enquêteurs. Et d’ajouter «les autres filles nous ont rejoints montrant leurs seins et leurs fesses et se sont approchés (de Berlusconi) qui les a touchées». Les documents montrent aussi que Ruby tenait la comptabilité de l’argent reçu de Silvio Berlusconi d’abord pour ses prestations puis pour son silence. Elle aurait écrit une note disant: «4 millions et demi d’euros de B. d’ici à deux mois».
Dans d’autres écoutes, Nicole Minetti, soupçonnée d’incitation à la prostitution de mineure en tant qu’organisatrice des soirées, semble se retourner contre le Cavaliere. «Quand il aura la trouille pour Ruby, il appellera et se souviendra de nous», commente sarcastique l’hygiéniste dentaire de Silvio Berlusconi, promue conseillère régionale il y a un an. Une autre fois, elle s’écrie «il se comporte comme une enflure pour sauver ses fesses flasques».
Suite aux révélations de mercredi, l’opposition de gauche a de nouveau exhorté le président du Conseil à la démission et a demandé à sa coalition de le contraindre à quitter le pouvoir. «Je n’ai rien à dire. Cette enquête est scandaleuse», a rétorqué Silvio Berlusconi, qui refuse d’être auditionné et qui accuse les magistrats de chercher à le détruire politiquement. Aussi bien Berlusconi que Ruby ont nié toute relation sexuelle. Ruby présente l’argent reçu du Cavaliere comme un cadeau pour la soulager d’une mauvaise passe financière et Berlusconi affirme que ses soirées «bunga bunga» sont des dîners normaux entre amis. Toutefois, le président du Conseil est également soupçonné d’abus de fonction pour être intervenu afin de faire libérer Ruby interpellée à Milan en mai 2010 dans une affaire de un vol présumé. (Le Figaro-27.01.2011.) (Avec agences)
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*Al-Jazira publie des centaines de documents secrets liés au processus de paix
Le beau coup réalisé par la chaîne qatari sème le trouble: les documents montrent selon elle que les Palestiniens étaient prêts à de très importantes concessions sur Jérusalem et sur le sort des réfugiés. Un «tissu de mensonges» pour le négociateur palestinien
La chaîne Al-Jazira a commencé dimanche soir à révéler des centaines de «documents confidentiels» relatifs aux négociations israélo-palestiniennes, montrant selon elle que les négociateurs palestiniens étaient prêts à d’importantes concessions. Présentés d’une manière sensationnelle, ces documents constituent selon Al-Jazira «la plus importante fuite dans l’histoire du conflit israélo-palestinien».
Le négociateur palestinien en chef Saëb Erakat, interrogé par la chaîne, a affirmé que la direction palestinienne «n’avait rien à cacher» et que la plupart des documents diffusés par Al-Jazira étaient «un tissu de mensonges».
Les documents portent notamment sur des «réunions de coordination sécuritaire» entre Israël et les Palestiniens et les propositions faites par l’Autorité palestinienne dans le cadre des négociations «sur Jérusalem et le sort des réfugiés».
Double langage
Ces documents comportent notamment des minutes de rencontres israélo-palestiniennes. Al-Jazira en a lu des passages qui montrent selon elle que les négociateurs palestiniens étaient prêts à faire des concessions considérables aux Israéliens tout en affichant leur fermeté en public. Ils ont ainsi cité M. Erakat affirmant à l’ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni: «Ce n’est pas un secret que nous vous avons proposé la plus grande Yourshalayem (Jérusalem en hébreu) de l’Histoire».
D’autres documents indiquent selon Al-Jazira que les négociateurs palestiniens étaient prêts à renoncer «au quartier juif et à une partie du quartier arménien» de la Vieille ville de Jérusalem.
M. Erakat est aussi accusé d’avoir proposé, selon Al-Jazira, des concessions sans précédent sur l’esplande des Mosquées dans la Vielle ville de Jérusalem, car il a proposé «une solution innovante» en ce qui concerne le contrôle de ce lieu saint après un éventuel accord de paix.
L’ancien négociateur en chef palestinien Ahmad Qoreï affirme pour sa part dans un des documents que les Israéliens pouvaient garder «toutes les colonies à Jérusalem à l’exception d’Abou Ghneim», appelée Har Homa par les Israéliens, et dont la construction avait porté un sévère coup aux négociations.
M. Qoreï est également cité dans l’un des documents demandant à Mme Livni en 2008 «de renforcer le blocus israélien imposé à Gaza».
A propos des réfugiés, près de cinq millions avec leurs descendants et dont le sort est l’une des principales pierres d’achoppement dans les négociations, M. Erakat s’est dit prêt selon les documents d’Al-Jazira à «accepter le retour de 10.000 d’entre eux par an sur 10 ans, soit un total de 100.000».
Avertissement de l’offensive sur Gaza démenti ce lundi
Un des documents affirme selon Al-Jazira que le président palestinien Mahmoud Abbas avait été informé par un haut responsable israélien du Ministère de la Défense, Amos Gilad, «de l’intention d’Israël de lancer une offensive à Gaza» fin 2008. Israël a démenti ce matin.
«J’ai dit plus d’une fois, nous n’avons pas renoncé à nos positions. Si nous avions effectivement renoncé aux réfugiés et fait de telles concessions, pourquoi Israël n’a-t-il pas accepté de signer un accord de paix», s’est interrogé M. Erakat.
Les documents, «plus de 1.600» au total, seront rendus publics dans leur intégralité sur plusieurs jours par la chaîne basée au Qatar.
Les documents révèlent «les vrais détails tenus secrets sur les négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël pendant la décennie écoulée», selon Al-Jazira, qui affirme que les révélations annoncées sont corroborées par «des minutes de rencontres, des mémos internes et des documents originaux». (AFP-24.01.2011.)
Un site internet dédié à ces «révélations» sera également lancé dimanche soir par Al-Jazira.
*«Les documents palestiniens» sur le site d’Al-Jazira
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*Le Salon international de la haute horlogerie
Le Salon international de la haute horlogerie s’est achevé à Genève vendredi. Plus que jamais, les marques préfèrent célébrer leurs traditions et leur histoire plutôt que leurs progrès techniques. Reportage.
Silence et moquette beige. Respect et scénographies drapées de grandeur. Genève, la semaine dernière. Le visiteur qui franchissait les portes du Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH) se retrouvait aussitôt plongé dans une ambiance empreinte de dignité. Des arches. Des stands designés comme des temples. Théâtres de la grandeur. Back to the passé.
Voilà ce qui pouvait frapper le néophyte, à Palexpo, jusqu’à vendredi dernier. Jamais, semble-t-il, les marques horlogères n’ont autant puisé dans leur passé, mis autant en avant leur réelle légitimité et leurs traditions séculaires pour séduire. Ici, des nouveautés baptisées Vintage, Heritage ou Patrimony. Là, des stands architecturés comme un musée éphémère.
Ainsi Jaeger-LeCoultre proposait-il, dans son espace, une succession de vitrines exposant des modèles d’archive de sa Reverso. Le parcours chronologique menait jusqu’aux réinterprétations contemporaines de la fameuse montre à bascule. Une façon d’honorer cette vieille dame Art déco qui fête ses 80 ans en 2011.
Dans une scénographie elle aussi rétrospective, Girard-Perregaux célébrait ses 220 ans d’existence. «Cet anniversaire va coïncider avec diverses manifestations en fin d’année», explique la marque. En attendant, on pouvait admirer le Tourbillon sous Pont d’or Girard-Perregaux 1966, une complication qui s’inspire de l’histoire de la marque connue notamment pour ses mouvements à trois ponts.
Chez Montblanc, c’est les 190 ans du chronographe qui étaient fêtés. Les anniversaires, certes. Mais pourquoi célébrer un chiffre aussi peu symbolique que 190? «Il nous paraissait intéressant de rendre hommage à Nicolas Rieussec, l’inventeur de cet outil de mesure qui reste un inconnu du grand public, déclare Jean-Marc Pontroué, vice-président de la marque. Nous avons saisi ce prétexte des 190 ans, car nous étions trop impatients pour attendre dix ans! C’est une façon pour nous, qui sommes une jeune marque, (ndlr. Montblanc est active dans l’horlogerie depuis moins de quinze ans) de marcher dans les pas de ce grand inventeur, d’autant plus que nous avons créé trois mouvements qui sont justement des chronographes.»
Même si le chiffre n’est pas tout à fait rond, la marque du groupe Richemont se démène comme pour un jubilé. Elle parraine au printemps l’exposition «Ecrire le Temps? Les deux siècles d’histoire du chronographe» au Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds. Elle coédite avec Flammarion le livre Ecrire le Temps consacré à cet outil doté à l’origine d’un mécanisme d’inscription à l’encre qui faisait des points sur le cadran. Surtout Montblanc lance un chronographe spécial anniversaire Nicolas Rieussec en or rouge, or blanc ou platine.
L’horlogerie, d’ailleurs, n’est pas la seule branche du luxe à s’être convertie aux vertus marketing du passé. Du côté de la mode, la conversion a été encore plus spectaculaire il y a une dizaine d’années. Hier porteuses de rêves subversifs ou d’appel au changement, les marques de mode les plus puissantes vantent aujourd’hui elles aussi leur passé, leurs archives, leurs traditions. Comme Patek Philippe, certaines possèdent leurs musées à l’instar d’Hermès ou de Gucci, dont l’espace d’exposition va ouvrir cette année à Florence.
«Les marques les plus anciennes comme Patek Philippe ou Vacheron Constantin ont toujours défendu leur héritage. Ce qui est nouveau, c’est que même ceux qui misaient sur la technologie, le design ou l’innovation affichent désormais fièrement leur date de fondation et insistent sur leur histoire dans leur communication», remarque Leyla Belkaïd Neri, directrice du master luxe de la Haute Ecole de gestion de Genève. Un phénomène imputable à la globalisation? «C’est l’une des dernières manières d’afficher la prééminence européenne. Les marques de luxe disent en substance qu’elles ont un siècle d’avance et qu’à ce niveau-là, on ne peut pas les rattraper.» Le discours est payant auprès de la nouvelle clientèle chinoise, pour qui acheter une montre d’une manufacture historique participerait du même besoin que de faire «cheese» à Versailles.
Reste que, quel que soit leur âge, les marques tirent des bénéfices variables de leurs anniversaires. «Organiser juste une grosse fête, c’est stérile, juge Leyla Belkaïd Neri. Un anniversaire réussi, c’est celui qui réinjecte du rêve et de l’oxygène à une maison. Certaines marques découvrent des merveilles oubliées dans leurs archives à ces occasions. Elles mobilisent des chercheurs et des historiens. Elles cherchent à instruire au-delà de leurs seuls consommateurs avec pour ambition d’ajouter un chapitre narratif à leur univers. Mais peu de maisons ont le savoir-faire scientifique pour accomplir ce travail de mise en valeur et il arrive souvent qu’elles se préparent au dernier moment.» La marque Rolex, justement, incarne un pudique contre-exemple. Personne ou presque n’a su qu’elle était centenaire en 2008. Ses bénéfices ne semblent pas en avoir souffert pour autant. (Le Temps-La Suisse.24.01.2011.)
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**patinage artistique
Stéphane Lambiel: «J’ai presque une vie de saltimbanque»
Ambassadeur des Championnats d’Europe qui se sont ouverts dimanche à Berne, consultant pour la TSR, Stéphane Lambiel évoque sa liberté de création dans le monde des galas. Il rêve de voyages, de rencontres, et d’une cure de comédie musicale à Broadway
Stéphane Lambiel a su comme peu de patineurs partager une émotion esthétique. Aujourd’hui professionnel, le double champion du monde et médaillé d’argent aux Jeux olympiques de Turin 2006 raconte sa scène à lui.
Le Temps: Qu’avez-vous acquis depuis votre retrait de la compétition?
Stéphane Lambiel: Mes programmes sont plus complets. Il est agréable d’avoir le temps de créer une chorégraphie aboutie. Celle élaborée sur la musique de Katherine Jenkins est très dramatique, très contemporaine. Au départ, je voulais un costume avec beaucoup de voiles, mais le projet a évolué. On a tourné une vidéo en montagne qui passera pendant que je patine. Il y a aussi une partie où je vais voler. J’ai pris quelques heures pour apprendre à me tenir à un support, sans filet.
– Vers quoi souhaitez-vous développer le côté spectacle?
– Vers des projets où la chorégraphie ne s’arrête pas à mon programme de patinage. Mon théâtre à moi, c’est la glace. Je me rends compte que c’est mon rêve d’enfant, en dehors de l’objectif sportif de devenir champion. Mon premier spectacle, je l’ai vu alors que j’avais 6 ou 7 ans à la patinoire de Sierre, Le Fantôme de l’Opéra. J’avais l’impression d’assister à un show incroyable alors que Graben n’est pas très glamour. Mais la magie, les lumières, les costumes sont restés en moi. J’avais oublié ce spectacle et cette dimension théâtrale.
– Depuis 18 ans que vous patinez au quotidien, quelles sont les meilleures sensations?
– Tu entres sur la glace où tu te dis: «Aujourd’hui, je ne me sens pas en superforme», «Ne suis-je pas usé?» Et puis, tu commences à glisser, à contrôler ton corps, à pouvoir déployer quelque chose avec cette maîtrise. A la fin de l’entraînement, je suis complètement épanoui. Pour rien au monde je ne changerais. Je me sens complètement libre. Cela prend un temps énorme pour arriver au point de liberté, mais quand tu la ressens, elle est infinie.
– Cesser la compétition, était-ce devenir libre?
– Oui. Tout s’est enchaîné très vite, après les Jeux de Vancouver. Je n’ai pas eu le temps de me le dire. J’ai réalisé que j’avais cette liberté par tous les voyages effectués. Je n’attendais qu’une chose, partir. J’avais besoin de voir le monde, de découvrir cette vie d’artiste. J’ai réalisé mon rêve. J’ai presque une existence de saltimbanque, ma valise ne descend jamais à la cave.
– Etiez-vous corseté par la pression de la compétition et les règlements?
– L’objectif de Vancouver était parfait. Avec un but si cadré, j’ai dû tout mettre en œuvre pour que ma santé tienne et que je recouvre mes capacités physiques. J’ai dû trouver une routine d’échauffement, des exercices bien précis. C’était le dernier cadrage afin d’avoir tous les ingrédients pour la suite. Il me manquait le point final qu’étaient les Jeux, avec ou sans médaille.
– Après le flamenco, le tango, le jazz, et le disco à Art on Ice en février, vers quels horizons pourraient s’ouvrir vos choix musicaux?
– Je n’avais jamais pensé patiner sur Donna Summer! J’avais une belle musique de percussion, c’était aussi un projet. Ma liste est super-longue. Je me réjouis de chorégraphier pour des jeunes, comme ça je pourrai utiliser toutes les musiques qui me plaisent. Mes sources d’inspiration? Quand je regarde un film, un reportage, en cherchant sur Internet, ou parce qu’une fan m’envoie un CD.
– Vous souhaitez relever le défi d’être innovant. Le patinage est-il désuet?
– Certains patineurs ne mettent pas assez l’accent sur l’aspect esthétique. Parfois, on se demande s’ils ont pris dix minutes pour réfléchir. Ce n’est ni vieux, ni neuf, ni rien. Pendant quatre minutes, le patineur n’est pas interpellé par la musique. Or, la musicalité constitue la première chose à laquelle on doit prêter attention.
– Le patinage pourrait-il être plus séduisant?
– Oui, dans le sens où une personnalité fait beaucoup. Alexeï Yagudin a amené une magie, un patinage athlétique mais en même temps un côté charmeur. Ce sont ces charismes à part qui font évoluer le sport.
– Vous disiez être «un nomade qui voyage de personnes inconnues en pays nouveau». De quelle destination rêvez-vous?
– Je me verrais bien faire un voyage au Japon. Ils ont un festival de la danse où sont invités les meilleurs danseurs du monde. Ça me plairait d’y être une semaine. Ou d’effectuer une cure de comédie musicale à Broadway. De prendre des cours, d’aller au spectacle le soir, de marcher dans les rues, de vivre ce rythme différent. (Le Temps.La Suisse-24.01.2011.)
**L’angoisse d’une Suisse surpeuplée…avec seulement 10 millions ha
Alimenté par la croissance forte et le crédit pas cher, le boom immobilier transforme les campagnes helvétiques en «hyperville» envahissante. Reportage.
«Il y a trop de monde, c’est ça le problème.» Dans l’air froid du petit matin, Martin, solide moustachu portant la veste orange fluo des CFF, tente de canaliser les voyageurs qui se pressent dans la gare de Lenzbourg, en Argovie. «Nos quais sont devenus trop étroits pour les flux de pendulaires», constate Hans Huber, maire de cette bourgade d’à peine 8000 habitants. «Parfois, j’ai peur» – peur que la ruée matinale ne finisse par précipiter quelqu’un sur les voies, où passent quelque 500 trains par jour.
Les quais surpeuplés de Lenzbourg illustrent un phénomène chaque jour plus manifeste: la Suisse craque aux entournures. On le constate sur les autoroutes, transformées en «périph» où l’on circule au ralenti; dans les trains où l’on reste debout à cause du monde; dans les universités, où les amphithéâtres peinent à contenir les flots de nouveaux étudiants. L’arrivée annuelle de plus de 50 000 étrangers affole le marché du logement. Si la croissance démographique nourrie par l’immigration se poursuit au rythme actuel, calcule Credit Suisse, la Suisse approchera 9 millions d’habitants en 2020 – contre 7,8 aujourd’hui – et pourrait frôler les 10 millions en 2040.
Sans en être toujours conscients, les Suisses sont en train de changer de pays. Le sentiment de convivialité villageoise décline. La population, plus nombreuse et plus mobile, stresse les infrastructures et oblige à repenser l’organisation du territoire. Ce défi n’a pas été articulé clairement au niveau politique. Il soulève pourtant une question existentielle: quel genre de vie mènera-t-on dans une Suisse qui comptera bientôt un, voire deux millions d’habitants de plus?
L’explosion
Dans les campagnes, le boom prend parfois des proportions oppressantes. En 1970, Chavannes-des-Bois, sur la frontière valdo-genevoise, comptait une centaine d’habitants. Ils sont 550 aujourd’hui, et seront 850 en 2012. Les grues dominent le village, le grincement des machines de chantier sature l’air, des panneaux ornés d’images de synthèse chantent la vie future: un retraité prend le frais dans la courette d’un immeuble, des enfants jouent, un couple de randonneurs s’élance vers la forêt.
Ces visions enchanteresses ont du mal à convaincre Alain Mottier et Chantal Hermenjat, dont la maison a été cernée de nouvelles constructions. «C’est l’explosion totale, racontent-ils. Avant, en face, il y avait une vieille ferme, un bâtiment sympa, ils ont tout démoli. On était un petit paradis, maintenant les gens peuvent voir dans notre piscine.»
Les noms sur les boîtes aux lettres du village – Taylor, Seatter, Stormark, Sharpe – laissent peu de doute sur la provenance des nouveaux résidents. «Tous des gens qui parlent anglais, confirme Chantal Hermenjat. Ils sont polis, bien, certains ont des plaques du corps diplomatique… Mais pour communiquer, on doit se parler avec les mains.»
A cent mètres de là, dans un immeuble à peine achevé, un expatrié décrit son parcours. Il est Serbe, sa femme est Française. Il est consultant dans l’humanitaire, elle est cadre dans une multinationale du tabac basée à Genève. Ils arrivent du Vietnam et ont trouvé leur logement grâce à Cartus, une société spécialisée dans la «relocation» d’expatriés. «On a visité des dizaines d’appartements, explique l’homme. Mais en Suisse, tout est cher, très cher.»
A Chavannes, les loyers atteignent des niveaux dignes de Genève ou Zurich: 2450 francs par mois pour 52m2, 3800 francs pour 100m2. «Ça monte jusqu’à 4500, 6000 francs par mois, raconte Chantal Hermenjat. Il faut des moyens, il n’y a pas beaucoup de Suisses qui ont ça.»
Où vont les autres? La côte lémanique étant inabordable, le boom immobilier déborde dans ce qui était autrefois la pleine campagne. Le canton de Fribourg est devenu l’eldorado des villas familiales qui surgissent partout en carrés compacts, derrière des remblais de terre meuble.
«Ici, il y a deux ans, il n’y avait rien»
«Ici, il y a deux ans, il n’y avait rien, juste un champ», se souvient Anne-Catherine Rubattel, une assistante maternelle installée à Lully, près d’Estavayer (FR). Elle vit avec son mari et leurs deux enfants dans une «maison vaudoise» jaune citron, à côté d’une dizaine de villas de même type. «On a choisi assez traditionnel, précise-t-elle; on s’est dit que ça vieillirait mieux. A la longue, quand on voit comme les prix grimpent, c’est un bon investissement.»
Deux jours par semaine, la jeune femme travaille dans une école à Lausanne. Son mari est représentant chez Novartis et se déplace beaucoup. «Construire, c’était son rêve, explique-t-elle. Il a économisé pour.» Elle-même était moins enthousiaste à l’idée de quitter la région lausannoise, mais les prix élevés ont fini par repousser le couple à l’intérieur des terres.
Aujourd’hui, Anne-Catherine Rubattel fait ses courses dans les centres commerciaux de la banlieue fribourgeoise, à 25 kilomètres de chez elle. Les week-ends se passent souvent chez des amis lausannois, à trente minutes d’autoroute. «Les gens vivent dans les agglomérations parce qu’ils peuvent retourner facilement en ville, explique-t-elle. Ils habitent ici, mais ce n’est pas pour y vivre… Je veux dire, ce n’est pas pour y passer la journée.»
L’argument décisif de l’installation à la campagne, ce sont les enfants. Avec leurs culs-de-sac abrités du trafic routier et leurs toboggans en plastique, omniprésents dans les jardinets, les zones villas semblent conçues spécialement pour eux. «Ils jouent entre eux, ils s’occupent, dit Anne-Catherine Rubattel. Ici, on n’est que des mamans qui travaillons à peu de pourcentage, on s’entraide, on les amène à l’école. En ville, je ne laisserais pas mon enfant tout seul dehors, suivant où.»
Les chercheurs scrutent avec avidité les mœurs de la nouvelle classe de pendulaires qui a colonisé le Plateau. «Leur mode de vie n’est pas toujours choisi, constate Vincent Kaufmann, du Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL. Quand un couple travaille entre deux endroits, il faut trouver un compromis – habiter entre Lausanne et Genève, ou entre Lausanne et Berne, par exemple.» Patrick Sallin, architecte fribourgeois qui construit surtout des maisons individuelles, le résume ainsi: «Ce sont tous des gens qui ont besoin de se retrouver quelque part.»
Le déménagement périurbain s’accompagne souvent d’un changement d’opinions politiques. On dépend davantage de sa voiture; on s’endette pour acheter sa maison; on consomme moins de services publics comme les transports collectifs ou les crèches.
«En devenant propriétaire, on vote plus à droite, résume le politologue zurichois Daniel Kübler. L’espace de vie dans lequel on se meut influence la structure des intérêts que l’on a, et les références politiques.» Un phénomène qui, en Suisse, profiterait surtout à l’UDC.
«L’étau se resserre»
Dans les régions en voie d’urbanisation rapide, l’arrivée des nouveaux habitants est accueillie avec enthousiasme – et une certaine anxiété. A Romont, de son château qui domine la campagne, Willy Schorderet, préfet de la Glâne, jette un coup d’œil inquiet sur la route en contrebas. Quasi déserte pour l’instant, elle pourrait devenir, demain, la bretelle de contournement d’un centre-ville saturé. «Il faut prévoir tout cela aujourd’hui, sinon on risque l’engorgement, dit-il. A un moment donné, si l’on n’est pas proactif, on va avoir un problème d’infrastructures. Ecoles, transports, ces questions arrivent très vite.»
En sept ans, la population de la Glâne est passée de moins de 18 000 à plus de 20 000 personnes. L’onde de croissance venue du bassin lémanique rejoint celle qui émane de Berne et Fribourg. «Petit à petit, l’étau se resserre des deux côtés», observe Willy Schorderet. A Romont, le parking de la gare devient saturé, il va falloir en construire un nouveau. L’agrandissement du cycle d’orientation coûtera 15 millions de francs. La rénovation des homes pour personnes âgées, 48 millions. Sept millions viennent d’être débloqués pour refaire une station d’épuration. La réfection de la route Romont-Vaulruz coûtera des dizaines de millions au canton.
Le boom est comme une machine qui s’auto-alimente: plus d’habitants signifie plus de dépenses, que l’on cherche à couvrir en attirant de nouveaux habitants… A Romont, on leur a même érigé un monument – un rond-point bariolé, où l’on voit un jeune couple bâtir la villa de ses rêves sous le regard bienveillant d’un édile à ruban.
L’architecte Bernard von Gunten, de la société Home + Foyer, spécialisée dans les maisons individuelles, observe au quotidien l’engouement des autorités locales: «Les communes me demandent toutes: quand est-ce qu’il démarre, votre chantier? Quand est-ce qu’ils arrivent, les nouveaux contribuables?»
Il faut dire que les bénéficiaires de la croissance sont largement répartis. A midi, sous les portraits jaunis du général Guisan, une foule d’électriciens, plâtriers et maçons aux carnets de commandes surchargés remplit les restaurants de campagne. D’un bout à l’autre de la Suisse, on raconte des histoires d’agriculteurs devenus millionnaires d’un coup, en vendant un terrain. Ou de vignerons qui, sur les bords du Léman, ont fait construire des villas bien situées qu’ils louent à des «expats» pour 6000 ou 8000 francs par mois.
Mais aujourd’hui, l’euphorie se teinte d’inquiétude. Le boom semble trop effréné pour durer longtemps. Dans des communes autrefois rurales comme Châtel-Saint-Denis (FR), les prix s’envolent et le terrain constructible se fait rare. «Il y a dix ans, on pouvait encore acheter 2000 m2, se souvient Bernard von Gunten. Il y a cinq ans, on discutait encore de 1000, 1400 m2. Maintenant, on parle plutôt de 700, 800 mètres!»
La taille des maisons se réduit, et les budgets des nouveaux propriétaires sont souvent serrés. Certains professionnels de l’immobilier craignent qu’en relevant ses taux d’intérêt – coincés à 0,25% depuis 2008 – la Banque nationale ne brise la ruée des classes moyennes vers les campagnes, financée grâce au crédit bon marché.
L’hyperville
La peur inverse existe aussi: que les zones villas grignotent la Suisse jusqu’à la rendre méconnaissable. «Si l’on continue à cette vitesse, tout sera dévoré», redoute André Corboz, expert genevois et mondialement reconnu de l’urbanisme.
Dans un texte de 1997, «La Suisse comme hyperville», il constatait que «des agglomérations continues sont en train de se constituer chez nous aussi, sans qu’on en prenne conscience dans le gros de la population. […] Il en résulte que le rapport traditionnel entre ville et campagne s’est inversé: la «campagne» est maintenant entourée par la «ville», elle se trouve à l’intérieur de l’hyperville.»
Cette urbanisation diffuse n’a pas de nom. Est-ce une ville informe, une vaste banlieue, une campagne sans âme? Quand on lui demande quel terme colle le mieux à cette nouvelle réalité suisse, André Corboz finit par lâcher: «Los Angeles.» «On ne peut plus appeler ça un village. C’est… des zones», dit Chantal Hermenjat, l’habitante de Chavannes-des-Bois effrayée par le développement fulgurant du village. Sara Carnazzi, chercheuse chez Credit Suisse, parle de «banlieue du Plateau».
Moche, vilain, voire «dégueulasse», les adjectifs peu flatteurs pleuvent quand il s’agit de décrire ces nouveaux quartiers. Lorsqu’il était enfant, David Modoux, habitant du hameau fribourgeois de La Verrerie, marchait jusqu’à une petite église qui se dressait seule sur la crête, près d’un vieux relais de poste. Depuis, des constructions disparates ont poussé: cube en bois minimaliste, large maison décorée de rondins, villa mauve. «Il n’y a aucune recherche esthétique, ni plan d’urbanisme», se plaint-il.
Plusieurs facteurs expliquent l’esthétique discutable des nouvelles zones d’habitat. D’abord l’essor des constructeurs «clés en main» comme Home + Foyer, Swisshaus ou CIM. Ils proposent des maisons sur catalogue, avec des modèles baptisés Agora, Altea, Apéro ou Provence. Le prix fixe rassure le client, qui choisit son style: basique à toit pentu, «villa vaudoise» rappelant une ferme, ou, chez Swisshaus, «méditerranée» pour «mettre un air de vacances dans votre vie».
Cloches contre
villas
Jérôme Chenal, architecte et chercheur associé à l’EPFL, voit dans les villas la résultante de choix politiques, comme les avantages fiscaux consentis aux pendulaires et aux acheteurs de maisons. Elles incarnent la volonté d’accéder à un «logement pour riches» – la villa est une version miniaturisée de la demeure de maître du passé –, l’idéalisation de la vie campagnarde et la reproduction du modèle américain de la «famille qui consomme» avec maison, enfants et voitures.
Mais en s’installant à la campagne, les nouveaux habitants ont altéré son caractère paysan. Les anciens espaces ruraux se parent d’attributs urbains: lampadaires, noms de rue, ralentisseurs, sacs pour déjections canines… «Aux heures de pointe, la région se transforme, il y a tellement de circulation qu’on se croirait au centre de Genève», regrette Philippe de Rougemont, militant écologiste installé aux Thioleyres, près de Palézieux (VD), une zone en forte croissance démographique.
Dans les villages fribourgeois, on fait le compte de ce qui a disparu depuis 40 ans: les petits commerces, les cafés, les curés, les écoles de bonnes sœurs. De nouvelles croyances – Eglises évangéliques ou thérapeutes New Age – remplacent les cadres religieux du passé, en promettant chaleur humaine et «guérison spirituelle» aux résidents des zones villas.
Freddy Panchaud, syndic de Villaz-Saint-Pierre (FR), un bourg qui vient de passer la barre des 1000 habitants, maintient qu’on y est «aussi bien qu’il y a 40 ans. La forêt, les rivières n’ont pas changé, on peut toujours se balader.» Son principal grief est l’absence de passage sous les voies de la ligne CFF. Avec l’augmentation du trafic routier et de la cadence des trains, «le temps d’attente devant les barrières devient presque infernal».
A la sortie sud du village, l’agriculteur Joël Marmy a vu de hauts piquets métalliques surgir dans le pré où paissaient ses vaches. Bientôt, de petits immeubles destinés à accueillir 150 pendulaires s’élèveront à côté de sa ferme. Avec moins de surface herbeuse à disposition, le paysan subira une perte de revenu. Il a déjà dû renoncer à mettre des cloches à ses bêtes, parce qu’une habitante des villas voisines se plaignait. «Il faudra bien que les gens s’inquiètent un jour de tous ces dézonages, dit-il. Il y a des mètres carrés qui partent chaque seconde. C’est du terrain qu’on ne reverra jamais.»
«C’est une chance»
A 150 kilomètres vers l’est, le canton d’Argovie donne une idée prémonitoire de ce que pourrait devenir la Suisse. Dans les vallées de l’Aar et de la Limmat s’étend une agglomération faite d’entrepôts, d’usines et de zones villas imbriquées, que domine le mugissement continu de l’autoroute. On a donné le nom de «bouillie urbaine» à cette entité tentaculaire, dont la colonne vertébrale court presque sans interruption sur 35 kilomètres, du lac de Zurich jusqu’à Baden.
Reliée par une nouvelle autoroute qui la met à trente minutes du centre de Zurich, la région campagnarde du Freiamt, au sud de l’Argovie, se prépare à être avalée par la métropole en expansion. Depuis 1990, sa population a augmenté de 35% (contre 15% dans le reste de la Suisse). Mais cela n’inquiète pas Urs Pilgrim, médecin et président de la fondation culturelle St Martin à Muri, chef-lieu du Freiamt. «L’agglomération, c’est une chance, on le voit comme ça», assure-t-il. Les immigrants zurichois apportent de la prospérité, du dynamisme et de «bonnes idées». Le carcan du catholicisme, autrefois très conservateur dans la région, s’est desserré.
Mais l’influx de nouveaux habitants transforme le tissu social d’une autre façon. «C’est devenu plus anonyme, plus impersonnel, témoigne Hanny Dorer, une journaliste installée en Argovie depuis 1981. Les sociétés locales – gym, chœur, fanfare – ont du mal à recruter.»
Les Allemands occupent désormais des positions en vue dans les Eglises, les usines, les hôpitaux. Ils refusent de parler le dialecte, ce qui transmet à certains Suisses «un sentiment d’infériorité», selon Hanny Dorer. Les immigrés des Balkans, ouvriers du textile ou de la construction, sont accusés de faire exploser la violence scolaire et les budgets d’aide sociale.
Pour empêcher qu’une agglomération informe ne recouvre le canton, les autorités argoviennes ont instauré des «ceintures de séparation» entre les villages, où les constructions sont interdites. «On ne veut pas devenir une banlieue», déclare Hans Huber, maire de Lenzbourg, la petite ville aux quais de gare surpeuplés, qui se trouve à 18 minutes en train du centre de Zurich. «Nous devons faire attention à ce que les pendulaires s’intègrent. S’il n’y a plus de sentiment d’appartenance, j’ai peur que notre démocratie ne résiste pas.»
Ce radical bon teint est partisan assumé d’un certain dirigisme. Sa ville comptait 7300 habitants en 2007, ils sont 8400 aujourd’hui et seront 10 000 d’ici trois ans. Dans l’idéal, estime-t-il, la croissance devrait s’arrêter là. A l’extérieur de la ville, il est partisan de mettre fin au pouvoir des communes de délimiter elles-mêmes les zones à bâtir. L’important, pour Hans Huber, est de préserver des espaces vides: «Sinon, ce sera comme d’être enfermé dans un gratte-ciel. On devient agressif.»
Visions futuristes
L’exemple argovien montre qu’un nouveau consensus est en train de gagner la classe dirigeante helvétique. Le modèle basé sur la maison individuelle, l’autonomie communale et une expansion urbaine diffuse ne semble plus viable. Pour le politologue Daniel Kübler, qui a étudié l’extension de ce qu’il appelle la «zone moche» de l’Oberland zurichois, il est urgent de «renverser la perspective»: «Il faut désormais penser le développement en fonction des zones qui doivent rester libres.»
Daniel Kübler préconise la création d’oasis de paysage intact, les «aggloasis», qui feront office de parcs urbains à l’échelle nationale. A Berne, l’Office fédéral de l’aménagement du territoire – régulièrement critiqué pour son impuissance à canaliser l’urbanisation – recommande «la réalisation d’un territoire harmonieux, où paysages attrayants et quartiers d’habitation denses se marieront à merveille».
En Suisse alémanique, le temps est propice aux visions futuristes, qui rayonnent parfois d’un optimisme naïf sur la situation privilégiée du pays. Si elle cultive ses avantages comparatifs – impôts bas, dette faible, politiques libérales – la Suisse peut se poser en «modèle d’avenir doté d’un caractère exemplaire pour l’Europe et le monde», écrit Credit Suisse dans une étude datée de juillet 2010.
Encore faudra-t-il résoudre les tensions générées par une population en croissance. L’économiste saint-gallois Franz Jaeger a avancé l’idée d’une taxe que devraient payer les étrangers désireux de s’établir en Suisse. «Quand il y a 90 personnes dans une salle de 100 places, c’est en ordre, déclarait-il il y a quelques mois à la Neue Luzerner Zeitung . Mais quand 120 personnes viennent, il y a un problème.»
Franz Jaeger admet que le pays n’en est pas encore là. «Peut-être que nous en sommes déjà à 80 personnes dans la salle, explique-t-il aujourd’hui. Avec une politique [de construction] très restrictive, nous en sommes à 80 personnes, si on est plus libéraux, à 70 seulement.» Selon lui, «la forêt offre encore de la place» – une idée que le Conseil fédéral vient de reprendre, à la grande indignation des écologistes, en suggérant d’autoriser les communes à sacrifier certaines surfaces boisées au profit des habitations.
Dans un livre * coédité avec le banquier Konrad Hummler, Franz Jaeger imagine la Suisse future comme une «cité-Etat», une «grande ville du Plateau» entourée par un territoire plus ou moins naturel formé des Alpes et du Jura.
«L’évolution organique va dans cette direction, estime l’économiste. Mais il faut l’orienter, l’accompagner. Nous avons besoin d’un consensus, d’un sens commun de ce que nous voulons.»
Les grandes visions et les plans directeurs décidés d’en haut n’ont jamais été le fort des dirigeants helvétiques. Et la croissance molle des années 1990 – on pensait alors que la population baisserait au XXIe siècle – a laissé les autorités fédérales dans un état d’impréparation flagrant.
«Sans des investissements importants dans les infrastructures, on aura de plus en plus de difficultés pour aller au travail, avertit Sara Carnazzi, chercheuse chez Credit Suisse. On observe déjà pas mal de saturation dans les transports, l’espace habitable.» D’ici à 2020, prédit-elle, le phénomène d’urbanisation des campagnes risque de toucher à son terme, car «les gens ne pourront plus se déplacer de manière efficace». Un phénomène de «retour dans les villes» s’amorcera alors – à condition que l’état du parc immobilier n’ait pas atteint, là aussi, un point critique de saturation.
Le Conseil fédéral commence à réfléchir à ces questions. La ministre de l’Environnement, Doris Leuthard, vient de présenter un «Projet de territoire suisse» destiné à canaliser l’urbanisation. Discrètement, l’état-major de prospective de la Chancellerie fédérale étudie à quoi pourrait ressembler la Suisse en 2025. Des «scénarios extrêmes» – dont l’engorgement complet des infrastructures – ont été étudiés, confie un participant à ses travaux.
«Ce n’est pas quelque chose dont ils veulent parler pour l’instant, ajoute cet interlocuteur. Si l’on diffuse ce genre de scénarios maintenant, ça ne pourrait pas être compris de la population…» La publication du rapport final est attendue avant l’été. Le débat sur le visage d’une Suisse à 10 millions d’habitants va pouvoir vraiment commencer. (Le Temps-la Suisse.22.01.2011.)
* Stadtstaat – Utopie oder realistisches Modell? , à paraître
en mai aux Editions NZZ Libro.
Catégories : actualité, international, sciences-techniques, société, sport
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