L’après-Ben Ali raconté par les internautes du Monde
18012011*Vers 18 h 30, vendredi 14 janvier, la Tunisie apprenait la chute du régime Ben Ali : après vingt-trois ans d’un règne sans partage, le président quittait en urgence le pays. Les internautes du Monde.fr racontent les trois premiers jours de l’après-Ben Ali, trois jours pendant lesquels la fierté et l’espoir ont peu à peu laissé la place à l’incertitude, à la peur des pillages et des exactions commises par les milices restées fidèles au président déchu, aux difficultés d’approvisionnement. Et à nouveau à l’espoir.
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SAMEDI
Mon premier jour de liberté dans une Tunisie ensoleillée et libre…. , par Elyes M. Ce matin je suis sorti faire tout le tour de Tunis à pied, du centre-ville jusqu’à la ville de l’Ariana, dans une Tunisie ensoleillée et libre. Il n’y avait plus les immenses photos du dictateur assassin qui remplissaient toutes les rues et les avenues depuis plus de 23 ans. Les simples gens dans la rue qui, jusqu’à hier, n’osaient même pas parler de politique, parlaient tous aujourd’hui des opposants de gauche dont on n’osait même pas prononcer le nom avant. Ils discutaient de politique normalement, en toute sérénité, comme s’ils parlaient de footballeurs dont ils jugeaient le rendement. C’était vraiment mon premier jour de liberté, moi qui n’avais que quatre ans lorsque Ben Ali a fait son coup d’Etat en 1987…
Des moments historiques, par Nejia M., 43 ans
Ce sont des moments historiques que nous vivons en ce moment en Tunisie. Les Tunisiens se sont débarrassés de la dictature en un mois. Nous sommes fiers d’être Tunisiens, nous n’avons eu besoin de personne. Ni de M. Sarkozy ni de M. Obama ! La situation ce matin dans le centre de Tunis est calme, les gens se ruent vers les denrées alimentaires par peur des pénuries. Mais ce n’est pas grave, même si on meurt de faim, on est libre libre libre… Quelques bandes de voyous qui appartiennent à l’ancien régime sèment le trouble dans certains quartiers, mais tout le monde est conscient et on va tout faire pour les arrêter et pour reconstruire notre pays.
Une révolution politique plus que sociale, par Sarra B., 35 ans, Tunis
Ce matin, nous sommes allés en banlieue Nord de Tunis pour constater que les maisons de la famille honnie, les Trabelsi, ont été brûlées, pillées et dévastées. Riches et pauvres étaient sur place pour prendre des photos et jubiler sur les maisons encore en feu. Les médias occidentaux parlent de crise sociale, moi je vous le dis : ce qui a uni les Tunisiens hier, c’est une profonde haine envers une famille de mafieux qui a pendant plus de 20 ans, exproprié, extorqué, exilé, emprisonné et humilié la population.
Ni « e-revolution » ni « révolution du jasmin », par Samia M.
D’aucuns qualifient déjà la chute du régime de Ben Ali de premier exemple de « e-Revolution » et tentent de la baptiser du nom de « révolution du jasmin« . Y croire serait penser qu’il suffit d’un ordinateur et d’une connexion à Internet pour faire chuter un dictateur. Y croire serait oublier de manière tout à fait indécente les morts tombés à Sidi Bouzid, Kasserine, Regueb, Douz et ailleurs. Y croire serait faire fi du combat de longue haleine mené par une poignée d’hommes et de femmes dignes et courageux qui bravent depuis des années cette dictature dont les tentacules sont largement ancrés dans la société tunisienne. Y croire serait oublier les prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons de Ben Ali. Y croire serait oublier le soulèvement du bassin minier de Gafsa, fin 2008, où les syndicalistes appelaient déjà à une répartition plus équitable des quelques richesses de la Tunisie. Y croire serait oublier l’action des syndicalistes et des véritables partis politiques d’opposition qui malgré leurs moyens dérisoires, n’ont jamais faibli. Non, la « révolution » ne s’est pas faite sur Twitter, ni sur Facebook. Non la « révolution » ne s’est pas faite en un mois. Non, tous les Tunisiens n’ont pas connu la douceur de vivre au « pays du jasmin ».
Les Tunisiens sont débarrassés de leur honte d’eux-mêmes, par Laurent H., 45 ans
Les Tunisiens sont tellement fiers et heureux ce matin. Malgré la désolation des destructions un peu partout et les frayeurs de la nuit, il y a un tel sentiment de fraternité et de dignité nationale retrouvée. Les Tunisiens sont débarrassés de leur honte d’eux-mêmes. Ce matin, les visages sont marqués par le peu de sommeil, entre auto-surveillance de son quartier, de sa maison, et appels aux amis et à la famille pour prendre des nouvelles. La nuit a été marquée, à Tunis, par le bruit des patrouilles militaires, accompagnées des hélicoptères, lesquels ont directement tiré sur certaines bandes de pillards. Personne ne doute que ce sont les forces spéciales de Ben Ali qui se défoulent, obéissant aux derniers ordres donnés avant de partir. Ici, dans mon quartier, toutes les boutiques qui n’avaient pas de solides rideaux de fer ont leur vitrines défoncées et, le plus souvent, ont été dévalisées et saccagées. Les « chiens de Ben Ali » ont grand ouvert les prisons, libérant les prisonniers les plus dangereux. C’est une bonne nouvelle, cela fait de la place pour qu’ils y aillent.
C’est nous la force de la Tunisie, par Ihsène B., 30 ans, banlieue de Tunis Ce qui m’a vraiment rendue heureuse, c’est que notre courage et notre honnêteté se sont exprimés d’abord par la chute de Ben Ali. Puis, lorsque les plus corrompus ont commencé par se manifester hier et encore aujourd’hui avec leurs pillages et leur fuite, ce sont encore les mêmes valeureux qui descendent dans la rue défendre leur maison et leur pays. Vers 8 heures, hier soir, les coups de feu ont commencé à déferler, mon mari est descendu rejoindre les hommes de la cité pour parer aux assauts des pilleurs. Tout le monde savait que les anciennes milices du pouvoir, qui nous ont tant terrorisés auparavant, allaient réagir. Avec les coups de feu ont commencé les pleurs de mes deux enfants (2 et 5 ans). Terrible moment pour une maman de 30 ans, tiraillée entre la peur de perdre son mari et la nécessité de faire semblant que tout va bien devant ces enfants en leur expliquant que c’étaient des feux d’artifice. C’est vrai que ces jours sont difficiles, mais ils le sont moins pour moi que 23 ans à avoir peur de ces mêmes milices qui auparavant nous dénonçaient car on refusait d’aller voter, qui pirataient mon compte Facebook… Moins difficile que les 5 années passées dans une entreprise étatique à bosser comme une dingue en tant qu’ingénieur pour finalement démissionner, ainsi que mon mari, à la suite des harcèlements de la part de notre PDG (n’ayant même pas eu le bac mais proche du pouvoir). Je me lève et je vais de l’avant, c’est nous la force de la Tunisie. Oui, mon fils, on va gagner contre les méchants.
Pelles, bâtons, couteaux de cuisine, par Mohsen G., 25 ans, étudiant
J’habite à Hammam-Lif, une petite ville dans la banlieue Nord de Tunis. Moi et mes frères avons passé un vendredi soir horrible tellement la peur nous guettait en apprenant que les pillards descendaient dans les rues de la ville pour cambrioler les maisons et détruire les biens des gens. Des numéros d’appels d’urgence ont été mis à notre disposition pour prévenir l’armée en cas de besoin, sauf que ces numéros étaient occupés toute la nuit vu le nombre d’appels à l’aide. Pour pouvoir protéger nos biens nous avons dû monter une garde avec les hommes du quartier. Chacun prenait ce qui lui passait sous la main : pelles, bâtons, couteaux de cuisine… On entendait des cris de partout, des coups de feu qui étaient tout près de nous mais on n’arrivait pas à voir ce qui se passait réellement, ce qui avait tendance à nous inquiéter encore plus et nous laissait sur les nerfs toute la nuit sans pouvoir ni manger ni dormir. Nous vivons dans un pays pacifiste, nous ne sommes pas prêts à vivre une situation plus grave que celle-ci, tout ce que nous demandons c’est d’avoir le plus tôt possible un président qui soit à la hauteur de ce pays et qui saura lui attribuer des droits dignes de son peuple. Que la paix soit rétablie.
Française et fière des Tunisiens, par Magaly H., 38 ans
Je suis Française, je vis à Tunis depuis 16 ans et je dois dire que je suis très fière de ce peuple qui s’est débrouillé seul. Je ne compte pas partir de ce pays, ma vie est ici et je ferai de mon mieux pour les aider à reconstruire. Les informations nous parviennent grâce à nos amis tunisiens via les réseaux sociaux. Et pour finir, si Sarkozy a fait une chose de bien dans sa vie c’est d’interdire le territoire à Ben Ali.
Dans la ville natale de Ben Ali, un point de vue différent, par Richard F., 42 ans, Hammam Sousse
Je réside depuis le début des événements dans le quartier populaire du village d’Hammam Sousse, qui est la ville natale du président Ben Ali. Le point de vue que j’ai pu avoir sur les événements est par conséquent un peu particulier. Nous sommes longtemps restés étrangers aux échos du soulèvement, et ce pour plusieurs raisons : la principale étant le fait d’avoir intégré la peur de la répression et du contrôle des consciences. On ne parle pas, ici, de politique dans la rue. De plus, Ben Ali est ici l’enfant du pays, l’opinion le concernant est plus nuancée qu’ailleurs. (…) « Cela ne se serait jamais vu sous le président »… Ma boulangère, une jeune fille de 16 ou 17 ans, est presque en larmes : elle ne comprend pas comment leur président a pu les abandonner.
L’humiliation de Ben Ali est celle de tout un peuple, par Insaf, 26 ans, Tunis, architecte
Je suis triste et indignée, de voir la jouissance du monde devant la chute et l’humiliation du président Zine El-Abidine Ben Ali – président et non dictateur, comme le monde entier est en train de le décrire aujourd’hui. Je ne nie pas les erreurs d’un homme, mais je n’oublie pas ce que le président a donné et édifié. Il est Tunisien, et son humiliation est une humiliation pour toute une nation. Je suis triste. Je veux aussi exprimer mon amour pour toujours à Ben Ali. J’ai vécu 26 ans en Tunisie, une terre de paix et de fête où, en tant que femme, j’ai joui d’une liberté d’action et de parole, de rentrer chez moi à 4 heures du matin seule. En tant que citoyenne tunisienne, je dis aujourd’hui que je ne suis pas fière, que je suis blessée.
DANS LA NUIT DE SAMEDI À DIMANCHE
Un film de guerre, par Randa T., 33 ans
C’est le chaos total ! Ce qui se passe est tellement surréaliste qu’on a l’impression de jouer dans un film de guerre – une guerre civile plus exactement ! On n’entend que le bruit des hélicopteres et des tirs… Dans toutes les villes, des maisons ont été attaquées et des biens dérobés et saccagés, des femmes violées ! Nous vivons dans la peur, attendant à chaque instant notre tour, après avoir entendu le récit de voisins ou d’amis. La plupart des familles se sont regroupées dans une seule maison en emportant que quelques biens précieux… Des comités de protection des quartiers sont assurés par les civils eux-mêmes puisque l’armée est débordée. Les hommes assurant la garde a l’extérieur – malgré le couvre-feu – munis de bâtons, de couteaux et autres, et femmes et enfants à l’intérieur ne pouvant même pas dormir d’angoisse ! Des prisonniers se sont évadés de toutes les prisons du pays tandis que d’autres y sont morts brûlés lors des heurts avec les milices. Personnellement, j’ai sérieusement peur que les islamistes comme Rached El-Ghannouchi profitent de ces circonstances tragiques, bien qu’historiques, et tentent d’accéder au pouvoir.
Plus de lait pour mon petit neveu, par Béatrice B., 43 ans
A l’heure où j’écris, c’est la panique totale dans les quartiers de la Manouba, en banlieue de Tunis. Il y a des hommes armés qui tirent au hasard dans les rues et sur les gens. L’armée est dépassée, elle demande aux gens de s’organiser par milices pour défendre les groupes d’habitations. Il y a des tirs de mitraillette. Tout le monde est apeuré. En plus, il n’y a presque plus rien à manger. La petite épicerie que tiennent mes beaux-parents a été dévalisée. Surtout, il n’y a plus de lait pour mon petit neveu d’un an. Nous appelons toutes les heures, on entend les tirs au téléphone. Ceux qui mettent la panique sont des policiers affiliés à Ben Ali. Les gens ne comprennent plus rien.
Guerre civile, par Abdelkader L.
Les événements commencent à ressembler à une vraie guerre civile. Les pillages de bandes armées sèment la terreur dans le pays. Plus personne n’est en sécurité malgré l’état d’urgence et la surveillance de l’armée, qui manque cruellement de moyens. De plus, des milices de l’ancien pouvoir font tout pour déstabiliser le pays par des actes de sabotage et de vol et des règlements de compte. Des élections doivent se tenir très prochainement, mais est-ce possible dans un tel climat ? Tous les magasins sont fermés et on commence à manquer de tout. Je crains que l’espoir des Tunisiens de voir enfin naître une démocratie ne soit qu’un rêve et que la Tunisie se retrouve dans une voie sans issue. Je souhaite me tromper, que Dieu protège notre patrie.
Le Tunisien ne ploiera pas, par Rym T., 34 ans, Ariana
En ce moment-même, l’hélicoptère de l’armée est en train de survoler nos têtes et nos hommes sont debout dans nos rues pour assurer la sécurité de leurs biens et des êtres qui leur sont chers. Tous nos hommes, sans exception d’âge, d’origine ou de classe sociale. Du nord au sud du pays. Tous unis pour défendre et reconstruire notre nouvelle Tunisie. Les milices de l’ancien pouvoir ont semé la terreur dans tout le pays : pillages, destructions, incendies. La Tunisie ressemble à un champs de bataille, mais des citoyens libres et fiers se sont unis à l’armée et aux membres intègres de la police nationale pour prouver encore une fois à ces chiens enragés que le Tunisien est décidé à écrire l’histoire avec son sang. Le Tunisien ne baissera pas les bras, nous passerons encore des nuits blanches ; les jeunes femmes devant la télé ou l’ordinateur à l’affut de l’information ou pour donner l’alerte par le biais des chaînes télévisées locales ou des réseaux sociaux, et les hommes dans la rue pour accueillir comme il se doit les traîtres à la patrie. Le Tunisien ne ploiera pas, il a su étouffer sa terreur du dictateur, il saura étouffer la peur des pilleurs, pour construire enfin un avenir meilleur.
DIMANCHE
Victoire ou cauchemar, par Zeineb C.
Malgré la victoire du peuple face à notre ancien dictateur, un climat d’insécurité et de peur règne ici. La Tunisie n’a pas pu fermer l’œil de la nuit, chaque minute passée est une minute de gagnée sur la terreur. Même si la plupart des gens sont cloîtrés chez eux de peur d’être tués, les jeunes du quartier aident l’armée du mieux qu’ils le peuvent contre ces innombrables milices et évadés de prison chargés par Ben Ali de piller et de tuer les civils dans leurs maisons… C’est un mélange d’émotion de voir la jeunesse tunisienne aux portes des quartiers, mais aussi la peur qu’on leur tire dessus… On ne peut savourer la liberté, à chaque instant des hélicoptères passent, des cris sortent par-ci par-là, ou bien des tirs de mitraillettes retentissent à tout bout de champ. On peut même sentir le brûlé où que l’on se situe. Mon Dieu, c’est un vrai calvaire, ou plutôt dirais-je un cauchemar duquel 12 millions de Tunisiens voudraient se réveiller.
Facebook, par Cherifa B., 35 ans, Carthage
La situation est très tendue. Des bandes armées, qui s’attaquent aux supermarchés, banques et maisons pour créer chaos et peur, nous ont confisqué la joie d’avoir conquis notre liberté. De nombreuses photos et vidéos ainsi que de nombreux témoignages de nos amis confirment qu’il s’agit de milices de l’ancien régime et de policiers qui se servent et brûlent tout sur leur passage. La nuit a été très stressante : cloîtrés à la maison par le couvre-feu qui dure de 17 h à 7 h, nous communiquions entre nous via Facebook ou téléphone pour savoir ce qui se passait dans les quartiers des uns et des autres ou pire, à chercher des infos sur ceux qui ne donnaient pas signe de vie depuis la manifestation. Le stress était d’autant plus fort qu’il y a eu beaucoup de coups de feu, de bruits d’hélicoptères et que nous n’avions aucune idée de ce qui se passait. Nous avons finalement compris que l’armée protégeait les citoyens et les bâtiments. Mais l’armée ne peut pas être partout et nous recevions des appels paniqués d’amis qui n’arrivaient pas à joindre les militaires alors que des bandes saccageaient leur voisinage. Espérons qu’on pourra bientôt fêter notre victoire comme il se doit.
Que fait l’ambassade de France ?, par Angelina P. 35 ans, Tunis
Je suis une expatriée française à la Marsa, en banlieue de Tunis. La nuit a encore été difficile ici… L’armée a tiré contre des policiers qui s’en prenaient aux passants en plein après-midi et des pilleurs ont tenté une incursion dans le quartier. J’ai deux enfants en bas âge et le ravitaillement devient difficile. Notre chance est que les Tunisiens sont vraiment solidaires et s’inquiètent pour leurs familles et maisons. (…) Et que dire de l’attitude de l’ambassade de France ! Aucune information… les chefs d’îlots censés nous prévenir en cas de rapatriement, ne se sont jamais fait connaître. Les associations d’expatriés sont plus présentes que l’ambassade, alors que ce n’est pas leur vocation. Une honte…
Que fait-on si des Français sont tués ici ?, par Pierre K., 52 ans
Je vis ici à la Marsa et travaille à Tunis depuis dix mois avec ma famille de deux enfants. La situation est tendue et depuis mercredi dernier les autorités françaises du consulat et de l’ambassade brillent par leur silence ! On croit vivre un vrai film de science-fiction, alors que je suis inscrit et immatriculé au consulat : pas un mail, pas un SMS, pas un coup de fil, pas un numéro pour connaître la situation et les mesures prises concernant notre protection. Je me suis alors renseigné et m’aperçois avec effroi que c’est le cas de la majorité des 20 000 Français vivant ici. Alors que fait-on monsieur Sarkozy ? Si des Français sont tués ici ? Vous leur remettrez la médaille de je ne sais pas quoi avec un discours des plus minables et pitoyables pour adoucir votre image ? Et vous irez pleurer sur leurs tombes accompagné de votre ministre qui proposait d’exporter le savoir-faire de la police française pour aider à la mise en place de la démocratie ici ? Ça suffit cette hypocrisie !
Les prisonniers se sont enfuis, par Manel J., 30 ans
Je me trouve en ce moment à Nabeul. Je viens de faire un tour dans la région en voiture : c’est le chaos ! Des immeubles brûlés, des policiers partout, toujours aussi désagréables, et des militaires aussi. En ce moment, tout le monde à peur des pillages et des vols. Hier, on entendait des tirs toute la nuit et des sirènes de voiture. On a peur que quelqu’un vienne nous agresser la nuit. Et pour couronner le tout, des prisonniers se sont enfuis ce matin des prisons de Monastir, Mahdia et Bizerte. On a vu certains prisonniers arriver déjà ici et accueillis chaleureusement par leurs familles : des tueurs, des voleurs, violeurs… On sait maintenant tous et de source sûre que tous ces vols et braquages sont organisés par des policiers et les partisans du RCD. Des policiers frappent aux portes des gens (parfois en uniforme), les font sortir et les tabassent avant de tout voler et casser ! Les policiers sont des criminels ici, il n’y a que l’armée pour nous protéger.
La faim, par Eymen S.
Personne n’en parle mais des gens n’ont pas mangé depuis deux jours, il n’y a plus d’approvisionnement. Ceux qui n’avaient pas de réserves suffisantes tentent au mieux de rationner la nourriture qui est aujourd’hui un gros problème, notamment dans la capitale.
Des fermes incendiées, par Zahria B., 21 ans, Teboursouk (gouvernorat de Beja)
Si l’armée est présente dans la capitale et les principales villes de Tunisie pour calmer la situation et arrêter les pillards, ce n’est pas le cas dans des régions plus rurales, comme le gouvernorat de Beja. Une bande de pillards (une centaine d’hommes, armées de bâtons, barres de fer) se sont attaqués aux fermes environnantes. Une ferme a été complètement incendiée avec l’ensemble de son bétail à l’intérieur (brebis, vaches). Dans une seconde ferme, le fourrage a été brûlé, et alors que son gardien a essayé de défendre son troupeau, il a été battu à mort. Plus de 700 têtes ont été volées. Ces pillards sont composés en majorité d’hommes vivant dans la région, souvent reconnus par les fermiers, qui profitent de la désorganisation totale (plus de police, de mairie…) pour s’emparer des quelques richesses du pays. Plus que la destruction d’une ferme, ces pillages sont dangereux car ils vont amener à une situation d’approvisionnement de crise dans le pays. Et un pays qui meure de faim, est un pays qui n’est pas apte à élire la meilleure personne pour devenir président, mais la première personne qui pourra les défendre et leur donner à manger. Espérons que l’armée rétablira très rapidement la sécurité sur l’ensemble du pays. L’assistance de la France (envoi de l’armée) pour aider à rétablir la sécurité du pays est souhaitée par bon nombre de Tunisiens. Et non pas comme le suggerait Michèle Alliot-Marie, pour contrôler les manifestants tunisiens.
Les Tunisiens de France ne se rendent pas compte, par Meriam N., 32 ans, Tunis
Depuis la fuite de Ben Ali, les Tunisiens vivent dans l’insécurité, et ce malgré les militaires que nous apercevons ici et là ; les voleurs, pilleurs, issus pour la plupart d’entre eux de quartiers très pauvres, sont à l’affût des biens de la population. Les Tunisiens sont cloîtrés dans leurs maisons, avec un sentiment de peur, de crainte et d’angoisse. Les Tunisiens de France montrent leur grande joie à l’annonce du régime Ben Ali écrasé, mais ne s’imaginent pas à quelle situation économique et sociale nous allons faire face : la crise alimentaire, financière et sociale commence d’ailleurs à se faire ressentir.
Ils peuvent être dix mille, nous sommes dix millions, par Malika A;, 24 ans, juriste
Nous sommes très inquiets pour la sécurité de tous car des exactions continuent d’être commises. Ce n’est ni plus ni moins que du terrorisme, une politique de la terre brûlée que pratiquent les hommes de Ben Ali. Cependant, nous sommes confiants, ils peuvent être dix mille, nous sommes dix millions. Les gens de tous âges et de tous milieux sortent en journée pour nettoyer les rues et ceux-là mêmes forment des comités de quartier le soir pour protéger nos concitoyens. L’armée fait un travail remarquable. Jamais je n’ai vu tant de solidarité, tant d’unité, tant de patriotisme. Nous sommes plus motivés que jamais, ce qu’ils détruisent, nous allons le reconstruire, pour pouvoir nous concentrer sur les élections à venir. L’économie pâtira peut-être un moment de la situation, mais elle redémarrera en trombe dès que la situation se sera calmée, sans les blocages, les découragements et les innombrables détournements occasionnés par les Trabelsi et leur bande. Nous œuvrons main dans la main pour préserver notre liberté retrouvée, nous n’avons plus peur, le pire est forcément derrière nous.
Les passe-droits, c’est fini, par Nabil G., 48 ans
Ce matin, il y avait quelques centaines de personnes qui faisaient la queue devant la boulangerie du quartier. Il y avait environ une heure d’attente dans une ambiance bon enfant. Les voisins du quartier ont spontanément organisé un service d’ordre afin de décourager les éventuels resquilleurs. A une dame qui voulait quand même tenter sa chance, mon voisin a répondu, « Madame, il va falloir vous habituer à faire la queue comme tout le monde, sinon on n’a vraiment rien compris ». Il a ensuite rajouté : « Je ne vous en veux pas du tout, car j’ai moi-même essayé d’avoir du pain directement chez mes copains à l’intérieur, ce matin, mais quand le type du service d’ordre m’a interpellé, j’ai eu honte de moi ». Que voulez-vous, c’était tellement banal… Le passe-droit était devenu la règle. Je suis intimement persuadé qu’après le changement politique, il y aura un changement social, et des valeurs que je croyais définitivement perdues comme la solidarité, la responsabilité, le sens du devoir et le sens civique ressurgiront comme par miracle. On pourra enfin être fier d’être Tunisien.
Liberté, par Mongia B., 46 ans, Tunis
Je suis Tunisienne et fière de l’être. Nous vivons des moments historiques que nous avons gravés à jamais dans l’histoire. Je ne peux décrire ce sentiment qui m’anime : un bonheur nouveau, d’un goût différent, désormais je peux parler politique librement avec tout le monde, je peux critiquer, aller sur des sites Internet jusque-là fermés. Maintenant, au moment où j’écris ces mots, des tirs, des hélicoptères sillonnent la Marsa. Je tremble, ma famille aussi, c’est qu’on n’a jamais vécu cela ! Mais bizarrement, notre peur est mélangée de fierté, on a l’impression d’avoir créé quelque chose d’unique, d’énorme : la liberté. Enfin, je souhaite que le calme et la stabilité reviennent pour qu’on puisse savourer ce que nous avons acquis après tant d’année de silence. Vive la Tunisie !
Retourner au travail, par Sami H.
La Tunisie retrouve le calme après la révolte du jasmin qui a réussi a éliminer un des plus féroces dictateurs de notre époque. Il reste encore quelques fidèles du régime sortant qui essaient encore de perturber la vie normale, mais le peuple tunisien est capable de les emmener au diable vert. Nous remercions Dieu, le seul qui nous ait aidés à en finir avec ce régime. Nous retournerons demain inch’allah à nos postes pour reconstruire notre pays.
LUNDI
Résistance passive, par Sabah B.
Le mot d’ordre aujourd’hui est de reprendre le travail. En parcourant les rues de Tunis, ce matin, je voyais des gens reprendre un semblant de vie normale, des éboueurs en train de nettoyer les rues, des pharmacies, des boulangeries qui rouvraient. Une forme de résistance passive s’organise pour vaincre la peur. Aujourd’hui on doit franchir une seconde étape non moins cruciale après celle de la chute de l’ancien régime, reprendre nos activités normales et braver tous ceux qui veulent nous terroriser.
L’espoir, par Chafika C., 55 ans
Incontestablement, le 14 janvier 2011, le peuple tunisien a tourné une des pages les plus terribles de son histoire. Une page de terreur, de népotisme, de non-droit. Depuis 48 heures, les gens sont visiblement plus heureux, fiers de leur identité de Tunisien. Ce peuple qui a repris confiance en lui se montre plus solidaire, plus responsable, avec un sens du civisme inhabituel, jusque-là voilé par une chappe de peur et de frustration.
La liberté l’a transformé. Oui les milices de Ben Ali sévissent encore ça et là, mais ce scénario ne semble pas avoir eu les résultats escomptés. La terreur et chaos ne sont pas au rendez-vous. Ben Ali ne reviendra plus que pour être jugé. (…) La situation devrait à l’évidence évoluer positivement à condition que le président (homme ou femme) soit suffisamment fédérateur (toutes les forces vives, tous les partis politiques) avec un nouveau gouvernement excluant toute personne ayant participé de près ou de loin avec l’ancien. Une telle détermination, une telle cohésion et un tel regain de confiance ne peuvent que rassurer sur le proche avenir. Je l’espère de tout cœur.
Le silence de la France, par S., 34 ans
Je suis heureuse de voir ce jour votre page qui s’ouvre enfin et au lieu du « 404 not found » éternel, un petit espace où nous pouvons enfin nous adresser au « Monde » (vous et le monde entier)… Je suis fière de mon peuple et encore incrédule de ce qui s’est passé ce dernier mois. En décembre, nous n’aurions jamais cru imaginable la chute de Ben Ali. Tous espérons aujourd’hui du fond du cœur un retour rapide au calme et l’installation, enfin, d’une démocratie. Nous souhaitons continuer et garder précieusement ce que nous a légué notre président Bourguiba en restant le pays ouvert, accueillant et agréable à vivre que nous avons toujours connu. (…) Je compte sur l’intelligence du peuple tunisien pour construire enfin un pays où le mot peur sera remplacé par celui de confiance. Que la Tunisie libre soit à la hauteur de ses espoirs. (…) Un peu triste quand même du silence de la France pendant que notre peuple se faisait tuer.
Fraternité, par Fares K., 15 ans
Ces dernières années, les Tunisiens ont perdu leur patriotisme. Mais on a assisté ces jours-ci à une révolution qui n’est guère une révolution politique mais une révolution humaine. Tous ensemble, on a combattu contre le tyran du pays, tous ensemble nous sommes en train de combattre ses milices qui sèment le trouble et tous ensemble nous bâtirons une Tunisie meilleure. Il y a un mois, je connaissais pas la majorité de mes voisins, aujourd’hui ce sont mes frères et sœurs car nous avons lutté ensemble.
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«Les sbires du président déchu veulent confisquer la révolution»
L’opposant Hamma Hammami met en garde contre toute tentative de «récupération de la révolution du peuple. Les hommes de Ben Ali tentent de reprendre les choses en main». «Ce n’est pas encore la victoire», estime-t-il, tant que les caciques et les institutions de l’ancien régime sont encore en place. Comme beaucoup d’autres forces politiques radicales, des syndicats et organisations de la société civile, Hammami revendique «l’élection d’une Assemblée constituante, la mise en place de nouvelles institutions et une élection présidentielle la plus démocratique qu’elle soit».
-Comment se présente la situation politique dans le pays deux jours après le départ de Ben Ali du pouvoir ?
La révolution démocratique est en marche. Le peuple tunisien a réussi, dans un soulèvement historique, à déposer le dictateur Ben Ali. A l’heure où je vous parle, il y a deux visions politiques qui s’affrontent. La première est celle menée par Mohammed El Ghannouchi, désigné par le président autoproclamé pour constituer un gouvernement de coalition nationale avec les partis dits légaux. Il faut dire que le président par intérim et le Premier ministre sont des caciques du régime. El Ghennouchi a entamé donc des consultations avec, notamment, le Parti démocrate progressiste, le Forum démocratique pour le travail et les libertés et le parti Ettajdid qui affichent leur disponibilité à faire partie d’un gouvernement de coalition même avec le parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel tunisien (RCD), le cœur du système Ben Ali et qui a dilapidé toutes les richesses du pays au service d’une seule famille et autour duquel gravitent des milices qui tentent de semer le désordre.
La deuxième vision est représentée par la rue qui a déposé Ben Ali et qui s’organise maintenant en des comités populaires dans les villes et villages pour défendre la sécurité des personnes et des biens, et les partis comme le nôtre, PCOT, le Congrès pour la République de Moncef El Marzouki, des structures régionales de l’UGTT, les organisations de la société civile comme le Conseil national tunisien pour les libertés, les avocats et les militants des droits de l’homme. Ce bloc refuse donc de travailler avec les hommes de Ben Ali et exige la mise en place d’un gouvernement d’union nationale sans les sbires de l’ancien régime. Le passage vers la démocratie ne peut se faire avec les caciques de Ben Ali. La dictature ne se démocratise pas. Le passage vers la démocratie nécessite l’élection d’une Assemblée constituante qui mettra en place les nouvelles institutions.
-Donc, ce n’est pas encore la victoire finale contre l’ancien régime…
Sans doute, nous sommes à mi-chemin de la victoire finale. Les hommes de Ben Ali tentent de voler la victoire au peuple. Nous considérons que les manœuvres d’El Ghannouchi et du président par intérim ainsi que le président de la Chambre des conseillers, qui est un des hommes de main de Ben Ali les plus cruels, sont une menace pour la révolution. Il y a risque de voir cette belle indépendance récupérée par ceux-là mêmes qui, il y a quelques mois, réprimaient et opprimaient le peuple tunisien. Nous sommes très vigilants et nous demandons aux partis qui veulent prendre part au gouvernement d’El Ghannouchi de faire attention, la colère du peuple ne s’est pas estompée.
-Pourquoi n’êtes-vous pas associés aux consultations menées par El Ghannouchi ?
Il faut souligner que nous sommes toujours considérés comme des partis «illégaux» comme au temps de Ben Ali, alors que c’est le combat d’une génération de militants qui ont connu les pires atrocités dans les prisons de Ben Ali et l’exil. C’est le combat d’un peuple qui en a ras-le-bol de la terreur et de l’injustice d’un pouvoir tyrannique et qui a décidé d’en finir définitivement avec un régime et les hommes qui le symbolisent. Il est évident que nous ne soyons pas associés à des consultations menées par un des symboles justement de l’ancien régime. Nous aussi nous refusons de travailler avec lui. Tout comme le peuple, nous exigeons son départ. Nous voulons une rupture radicale avec l’ancien régime. El Ghannouchi doit rendre le pouvoir pacifiquement au peuple.
-Et pourquoi les partis «légaux» ont accepté de composer avec El Ghannouchi ?
De notre point de vue, ces partis ont commis une erreur en acceptant la proposition d’un gouvernement de coalition nationale sous la direction d’un Premier ministre qui est là depuis des années. Nous craignons fort le retour à un 7 novembre et l’avortement de la révolution démocratique. Il ne faut pas qu’on soit naïfs, les hommes de Ben Ali sont en train de manœuvrer pour se maintenir au pouvoir et échapper ainsi à des poursuites. Je dois dire aussi que les partis qui ont accepté de travailler avec El Ghannouchi de tout temps sont en embuscade et ne demandent qu’une part du pouvoir. Ils étaient aux aguets lors des événements. A aucun moment, ils ont exigé le départ de Ben Ali, se contentant d’appeler à des réformes et laisser Ben Ali y aller jusqu’à la fin de son mandat.
-Que faut-il donc pour faire aboutir cette révolution ?
Les Tunisiens ne vont pas rentrer chez eux tant que les barons de l’ancien régime sont encore là. Il y aura encore des manifestations de rue jusqu’à faire tomber le régime. Les Tunisiens s’organisent dans les villes et les quartiers. Si les hommes de Ben Ali avec la complicité des partis qui ont accepté de faire partie du gouvernement de coalition sous les institutions de la dictature pourraient connaître le même sort que Ben Ali.
-On s’interroge sur le rôle et le poids de l’armée dans cette phase cruciale…
L’armée tunisienne a de tout temps été écartée du pouvoir. Il faut rappeler que la Tunisie sous Ben Ali était un véritable Etat policier. L’appareil sécuritaire était structuré autour du ministère de l’Intérieur avec des milices parallèles composées des éléments du parti au pouvoir, le RCD. Le tout est contrôlé par le dictateur Ben Ali et sa belle-famille qui avait une grande une influence sur l’appareil policier. Le fait que l’armée était écartée du pouvoir lui permet de jouer un rôle dans cette phase. Nous avons toujours appelé cette armée pour justement intervenir afin de déposer Ben Ali. Elle jouit d’une autorité morale pouvant lui permettre d’agir dans l’objectif d’assurer le passage à la démocratie. (El Watan-18.01.2011.)
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**Des Tunisiens lancent des appels à manifester contre le nouveau gouvernement
Des Tunisiens ont lancé des appels à manifester mardi sur internet contre la formation la veille d’un « gouvernement d’union nationale » ouvert à l’oppposition et à la société civile mais où l’équipe sortante du président déchu Ben Ali a conservé les postes régaliens.
« Le dictateur est tombé, la dictature pas encore! Il faut que les Tunisiens achèvent la mission », écrit un Tunisien sur le réseau social Facebook. Des messages appelaient à manifester dans la matinée à Tunis mais aussi en province, à Sousse dans la région de l’ex-dictateur et à Sfax, la deuxième ville du pays (centre-est).
« Attention au détournement de la révolution », mettait en garde un internaute tunisien. D’autres messages appelaient toutefois à cesser les manifestations pour donner la possibilité au nouveau gouvernement de rétablir l’ordre et prendre le temps de connaître ses intentions réelles.
« Oui, ils (les membres du Rassemblement constitutionnel démocratique, parti du président déchu, ndlr) ont quelque chose à se reprocher. Mais n’étaient-ils pas aussi complices que nous tous qui, pendant un quart de siècle, avons vu notre argent, les richesses de notre pays, pillés, notre dignité humiliée et violée ? Ne sommes-nous pas tous, finalement, complices ? », écrivait l’un d’eux.
Lundi, Mohammed Ghannouchi, dernier Premier ministre du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, a annoncé qu’il avait formé un gouvernement d’union nationale de 24 membres, dont trois chefs de l’opposition légale, huit ministres de l’ancien gouvernement et des représentants de la société civile.
Mardi matin, le Premier ministre tunisien Mohammed Ghannouchi, a défendu son gouvernement, assurant que les ministres de Ben Ali maintenus dans la nouvelle équipe avaient « les mains propres » et promis que les responsables de la répression de ces dernières semaines seraient jugés.
Ces ministres « ont gardé leur portefeuille parce que nous avons besoin d’eux dans cette phase » de construction démocratique, avec la préparation d’élections dans les six mois, a affirmé à la radio française Europe 1 M. Ghannouchi, soulignant le « grand enjeu de la sécurité » dans cette période de transition. (El Watan avec AFP-18.01.2011.)
**les trois ministres de l’UGTT se retirent du gouvernement
*La centrale syndicale tunisienne ne reconnaît pas le nouveau gouvernement
Les trois ministres appartenant à la centrale syndicale tunisienne UGTT, ont démissionné mardi du gouvernement de transition formé la veille, à la demande de leur organisation, a annoncé à l’AFP l’un d’eux, Houssine Dimassi.
« Nous nous retirons du gouvernement à l’appel de notre syndicat », a déclaré M. Dimassi qui avait été nommé la veille ministre de la Formation et de l’emploi.
Les deux autres ministres démissionnaires, selon M. Dimassi, sont Abdeljelil Bédoui (ministre auprès du Premier ministre) et Anouar Ben Gueddour (secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport et de l’équipement).
Leur démission a également été annoncée par l’agence de presse officielle tunisienne TAP.
Le chef de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), Abelsalam Jerad, a expliqué avoir demandé lundi au Premier ministre Mohammed Ghannouchi de reporter l’annonce du gouvernement pour permettre des consultations avec les autres forces politiques.
« Mais il a refusé et nous n’acceptons pas cette précipitation », a-t-il affirmé.
M. Jerad a reproché au gouvernement de compter parmi ses membres « des barons de l’ancien régime qui avaient participé à la répression et à un système de dictature ».
« Nous voulons un gouvernement qui réponde à nos aspirations et nous allons continuer, avec le peuple et les travailleurs à le réclamer », a-t-il souligné.
L’Union générale des travailleurs tunisiens, la puissante centrale syndicale tunisienne, qui a joué un grand rôle dans les manifestations ayant provoqué la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, avait demandé dans la matinée à ses trois représentants de quitter le gouvernement.
La direction de l’UGTT qui a tenu une réunion extraordinaire près de Tunis, a décidé « de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement ».
De nombreuses voix s’élèvent en Tunisie, notamment au sein de la gauche et de la mouvance islamiste contre la présence de membres de l’ancien gouvernement et du parti du président déchu Ben Ali dans la nouvelle équipe de transition formée lundi, où ils occupent tous les ministères clés: Intérieur, Défense, Affaires étrangères, Finances.(AFP-18.01.2011.)
**Les démissions se succèdent mardi, suite à la reconduction de huit anciens ministres du président déchu Ben Ali.
*le Forum démocratique pour le travail et les liberté a suspendu sa participation au nouveau cabinet
Un des trois partis d’opposition entrés dans le cabinet d’union nationale a suspendu sa participation pour dénoncer le maintien de huit ministres de Ben Ali. Trois ministres issus du syndicat UGTT avaient déjà claqué la porte dans la journée.
Moins de 24 heures après sa formation,le gouvernement d’union nationale tunisien pourrait déjà imploser. Les démissions se succèdent mardi, suite à la reconduction de huit anciens ministres du président déchu Ben Ali. Quelques heures après le départ de trois ministres issus du puissant syndicat UGTT, le Forum démocratique pour le travail et les liberté a suspendu sa participation au nouveau cabinet. Le FDLT était un des trois partis d’opposition à Ben Ali conviés à siéger. Un de ses fondateurs Mustapha Ben Jaafar avait été nommé ministre de la Santé. «Il n’a pas prêté serment, en attendant la fin de consultations avec le premier ministre Mohamed Ghannouchi, concernant des demandes du FDLT sur la la composition du cabinet», a expliqué un dirigeant du FDLT.
Ces discussions se font en liaison avec l’Union générale des travailleurs tunisiens. L’UGTT, qui a joué un grand rôle dans la Révolution de jasmin, a lancé la fronde en appelant mardi matin ses trois représentants, le ministre de la Formation et de l’emploi, le ministre auprès du premier ministre et un secrétaire d’Etat. Leur syndicat a dans la foulée annoncé qu’elle ne reconnaissait pas le nouveau gouvernement.
Pour calmer le jeu, le premier ministre, Mohamed Ghannouchi, a fait mardi soir une concession symbollique. Lui et le président tunisien par intérim, Foued Mebazaa, ont démissionné du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali. Laa formation a aussi annoncé avoir radié le chef d’Etat déchu et six de ses collaborateurs impliqués danns «les graves événements qui ont secoué le pays». Un geste insuffisant pour la FDTL pour qui la population «veut en finir définitivement avec le RCD».
Ce retrait du FDTL et de l’UGTT du gouvernement pourrait faire tache d’huile. Le parti Ettajdid, qui détient le portefeuille de l’Education supérieure, menace aussi de faire défection si les ministres issus du RCD ne partent pas et ne rendent pas tous les biens acquis sous le précédent régime. Selon Le Monde, qui ne donne pas de précision, un membre du cabinet issu de la société civile aurait aussi démissionné. En revanche, la nouvelle ministre de la Culture, la cinéaste Moufida Tlatli, qui voulait démissionner, a finalement prêté serment mardi, a déclaré à l’AP son gendre.
Ceux qui ont les mains sales «rendront des comptes»
Le maintien de ces huit ministres de Ben Ali a aussi rempli les rues. Des manifestations ont éclaté à Tunis, à Sfax et dans d’autres régions. Dans la capitale, la police, qui la veille avait fait preuve de retenue, a violemment dispersé un millier de manifestants, parmi lesquels se trouvaient des islamistes et des partisans de l’UGTT.
face à cette contestation, Mohamed Ghannouchi s’était lancé mardi dans un vigoureux plaidoyer de son nouveau cabinet. Tous les ministres qui ont été maintenus ont «les mains propres», assurait-il sur Europe 1. «Ils ont du mérite. Grâce à leur dévouement, ils ont réussi à réduire la capacité de nuisance de certains. Ils ont manoeuvré, tergiversé, gagné du temps pour préserver l’intérêt national», a-t-il insisté. «Ils ont gardé leur portefeuille parce que nous avons besoin d’eux dans cette phase» de construction démocratique, s’est encore justifié le chef du gouvernement. Soucieux de donner des gages aux révolutionnaires, le premier ministre a promis que «tous ceux qui ont été à l’origine de ce massacre (la répression des manifestations, ndlr) rendront des comptes à la justice». Et d’assurer au passage n’avoir lui-même jamais donné l’ordre de tirer à balles réelles sur les manifestants.
Mohammed Ghannouchi a aussi promis que «tous les partis politiques seront autorisés à participer aux élections, à égalité de chances». Il a précisé en revanche que son homonyme Rached Ghannouchi, chef du mouvement islamiste Ennahdha (interdit sous Ben Ali) en exil à Londres, ne pourra retourner en Tunisie que «s’il y a une loi d’amnistie» effaçant sa condamnation à la prison à vie, datant de 1991. Sur ce sujet, un des porte-parole du leader islamiste à Paris a annoncé que Ennahda «n’aura pas de candidat à la présidentielle» mais veut participer aux législatives, estimant qu’«il n’y aura pas de transition démocratique sans Ennahda». Enfin, interrogé sur le point de savoir si la rumeur désignant Leïla Trabelsi, la seconde épouse de Ben Ali, comme la véritable dirigeante du pays à la fin du règne chaotique du président, le premier ministre a répondu: «On a l’impression». (le Figaro-18.01.2011.)
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**Amassée durant un règne sans partage
L’indécente fortune du clan Trabelsi-Ben Ali
Avant de quitter la Tunisie, fin décembre 2010, Leïla Trabelsi, seconde épouse du dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali, a pris dans ses bagages une quantité impressionnante d’or.
Des lingots volés à la Banque centrale de Tunisie, comme dans un film de série B. Les services secrets français, qui ont organisé cette semaine la fuite de cette information, ont découvert que Leïla Trabelsi, coiffeuse de métier et fille d’un marchand de fruits, a détourné 1500 lingots d’or d’une valeur estimée à presque 50 millions de dollars ! Le gouverneur de la Banque centrale n’a eu aucun choix devant les désirs ravageurs de l’ex-première dame de Tunisie.
Leïla Trabelsi, adepte du bling bling et du kitch, est une véritable croqueuse de diamants. Epaulée par dix frères et sœurs, elle a, depuis l’arrivée du colonel Ben Ali au pouvoir après le fameux coup d’Etat médical contre Habib Bourguiba, en novembre 1987, engagé une vaste opération d’expropriations, de détournements de fonds, de corruption et d’affaires en tout genre.
Le chef de file du clan, Belhassen Trabelsi, époux de la fille du patron des patrons tunisiens, a arraché à ses propriétaires plusieurs biens comme la compagnie aérienne Karthago Airlines. Selon le site Bakchich.info, Karthago Airlines s’est vite spécialisée dans le siphonage de la compagnie nationale Tunisair. Belhassen Trabelsi s’est imposé, alors qu’il n’est pas qualifié, au conseil d’administration de la Banque de Tunisie (BT) et d’autres établissements financiers. Il est également patron d’une usine de montage automobile et d’une série d’hôtels. D’après la journaliste française Catherine Graciet, co-auteur avec Nicolas Beau de l’essai La régente de Carthage, les Trabelsi ont fait main basse sur toutes les banques tunisiennes.
«La spécialité de Leïla Ben Ali reste la prédation économique au profit des siens (…) Elle se réunissait avec son clan dans le salon bleu du palais présidentiel de Carthage pour se demander sur quel bien immobilier il fallait faire main basse», est-il écrit dans ce livre, longtemps interdit en Tunisie. Selon le journaliste opposant Slim Bagga, Leïla Trabelsi, actuelle présidente de l’Organisation de la femme arabe (OFA), fait des affaires à l’international et place amis et proches. «Elle a ordonné aux administrations de la prévenir dès qu’un projet supérieur à un million de dinars (environ 600 000 euros) est en gestation», a-t-il relevé. Aucun investissement n’est possible en Tunisie sans que la belle-famille de Ben Ali n’y ait sa part. Certains hommes d’affaires algériens en connaissent un bout !
En véritable marraine du clan maffieux, Leïla Trabelsi tranche pour qui l’affaire ira dans le cas où celle-ci attire son appétit. Elle a une préférence pour le sulfureux Sakher El Materi, son gendre. Ce jeune homme n’hésite pas à prendre l’avion présidentiel, financé par le contribuable tunisien, pour s’offrir des soirées bien arrosées dans les capitales européennes, quand il veut et où il veut. Il dresse des tigres dans ses jardins ! Il y a aussi son neveu, Imed Trabelsi – décédé vendredi 14 janvier 2011, poignardé dans un marché – qui était aussi un de ses préférés. Il s’est rendu célèbre par le vol d’un yacht en France, ce qui lui a valu des poursuites par la justice française.
Connu également pour le racket immobilier et agricole, Imed Trabelsi, devenu maire de la localité touristique de La Goulette, avait la main haute sur la grande distribution à travers les magasins de meubles Bricorama. Zine El Abidine Ben Ali, l’homme aux éternels cheveux noirs, laissait faire sans rien dire. Il se contentait de récupérer les fruits de la prédation et d’en savourer le goût. D’après la revue américaine Forbes, la fortune personnelle de l’ex-maître de Tunis dépasserait les 5 milliards de dollars avec des biens immobiliers partout dans le monde.
Les avoirs des Trabelsi et des Ben Ali – les filles du président tunisien ont épousé les quatre hommes les plus riches de Tunisie – sont, entre autres, placés à Dubaï, à Malte, en Suisse et en France. Aujourd’hui, selon les experts, les 10% les plus riches de la population tunisienne perçoivent le tiers des revenus du pays. Les Trabelsi y sont bien placés. La Révolution du jasmin en a décidé autrement. Tant mieux pour le tiers des Tunisiens qui se contentent, depuis plus de vingt ans, de vivre de presque 9% seulement du PIB. (El Watan-18.01.2011.)
* la France n’avait pas vu venir la colère des Tunisiens, en raison d’une sorte d’aveuglement
Sévèrement critiqué pour avoir mollement et tardivement soutenu la Révolution du jasmin, le gouvernement a reconnu lundi avoir sous-estimé la colère des Tunisiens.
Un sentiment de révolte «sous-estimé». Alors qu’il y a encore quelques jours, l’exécutif se refusait à prendre partie pour le peuple tunisien, il change aujourd’hui son fusil d’épaule et entame son autocritique sur le soutien qu’il a apporté jusqu’à la dernière minute au régime de l’ancien président Ben Ali, notamment pour des raisons politiques et économiques.La semaine dernière, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, s’était attirée les foudres de l’opposition en parlant de «mouvements sociaux» et en proposant l’aide de la France aux forces de l’ordre qui les réprimaient. Une position qui avait notamment incité le socialiste Pierre Moscovici et l’écologiste Cécile Duflot à réclamer sa démission.
Lundi soir, la ministre est revenue sur ces déclarations, arguant avoir été mal comprise. «Je comprends que mes propos ont été déformés, ce n’était certainement pas mon état d’esprit», a-t-elle expliqué sur France 2. «J’ai dit que nous étions prêts à offrir ce savoir-faire, en quelque sorte, de gestion sans usage disproportionné de la force, pour que l’on puisse à la fois avoir des manifestations et peut-être mieux les contrôler».
«Analyse tronquée de la situation»
Alain Juppé a quant à lui reconnu que la France n’avait pas vu venir la colère des Tunisiens, en raison, a-t-il justifié, d’une sorte d’aveuglement. «Dans le passé, la plupart des pays européens, nos alliés américains, portaient sur la Tunisie un regard favorable, parce que c’était un pays stable politiquement, qui se développait économiquement», a déclaré le ministre de la Défense à l’occasion de ses voeux présentés à la presse.
En Tunisie, «des réformes sociales étaient faites, le traitement de la femme en particulier, une classe moyenne apparaissait, des efforts très importants ont été faits pour développer l’éducation», ce qui a conduit à cette analyse tronquée de la situation. «Ceci nous a conduit à sous-estimer l’exaspération du peuple tunisien face à un régime policier et à une répression sévère», a ainsi reconnu le numéro deux du gouvernement.
La France n’a pas à être «le gendarme de la Méditerranée»
Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a de son côté reconnu, sur RTL, qu’il y a «pu avoir des maladresses ou des incompréhensions». Mais il justifié a posteriori la position française par le fait que la France ne pouvait ni intervenir de manière trop visible, ni imaginer l’ampleur de la répression.
«La question est de savoir ce que la France devait faire. Imaginez que la France intervienne dans les affaires intérieures d’un ancien protectorat. Qu’aurait-on dit ?», s’est-il interrogé. «Personne, ni dans l’opposition, ni dans la majorité, ni chez les experts, ni dans les services spécialisés, même pas les Tunisiens, ne pouvait prévoir que les choses iraient si vite, si loin et qu’elle seraient aussi rapidement dramatiques». «Ça n’est pas à la France d’être le gendarme de la Méditerranée», a-t-il souligné.
Le ministre de l’Industrie, Eric Besson, qui a récemment épousé une Tunisienne, a pour sa part ironisé sur la position en flèche des Etats-Unis, qui n’ont selon lui pas à se préoccuper de la sécurité de leurs ressortissants, alors que les Français sont 22.000 en Tunisie. «C’est presque facile pour le président Obama de dire ‘bravo et good luck’ mais il est loin, il y a moins d’Américains en Tunisie et de Tunisiens aux Etats-Unis. Nous, nous sommes tenus à une certaine prudence», a-t-il expliqué sur France 2. (Le Figaro-17.01.2011.)
**Chassées par le peuple tunisien
Le sauve-qui-peut des familles Ben Ali et Trabelsi
Chassé du pouvoir sous la pression populaire après 23 ans de règne, le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a fini par poser ses valises à Djeddah. Il est arrivé dans la nuit de vendredi à samedi.
L’annonce a été faite par le cabinet royal à travers un communiqué laconique, où il est expliqué que le royaume saoudien a accueilli le président déchu «pour les circonstances exceptionnelles que traverse le peuple tunisien».
Ben Ali a débarqué en Arabie Saoudite avec six membres de sa famille, dont sa seconde épouse Leïla, qui, il y a quelques semaines, faisait la pluie et le beau temps dans l’ancien Carthage. Des membres de la famille présidentielle avaient quitté plus tôt Tunis. Selon une dépêche de l’AFP datée d’avant-hier, des proches de l’ancien dictateur tunisien – dont l’une de ses filles, Nesrine, 24 ans – avaient quitté, samedi après-midi, un hôtel du parc d’attraction EuroDisney où ils s’étaient réfugiés depuis jeudi déjà. Parmi ces personnes, indique la même source, figuraient aussi Leïla Trabelsi et son petit-fils.
Mais comme le rapportait l’agence française, ils n’avaient pas tardé à quitter les lieux pour une destination inconnue. La France, qui s’est murée dans un silence complice le temps qu’avaient duré les émeutes, a fini par lâcher dès samedi son ami dictateur. «Les proches de l’ex-président tunisien présents sur le sol français n’ont pas vocation à rester et ils vont le quitter», rapportait samedi l’AFP, reprenant la déclaration, à radio France Info, du porte-parole du gouvernement, François Baroin. En somme, beaucoup d’informations aussi contradictoire les unes que les autres ont été publiées sur les destinations aussi diverses de la famille et des proches du président déchu. Sa fille Nesrine aurait aussi été «exfiltrée» à Montréal (Canada) où la famille présidentielle aurait une somptueuse villa. Son mari, le gendre préféré de Ben Ali, Mohamed Sakhr El Materi, a été donné également pour arrêté par l’armée, mais il a finalement, selon plusieurs sources, réussi à fuir au Canada. Belhassen Trabelsi, le frère aîné de Leïla, n’a pas eu, lui, cette chance. La mutinerie de l’héroïque commandant de bord qui a refusé de prendre les airs l’a empêché de se rendre à Lyon avec six autres membres de sa famille. L’armée avait donc procédé à son arrestation.
Le neveu du président déchu, qui n’a pas pu quitter Tunis, a péri dans la résidence familiale saccagée par les manifestants. Blessé à l’arme blanche, Imed, un jeune homme sulfureux qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par Paris, a succombé à ses blessures dans un hôpital tunisois. Hier, un neveu de l’ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali, Kaïs Ben Ali, a été interpellé par l’armée à Msaken (centre), dans la nuit de samedi à dimanche, avec dix autres personnes qui «tiraient dans tous les sens» à bord de véhicules de police, selon des témoins cités par l’AFP. Un membre de ce groupe de tireurs nocturnes a été tué lors de l’intervention des militaires, ont indiqué deux témoins de l’agence française, dont un médecin, qui ont assuré avoir reconnu Kaïs Ben Ali, neveu de l’ancien chef de l’Etat, parmi les individus arrêtés. Kaïs Ben Ali a la réputation d’être un potentat local à Msaken, une localité de la région d’origine de l’ex-président Ben Ali.
L’alerte a été donnée par un groupe de jeunes qui ont vu trois véhicules appartenant à la police roulant à vive allure et à bord desquels les suspects tiraient dans toutes les directions pour semer la panique. Une autre fille de Leïla Trabelsi a réussi, avec son époux et leurs enfants, à quitter la Tunisie. Mais à part le dictateur déchu et six membres de sa famille qui sont officiellement annoncés en Arabie Saoudite où la famille royale a accepté de leur offrir refuge, aucune information vérifiée ne circule sur la ou les destinations prises par les autres membres du clan Ben Ali et Trabelsi qui ont régné sans partage sur la Tunisie plusieurs années durant. (El Watan-17.01.2011.)
** Voués aux gémonies par les Tunisiens
La fin du règne des Trabelsi
Ben Ali chute et c’est toute la famille Trabelsi qui plonge. La belle-famille de celui qui n’est «momentanément» plus président de la Tunisie a d’ailleurs bien des raisons de trembler.
Si les manifestants demandaient expressément le départ de Ben Ali, ils n’ont pas manqué de conspuer le «clan de la régente de Tunis», accusé à maints égards d’être l’un des maux qui rongent le pays. L’on demande même, çà et là, la mise en place d’une commission qui devrait enquêter sur la corruption généralisée qui a gangrené la Tunisie, des «dépassements» dont les proches de Ben Ali sont fréquemment accusés. Et cette commission se doit aussi de juger les responsables de ce pillage en règle des ressources du pays. Les Trabelsi y échapperont-ils ? La question reste posée, tant le sort réservé à la puissante famille est, pour l’heure, entouré d’incertitudes.
Dans la matinée d’hier circulaient déjà des rumeurs quant à la fuite de Belhassen Trabelsi, beau-frère de Ben Ali. Il aurait tenté de fuir la Tunisie, accompagné de sa famille, pour la France. Seulement, le commandant de bord du vol de Tunisair en partance pour Lyon aurait refusé de les embarquer. Ils se seraient finalement envolés pour Dubaï, où se trouverait déjà Leïla, l’épouse de Ben Ali. «On sait seulement que deux avions Falcone blancs ont quitté l’aéroport de Tunis-Carthage en tout début d’après-midi», peut-on lire sur le monde.fr, où il est ajouté que vers «16h50, un important convoi de voitures officielles aux vitres teintées a quitté le palais de Carthage en direction de l’aéroport, sans qu’on sache qui se trouvait à son bord». Et ce, quelques minutes avant que l’armée tunisienne ne prenne le contrôle de l’aéroport et que l’espace aérien ne fut fermé.
La «quasi-maffia» répondra-t-elle de ses actes ?
Mais certains membres du clan n’auront pas eu la même chance de quitter ce sol devenu hostile. Ainsi, les forces de l’ordre auraient procédé à l’arrestation de plusieurs membres de la famille Trabelsi. Ils auraient été appréhendés à l’aéroport de Tunis alors qu’ils tentaient, eux aussi, de fuir. L’identité ou encore le sort réservé aux personnes arrêtées n’ont cependant pas été indiqués. Ce retournement des forces de l’ordre contre la «première famille» de Tunisie datait déjà de plusieurs jours.
Les luxueuses résidences du clan, dans les quartiers huppés de Tunis, ont été mises à sac par des dizaines d’adolescents, et ce, sans que les policiers, pourtant présents, n’interviennent. Cette haine nourrie par les Tunisiens envers la famille ne date pas d’hier et est on ne peut plus justifiée.
Même les diplomates américains avaient décrit l’entourage de Ben Ali comme «une quasi-maffia». «Que ce soit du cash, des services, des terres, des propriétés ou, oui, même votre yacht, la famille du président Ben Ali a la réputation de les convoiter et d’obtenir ce qu’elle veut», est-il affirmé dans un câble de l’ambassade daté du 23 juin 2008.
Dans plusieurs autres documents diplomatiques, l’on apprend que les proches de Leïla provoquaient, de par leurs frasques et leurs passe-droits, l’ire des Tunisiens. Ces «nouveaux riches qui manquent d’éducation, de basse condition sociale, affichent ostentatoirement leur richesse» sont voués aux gémonies par les citoyens. Et ce sont ainsi plus d’une dizaine d’exemples de ces abus qui sont cités par l’ambassade américaine, impliquant Leïla, connue pour son influence et son appétit, ou encore son frère. Fraudes, corruption, détournements, vols et abus de pouvoir. Auront-ils à répondre de leurs actes ? (El Watan-15.01.2011.)
**El Gueddafi défend son «ami» Ben Ali
Mouammar El Gueddafi a souffert du départ de Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir à Tunis. Et il l’a dit presque avec fierté.
Le plus ancien chef d’Etat encore en exercice au monde n’a pas supporté que le maître de Tunis parte, chassé comme un malpropre par la rue tunisienne. «Vous auriez dû être patients et attendre 2014», a-t-il conseillé d’un ton paternel. Plus loin, le guide libyen a dit aux Tunisiens, qui semblent – les pauvres – ignorer que Ben Ali était «une montagne de flamboyance», que le maître de Carthage méritait la présidence à vie. Pas moins que cela ! «Et moi, je dis la vérité aux gens. J’ai toujours été franc avec le citoyen arabe. Ben Ali ne m’a rien donné pour dire cela», a-t-il soutenu.
Les autres, ceux qui ont courageusement manifesté dans la rue, affrontant les balles réelles de la police de Ben Ali, n’avaient rien vu. Ils seraient même «ingrats», selon l’analyse superficielle d’El Gueddafi. «Ben Ali est le président le mieux placé pour la Tunisie. Et puis, ramenez les preuves de la corruption pour juger les gens», a-t-il tranché. Tripoli a-t-il mis la Tunisie sous son protectorat ? L’opposition tunisienne a répliqué par le mépris à l’égard de ces déclarations. «Cela nous étonne pas. Le président fuyard et El Gueddafi sont liés par une longue amitié. Une amitié très forte également avec la famille Trabelsi, celle qui avait la main haute sur toute l’économie du pays», a déclaré l’opposant Walid Al Mazini à Al Jazeera. La Tunisie est le principal partenaire commercial de la Libye en Afrique et dans le monde arabe. Les échanges ont dépassé les 2 milliards de dollars à fin 2010. Les deux pays veulent même créer, à terme, une zone de libre-échange commune. Une zone isolée de celle du Maghreb ou du monde arabe. Dès le début de la contestation en Tunisie, à la mi-décembre 2010, Tripoli, venu à la rescousse du régime de Tunis, a offert aux jeunes du pays des postes d’emploi et des facilitations fiscales. Plus de 5000 jeunes Tunisiens sont déjà partis en Libye.
Avant de fuir vers Malte, Ben Ali avait consulté El Gueddafi. Le guide de la révolution libyenne n’a, par contre, pas offert son hospitalité au président déchu. L’amitié supposée entre les deux dirigeants ne semble pas aussi puissante que cela ! Il reste que la situation interne en Libye, soigneusement cachée par un régime encore sûr de lui, va, un jour ou l’autre, alimenter les chroniques internationales. Les rumeurs de la guerre de succession entre les fils El Gueddafi, Seïf Eddine et Mouatassim, et les affrontements, encore faibles, entre réformistes et conservateurs, vont redessiner la carte politique future de la Jamahiriya. A l’intérieur du pays, il n’existe aucun débat libre sur ces questions, pourtant décisives pour la Libye. Aussi, l’attitude d’El Gueddafi, méprisant la «révolution» du peuple tunisien, se comprend-elle aisément. (El Watan-17.01.2011.)
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Ressassant un possible effet domino sur les pays arabes et musulmans
Le matraquage médiatique à dessein de l’Occident
Depuis la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali, une intense campagne médiatique est menée par un certain nombre de médias occidentaux, qui s’acharnent à amplifier les informations ayant un lien avec ce qui s’est passé en Tunisie. En effet, ils sont à l’affût de la moindre nouvelle en provenance de pays arabes, notamment celles faisant état de manifestations de soutien devant les ambassades de Tunisie.
Les cas de tentatives d’immolation par le feu enregistrées en Algérie et ailleurs sont traitées longuement et considérés comme des signes annonciateurs de troubles, à même d’emporter les régimes en place. Ne s’agit-il pas là d’une stratégie bien étudiée consistant à agiter l’épouvantail des manifestations populaires, que leurs agences du renseignement peuvent contribuer à déclencher à distance, pour maintenir leur emprise sur ces pays ? Il est clair que les régimes ayant des choses à se reprocher et redoutant d’être fragilisés céderont facilement au chantage.
Ceci est valable particulièrement pour les États dont les ressources en matières premières, surtout le pétrole, sont importantes. Les lourdes conséquences de la guerre en Irak, difficiles à supporter par le Trésor américain, ont certainement donné à réfléchir aux uns et autres, qui ont recours désormais à d’autres moyens pour parvenir à leurs fins.
Il faut croire que cette “Révolution du Jasmin” des Tunisiens est du pain béni pour les puissances occidentales, qui y voient une occasion en or pour faire plier les plus récalcitrants. Il suffit de voir les réactions des régimes arabes, ou parfois leur silence total, pour comprendre la gêne dans laquelle ils se trouvent, d’autant plus que leurs opposants ont appelé de leurs vœux à une éventuelle contagion.
En Jordanie, près de 3 000 syndicalistes, islamistes et membres de partis de gauche, ont participé à un sit-in devant le Parlement à Amman pour protester contre l’inflation et la politique économique du gouvernement. “Nous souffrons des mêmes maux qui ont affecté la Tunisie, et nous devons mettre fin à l’oppression, ainsi qu’aux entraves aux libertés et à la volonté du peuple”, a affirmé le chef des Frères musulmans, Hammam Saïd. Au Koweït, des députés de l’opposition ont salué “le courage du peuple tunisien”. “Tous les régimes qui oppriment leur peuple et luttent contre l’identité arabo-islamique connaîtront le même sort”, a déclaré le député islamiste Walid El-Tabtabaï. À Khartoum, Moubarak El-Fadil, l’un des ténors de l’opposition soudanaise, a estimé que le pays était “prêt pour un soulèvement populaire”. Un groupe d’ONG arabes, “Forum de la société civile du Golfe”, a par ailleurs appelé l’Arabie Saoudite à ne pas laisser le président déchu, réfugié à Jeddah, s’installer sur “une terre du Golfe”. Au Yémen, un millier d’étudiants ont manifesté à Sanaâ, appelant les peuples arabes à se soulever contre leurs dirigeants et scandant : “Tunis de la liberté, Sanaâ te salue mille fois !” (Liberté-18.01.2011.)
***Pourquoi France télévisions met le paquet sur la Tunisie maintenant?
«Le colonialisme, c’est maintenir quelqu’un en vie, pour boire son sang goutte à goutte.»
Massa Makan Diabaté « Extrait de Le Coiffeur de Kouta »
Après un silence trompeur, France 2 a décidé de mettre le paquet sur la révolution de Jasmin en Tunisie, en présentant les journaux de 20h de France 2 et de Europe 1 en direct de Tunis. Nicolas Demorand animera une «émission spéciale» de deux heures, de 18h00 à 20h00 sur Europe 1 en direct de la capitale tunisienne, alors que sur France 2, David Pujadas proposera une édition spéciale consacrée à l’avenir de la Tunisie après le départ du président tunisien déchu, Zine El Abidine Ben Ali. Nicolas Demorand recevra «des personnalités tunisiennes et des représentants de la communauté française» pour cette «émission spéciale». Alors que la télévision publique francaise était restée bien silencieuse, le soir du vendredi 14 janvier, l’édition du Journal télévisé présenté par Laurent Delahousse, était déjà très spéciale, puisque un parterre d’invités de marque très liés à la Tunisie était sur le plateau du Journal télévisé de France 2, pour commenter dans la joie ce changement de régime. Ainsi, Serge Moati, originaire de Tunis, mais aussi Samah Soula, journaliste-reporter d’origine tunisienne et surtout une étoile montante Marwen Ben Yahmed, fils du fondateur de Jeune Afrique Béchir Ben Yahmed et héritier méritant de l’organe de politique France-Afrique dans la région. France 2 avait, à l’occasion de la chute de Ben Ali, bouleversé son programme et consacré son Journal télévisé à la Révolution tunisienne. Mais pourquoi ce changement de ligne éditoriale maintenant, alors que la contestation durait en Tunisie depuis plus d’un mois et que seule Al Jazeera couvrait quotidiennement l’actualité de la région? Comme pour Nessma TV et les autres télévisions tunisiennes, France 2 s’était autocensurée en évitant de critiquer la dictature de Ben Ali, en évitant surtout de focaliser l’opinion sur ce pays qui gardait encore des liens très étroits avec l’Élysée. Mais le roi est mort vive le roi! Il a fallu attendre que Sarkozy lâche Ben Ali pour que la télévision francaise (d’Etat de surcroît), se réveille et soit touchée par ce vent de liberté pour commencer à en parler…sérieusement. Ce qui démontre si besoin est que France 2 et même France 3 et TF1, n’avaient pas l’intention de suivre le mouvement de la contestation tant que le régime n’avait pas changé. Le plus grave est que France télévisions a plus parlé de la contestation populaire en Algérie entre le 6 et le 7 janvier que de la contestation en Tunisie. Dans l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéï, sur France 3, la télévision française a voulu faire la corrélation entre ce qui s’est passé en Algérie et ce qui se passait en Tunisie. Le débat a malheureusement déraillé quand Dafri Abdel Raouf, (qui a ouvertement précisé qu’il était Français et pas Algérien) a déclaré, en réponse à un débat avec la nièce de Bourguiba, Hélé Béji, que l’Algérie n’avait pas gagné la guerre mais que de Gaule lui avait offert l’indépendance. Dafri Abdel Raouf, a été ensuite corrigé par Lahouari Addi, qui lui expliqua que l’Algérie avait gagné la guerre d’Algérie politiquement. C’est cette image encore une fois, sur la Guerre d’Algérie, que les téléspectateurs ont gardé et qui a provoqué un tollé chez les Algériens. En tout cas, les télévisions françaises réagissent à cette actualité comme une puissance coloniale qui a toujours son mot à dire dans la révolte des peuples opprimés. (L’Expression-18.01.2011.)
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