Tunisie : des mosquées archicombles lors de la prière du Vendredi
23 01 2011*Pour la première fois depuis très longtemps
Les mosquées de Tunis étaient pleines de fidèles, à l’occasion de la prière hebdomadaire du Vendredi, après la levée des restrictions imposées par le régime de l’ex-président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali.
Durant les 23 années de règne de Ben Ali, une armée d’indicateurs était affectée dans les mosquées en Tunisie. Les dénonciateurs font à leurs supérieurs des listes complètes des fidèles qui se rendent régulièrement à la mosquée pour prier. Echorouk a effectué, vendredi, une tournée dans les différentes mosquées de Tunis durant la prière hebdomadaire du Vendredi. Un nombre impressionnant de fidèles s’est rendu aux différentes mosquées de la Capitale pour accomplir la prière collective du Vendredi. De nombreux Tunisiens ont indiqué au journal Echorouk que c’est la première fois de leur vie qu’ils rentrent dans des mosquées sans se sentir surveillés par les espions de Ben Ali. « Nous avons eu l’impression, pour la première fois, que l’imam a fait un prêche comme le lui a dicté sa conscience », nous dit un des nombreux fidèles rencontré à la sortie d’une mosquée à Tunis. Selon plusieurs Tunisiens, les imams de certaines mosquées qui exerçaient durant le règne de Ben Ali ont été démis de leurs fonctions et ont été remplacés par d’autres imams. Les fidèles qui se sont rendus en grand nombre à la mosquée de Mahres, située non loin de la Casbah de Tunis, ont été contraints d’accomplir leur prière dans les rues et ruelles avoisinantes de ce lieu de culte. L’imam a consacré son prêche au sujet du despotisme et de l’injustice et a soutenu le soulèvement des Tunisiens contre l’ancien régime, de Ben Ali, qui avait durant 23 ans et opprimé toute forme d’expression. Avant de terminer son prêche qui a duré environ 30 minutes, l’imam a fait une psalmodie qui a ému les fidèles. A son écoute plusieurs fidèles n’ont pu retenir leurs larmes, tant l’émotion était grande..(Echorouk-21.01.2011.)
**Les joies du retour
Les opposants rentrés d’exil ont «du mal à réaliser»
Moncef Marzouki
Une semaine après la fuite du président déchu Ben Ali, les Tunisiens qui ont choisi de fuire la dictature goûtent aux joies du retour.
Enterrement de Safia Farhat, dans le cimetière de Djebel Lahmar. Toute l’élite intellectuelle, politique et artistique est présente ou presque pour honorer cette grande féministe et artiste. «Tous les hommes qui comptent pour l’avenir de la Tunisie sont là», glisse Kamel Jendoubi. Rentré de France lundi dernier, le président du Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme et cofondateur du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie redécouvre son pays après seize ans d’exil contraint.
«Je suis encore perdu»
«Quand j’ai vu les événements à Sidi Bouzid, puis surtout à Kasserine, raconte Kamel Jendoubi, je ne pouvais pas rester indifférent en voyant mourir les jeunes de mon pays. Et puis je pensais que mon retour pouvait indirectement faire pression sur la communauté internationale, si les sbires de Ben Ali m’arrêtaient avec mon passeport français.» Assez grand et les cheveux gris, l’homme ne passe pas inaperçu dans la foule. Les gens se pressent pour l’embrasser, le féliciter. «Je suis encore perdu, j’ai du mal à réaliser tout ce qui vient de se passer. Surtout que je n’ai rien vécu personnellement. Ce serait plutôt à moi de féliciter les Tunisiens pour ce qu’ils sont parvenus à accomplir.»
Entre deux condoléances, les conversations politiques reprennent vite le dessus. Hama Hammami, autre opposant au régime de l’ancien président, arrive enfin: «Moi j’ai préféré la prison à l’exil. Mais je suis content de retrouver mon vieux compagnon de lutte. De toute façon, je ne sais pas ce que je veux faire, ma sécurité n’est pas encore assurée, ma famille est toujours menacée.»
«Pour le moment, je n’ai aucune velléité politique, avoue Kamel Jendoubi. Je suis là pour accompagner le mouvement, pour partager ma joie avec celle de ma famille. Ce n’est pas la priorité, il faut d’abord reconstruire un cadre électoral pour le pays.»
D’autres ont déjà annoncé clairement leur candidature à la présidence. Premier à s’être révélé, Moncef Marzouki, militant aguerri des droits de l’homme exilé en France et président du parti le Congrès pour la République. «A peine rentré, je suis parti à Sidi Bouzid et un peu partout dans le pays. Il fallait prendre le pouls de la population, renouer avec mon pays.»
L’incertitude plane encore sur la date des élections que déjà les volontaires sortent des rangs. Le journaliste et écrivain Taoufik Ben Brick, par exemple, se considère comme le seul légitime. «Mon parcours d’opposant de toujours plaide pour moi. Je suis le prophète de cette révolte car j’ai prédit l’histoire de la Tunisie à travers mes livres. Qu’on le veuille ou non, je suis le père légitime de la révolution. Je me présente depuis 2004, cette fois, le trophée m’appartient.»
Seul obstacle à toutes ces bonnes volontés, la différence d’âge entre les manifestants et ceux qui s’estiment à même de les représenter. Un argument que balaie Taoufik Ben Brick d’un revers de la main. «Je suis un des leurs. Je suis fils de mineur, frère de syndicaliste et de la gauche tunisienne. Je viens d’un village situé à cinq kilomètres de Thala et de Kasserine, où la révolte a été forte. C’est clair, je suis le plus ancré dans la population. Et d’ailleurs, qui connaît Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar, ou même Moncef Marzouki parmi les Tunisiens qui sont descendus dans la rue? Personne!»
Candidature des internautes
Autre candidature officielle, en tout cas sur Facebook, celle du mouvement des «1 million de colombes». Créé par un groupe de jeunes sur le réseau social, il promet de choisir comme leader celui qui sera parvenu à «mobiliser le plus d’internautes».
La liste devrait encore s’allonger dans les jours à venir. Jeudi, le premier Conseil des ministres a voté la loi d’amnistie permettant le retour notamment de Rached Ghannouchi. Le chef du mouvement islamiste Ehnnada n’a encore rien dit sur ses intentions politiques, mais il est enfin sorti de sa clandestinité. (Le Temps.CH-22.01.2011.)
*La révolution vue par les caricaturistes tunisiens
*A lire sur La République (Tunisie)
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*GHANNOUCHI ANNONCE SON DÉPART À LA RETRAITE
«Je me retirerai de la vie politique»
«La gratuité de l’enseignement, l’accès aux soins et le statut de la femme sont des acquis irréversibles» de la société tunisienne, selon le Premier ministre.
Démissions, fuite et départs à la retraite: la rue tunisienne presse les dirigeants du pays à mettre fin à leur carrière politique. Après la déchéance de Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir, la démission de ses ministres du gouvernement et de leur parti RCD, c’est au tour du Premier ministre Mohamed Ghannouchi d’annoncer son retrait de la vie politique. Après 11 ans à la tête du cabinet sous le règne de Ben Ali, le Premier ministre tunisien de transition s’est engagé à mettre fin à sa carrière politique dans les prochains mois, soit après cette période de transition. «Après la transition, je me retirerai de la vie politique», a-t-il promis dans une interview accordée à la télévision tunisienne et qui a été diffusée vendredi soir. Après le départ du président déchu, son maintien à la tête de l’Exécutif est «provisoire».
Selon ses dires, il s’engage, durant cette période, à accomplir son devoir envers son pays et faire ses valises une fois que le pays aura retrouvé sa stabilité. «Mes responsabilités sont provisoires», a insisté M.Ghannouchi, soulignant qu’il avait pour seul et unique objectif de remettre le pays sur les rails, sur les plans sécuritaire et économique.
Dans ce message, à travers lequel il tente de calmer la rue, M.Ghannouchi a annoncé qu’il n’a aucune ambition politique et qu’il ne se présentera pas à l’élection présidentielle qui aura lieu dans six mois.
«Et même si on me propose d’être candidat, après la période de transition, je prends ma retraite.» Le Premier ministre juge que la Tunisie dispose d’un réservoir riche de compétences qui pourront diriger le pays. «Nous avons assez d’hommes capables et compétents» pour diriger le pays, a-t-il ajouté.
A propos de l’élection présidentielle, M.Ghannouchi annonce que son pays a intérêt à réussir cette transition. Il s’engage, ainsi, à assurer une élection libre, transparente et démocratique. «Nous n’avons pas le droit de ne pas réussir des élections transparentes, c’est le défi. Nous devons montrer au monde que nous sommes un pays civilisé», a-t-il dit.
A en croire la déclaration du Premier ministre, le gouvernement et l’administration centrale ne favoriseront aucune liste et resteront neutres. Comme première démarche, il annonce la réforme de toutes les lois antidémocratiques et qu’aucun parti politique ne sera exclu. Il a évoqué, tour à tour, l’actuelle loi électorale qui bannit certains partis politiques, la loi antiterroriste qui a servi de prétexte pour jeter en prison des centaines de jeunes soupçonnés de menacer la sécurité du pays au motif qu’ils consultaient des sites islamistes, et le Code de la presse qui permettait de contrôler très étroitement les médias.
La même source a jugé qu’autant de mesures serviront à garantir «des élections transparentes et démocratiques, les premières depuis l’Indépendance».
Lors de cette sortie médiatique, l’interviewé n’a avancé aucune date concernant la tenue des élections. Pour lui, aucune date n’a été arrêtée jusqu’à présent. «Je ne peux pas répondre sur la date. Le plus tôt sera le mieux…», s’est-il suffi de dire. Selon la Constitution tunisienne, une élection présidentielle est annoncée dans un délai de 60 jours après déclaration de la vacance du poste de président de la République. Pour diverses raisons, le gouvernement a jugé utile d’allonger ce délai jusqu’à six mois. Par la même occasion, le Premier ministre a rassuré les Tunisiens que l’Etat ne renoncera pas à la gratuité de l’enseignement, l’accès aux soins et ne touchera surtout pas le statut de la femme, qui interdit la polygamie. Pour le Premier ministre, il s’agit «d’acquis irréversibles» de la société tunisienne.
Concernant l’indemnisation des victimes de la «révolution de jasmin», il a assuré que les familles des victimes «seraient indemnisées», du fait qu’elles «avaient consenti des sacrifices qui nous ont permis de faire un virage à 180 degrés». L’occasion s’est offerte pour M.Ghannouchi de revenir sur 11 ans de responsabilité sous le règne de Ben Ali.
Se démarquant de la politique césariste de son ancien président, il a reconnu qu’il «avait peur comme tous les Tunisiens». Et d’avouer que le gouvernement n’avait aucune parole à cette époque et que le premier et le dernier mot revenait à M.Ben Ali. Pendant les Conseils des ministres qu’il présidait à son Palais de Carthage, près de Tunis, «Ben Ali parlait tout le temps, il parlait à lui-même, se convainquait lui-même, et nous partions sans avoir discuté. J’ai été tenté à plusieurs reprises de laisser tomber, mais je subissais la pression de plusieurs personnes qui me demandaient de ne pas renoncer», a-t-il avoué.
Enfin, le Premier ministre a annoncé, au sujet des avoirs gelés de la famille Ben Ali et de celle de son épouse Leïla Ben Ali, qu’une fois que la justice se serait prononcée sur les responsabilités, ils seraient «restitués au peuple de Tunisie». (L’Expression-23.01.2011.)
**Kamel Morjane: «Ben Ali a été dépassé par les événements»
Ministre sous l’ancien président, Kamel Morjane a été reconduit aux Affaires étrangères dans le gouvernement de transition. Chouchou présumé de Washington, il a comme priorité est le retour à la normale du pays. Interview…
Apparatchik atypique de l’ère Ben Ali, dont il est un cousin par alliance, Kamel Morjane est l’un des poids lourds du gouvernement de transition. A 62 ans, ce discret diplomate a principalement fait carrière aux Nations unies – notamment au HCR à Genève, où il fut également étudiant à HEI et représentant permanent de la Tunisie –, avant de rejoindre le gouvernement tunisien en 2005, d’abord comme ministre de la Défense, puis au portefeuille des Affaires étrangères. Il a été provisoirement reconduit à ce poste. Son nom est connu des Occidentaux pour avoir été évoqué, en 2006, dans un câble américain rendu public par WikiLeaks, et qui le pressentait comme l’une des cinq personnes capables de succéder à Ben Ali en cas de vacance du pouvoir. En Tunisie, où la rue lui reproche sa proximité avec l’ancien régime, on murmure que ce présumé chouchou de Washington aurait été un acteur clef du départ précipité de Ben Ali.
Le Temps: Comment avez-vous vécu le départ de Ben Ali?
Kamel Morjane: Je m’attendais à tout sauf à ça. Tout le monde a été surpris: ceux qui étaient à l’intérieur du système, comme moi, mais aussi les observateurs les plus avertis qui suivent notre pays. Ce vendredi 14 janvier, j’étais à mon bureau, au Ministère des affaires étrangères. J’ai appris la nouvelle comme tous les autres Tunisiens. Je ne me souviens plus comment, exactement. Je crois que c’est par la télévision, après 18h… Tout s’est enchaîné tellement vite. Au début, j’étais inquiet. Quand le commandant de bord d’un bateau s’en va, l’équipage peut rapidement chavirer… Le soir même, je ne suis pas rentré chez moi. A la fois pour des raisons de sécurité, et à cause de mes responsabilités professionnelles, car le gouvernement était officiellement en place. La nuit, j’ai dormi dans mon bureau.
– Vous n’étiez pas dans le secret de ce départ précipité?
– Honnêtement, j’ignorais tout de ce dessein. Dans l’après-midi, nous nous étions parlé au téléphone. Une conversation de routine comme nous avions l’habitude d’en avoir quotidiennement. En refaisant aujourd’hui le calcul, notre échange a eu lieu entre 2 heures et 2 heures et demie avant son départ. Sa voix ne laissait rien transparaître. Rien, absolument rien. Il semblait tout à fait confiant. Depuis, nous ne nous sommes jamais reparlé.
– A aucun moment il n’a sondé vos conseils, en tant que ministre des Affaires étrangères, pour savoir quel pays allait l’accueillir?
– Non. J’ai suivi tout ça à travers les médias, comme tout le monde.
– Pourtant, vous avez des affinités familiales…
– C’est vrai que ma femme est la fille d’un de ses cousins. Mais ça ne veut rien dire. A titre personnel, nous avions sans doute des relations privilégiées. Mais sur le plan professionnel, il y avait des gens qui, au palais, étaient beaucoup plus influents que moi.
– Pensait-il qu’il allait revenir?
– C’est fort possible. Je vous le répète: il ne m’a rien dit, il ne m’a pas consulté à ce sujet. Je ne sais pas ce qu’il avait en tête. Je crois qu’avant tout, il a été lui-même dépassé par les événements. Il n’avait certainement pas prévu ce genre de dénouement. Et s’il est parti pour de bon, c’est qu’il est arrivé à la conclusion que c’était fini pour lui.
– Ces derniers temps, Ben Ali vous avait-il semblé plus isolé?
– Oui, c’est le sentiment que j’avais. C’est là qu’on aurait peut-être dû faire quelque chose… Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, en 1987, il était beaucoup plus attentif aux autres, il était à l’écoute. Lorsqu’on lui faisait des propositions, il les prenait en considération. Et puis, avec le temps, il a changé…
– Qui le coupait des autres? Sa femme, Leïla Traboulsi?
– Tout un entourage, je dirais… C’est ça qui a posé problème. Mais je n’aime pas parler de cela.
– Vous connaissez bien l’armée pour avoir été ministre de la Défense. La révolution aurait-elle réussi sans le soutien de l’armée?
– J’estime que c’est, avant-tout, une révolution populaire, dont l’immolation du jeune Bouazizi a été un des éléments déclencheurs. Cela faisait un moment que les Tunisiens contenaient leur colère et avec lui, tout a fini par lâcher, comme un élastique! Mais pour revenir à l’armée, il est vrai qu’historiquement, elle a toujours entretenu un lien étroit avec la population. C’est essentiellement une armée d’appelés, donc issue du peuple. Elle est connue pour son intégrité sur le plan moral. Elle est également réputée proche de la population pour avoir participé à de nombreux projets de développement sociaux et humanitaires. Je peux vous citer l’exemple de la zone déshéritée de R’jim Maatoug, situé en plein désert, au sud de Tozeur, où une oasis a été exploitée pour produire 20 000 tonnes de dattes par an.
– Rachid Amar, le chef d’état-major de l’armée de terre, a rapidement désapprouvé la violence de la police contre les manifestants. C’est lui qui aurait, par la suite, ordonné à Ben Ali de partir. Quel rôle a-t-il exactement joué?
– Je ne lui ai pas parlé depuis les événements. J’ignore s’il a joué un rôle particulier. Mais je peux vous dire que c’est un officier intègre pour qui j’ai beaucoup de respect. C’est quelqu’un de très intelligent, à l’écoute de sa société, qui suit de très près ce qui se passe dans le pays. Maintenant, que certains éléments souterrains aient contribué à cette révolution, c’est fort possible… On peut faire mille et une suppositions.
– Les Américains, par exemple?
– Je ne sais pas. Je n’ai aucune preuve. En revanche, à travers leurs diverses déclarations, ils n’ont pas caché leur soutien aux manifestants. Leurs encouragements ont été entendus. Ce genre de prise de position encourage la population. Mais quand je parle d’autres éléments, je ne pense pas particulièrement à des pays étrangers. Ça peut être des Tunisiens, des gens de son cercle rapproché…
– Vous êtes actuellement contesté par la rue pour avoir été un ministre de l’ex-régime et membre du bureau politique du RCD, l’ancien parti du pouvoir. Accepteriez-vous de démissionner comme les protestataires vous le demandent?
– J’ai déjà annoncé ma démission du bureau politique du RCD. Quant au parti lui-même, je reste fidèle à ses valeurs d’origine. Le RCD, c’est une histoire, c’est une famille politique, née du mouvement destourien qui a œuvré pour l’indépendance du pays. Mon père en était membre. Je suis né là-dedans. Je resterai toujours sensible à cette mouvance même si je reconnais qu’aujourd’hui, elle a dévié de sa voie. Maintenant, c’est à chacun de nous de faire des choix. Peut-être qu’il y en a qui décideront d’aller vers d’autres partis politiques. D’autres y resteront attachés. Pour moi, le RCD, c’est un peu comme le parti gaulliste en France. Ce parti a évolué. En période difficile, il a préservé certains fidèles. Et puis il y a ceux qui ont créé des alliances. Je ne vous cache pas que nous sommes en pleine réflexion, avec mes camarades, sur l’avenir du RCD: comment le faire évoluer, dans ce nouveau contexte démocratique? Quant à mon poste de ministre, je le vois comme un moyen d’aider mon pays dans cette période transitoire et délicate. Je ne tiens pas absolument à rester au gouvernement. Mais je veux mettre mes compétences à profit. Ce qui me préoccupe le plus, c’est que cette révolution porte ses fruits. Nous devons travailler tous ensemble pour bâtir l’avenir. Je suis fier d’avoir été le premier à parler de «gouvernement d’union nationale».
– Quelles sont les priorités?
– Un retour à la normale au plus vite! C’est pourquoi nous rouvrons cette semaine les écoles et les universités. Les slogans, c’est beau, mais il faut se remettre au travail, préparer les élections, relancer au plus vite l’activité. Certains tour-opérateurs étrangers ont demandé à leurs clients de renoncer à leurs vacances d’été en Tunisie, et je le regrette. Nos ressources sont limitées. Le tourisme, c’est le poumon économique de notre pays. (Le Temps.La Suisse-24.01.2011.)
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Le frère de Leïla Ben Ali rejoint Montréal
La famille de l’ancien président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et celle de son épouse continuent de fuir la Tunisie. Avant-hier, un des frères de Leïla Ben Ali, a quitté le pays pour rejoindre Montréal, selon l’AFP, citant une source gouvernementale. Sans divulguer l’identité de ces personnes en détail, la même source a rapporté qu’il s’agit d’un des frères de l’épouse de Ben Ali, leurs deux enfants et leur gouvernante. Ces derniers ont atterri vendredi matin, à bord d’un jet privé, à l’aéroport international de Montréal-Trudeau. Les voyageurs se seraient arrêtés dans un hôtel de l’ouest de Montréal.
Il appartenait au clan Ben Ali
Un Falcon bloqué à l’aéroport de Genève
Un avion appartenant à l’entourage du président tunisien déchu, Zine El Abidine Ben Ali, a été bloqué à l’aéroport de Genève, alors que la Suisse a décidé de geler les avoirs de l’ex-chef d’Etat et de son entourage, a affirmé la presse helvétique. Un Jet privé de type Falcon 900B, immatriculé TS-JSM, qui pourraît appartenir à un gendre de l’ancien président Ben Ali, Mohamed Sakhr el-Materi, est arrivé le 10 janvier à l’aéroport international de Genève Cointrin pour subir une inspection, a indiqué le quotidien Le Matin, citant le militant des droits de l’homme tunisien, Jalel Matri. L’Asso-ciation des Tunisiens de Suisse, dont fait partie M.Matri, a entamé des démarches auprès des autorités locales et fédérales pour faire bloquer l’appareil, a précisé le journal. Le proprié-taire du Falcon ne peut être clairement établi, mais le journal explique que l’avion est enregistré auprès de la société libanaise Princess pri-vate aviation dont M. el-Materi «détient des parts». (L’Expression-23.01.2011.)
** La «Caravane de la libération» est arrivée à Tunis
Près d’un millier d’habitants venus du centre du pays sont arrivés dimanche matin dans la capitale pour dénoncer la présence d’anciens ministres de Ben Ali dans le gouvernement. A Tunis, les policiers ont pour la première fois participé aux manifestations populaires samedi.
Une semaine après la chute de Ben Ali, la soif de renouveau des Tunisiens ne se tarit pas. Près d’un millier d’habitants venus du centre-ouest du pays, d’où est partie la «révolution du jasmin», sont arrivés dimanche matin à Tunis après avoir pris la route samedi matin. Se présentant comme «la Caravane de la libération», ils veulent obtenir le départ des anciens ministres de Ben Ali, présents dans le très contesté gouvernement de transition de Mohammed Ghannouchi. Samedi matin, ils étaient 300 à quitter Menzel Bouzaiane, à 280 km au sud de la capitale. Rejoints en chemin par d’autres manifestants, ils étaient environ 800 dans la soirée. A leur arrivée à Tunis, après avoir alterné pendant la nuit marche et trajets en véhicules, ils étéaient près d’un millier. Un syndicaliste qui participe à la marche, Mohamed Fadhel, a même avancé le chiffre de 2.500. «Nous sommes venus de Menzel Bouzaiane, de Sidi Bouzib, de Regueb pour faire tomber les derniers restes de la dictature», a expliqué un vieil homme drapé dans un drapeau tunisien.
Le premier ministre a pourtant multiplié les gages. Mohammed Ghannouchi a assuré qu’il prendrait sa retraite politique après la transition et a supprimé «l’autorisation préalable» à laquelle étaient soumises les importations de livres, revues, films, tenant ainsi la promesse d’oeuvrer à «liberté totale de l’information». Cependant, la défiance envers le nouveau cabinet ne faiblit pas. Alors que la rentrée des classes dans les écoles primaires, fermées depuis le 10 janvier, doit se faire lundi, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a appelé les instituteurs à rejoindre la contestation par une grève illimitée jusqu’à «la dissolution du gouvernement». L’UGTT est à la pointe de la contestation de la nouvelle équipe gouvernementale. En début de semaine, ses trois ministres ont été les premiers à se retirer de l’équipe de Mohammed Ghannouchi.
A Tunis, qui célèbre un deuxième et avant-dernier jour de deuil national, les manifestations contre le gouvernement comme et pour de meilleures conditions salariales se poursuivent . Pour la première fois, des policiers en civil ou en uniforme ont pris part aux cortèges pour réclamer un syndicat de police mais aussi pour se faire pardonner par la population la sanglante répression de la «révolution du jasmin». «Policiers opprimés, policiers sacrifiés», ont-ils lancé. La manifestation s’est tenue devant le siège l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) où ces mêmes policiers empêchaient, il y a encore quelques jours, le départ des manifestations .
«Crier notre colère»
Mais depuis la chute de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali, le 14 janvier, les choses ont changé. Aucun signe d’animosité de la part des militants syndicalistes qui se faisaient allégrement tabasser par la police il y a une dizaine de jours. Au contraire, tout le monde a fraternisé dans la cohue. Longtemps considérés comme les yeux et les bras du système de surveillance et de répression mis en place par Ben Ali, les membres des forces de l’ordre avaient été conspués par la foule ces derniers jours pour leur rôle dans la répression des manifestations qui ont fait une centaine de morts selon l’ONU. «Y’en a marre de recevoir les ordres et pour une fois on veut crier notre colère», dit un policier qui comme ses collègues ne veut pas être identifié. «Les policiers sont des Tunisiens comme les autres», renchérit un autre. «On a eu 50 morts et pas de funérailles officielles» comme celles organisées pour trois soldats morts à Bizerte (dans le nord du pays) qui ont eu droit aux honneurs militaires, assure-t-il. Officiellement, seuls huit policiers sont morts pendant les violences qui ont éclaté à la mi-décembre dans le centre de la Tunisie.
Si la plupart des policiers ont défilé en civil, d’autres ont conservé leur uniforme. Beaucoup de ceux qui ne participaient à la manifestation ont porté des brassards rouges pour dire leur solidarité avec leurs collègues, tout en continuant à maintenir l’ordre dans la rue. La contestation dans les rangs de la police, dont les effectifs atteindraient les 100.000 hommes, est partie vendredi. Le ministre de l’Intérieur Ahmed Friaa a affirmé au même moment que «la police n’est pas l’ennemie du peuple».«La police est là pour protéger (les citoyens)», a-t-il affirmé. Samedi, une centaine de policiers se proclamant «victimes» de l’ancien régime ont aussi défilé à Sidi Bouzid où la contestation a débuté il y a cinq semaines, quand un jeune marchand de fruits, Mohammed Bouazizi s’était immolé par le feu après avoir été giflé par une policière.(Le Figaro avec AFP-23.01.2011.)
**Et soudain, la parole s’est libérée
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Les principaux journaux tunisiens ont couvert les évènements (ici le 18 janvier) avec une liberté de ton inconnue du temps de Ben Ali.
Au siège de la jeune radio Express FM, la révolution a été vécue en direct avec ferveur. Quinze heures de libre antenne, non-stop, à recueillir cris de joie, témoignages et appels à l’aide adressés à l’armée pour être protégé des milices. L’impression de renaître.
Une pluie d’appels inonde le standard d’Express FM, à la périphérie de Tunis. De l’autre côté de la vitre, dans le studio, Wassim Ben Larbi redresse son casque à la hâte : «Ça y est, nous sommes en ligne avec notre correspondante qui se trouve au siège de l’Utica» (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), lance le jeune présentateur. Le bourdonnement inaudible d’une foule en furie perce aussitôt les ondes. Puis, une voix féminine prend le dessus : «Bonjour ! Bonjour ! C’est incroyable ce qui se passe ici… Je suis coincée devant l’ascenseur… Deux cents hommes d’affaires assiègent le bureau du patron de l’Utica. Ils sont furieux. Ils veulent sa peau, à cause de sa proximité avec le clan Ben Ali… Attendez, attendez… Ah ! On vient d’apprendre sa démission !»
La révolution en direct
Un sourire espiègle traverse le visage de Wassim. Le 14 janvier, il fut l’un des premiers journalistes à annoncer, en pleine émission, le départ du président tunisien. La suite est historique : quinze heures de «libre antenne», non-stop, à recueillir cris de joie, témoignages, et appels à l’aide adressés à l’armée pour qu’elle les protège des milices ben-alistes. Inédit dans un pays asservi à la langue de bois pendant vingt-trois ans !
«Depuis, je vis la révolution en direct !», s’enflamme Wassim. Partout, la parole se libère : dans la rue, où les manifestants s’égosillent du matin au soir pour réclamer la dissolution du RCD, l’ex-parti officiel, dans les centres culturels où plane un air de movida espagnole, dans les administrations, où de minirébellions évincent, les unes après les autres, d’anciens «collabos». Accroché à son micro, Wassim relaye ces événements avec la ferveur d’un homme qui réapprend à vivre. Parfois, une blague fuse. La plus populaire : «Quelqu’un a proposé que le siège du nouveau président soit en Tefal, pour qu’il ne colle pas !» «Tout est permis, il faut en profiter», jubile-t-il.
Inaugurée il y a seulement trois mois, Express FM s’était rapidement mise au diapason de la propagande officielle. «Le moindre écart était risqué», raconte Naoufel Ben Rayana, son directeur général. «Fin 2010, nous avions “osé” évoquer, à l’occasion d’une revue de presse, le phénomène WikiLeaks, sans même citer les télégrammes portant sur la Tunisie. Ça n’a pas loupé : nous avons aussitôt reçu un appel nous avisant d’ignorer ce sujet», se souvient-il, en reconnaissant avoir cédé aux diktats. Car ne pas répondre aux ordres d’en haut, c’était risquer gros : la prison, les interrogatoires musclés au ministère de l’Intérieur, ou encore la fermeture du robinet financier - de nombreux médias dépendant de la famille Traboulsi (celle de «Madame», l’épouse de Ben Ali). «La pression était telle que même la nouvelle génération avait fini par intégrer les règles de l’autocensure», concède Karim Ben Armor. Le casting qu’il fit passer, l’année dernière, aux nouveaux présentateurs en est l’illustration flagrante. «On leur avait mis différents articles sous les yeux, en leur demandant d’en choisir un pour le lire à voix haute. Ils avaient systématiquement opté pour celui qui traitait de l’actualité présidentielle… En fait, nous étions tous formatés !», dit-il.
«L’impression de renaître»
Un formatage dont les journalistes du quotidien La Presse, l’ex-porte-voix du régime, cherchent également à s’affranchir. Au quatrième étage de ce bâtiment blanc, situé en plein centre-ville, une dizaine de reporters débattent, à bâtons rompus, du «menu» du lendemain. En début de semaine, le journal a procédé à son propre nettoyage interne. Le rédacteur en chef a été remercié. Au lieu de le remplacer, les journalistes se relayent quotidiennement pour diriger le «comité de rédaction». Ce jour-là, c’est au tour du caricaturiste, Lotfi Ben Sassi d’assurer la relève. Appuyé contre sa table, il croule sous les propositions de sujets : un reportage sur les bijoux de la famille Ben Ali, l’interview d’un artiste tunisien qui renonce à sa médaille de chevalier de l’Ordre des arts et des lettres pour contester le «silence» français pendant la répression des manifestations anti-Ben Ali, une enquête sur les «martyrs» de la révolution…
Aujourd’hui, l’iconographie retrouve également ses lettres de noblesse. «Le portrait de Ben Ali occupait obligatoirement la une du journal. Ces derniers temps, celui sa femme s’y était greffé. On a l’impression de renaître !», raconte Olfa Benhassine, reporter au service culture.
Mais les vieux réflexes ont la peau dure. «C’est comme si je m’étais débarrassée d’un beau-père violent et que tout d’un coup, je me retrouvais orpheline, à la recherche d’un bon père qui me comprenne. C’est plus fort que moi : tant que le nouveau gouvernement sera en crise, je ne pourrais m’empêcher d’avoir peur», confie la photographe Faten Gaddes. (Le Figaro-21.01.2011.)
**Cinquième roue de la charrue révolutionnaire
La presse tunisienne opère sa mue
H’mida Benromdane a dirigé, samedi, le premier comité de rédaction depuis la création du journal La Presse.
Nadia Hached et une vingtaine d’autres collègues attendaient beaucoup de cette réunion, mais leur nouveau PDG et chef de la rédaction allait les surprendre sur un ton tranchant : «Nous allons opérer une rupture totale avec le passé.» Le public restreint est resté scotché, attendant davantage de précisions. «Pendant 50 ans, nous n’avons rien fait à part glorifier deux dictatures (…) et, jusqu’au 15 janvier 2011, La Presse était un scandale quotidien qui nous collait la honte», ajoutait encore Benromdane. A l’image de l’horloge en panne accrochée au mur de la salle de réunion, le temps était suspendu à La Presse.
Comme partout au sein des organes de la presse écrite tunisienne, c’est le premier quotidien en langue française (avec un tirage moyen de 70 000 exemplaires) qui excellait dans la brosse à reluire l’image du pouvoir en général et du couple Ben Ali en particulier. «Le peuple nous a offert le cadeau de la liberté ; désormais, aucun type de censure ne vous sera imposé, sauf celui de la qualité et la déontologie.» A ces phrases fortes et sincères, les journalistes présents commencent à se détendre. Il est vrai que même si La Presse n’a pas accompagné le mouvement de la rue, les journalistes ont fini par se révolter lundi dernier (trois jours après la chute du Président) et ont viré le rédacteur en chef, Jawhar Chatty, à la solde du pouvoir déchu. «Nous n’avons pas contribué à la révolution populaire, au contraire, La Presse a continué jusqu’à la dernière minute à soutenir Ben Ali», avoue le caricaturiste Lotfi Bensaci qui discutait, quelques minutes avant la réunion de rédaction, avec d’autres collègues sur le climat qui prévaut au sein du journal.
Nadia, journaliste de la rubrique économique, dit souffrir de l’animosité et de la disparition de la confiance entre les journalistes. «Vendredi, une réunion de rédaction s’est terminée par un échange d’accusations, ce qui est regrettable», confie-t-elle. Mais le vent semble avoir tourné grâce au discours qualifié de révolutionnaire tenu, hier, par le nouveau dirigeant du journal. H’mida Benromdane a invité ses collègues à œuvrer avec lui pour transformer radicalement le journal dans la forme et dans le fond. Il est applaudi par la salle qui s’anime ensuite par les interventions et les propositions. Le nouveau PDG n’omet pas de révéler qu’il a été appelé la veille par le Palais du gouvernement et nommé à ce poste. Selon lui, il ne s’empêchera pas de critiquer les erreurs du gouvernement et ne sera pas obligé de lui offrir des dithyrambes quotidiens. Toute la presse tunisienne est prise, en ce moment, par cet élan de libération de la parole.
Le ton change, les unes opèrent un virage de 180° et les éditoriaux rivalisent pour employer les termes les plus beaux et les plus forts pour décrire la révolution. Les chaînes de télévision publiques, Canal 21 et Tunis 7, ainsi que les deux télés privées Nessma TV et Hannibal, ont été obligées de prendre le train en marche ; elles offrent, chaque jour, des plateaux entièrement consacrés aux événements avec une liberté d’expression inédite. Une chose est sûre : les journalistes avouent n’avoir aucun mérite dans ce changement et en remercient le peuple. (El Watan-24.01.2011.)
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La presse et les livres étrangers de nouveau sur les étals
La “Révolution des Jasmins” semble avoir définitivement mis un terme à la censure à tout-va, imposée par le régime de Ben Ali. Ainsi, l’importation en Tunisie de livres, revues, films “n’est plus soumise à autorisation préalable”, a annoncé, samedi, l’administration des douanes tunisiennes dans un communiqué cité par l’agence officielle TAP. “L’administration générale de la douane informe samedi que l’importation des livres, des publications, des CD-Roms, des films et de tous les supports électroniques n’est plus soumise à autorisation préalable”, selon la douane tunisienne. L’importation de livres, revues, films en Tunisie, que ce soit à titre individuel ou collectif, était auparavant soumise à une autorisation délivrée par un organe de censure du ministère de l’Intérieur. Avant même l’annonce des douanes, les quotidiens français ont fait leur retour dans les kiosques tunisiens, alors qu’ils étaient souvent interdits de vente pendant les 23 ans de pouvoir du régime du président déchu.(Liberté-24.01.2011.)
**Ben Ali-Trabelsi : les pillages d’une famille en or
La famille de l’ex-président tunisien aurait mis la main sur 40 % de l’économie du pays.
Et l’emprise de sa femme Leïla et des siens ne cessait de s’accroître ces derniers mois.
Ben Ali et Leïla Trabelsi avaient mis au pas la Tunisie et préparé l’avènement du gendre prodige Mohamed Sakhr el-Materi (ici, en arrière-plan).
Un neveu du Président est venu me rendre visite il y a trois semaines. Par chance, je m’étais absenté. L’individu a dit à mon personnel terrorisé qu’il reviendrait.» La chute du régime de Ben Ali a sans doute évité à cet entrepreneur tunisien l’entrée de l’un des membres de la famille présidentielle au capital de sa société, ou le versement d’un pot-de-vin. Quelques jours après le départ du clan présidentiel, les langues commencent à se délier en Tunisie. L’anonymat des témoins reste de rigueur, par peur d’un retour en arrière et par méfiance vis-à-vis du nouveau gouvernement, qui a laissé plusieurs ministères clés à des figures de l’ancien régime.
Mais la fuite du président Ben Ali lève peu à peu le voile sur une économie gangrenée et cornaquée par la famille de l’ex-dictateur. En vingt-trois ans, la famille Ben Ali et celle de son épouse, Leïla Trabelsi, 55 ans, ont fait main basse sur des pans entiers de l’économie du pays et mis en place un véritable racket institutionnalisé: l’automobile, la téléphonie, les banques, l’immobilier, le tourisme… Pas un secteur n’y a échappé. Des experts tunisiens considèrent que 40 % de l’activité économique et des flux financiers étaient aux mains de membres de la famille présidentielle il y a encore une semaine. La Fondation Global Financial Integrity estime que la corruption a fait perdre un milliard de dollars par an au pays. «Ce sont de véritables prédateurs, explique Béatrice Hibou, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri). Ils ont réussi à entrer dans toutes les grandes entreprises en récupérant des participations à bas prix, à se placer comme intermédiaires dans toutes les privatisations ou les grands appels d’offres, ainsi qu’à pousser tous les groupes étrangers qui cherchaient à s’implanter en Tunisie à verser des commissions.»
La loi interdit les enseignes étrangères de grande distribution? Un conseil interministériel donne l’autorisation à Slim Chiboub, un gendre du Président, d’implanter l’enseigne Carrefour. La baisse de l’activité touristique rend indispensable l’adhésion du pays aux accords internationaux d’ouverture de couloirs aériens (Open Sky)? Le pays ne signera jamais ces accords qui risquaient d’affaiblir la compagnie Karthago Airlines, aux mains de Belhassen Trabelsi, le beau-frère de Ben Ali. Les rapports de diplomates américains dévoilés par WikiLeaks parlent d’un «manque de transparence et de responsabilité qui porte gravement tort à l’économie en dégradant les conditions de l’investissement et en alimentant une culture de la corruption». La réalité était pire.
Le racket organisé au niveau de l’Etat avait également des ramifications sur le terrain, chez les petits chefs d’entreprise et jusqu’au fin fond des échoppes de quartier. A chaque fois, le modus operandi était le même. Des hommes de main du clan se renseignaient sur leur future proie. Quand ils avaient suffisamment d’informations, ils attaquaient: menace de contrôle fiscal, divulgation de photos pour les maris adultères ou encore coupures d’eau et d’électricité. «Ils ont commencé par forcer les commerçants chez qui nous faisions nos courses à leur donner les factures pour voir ce que nous achetions, raconte un Tunisois. Ils voulaient tout savoir: qui nous recevions, ce que nous servions à table. Et puis un jour, ils ont débarqué pour nous demander de vendre notre société.»
Tout entrepreneur qui inscrivait son entreprise au registre du commerce entrait dans le collimateur du clan et se voyait attribuer des informateurs attitrés. Dès que l’entreprise arrivait à une taille jugée critique, les sbires de la famille présidentielle débarquaient et n’hésitaient pas à utiliser tous les moyens d’intimidation afin d’obtenir, au mieux une prise de participation dans la société, et au pire sa vente pour un prix dérisoire à un membre de la famille présidentielle. Et l’omerta était de mise. Les chefs d’entreprise ne pouvaient pas rencontrer les chancelleries occidentales sous peine de représailles. «Les parkings des chancelleries étaient truffés d’informateurs», explique un membre de l’élite intellectuelle tunisienne.
On croirait entendre les témoignages de Roumains durant les sombres heures de la dictature Ceaucescu. Une comparaison d’autant plus pertinente que, dans les deux cas, c’est une femme qui tirait les ficelles dans l’ombre du dictateur. Elena Ceausescu en Roumanie et Leïla Trabelsi en Tunisie. Car ce que l’on appelle « la famille » est organisé en deux clans. Il y a tout d’abord le clan Ben Ali, composé des six frères et sœurs du Président, leurs enfants, ainsi que les trois filles issues du premier mariage de Ben Ali. Il y a du beau monde. Moncef Ben Ali, le frère de l’ex-Président, était un ancien trafiquant de drogue condamné par contumace en France à dix ans de prison pour son appartenance à la« couscous connection ». Il est décédé en 1996.
Les rêves de diva d’une ancienne coiffeuse
Les trois filles issues du premier mariage de Ben Ali ont épousé des Tunisiens qui ont été pris en main par la famille. Slim Chiboub, le mari de Dorsaf, fait la pluie et le beau temps sur les marchés pharmaceutiques qu’il octroie aux plus offrants. Il a également racheté de nombreux terrains pour une bouchée de pain et les a vendus à prix d’or à l’issue de programmes immobiliers, eux aussi négociés à des tarifs plus que préférentiels. Marouane Mabrouk, marié à Cyrine Ben Ali, a hérité de la concession Mercedes de Tunis et est surtout coactionnaire d’Orange dans le pays.
L’autre pan de la mafia présidentielle est constitué de la famille Trabelsi, du nom de jeune fille de la deuxième épouse du Président, Leïla, ancienne coiffeuse aux rêves de diva qui a grandi dans la médina de Tunis. Ses dix frères et sœurs, les nombreux neveux ainsi que les enfants du couple présidentiel constituent une vaste nébuleuse qui a infiltré toutes les sphères politiques et économiques de Tunisie. Si l’on ne devait citer qu’un nom, le pilier du clan Trabelsi, ce serait Belhassen, le frère de Leïla. Il était partout: transports aériens (Karthago Airlines), télécoms (Global Telecom Networking), construction de camions (Alpha Ford International), licences d’importation d’automobiles (Ford, Jaguar et Hyundai), tourisme, médias (Mosaïque FM et Carthage TV). Sa cupidité ne le faisait reculer devant aucune intimidation ni aucune manipulation, le plus souvent sous l’œil complaisant de la communauté internationale. L’un de ses derniers faits d’armes est d’avoir modifié, dans le quartier La Malaga de Carthage, le statut juridique de terrains classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco, puis de les avoir achetés 1 euro le mètre carré pour les revendre ensuite environ 2000 fois plus cher.
L’autre homme fort du clan Trabelsi est Mohamed Sakhr el-Materi, le mari de Nasrine, la première fille du couple présidentiel. A 30 ans, il gère de nombreuses affaires: la radio coranique Zitouna FM lui appartient, et il s’était lancé dans la finance islamique. Elu député, il est rapidement devenu très riche, au point de faire de l’ombre à Belhassen. Il avait également une mission d’importance: ponctionner tout ce qui pouvait l’être sur les octrois de marchés et les appels d’offres, garder 10 % pour lui et laisser le reste sur des comptes au nom de Mohamed Ben Ali, l’héritier mâle inespéré que le couple présidentiel attendait depuis des années et a fini par concevoir in vitro en 2005.
Les deux clans se sont partagé le pays et ont dépecé méthodiquement son économie. Aux Ben Ali la région côtière centrale et aux Trabelsi la région de Tunis, la plus riche. Le journaliste tunisien Slim Bagga, fin connaisseur de l’économie de son pays, estime la fortune des Ben Ali à 5 milliards d’euros. Le clan Trabelsi représenterait à lui seul 12 milliards d’euros. Leur fortune est immense et ils sont partout. Une propriété en Argentine, des avoirs financiers en Suisse et à Dubaï ou encore plusieurs propriétés en France. Selon des membres de l’élite intellectuelle tunisienne, Ben Ali, 74 ans, qui semblait au crépuscule de sa vie (il souffre d’un cancer de la prostate depuis plusieurs années), n’avait plus la pleine maîtrise des choses. Un bon connaisseur du régime raconte que le jeune Mohamed était devenu un objet de chantage pour la femme du Président, qui l’utilisait pour obtenir ce qu’elle voulait. L’an dernier, elle serait partie avec lui à Dubaï et ne serait rentrée que lorsque Ben Ali lui aurait promis de privatiser la distribution du thé et du café en Tunisie et d’en faire profiter un de ses proches. C’est Leïla Trabelsi et son clan qui tenaient la Tunisie.
Un coup d’œil sur les trois secteurs clés de l’économie tunisienne permet de comprendre comment cette famille élargie a pu mettre au pas tout un pays et ses richesses. Le clan Trabelsi a mis la main sur l’automobile, un secteur, contrôlé par l’Etat, qui définit des quotas d’importation. Le ministère du Commerce a d’abord octroyé d’importants quotas à Belhassen Trabelsi. Puis il lui a donné l’exclusivité sur les importations de véhicules japonais et coréens qui ont inondé le marché.
«Son départ va apporter un vrai ballon d’oxygène»
Il y a deux ans, c’est Sakhr el-Materi, un gendre, qui a acheté pour 30 millions de dinars Ennakl, l’importateur de Volkswagen et Audi. Une entreprise aujourd’hui valorisée 300 millions de dinars. L’homme a eu du nez. Mais, curieusement, il était le seul candidat au rachat ! Plus récemment, un futur gendre, Mehdi Belgaïd, a mis la main sur la concession Peugeot. L’Etat lui a tout bonnement offert sa participation dans la société Stafim, importatrice des modèles français, et a sommé la Banque internationale arabe de Tunisie de vendre sa participation au gendre prodigue.
Même scénario dans le secteur de la téléphonie avec ses trois opérateurs. Tunisie Télécom a ainsi vendu 35 % de son capital à un fonds de Dubaï, ce qui a permis à Belhassen Trabelsi de toucher une commission de 30 à 50 millions d’euros, selon nos informations. Tunisiana a mis la main sur la deuxième licence d’opérateur en 2002, non pas en faisant la meilleure offre à l’Etat mais en adressant la rétrocommission la plus élevée au frère de Leïla Trabelsi. Enfin, pour l’octroi de la troisième licence à Orange Tunisie, une surenchère de dernière minute de Sakhr el-Materi a coûté 50 millions d’euros de plus au groupe français.
Un autre secteur stratégique, la banque, a également été préempté par le clan présidentiel. La Banque de Tunisie s’est vu imposer à sa tête Alia Abdallah, la femme de Abdelwaheb Abdallah, qui n’était autre que le conseiller personnel de Ben Ali.
Aux yeux de nombreux observateurs, ce sont ces pratiques, davantage que les privations de libertés politiques, qui ont fait imploser le système et conduit le peuple tunisien dans la rue. «Le départ de la famille Ben Ali va apporter un vrai ballon d’oxygène à l’économie tunisienne, estime Béatrice Hibou. De nombreux entrepreneurs ont vu leurs activités perturbées par les captations de richesses du clan présidentiel. Ou ils ont préféré rester petits pour ne pas être ennuyés…» (Le Figaro-21.01.2011.)
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*La pieuvre Ben Ali disséquée
INFOGRAPHIE – Les clans de l’ex-président Ben Ali et de sa femme Leila Trabelsi ont sans vergogne utilisé leur pouvoir pour vampiriser l’économie tunisienne. Cartographie de leurs intérêts.
«Les Ben Ali et les Trabelsi n’étaient pas des hommes d’affaires, mais plutôt des prédateurs qui profitaient de leur position pour accumuler des richesses». Telle est la description que fait Béatrice Hibou, économiste spécialiste de la Tunisie, de la quasi-mafia qui régnait sur la Tunisie. La bourgeoisie locale ne les aimait pas : ni l’ex-président Ben Ali ni sa femme Leila Trabelsi ne faisaient parti du sérail.Le président Ben Ali n’ayant eu presque que des filles, il s’en est servi pour créer des liens avec un milieu dont il ne faisait pas partie. Il les a mariés à de puissants hommes d’affaires. Par exemple, les liens unissant les Trabesli, Ben Ali et l’un des plus puissants patrons tunisien, Hedi Jilani, ont été construits ainsi. Le magnat est devenu sénateur et président du syndicat patronal national.
Les deux clans étaient vus comme de vulgaires arrivistes. «Si certaines critiques à l’égard des Trabelsi semblent émaner d’un mépris pour leur comportement de nouveaux riches, les Tunisiens remarquent également que leurs méthodes musclées et leur abus flagrant du système en font facilement des objets de détestation», notent les diplomates américains dans un de leurs mémos révélé par WikiLeaks.
Arnaques immobilières
La fortune des Ben Ali et des Trabelsi s’est construite à coups de montages financiers bidon et d’arnaques immobilières, comme le décrivent par le détail les journalistes Nicolas Beau et Catherine Graciet dans leur livre «La Régente de Carthage». Les privatisations des années 1990 et 2000, notamment, sont l’occasion pour eux de mettre la main sur des pans entiers de l’économie tunisienne. Grâce à l’entremêlement du monde des affaires et de la politique, de nombreux groupes étrangers doivent s’associer aux deux clans pour s’implanter localement.
Qu’ont donc fait les Ben Ali et Trabelsi de l’argent ainsi gagné? Difficile à dire. Mais Leila entretenait des liens étroits avec Dubai, où elle avait, d’après Catherine Graciet, beaucoup investi. Notamment dans l’immobilier. Certains des membres de «la Famille» (surnom donné au pouvoir par les Tunisiens en référence aux films évoquant la mafia, NDLR) ne profiteront pas de leur fortune. Outre Imed Trabesli, assassiné lors de la révolte,beaucoup n’ont pas fuit à temps le pays et ont été arrêtés. D’autres ont vu une partie de leurs avoirs gelés, notamment en Suisse. (Le Figaro)
cliquer ici: » INFOGRAPHIE – La pieuvre Ben Ali disséquée
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**le grand imam de l’Université Al-Azhar du Caire Ahmed al-Tayyeb:
«Le musulman est tolérant ou bien il ne l’est pas»
Le principal guide spirituel de l’islam sunnite, le grand imam de l’Université Al-Azhar du Caire Ahmed al-Tayyeb, s’exprime sur les événements tunisiens, le suicide, la coexistence entre christianisme et islam ainsi que la présence musulmane en Europe. Entretien exclusif.
Ahmed al-Tayyeb est considéré comme un homme modéré. Mais le 44e grand imam de l’Université Al-Azhar, principale référence de l’islam sunnite dont le siège est au Caire, sait aussi hausser le ton. Jeudi, par communiqué, il annonçait le gel d’un dialogue bisannuel avec le Vatican en geste de protestation contre les propos du pape Benoît XVI qui s’était inquiété, en début d’année, du sort des chrétiens d’Orient suite aux attentats visant cette communauté en Irak et en Egypte. Il emboîte ainsi le pas au gouvernement égyptien qui avait déjà rappelé son ambassadeur au Vatican pour signifier sa mauvaise humeur face à ce qu’il considère comme une ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures.
Nommé en mars dernier par le président Hosni Moubarak pour reprendre la direction d’une institution plus que millénaire, Ahmed al-Tayyeb représente l’un des piliers du pouvoir avec la tâche difficile de promouvoir l’islam tout en neutralisant ses courants plus radicaux comme celui des Frères musulmans. Très respecté en Egypte, sa crédibilité est contestée par certains du fait de sa proximité avec le pouvoir. Agé de 64 ans, il a étudié en France et connaît bien l’Europe.
Le grand imam Ahmed al-Tayyeb nous a reçu dans la grande salle d’audience de l’Université Al-Azhar pour un entretien exclusif en début de semaine. Là, sous le portrait tutélaire du président égyptien, de nombreuses personnes patientent pour aborder le grand cheikh. Trois conseillers intervenant dans la traduction et des sollicitations incessantes ne nous ont permis, dans un premier temps, de ne poser que deux questions en plus d’une heure. Affable, le grand imam nous a fixé un second rendez-vous le lendemain matin pour terminer l’entretien.
Le Temps: Lundi et mardi, trois personnes se sont immolées, dont deux devant le parlement. Comment expliquer ce geste? Est-ce une protestation traditionnelle dans l’islam puisqu’il y a aussi des cas en Tunisie, en Algérie et en Mauritanie ces jours-ci?
Ahmed al-Tayyeb:On ne peut pas faire de parallèle entre l’Egypte et la Tunisie car les situations sont très différentes. En Tunisie, le peuple a été occidentalisé, coupé de sa culture et de son identité arabe et musulmane. Ce n’est pas le cas en Egypte. Par exemple, la règle de l’héritage tel que décrit par la charia et le Coran, et qui fait l’objet d’un consensus chez les musulmans, a été déformée (en Tunisie). Il en va de même avec l’interdiction du voile dans les rues et les lieux publics. Ainsi l’Université Zitouna – qui avait une place éminente dans l’histoire de l’islam – a été piétinée par le régime tunisien. L’état des libertés ne correspondait pas aux attentes du peuple tunisien. Les médias évoquent beaucoup la corruption et la concentration des richesses nationales au profit d’une élite. La loi de l’histoire veut que, dans ces circonstances, le peuple se soulève pour obtenir des améliorations.
L’Egypte est très différente. Nous n’avons pas vécu cette occidentalisation et une telle remise en cause de notre civilisation. Al-Azhar continue de jouer son rôle et transmet son message sur la charia islamique. C’est intouchable. Nous n’avons pas interdit le voile. Beaucoup de femmes préfèrent rester dévoilées et ce n’est pas un problème. Al-Azhar émet ses conseils et l’Etat n’intervient pas sur leur tenue vestimentaire. C’est libre. L’Etat est à nos côtés pour diffuser l’islam correct, la culture islamique modérée et les règles de la charia comme la miséricorde et l’aide au peuple. Il y a bien sûr des différences de classes et de niveau de vie. Comme partout. En Egypte, c’est le résultat de quatre guerres – entre 1948 et 1973 – et d’une très forte croissance démographique. Mais, ici, tout le monde sait que le gouvernement travaille jour et nuit pour vaincre ces problèmes.
Voilà pourquoi la comparaison faite par quelques-uns entre ce qui s’est passé en Tunisie et la situation de l’Egypte est vide de tout sens. Je ne peux pas juger du cas de l’immolation à Tunis, il y a des circonstances psychologiques qui ont peut-être poussé cette personne à cet état de fragilité mentale. Mais je peux dire que l’islam interdit absolument qu’un homme ayant sa raison utilise le suicide pour exprimer sa colère. Cette mode de l’immolation chez les jeunes, l’islam l’interdit complètement.
– Les coptes ont été l’objet d’attaques, dont un attentat sanglant à Alexandrie (22 morts et 90 blessés) et une tuerie dans un train (un mort et cinq blessés) quelques jours plus tard. Cela révèle-t-il une tension grandissante entre chrétiens et musulmans?
– Ce qui s’est passé à Alexandrie est un crime planifié à l’étranger mais exécuté en Egypte. C’est un comportement complètement étranger à la nature du peuple égyptien, copte ou musulman. L’histoire de l’Egypte n’a jamais connu d’affrontements armés entre les coptes et les musulmans depuis l’arrivée de l’islam jusqu’à nos jours. C’est donc un acte terroriste du type qui a visé par le passé des musulmans égyptiens ou frappé des touristes étrangers comme à Louxor.
Peut-on dire que ces actes relèvent d’un conflit islamo-chrétien? En toute logique, non. Alors pourquoi décrire l’attentat d’Alexandrie comme un conflit entre l’islam et le christianisme? (on tend un téléphone portable à l’imam). C’est le ministre de l’Education nationale. Il m’annonce qu’il a résolu le problème de la mutation d’un enseignant copte qui s’y opposait. Sa mère m’a sollicité pour empêcher ce transfert et je suis intervenu. C’est réglé.
Pour l’attaque dans le train en Haute Egypte, l’auteur – dont on dit qu’il était malade ou mal traité – est aux mains de la justice et il sera puni comme il se doit. Hier [dimanche], l’auteur d’une autre attaque contre des coptes et des musulmans a été condamné à mort. Prenez l’exemple de cet Américain qui a tué plusieurs personnes et blessé une députée. Peut-on parler de tuerie ou faut-il, selon vous, qualifier cela de fitna, de conflit religieux?
Ce que je veux dire, c’est que ces actes, lorsqu’ils se produisent hors du monde musulman, ne suscitent pas trop d’interrogations, on passe vite dessus. Mais quand c’est dans un pays musulman, on l’interprète aussitôt comme un conflit religieux. On cherche à diviser les peuples, à créer l’inquiétude et la tension. Je ne sais pas ce que l’Occident a à gagner avec ces accusations incessantes et qui commencent, malheureusement, je suis désolé de le constater, à ériger un mur de méfiance réciproque entre l’Occident et l’Orient. Je crains que cela puisse renforcer, en réaction, une certaine haine chez les musulmans.
– Al-Azhar représente un courant modéré de l’islam sunnite. On constate toutefois une influence grandissante du chiisme porté par la révolution iranienne, du wahhabisme de l’Arabie saoudite, du salafisme ou des Frères musulmans en Egypte, autant de courants conservateurs, puristes, voire extrémistes. Face à cette concurrence, comment pouvez-vous garantir la défense d’un islam moderne et ouvert? Face à leur lecture très littérale du Coran, ne faut-il pas développer une interprétation des textes ancrée dans l’histoire pour repenser un islam qui vive avec son temps?
– Je ne veux pas nommer des personnes, ni des doctrines. De façon générale, toute l’histoire de l’islam a été traversée de courants conservateurs et de fermeture qui ont tenté d’imposer leurs points de vue. Mais la doctrine moyenne, modérée, de l’islam, a presque toujours prévalu pour défendre la tolérance. Ce qui se passe aujourd’hui, ressemble à ces vagues du passé. Mais le grand public s’intéresse aux grandes références originelles et correctes de l’islam. Et la référence, c’est Al-Azhar, l’université qui défend depuis plus de mille ans une lecture du Coran modéré. Le musulman est tolérant et modéré ou n’est pas.
Concernant la lecture historique du Coran, c’est une question curieuse née en Occident qui ne correspond pas du tout à la vision des spécialistes du Coran dans le monde musulman. Al-Azhar, qui a une vision moderniste mais se réfère toujours aux sources, ne peut se reconnaître dans l’appel à une lecture historique. Elle n’a pas de sens pour l’islam. Elle ne peut s’accorder à l’esprit du Coran. Le Coran est un texte divin, absolu, valable pour tous les temps et tous les lieux. C’est ce qu’on appelle le miracle inimitable du Coran.
A mon tour, je vous pose la question: comment pouvez-vous accepter en Occident des organisations religieuses qui affirment que les montagnes peuvent disparaître? Les Evangiles ou le texte de la Bible sont intangibles et intouchables. Mais vous nous posez la question de la stabilité du Coran à travers les siècles et les lieux. Cela m’amène à vous poser cette autre question: l’Occident accepte en ce moment même la colonisation et le meurtre de peuples au nom de slogans et de textes religieux. On reconnaît l’existence de ces pays et on accepte leurs politiques. Vous ne voulez pas mettre leurs textes dans un contexte historique ni stopper les gens qui fondent leur pays sur ces textes. Il y a des Etats qui fondent leur existence sur des textes religieux, sur des mythes considérés comme source de légitimité.
– Voudriez-vous parler d’Israël?
– Je vous laisse tirer votre conclusion.
– La présence de l’islam en Europe est de plus en plus importante. Que dites-vous à vos coreligionnaires qui doivent s’adapter à un cadre laïc?
– J’ai suffisamment vécu en Europe pour comprendre la situation. J’ai toujours pu préserver ma croyance et mon identité islamique dans la plupart des domaines de la vie publique. Mais je me retirais en certaines occasions, lorsqu’elles ne s’accordaient pas avec les règles de ma charia islamique. A l’inverse, les Français respectaient bien mes positions et m’ont accordé le droit d’être musulman. Les vives tensions actuelles entre musulmans et pays laïcs en Occident, liées à l’intransigeance de quelques-uns, ne sont pas un problème d’intégration. Cette dureté touche l’Occident comme l’Orient. On s’en plaint aussi ici. Je comprends l’inquiétude de l’Occident envers le comportement provocateur d’une minorité de quelques musulmans. Mais si l’on applique bien le principe de liberté, au sens occidental, aux citoyens musulmans tout en conservant un dialogue avec Al-Azhar, alors on trouvera un large terrain pour la coexistence pacifique entre les musulmans et leurs pays de résidence en Occident.
– Il y a une réaction à la présence de l’islam en Europe qui s’est notamment traduite par l’interdiction des minarets en Suisse. Avez-vous un commentaire sur ce vote? Le fait que le rejet de l’islam est un thème de plus en plus porteur dans les droites populistes européennes vous inquiète-t-il?
– La question des minarets n’est pas fondamentale. La question importante est celle de la liberté religieuse que l’Occident prétend toujours vouloir défendre et pratiquer. Cette liberté, en Occident, prend les couleurs de l’arc-en-ciel: elle change, elle se diversifie. Quand on parle de l’islam, des femmes musulmanes ou des lieux de prière de l’islam, la couleur est différente de celle appliquée aux autres religions. Je prétends que notre civilisation islamique a toujours été plus raisonnable, plus large d’esprit et a mieux garanti la liberté des autres que la civilisation occidentale. Voyez par exemple les églises dans les pays musulmans, dont les clochers s’élèvent haut dans le ciel. Jusqu’à ce jour, il n’y a aucune autorité ou aucune règle dans le Coran qui limite la hauteur des clochers ou des minarets. Les meilleurs exemples en sont les cieux égyptiens. Quant à l’extrême droite européenne, ce n’est pas mon problème mais celui de la nature de la civilisation occidentale qui tantôt se durcit, tantôt s’assouplit sans que l’on sache pourquoi.
– Que faites-vous de l’interdiction de construire des églises en Arabie saoudite par exemple?
– Dans le monde arabe, il est tout à fait incorrect de dire que les églises ou leur construction sont interdites, limitées ou conditionnées. Il suffit de se promener au Caire pour s’en convaincre. Il y a même des églises à côté des mosquées. Pour l’Arabie saoudite, je vous renvoie la question: est-ce que l’on me permet, à moi musulman, d’aller bâtir une mosquée à l’intérieur du Vatican? (Le Temps.CH-21.01.2011.)
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