Tunisie: l’après-Ben Ali a-t-il commencé ?
13012011*Ben Ali promet l’arrêt des tirs et la liberté aux médias
Le président tunisien Zine El Abdine Ben Ali s’est engagé jeudi à quitter le pouvoir au terme de son mandat en 2014 et a ordonné la fin des tirs contre les manifestants, dans l’espoir d’apaiser un mouvement de contestation sans précédent. Un discours salué par des mouvements de liesse à Tunis, mais également marqué par deux nouvelles victimes.C’était son troisième rendez-vous télévisé depuis le 17 décembre 2010 et le début des émeutes en Tunisie. Après avoir promis des milliers d’emplois lundi dernier, Zine el Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, a tenté ce jeudi soir de faire un pas vers la population tunisienne après une nouvelle journée d’émeute qui, pour la première fois, a même gagné des secteurs touristiques comme la station balnéaire d’Hammamet.Critiqué par la communauté internationale, le président tunisien a multiplié les promesses et admis avoir été «trompé» sur l’analyse de la crise sociale qui agite le pays depuis près d’un mois et dont le bilan pourrait dépasser les 66 morts selon la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH). Fin de la «censure sur internet»Ben Ali a assuré qu’il n’accepterait pas «qu’une goutte de sang soit versée». «Assez de tirs à balles réelles», a-t-il ajouté dans ce discours prononcé en arabe dialectal dans une intention apparente de se faire comprendre par tous les Tunisiens. «Je refuse de voir de nouvelles victimes tomber (…) Assez de violences, assez de violences», a-t-il poursuivi, en affirmant que «personne ne serait plus inquiété à moins qu’il tente de se saisir de l’arme d’un agent de l’ordre».Exhortant la population à s’opposer à ces violences «pour mettre fin à cette situation», il a promis de «baisser les prix des matières premières», d’accorder «toute liberté aux médias» et de cesser «la censure sur internet». Peu après ces mots, les sites internet bloqués, notamment Dailymotion et Youtube, étaient de nouveaux accessibles. Des utilisateurs ont très vite célébré la disparition du censeur du ministère de l’Intérieur, qui se faisait appeler «Ammar 404». Sur Facebook, des internautes ont commencé à dérouler un livre qui était strictement interdit en Tunisie, «La régente de Carthage», écrit par les journalistes français Nicolas Beau et Catherine Graciet.Enfin, les leçons de cette crise seront tirées : Ben Ali a affirmé qu’une enquête établirait les «responsabilités de chacun».
Pas de nouveau mandatReprenant à son compte la formule gaullienne «Je vous ai compris», le président tunisien s’est voulu l’homme de la réconciliation : «La situation aujourd’hui nécessite un profond changement et de travailler main dans la main (le pouvoir et les opposants) pour le bien du pays», a encore dit le président tunisien. Je réaffirme ici que j’ai l’intention d’approfondir la pratique démocratique et de revitaliser le pluralisme».
«La Tunisie appartient à son peuple», a lancé Ben Ali, précisant même ne pas vouloir se représenter à la présidence. «Pas de présidence à vie et je refuse de toucher à la limite d’âge fixée par la Constitution», a déclaré le président, au pouvoir depuis 1987 et qui a été réélu en octobre 2009 pour un mandat de cinq ans. Il était sollicité par des membres de son parti pour se représenter en 2014.
Clameur à Tunis, deux nouvelles victimes à Kairouan
Dans la capitale tunisienne, des dizaines d’habitants sont descendus dans les rues - rompant le couvre-feu – pour crier leur joie quelques minutes après le discours du président. Les manifestations en faveur du président ont commencé timidement avec quelques voitures qui ont commencé à sillonner klaxons bloqués le centre de la ville avant de s’amplifier dans la nuit. Une liesse bien précaire cependant. Selon des témoins, deux nouvelles personnes auraient été tuées par la police pendant le discours présidentiel, à Kairouan, dans le centre du pays alors même que Ben Ali annonçait la fin des tirs contre les manifestants. (Le Parisien-13.01.2011.)
**le quitte ou double de Ben Ali
Des milliers d’habitants de Tunis ont bravé le couvre-feu pour exprimer leur joie, quelques minutes après le discours télévisé du président .
En précisant qu’il ne briguerait pas un sixième mandat en 2014 et en annonçant l’arrêt des tirs contre les manifestants, la baisse du prix des produits de première nécessité et la levée de la censure sur les sites internet, le président tunisien espère désamorcer la crise.
Dès la fin du discours, jeudi soir, du président Ben Ali, des milliers d’habitants de Tunis ont bravé le couvre-feu et envahi le centre de la capitale et les grandes avenues des banlieues à Carthage et à Sidi Bou Saïd. Dans un immense mouvement de joie, les youyous et les coups de klaxon ont célébré le «Je vous ai compris !» du chef de l’État tunisien.
«On a la liberté d’expression, la liberté de l’information, la liberté de l’Internet !», criait Mahmoud, avenue Bourguiba. «On va préparer la démocratie, on va préparer une commission pour juger les corrompus !», ajoutait un de ses amis. «Et tous les corrompus, du haut en bas !», hurlait un garçon. On se filmait, on se congratulait. Un mois de crise affreuse s’éloignait. C’était le grand soir, à Tunis. Et sans doute la première fois qu’une foule pouvait décemment célébrer l’avènement annoncé d’une démocratie au Maghreb et dans un pays arabe.
Au prix de bien des morts – deux civils ont encore été tués à Kairouan par des tirs de la police durant le discours de Ben Ali -, les Tunisiens ont obtenu ce qu’ils voulaient, et sur toute la ligne. Liberté «totale» de l’information, de l’Internet (les sites bloqués tels que YouTube et Dailymotion ont été rétablis quelques heures après le discours présidentiel), et préparation avec tous les partis tunisiens d’un système démocratique. Dans son discours, prononcé en arabe dialectal pour être compris de tous, le président Zine el-Abidine Ben Ali a fait retomber la tension à Tunis et dans les environs, en annonçant plusieurs décisions capitales.
La première, c’est qu’il ne se représenterait pas pour un sixième mandat en 2014, et consacrerait le reste de son temps à la tête du pays à préparer la démocratie. «Pas de présidence à vie, je refuse de toucher à la Constitution», a-t-il déclaré, avant de préciser : «La situation aujourd’hui nécessite un profond changement … Je réaffirme ici que j’ai l’intention d’approfondir la pratique démocratique et de revitaliser le pluralisme», a-t-il dit. Des membres de son parti l’avaient sollicité pour qu’il se représente en 2014, date à laquelle il aurait eu 77 ans, alors que la limite d’âge est à 75 ans.
liesse précaire après l’angoisse
Ensuite, concédant qu’il avait été «trompé» par son entourage, il s’est écrié : «Assez de tirs à balles réelles. Je refuse de voir de nouvelles victimes tomber. Assez de violences ! Assez de violences !» Il a également annoncé la baisse des prix des produits de première nécessité.
Le soulagement de sortir par le haut de cette crise meurtrière était limpide. «Ben Ali a tout regretté, et maintenant, notre Tunisie toute démolie, on va la reconstruire ! Ah, il est beau notre pays ! On est un peuple très fier !», jubilait un homme de soixante ans. Une joie et un apaisement palpables, dans les chants, les tambours, les cris d’allégresse de la foule.
Ce mouvement de liesse est à la mesure de l’angoisse qui avait saisi le pays, depuis que la police avait réprimé avec cruauté les manifestations de Tunisiens modestes, exaspérés par la corruption régnant dans la petite administration. Selon la Fédération internationale des droits de l’homme, 66 Tunisiens ont été tués par les forces de l’ordre depuis le 17 décembre dernier, dont huit dans la nuit de mercredi à jeudi. Jeudi, un manifestant avait été abattu par la police pour la première fois au cœur même de la capitale. La tension était devenue extrême. Tout se présentait comme si le pouvoir n’avait plus que les armes pour se faire respecter face à un mouvement de désobéissance qui faisait tache d’huile.
Pratiques autoritaires
À Tunis, jeudi, des jeunes s’attaquaient à des banques ou à des supermarchés appartenant à la belle-famille du président Ben Ali. À Sfax, Hammamet, des milliers de personnes faisaient de même. Les langues se déliaient : «Le pays est pillé par les proches du président, il est temps que Ben Ali s’en aille !», affirmait un médecin de La Marsa. Les mesures annoncées par le premier ministre mercredi (remplacement du ministre de l’Intérieur, commission d’enquête sur la corruption, libération des manifestants emprisonnés, excuses aux intellectuels malmenés par la police à Tunis) semblaient avoir fait long feu.
Le «Je vous ai compris !» du président Ben Ali est de fait une capitulation en rase campagne. Il l’affirme : il va renoncer à toutes ses pratiques autoritaires et népotiques du pouvoir, et laisser les Tunisiens s’exprimer comme ils l’entendent.
Il n’est pas exclu que jeudi dans la nuit les manifestations de joie «pro-Ben Ali» aient été organisées par le pouvoir lui-même, à Tunis. Mais il est clair aussi que les Tunisiens ne se laisseront plus mener comme des moutons, car ils ont mesuré leur puissance face au pouvoir.
Le président Ben Ali n’avait plus d’autre choix que de capituler. Dans cette escalade de la violence, il avait été pris à son propre piège. La presse, aux ordres du pouvoir, n’était plus lue. La télévision officielle plus regardée. Entre le président et son peuple, il n’y avait plus rien d’autre que la force. Et donc une impasse absolue. (Le Figaro-14.01.2011.)
**dans le centre de Tunis, retrait des forces de sécurité
Les forces de sécurité, qui étaient fortement déployées dans le centre de Tunis, n’étaient plus visibles ce matin de vendredi, au lendemain d’un discours d’apaisement du président Zine El Abidine Ben Ali après un mois d’émeutes meurtrières dans le pays, a constaté l’AFP.La ville a commencé à retrouver un visage plus habituel avec la réouverture des commerces et des cafés et une reprise de la circulation automobile alors qu’elle était sous tension ces derniers jours.Le président tunisien Zine El Abdine Ben Ali s’est engagé hier soir à quitter le pouvoir au terme de son mandat en 2014 et a ordonné la fin des tirs contre les manifestants, dans l’espoir d’apaiser un mouvement de contestation sans précédent.« Je vous ai compris », a martelé à plusieurs reprises le chef de l’Etat, au pouvoir depuis 23 ans, dans un discours à la nation, son troisième depuis le début des émeutes mi-décembre. Ce mouvement de contestation et sa sanglante répression ont déjà fait au moins 66 morts, selon une ONG.Ce discours a été plutôt bien accueilli par les différentes composantes de l’opposition, harcelée sous le régime du président Ben Ali. Les rares journaux, proches du pouvoir, présents dans les kiosques de la capitale se sont félicités du discours, le quotidien Le Temps titrant en manchette « Après le sang et la désolation, la liesse et de nouveau l’espoir ». Alchourouk titre de son côté: « On m’a trompé et je vous ai compris », reprenant les termes du discours du président tunisien » que le journal qualifie d’ »historique ». (AFP-14.01.2011.) **Un gouvernement d’union nationale est «faisable»
«Je crois que c’est faisable et je pense que c’est tout à fait même normal» de former un gouvernement d’union nationale, a déclaré le ministre tunisien des Affaires étrangères, Kamel Morjane sur Europe 1. Selon lui, des élections législatives anticipées sont envisageables avant la prochaine présidentielle. * Au moment où le président tunisien ordonnait la fin des tirs, deux civils auraient été tués par la police à Kairouan, dans le centre du pays, selon des témoins cités par France Info.
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«C’est un pouvoir assassin, régi par l’arbitraire»
«On voit mal quelle relève politique il pourrait y avoir»
Des jeunes Tunisiens font face aux forces de l’ordre, à Regueb, près de Sidi Bouzid, le 10 janvier 2011 Makouka /
- Les spécialistes s’interrogent sur la finalité d’un mouvement qui se poursuit sans cadres, ni leaders…
La révolte tunisienne ne désarme pas. Ce jeudi après-midi, des tirs ont retenti dans le centre de la capitale. La police aurait même fermé les accès à un secteur de Tunis d’où s’élève une fumée noire. Officiellement, le dernier bilan est de 23 morts, mais la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) évoque une liste nominative de 66 victimes.
«C’est une révolte politique, affirme Juliette Bessis, auteur de Maghreb, questions d’histoire (Ed. L’Harmattan) et spécialiste de la Tunisie. Bien sûr, cela compte le fait que les gens aient des difficultés économiques, mais ce n’est pas le seul élément déclencheur des manifestations.» Au pouvoir depuis 23 ans, la personne du président Zine el-Abidine Ben Ali, est de plus en plus conspuée par les slogans des manifestants. Ce jeudi, à Sidi Bouzid, point de départ du mouvement à la mi-décembre, des milliers de personnes ont défilé dans les rues pour réclamer «toutes les libertés» et dénoncer la répression policière.
«C’est un pouvoir assassin, régi par l’arbitraire», souligne Juliette Bessis. Visiblement inquiet, le pouvoir tunisien multiplie les signaux contradictoires à l’attention de sa population, jouant tantôt l’apaisement tantôt la confrontation. Mercredi soir, le Premier ministre a annoncé la libération de toutes les personnes détenues depuis les débuts du mouvement. «Mais mon neveu, Mohammed Iqbal Sassi, un étudiant âgé de 19 ans, reste détenu, sans motif», dénonce Youssef Seddik, philosophe, auteur de L’Occident face au Coran. Le grand malentendu (Ed. de l’Aube). Et les autorités continuent à faire usage de la violence contre les manifestants.
L’opposition en exil, possible recours politique
Aujourd’hui, néanmoins, la question qui se pose est celle de la finalité d’un mouvement, qui se poursuit sans cadres, ni leaders. Il y a très clairement une volonté de libéralisation de la vie politique ainsi que celle de voir partir le président Ben Ali, constate Karim Bitar, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Mais il est vrai qu’on voit mal quelle relève il pourrait y avoir, l’opposition ayant été largement atomisée et marginalisés». Emmené par une jeunesse éduquée et ouverte sur le monde via la télévision et Internet, mais, par la force des choses, peu politisée, le mouvement pourrait être récupéré.
«C’est ce qui explique les prises de position très prudentes de Paris jusqu’à présent», analyse Karim Bitar. Mais il n’empêche qu’au sein de la population, on semble avoir atteint un point de non retour «dans le refus d’une situation qui n’a que trop duré», affirme Youssef Seddik. Par ailleurs, «au sein de l’opposition en exil, il semble que certains aient émis l’idée d’assises nationales afin d’organiser un gouvernement intérimaire dans le cas où le pouvoir tomberait», croit savoir Karim Bitar. (20Minutes-13.01.2011.)
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**Les émeutes gagnent les secteurs touristiques prisés par les touristes occidentaux
La Tunisie a connu de nouveaux affrontements violents jeudi, journée à l’issue de laquelle le président Ben Ali a promis l’arrêt des tirs et la liberté aux médias. Selon des témoignages rapportés par l’AFP, un manifestant a été tué en plein centre de Tunis dans le quartier Lafayette à proximité de l’avenue Bourguiba.
Un poste de police, une permanence du parti au pouvoir ont été détruits ainsi que des résidences cossues, dont l’une appartiendrait, selon des habitants, à un proche du chef de l’Etat. Dans la rue, les passant ont érigé de nombreux barrages alors que d’autres pillaient des magasins emportant tout ce qui leur tombait sous la main. Une des destinations préférées des Français La Tunisie est l’une des destinations préférées des Français «avec plus 1,5 million de personnes chaque année», explique Georges Colson, président du Syndicat national des agents de voyages (Snav), qui se veut rassurant malgré des premières annulations de touristes inquiets. A Tunis, les forces de l’ordre se sont interposées pour empêcher des manifestants, venus des abords de l’avenue Bourguiba, de se diriger vers le quartier où se trouvent un supermarché de la chaîne Carrefour et la Maison de la radio publique. C’est dans ce contexte qu’une personne aurait été tuée. Violences malgré le couvre-feu Ce nouveau décès intervient après de violents affrontements entre forces de sécurité et manifestants dans la nuit de mercredi à jeudi dans les villes d’Ettadhamen et Intilaka, à environ 15 km du centre de la capitale. «Toute la nuit, on a entendu des tirs, des cris et des bruits de casse», a déclaré une infirmière, expliquant que «les incidents avaient démarré mercredi «pendant un rassemblement qui a ensuite dégénéré en affrontements violents entre forces de sécurité et des jeunes». Des habitants se sont par ailleurs dits «ahuris» par l’ampleur des dégâts dans cette banlieue de Tunis où des commerces ont été saccagés, des locaux municipaux endommagés, des abris de bus détruits, et un bus incendié. 66 morts selon un bilan officieux Depuis quatre semaines, le pays est plongé dans une contestation inédite du régime. Selon la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH), au moins 66 personnes ont été tuées depuis le début de ces troubles, dont huit dans la banlieue de Tunis. L’organisation a dénoncé jeudi «un massacre qui continue». Mercredi, manifestants et forces de l’ordre se sont violemment affrontés pour la première fois dans le centre de la capitale. En province, des civils ont été tués, dont un professeur d’université franco-tunisien exerçant dans l’Oise, mort à Douz. Jeudi, des enseignants se sont rassemblés sur le campus Universitaire de Tunis pour protester contre cet «assassinat». Une Suisse d’origine tunisienne a aussi été tuée, selon le ministère helvétique des Affaires étrangères (DFAE). Selon la radio suisse, cette femme «membre du personnel soignant du CHUV (hôpital) à Lausanne, a été tuée mercredi soir au cours d’une manifestation à Dar Chaabane, dans le nord de la Tunisie». (Le Parisien-13.01.2011.)
************************ * une « quasi-mafia » entoure Ben Ali C’est ce qui ressortait des notes diplomatiques diffusées par WikiLeaks, avant la vague de manifestations qui touchent actuellement le pays.L’entourage familial du président Zine El-Abidine Ben Ali est une « quasi-mafia », affirmaient des télégrammes confidentiels américains obtenus par WikiLeaks et révélés cet automne, dans le cadre du vaste « Cablegate ». Un constat que font et dénoncent aussi les manifestants qui descendent dans la rue en Tunisie depuis près d’un mois et dont les revendications dépassent largement les questions économiques.
Un régime « corrompu » et « sclérosé »
Les accusations de corruption adressées au régime visent en particulier la famille Trabelsi, dont est issue la femme du président Ben Ali, Leila, qui règne sur de larges pans de l’économie tunisienne. Dans un câble daté de juin 2008, sous le titre « Ce qui est à vous est à moi », l’ambassade cite plus d’une dizaine d’exemples de « magouilles » à mettre au compte de ce « clan ». Au total, selon une citation choisie par le Guardian, « la moitié du monde des affaires en Tunisie peut se targuer d’être lié à Ben Ali », d’une façon ou d’une autre et notamment « par le mariage ».
Par exemple, écrit-il, l’épouse du président se voit accorder gratuitement par l’Etat un terrain, qui sera viabilisé tout aussi gratuitement, pour construire un établissement scolaire privé, revendu depuis. Autre exemple: le gendre du président, Sakhr Materi, aurait récupéré « un immense manoir tape-à-l’oeil », construit sur un terrain au préalable exproprié par l’Etat qui, officiellement, le destinait à l’Agence de l’eau.
Présenté comme « corrompu », le régime tunisien est aussi « sclérosé », pointe un autre mémo émis à l’été 2009 par l’ambassade américaine à Tunis. Tout en saluant la robuste croissance économique (5% en moyenne) et le statut avancé de la femme, il relève que le président Ben Ali « prend de l’âge », qu’ »il n’y a pas de successeur avéré ».
Une population « en colère »
« Frustrés par le manque de liberté politique et en colère contre la corruption de la famille de la première dame ». C’est ainsi que ces mémos décrivent les Tunisiens, frappés par une situation économique difficile, « une inflation croissante et un taux de chômage élevé ». Cette colère, « nourrie par les démonstrations de richesse des puissants et par les rumeurs de corruption persistantes », a fini par jaillir à la suite de l’étincelle provoquée par le suicide du jeune Mohamed Bouazizi, le 17 décembre dernier.
Face à cela, « le gouvernement n’accepte ni critique ni conseil. A l’inverse, il ne cherche qu’à imposer un contrôle plus strict, souvent en s’appuyant sur la police », selon les mémos révélés par WikiLeaks. Un raidissement que l’on a pu observer ces derniers jours: critiqué dans la rue, le régime tunisien a recouru à une répression dans le sang et à une censure plus poussée qui n’a fait qu’attiser la mobilisation.
Les Etats-Unis devraient aussi demander aux pays européens d’intensifier leurs efforts pour « persuader le gouvernement tunisien d’accélérer les réformes politiques », ajoutent ces télégrammes. L’Allemagne et la Grande-Bretagne sont acquis à cette idée, mais « des pays-clés hésitent à faire pression » sur la Tunisie. Parmi ces « pays-clés », la France qui s’est davantage illustrée par sa prudence que par son soutien aux manifestants qui ont soif de changement. (L’Expresss-13.01.2011.)
**Ben Ali espère que sa promesse de partir en 2014 calmera la rue
Suffit-il d’un discours du Président et, surtout, d’une promesse de quitter le pouvoir en… 2014, pour mettre fin à une révolte qui prenait progressivement la forme d’une révolution ? Le discours télévisé, jeudi soir, du Président Ben Ali, annonçant pour la première fois qu’il ne se représenterait pas à l’échéance de son mandat dans trois ans, et promettant une série de réformes, pourrait être le tournant de la crise : s’il ne parvient pas à calmer la rue tunisienne, le Président aura grillé sa dernière cartouche.Après un mois de protestations parties de la protestation individuelle d’un jeune de Sidi Bouzid pour gagner l’ensemble du pays, y compris la capitale, Tunis, et les zones touristiques théoriquement plus prospères, comme Hammamet jeudi, les concessions du chef de l’Etat semblent bien loin de la réalité.Le nombre de morts dépasse les 60, dont beaucoup tués par balles par des snipers, visés à la tête ; les blessés se comptent par milliers, et on est clairement passés de la contestation sociale au champ politique.
Le mélange de concessions présidentielles et de déploiement de force parviendra-t-il à calmer l’ardeur des manifestants ? Les prochaines heures seront déterminantes pour savoir si Ben Ali aura réussi, sinon à sauver sa tête et celle de sa famille au cœur des accusations de corruption, au moins à gagner du temps.
Premier élément de réponse, ce vendredi, avec l’appel à la grève générale maintenu par l’UGTT, le syndicat hier très officiel, et qui vient de prendre l’initiative de s’associer au mouvement de protestations.
Outre ses annonces, comme la fin de l’interdiction des sites étrangers bloqués, la libération des opposants arrêtés, le Président a fait sauter quelques têtes. On avait ainsi appris, jeudi, le limogeage de deux personnages-clés de l’entourage de Ben Ali. (Rue89-13.01.2011.)
**limogeage de deux faucons du président Ben Ali
Abdelwaheb Abdallah, l’inamovible conseiller de Ben Ali en charge de la presse (et ancien ministre des Affaires étrangères), vient d’être limogé, ainsi que le ministre d’Etat et conseiller spécial du Président Abdelaziz Ben Dhia. C’étaient les deux durs parmi les durs, les faucons des faucons. Il s’agit là d’un signe irrémédiable d’affaiblissement du régime après des semaines d’émeutes. L’information, encore non-officielle, a été confirmée par Alarabiya. Cela fait suite au limogeage, mercredi, du ministre de l’Intérieur Rafik Belhaj Kacem.*Abdallah, le Mazarin de Ben Ali
Abdelwaheb Abdallah, 68 ans est l’ennemi juré des libéraux et de tous les partisans de l’ouverture du régime. Il passe pour l’architecte et le maître d’œuvre de la politique de verrouillage de l’information.Décrit comme l’âme damnée ou le mauvais génie du Président, ce monastirien habile et intelligent, est un ancien professeur à l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi), ancien directeur de la TAP, l’agence de presse officielle.
Il a intègré le gouvernement, en septembre 1987, comme… ministre de l’Information.
« AA » a connu pourtant une semi-disgrâce en novembre 2003, quand les attributions de porte-parole lui sont brutalement retirées pour être confiées à Abdelaziz Ben Dhia. Mais il conserve son bureau au palais de Carthage et continue d’exercer son influence en coulisses.
Véritable Mazarin, Abdelwaheb Abdallah, dont la femme, Alia, préside le conseil d’administration de l’Union internationale de banques (UIB), passe aussi pour être un proche de Leïla Trabelsi – Ben Ali.
Ben Dhia, l’exécuteur des basses œuvres juridiques
Abdelaziz Ben Dhia, juriste sans états d’âme formé à Toulouse, avait confectionné la révision constitutionnelle sur mesure de 2002, qui avait permis à Ben Ali de briguer un quatrième mandat en 2004. C’est l’exécuteur des basses œuvres juridiques du régime.
Et Ben Dhia, ces derniers temps, planchait sur la révision constitutionnelle qui devait faire sauter la limite d’âge de 75 ans (Ben Ali est né en 1936) pour se porter candidat, et l’autoriser à solliciter un nouveau mandat en 2014.
Il est âgé de70 ans. Natif de Moknine, ce professeur de droit privé, ancien doyen de la faculté de Tunis, est issu d’une famille nationaliste de la moyenne bourgeoisie sahélienne. Il avait été propulsé, en 1996, à la tête du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir, après cinq années passées au ministère de la Défense – un poste nettement moins exposé que l’Intérieur, la Tunisie ne possédant qu’une armée de dimension restreinte.(Rue89-13.01.2011.)
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**Les forces spéciales tirent sur les manifestants
Dans les rues de Tunis, les jeunes bravent le couvre feu et incendient véhicules et bâtiments publics, tandis que des tireurs d’élites auraient reçu pour consigne de viser les jambes des manifestants.
Un manifestant a été tué cet après-midi par les tirs de la police dans le quartier Lafayette à proximité de l’artère centrale de l’avenue Bourguiba à Tunis, ont rapporté des témoins. Un autre manifestant a été grièvement blessé par balle, a affirmé l’un des témoins alors qu’un autre a indiqué qu’il était décédé, ce qui n’a pas été confirmé par d’autres sources.
Les forces de l’ordre ont tenté de disperser les manifestants à coup de bombes lacrymogènes avant de tirer, selon ces témoins. Les forces de l’ordre se sont interposées pour empêcher des manifestants, venus des abords de l’avenue Bourguiba, de se diriger vers le quartier où se trouvent un supermarché de la chaîne Carrefour et la Maison de la radio publique.
La police et les unités anti-émeutes étaient fortement présentes dans le centre de la ville où la tension est montée à la suite d’une tentative de marche à la mi-journée. Des tirs sporadiques ont été entendus sans qu’il soit possible d’en déterminer la localisation. (Le Figaro-13.01.2011.)
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*des manifestations violemment réprimées et plus de 50 tués, selon un syndicaliste
Les développements intervenus hier en Tunisie indiquent que la situation s’est aggravée dans ce pays en proie à des manifestations violemment réprimées depuis près d’un mois.
Le fait que les émeutes aient atteint Tunis et sa banlieue ouest semble avoir eu de l’effet sur le président Zine El-Abidine Ben Ali, qui a pris une série de mesures hier pour reprendre les choses en main. Il semble avoir opté pour la politique de la carotte et du bâton. Si le limogeage du ministre de l’Intérieur, la libération de tous les détenus et la mise en place d’une commission d’enquête sur la corruption apparaissent comme des concessions de sa part, le déploiement de l’armée dans les rues de la capitale montre par contre sa détermination à aller jusqu’au bout dans la répression des émeutes.
Limogeage du ministre de l’Intérieur et libération des détenus
Dans l’espoir d’apaiser la tension, le chef de l’État tunisien a décidé, hier, un certain nombre de mesures qui laissent présager un changement dans la manière avec laquelle il a traité cette crise sociale jusque-là.
Le limogeage du ministre de l’Intérieur, après celui, il y a quelques jours, du ministre de la Communication, et l’annonce de la libération des détenus arrêtés dans le cadre des émeutes sont des signes d’une volonté de Zine El-Abidine Ben Ali de calmer les esprits. En effet, le Premier ministre tunisien, Mohamed Ghannouchi, a annoncé hier, au cours d’une conférence de presse, le limogeage du ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem.
Le premier responsable du gouvernement tunisien a également indiqué que toutes les personnes arrêtées pendant les émeutes sociales seront libérées. Dans la foulée, il a également annoncé la formation d’une commission d’enquête sur la corruption que dénoncent opposition et ONG. “Nous avons décidé la création d’un comité d’investigation pour enquêter sur la question de la corruption”, a-t-il déclaré devant des journalistes.
L’armée dans les rues de Tunis
Tôt le matin, l’armée tunisienne s’est déployée hier à Tunis où la tension est montée au lendemain d’affrontements entre la police et des manifestants qui ont éclaté dans la nuit dans la banlieue ouest populaire.
Des renforts militaires, soldats en armes, camions, jeeps et blindés ont fait leur apparition dans Tunis pour la première fois depuis le déclenchement des affrontements que connaît la Tunisie depuis maintenant un mois. Ces renforts étaient postés à des carrefours du centre de Tunis et à l’entrée de la cité Ettadhamen où les dégâts d’une nuit de violence étaient visibles.
Selon l’AFP, un blindé tous feux allumés et des soldats en armes étaient positionnés à l’entrée de ce gros faubourg où des carcasses de voitures et d’un bus incendiés n’avaient pas encore été enlevées, près du siège de la délégation attaqué la veille.
Outre des renforts importants de police et d’unités d’intervention spéciales, deux véhicules de l’armée et des soldats montaient la garde sur la place reliant les avenues de France et Habib-Bourguiba, face à l’ambassade de France et à la grande cathédrale de Tunis.
Cette place avait été, la veille, le théâtre de manifestations étouffées par la police. Des renforts militaires étaient également visibles autour de la radiotélévision.
Un mardi sanglant
Le bilan des troubles sociaux qui ébranlent la Tunisie depuis près d’un mois s’est alourdi à une cinquantaine de morts dans le centre du pays en trois jours, selon un responsable syndical, qui a évoqué une situation de chaos, mardi à Kasserine, principale ville du Centre. Les affrontements ont éclaté mardi soir pour la première fois dans une banlieue de Tunis, alors que les émeutes qui secouent la Tunisie depuis près d’un mois ont fait 21 morts, selon les autorités, et plus de 50 tués, selon un syndicaliste. “Nos chiffres disent 21 décès”, a déclaré mardi, lors d’un point de presse, le ministre tunisien de la Communication, Samir Labidi. “Ceux qui ont parlé de 40 ou de 50 morts doivent produire une liste nominative”, a-t-il lancé, faisant état de dégâts matériels considérables sans fournir d’évaluation chiffrée. Le précédent bilan officiel, communiqué mardi à la mi-journée, faisait état de 18 morts. La présidente de la Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (FIDH), Souhayr Belhassen, avait assuré qu’au moins 35 personnes avaient trouvé la mort dans les émeutes. “Le chiffre de 35 morts s’appuie sur une liste nominative”, avait-elle déclaré. Un peu plus tôt dans la journée, Sadok Mahmoudi, membre de la branche régionale de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), avait évoqué une situation de chaos à Kasserine, principale ville du Centre, et un bilan de plus de 50 morts les trois derniers jours.
L’UE condamne le recours disproportionné à la force par la police
La porte-parole de la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a condamné hier l’usage disproportionné de la force par la police en Tunisie. “Cette violence est inacceptable, les auteurs doivent être identifiés et traduits en justice”, a déclaré Maja Kocijancik. Précisant que l’UE demandait une enquête à ce sujet, elle a ajouté : “Nous sommes inquiets du recours à la force disproportionné de la police envers les manifestants pacifiques.” Pour rappel, lundi,
Mme Ashton avait demandé la “libération immédiate” des manifestants, blogueurs et journalistes arrêtés ces dernières semaines en Tunisie. Même son de cloche à Washington, où les États-Unis ont fait part mardi de leur préoccupation face à des informations selon lesquelles les forces tunisiennes feraient un “usage excessif de la force” envers les manifestants, après les émeutes sanglantes qui ont eu lieu dans ce pays. “Les États-Unis sont profondément préoccupés par les informations faisant état d’un usage excessif de la force de la part du gouvernement tunisien”, a déclaré Mark Toner, un porte-parole du département d’État. De son côté, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, s’est dite “inquiète quant aux troubles et à l’instabilité” dans ce pays dirigé depuis 23 ans par le président Zine El-Abidine Ben Ali. Elle s’est également déclarée préoccupée par “la réaction du gouvernement, qui a malheureusement provoqué la mort de certains jeunes protestataires”, et a appelé à une “solution pacifique”. (Liberté-13.01.2011.)
**Souhayr Belhassen. Présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)
«Nous exigeons l’envoi d’une commission d’enquête internationale»
Face à la dégradation de la situation, la présidente de la FIDH, Mme Souhayr Belhassen, d’origine tunisienne, a lancé un appel pour l’envoi d’une commission d’enquête internationale en Tunisie pour mener des enquêtes sur la répression sauvage qui s’abat sur les Tunisiens depuis un mois. Dans cet entretien, la présidente de la FIDH a appelé également à la tenue d’une réunion d’urgence du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ainsi que l’envoi des experts des Nations unies travaillant sur les exécutions sommaires.
- La Tunisie s’est installée dans une situation d’instabilité politique depuis un mois. Avez-vous des informations précises sur le bilan humain et sur le climat politique qui prévaut en Tunisie ?
Sans faire dans la comptabilité macabre, le bilan est, malheureusement, très lourd. Nous avons en tant que FIDH recensé 35 morts, mais entre-temps le bilan s’est alourdi. Les informations qui nous parviennent de Tunisie sont affolantes. Il est difficile de faire un bilan exact dès lors que dans les différents gouvernorats, on avance des chiffres mais tout cela reste à vérifier. Les autres organisations, partis d’opposition et syndicats parlent de cinquante personnes tuées.
Les informations qui nous parviennent via des familles, de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, des syndicats, celui de la santé notamment, ne sont pas pour rassurer. La capitale est une ville morte, les cafés, restaurants et magasins sont fermés.La confusion règne à Tunis, ce qui rend plus difficile notre travail en matière de recensement des victimes. Comme vous savez aussi, l’armée a pris position depuis mardi soir dans la capitale suite aux affrontements qui ont gagné Tunis.
Dans les autres villes du pays, la situation est aussi difficile, car comme la ville de Kasserine qui a connu de violents affrontements, elle est totalement isolée, donc il est extrêmement impossible d’avoir des informations fiables.
- Le président Ben Ali a fait appel à l’armée pour le contrôle de la capitale, pensez-vous que l’affrontement entre civils et militaires soit inévitable ?
J’espère que cela ne va pas arriver, cela étant dit, nous craignons l’affrontement entre l’armée et les manifestants. Il faut éviter par tous les moyens que cela se produise. Ce que nous souhaitons, c’est d’aller vers l’apaisement et que les affrontements cessent le plus tôt possible. Ce que, par contre, nous réclamons en tant que Fédération internationale des droits de l’homme, c’est l’envoi d’une commission d’enquête internationale en Tunisie pour enquêter sur la répression qui s’est abattue contre des civils tunisiens. Et face à la répression sanglante qui se poursuit, l’usage disproportionné de la force et les tirs à balles réelles contre des manifestants, nous demandons aussi la tenue d’une réunion urgente du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Nous nous adressons aussi à l’Organisation des Nations unies pour qu’elle envoie des experts sur les exécutions sommaires et d’autres experts qui travaillent sur les questions de la liberté d’expression.
- Comment expliquer l’ampleur de la violence avec laquelle le pouvoir a géré ces événements. Son pouvoir est-il sérieusement menacé ?
Parce que tout simplement le régime est sérieusement déstabilisé par cette révolte qui s’est dressée contre un pouvoir vieillissant, corrompu qui a verrouillé le champ politique depuis 23 ans. La marmite a fini par exploser.
- Sommes-nous dans une situation révolutionnaire en Tunisie ?
Ce qui est sûr, c’est que nous sommes face à une situation très difficile où on a l’impression que le pouvoir n’a plus la maîtrise. Ni la répression sanglante, ni les discours de Ben Ali, ni les menaces n’ont arrêté les manifestants qui contestent ouvertement le régime.
- Quelle est votre appréciation de l’attitude de l’Occident par rapport à ce qui se passe en Tunisie?
Elle n’est pas à la hauteur des évènements. On a vu la réaction de Ban Ki moon qui a appelé à la retenue. L’Union européenne par le biais de la ministre des Affaires étrangères, Mme Ashton a déploré et a dit sa tristesse par rapport à ce qui se passe en Tunisie. Elle a recommandé la retenue. On est vraiment loin des ses positions quand il s’agissait de la Biélorussie, lors des élections présidentielles, où elle a fermement condamné… Alors que la situation est très grave en Tunisie, elle s’est contentée de déplorer ! Je profite de l’occasion pour réaffirmer notre demande de suspension des négociations de l’Union européenne avec la Tunisie sur le statut avancé. Quant à l’attitude de la France, elle s’est montrée vraiment scandaleuse. J’ai suivi les déclarations du ministre de la Culture, Frédéric Miterrand, qui est un ami de la Tunisie, du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, et ensuite de la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, qui s’est félicitée de la coopération entre la France et la Tunisie. Elle a proposé d’envoyer la police française pour former la police tunisienne aux techniques de maintien de l’ordre. Il est absolument aberrant qu’un ministre des Affaires étrangères s’exprime de la sorte. Ben Ali est un général et un ancien ministre de l’Intérieur qui maîtrise parfaitement les techniques de maintien de l’ordre. La Tunisie a besoin par contre de ses pays amis des positions audibles qui dénoncent la répression et une voix dissuasive et incitatrice pour que l’avenir soit préservé.
- La fin du règne de Ben Ali a-t-elle commencé en Tunisie ?
Ce qui est certain, en Tunisie, c’est que désormais, il y a un avant-Sidi Bouzid et un après-Sidi Bouzid. On ne peut plus continuer à vivre dans cette situation, surtout avec autant de morts. Les choses doivent changer en Tunisie et les Tunisiens le font savoir de manière claire. (El Watan-13.01.2011.)
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**Les manifestants demandent le départ du président Le compte à rebours de l’après-Ben Ali a-t-il commencé ? Cette question brûle les lèvres de nombreux observateurs qui suivent les événements qui secouent la Tunisie depuis un mois. S’il est extrêmement difficile de parier sur une chute immédiate du régime de Ben Ali, les Tunisiens ne jurent en tout cas que par son départ. Un couvre-feu nocturne est décrété dans la capitale et sa banlieue. La contestation est à son apogée.
Acculé, le président Zine El Abidine Ben Ali (74 ans) a limogé, hier, son ministre de l’Intérieur, Rafik Hadj Kacem, et a décidé de libérer tous les détenus depuis le début des émeutes sociales qui secouent le pays, dans une tentative de stopper la colère du peuple.
Dans le même temps, les forces armées contrôlent la capitale. Selon le journaliste tunisien, Jalal Zoughlami, joint par téléphone, «des renforts militaires, soldats en armes, camions et blindés ont fait leur apparition dans la capitale dans la nuit de mardi à mercredi. Des unités de l’armée sont postées sur les grands carrefours de Tunis, d’autres surveillent le siège du Parlement et les bâtiments de la Radio et de la Télévision publique. Des blindés sont aussi stationnés pas loin du palais présidentiel. Les rues sont désertes, la circulation est très faible». «Il règne comme un climat de siège et de peur dans la capitale.»
Alors que la révolte sociale jusque-là contenue dans les villes du sud-ouest du pays, la colère «des oubliés de la République» gagne en intensité et se rapproche des allées du pouvoir. Des informations font état du limogeage également du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Rachid Ammar.
Il aurait refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les émeutes et exprimé des réserves sur un usage excessif de la force. Selon l’avocat et militant des droits de l’homme, Me Raouf Ayadi, contacté par téléphone, a décrété une situation «ouverte sur toutes les éventualités, maintenant que les évènements sont arrivés à la capitale. Les affrontements se poursuivent aujourd’hui (mercredi, ndlr) dans les quartiers populaires de la ville, à Rades, les cités Ettadhamen, Intilaka et El Mnihla et dans les quartiers populaires de l’ouest de la capitale où des camions de l’armée sont stationnés. Les agents de la police politique ont sommé les commerçants de baisser les rideaux de leurs boutiques et magasins». Si l’armée est appelée à la rescousse, «il n’est pas évident qu’elle tire sur la foule, les soldats, eux aussi, sont issus des régions les plus pauvres du pays. Des officiers peuvent s’opposer à implication de l’armée dans la répression directe des manifestants», a indiqué l’avocat.
Quant aux «mesures» prises par le président Ben Ali, Me Ayadi a estimé que «le limogeage du ministre de l’Intérieur ne va rien changer à la situation. Le ministre de l’Intérieur n’est qu’un exécutant des ordres venus de la Présidence. La plaie est profonde et les manifestants ne jurent que par la tête du Ben Ali. Ce dernier tente des manœuvres désespérantes, il est trop tard. Des jeunes Tunisiens sont tués par des snippers, pas question de faire machine arrière», a ajouté l’avocat.
L’opposant Hamma Hammami arrêté
Et si le Président a donné ordre de libérer tous les détenus, son pouvoir s’attaque aux dirigeants de l’opposition. Ainsi, le chef du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT, interdit), Hamma Hammami, a été interpellé, hier à son domicile, près de Tunis, a annoncé à l’AFP son épouse Radia Nasraoui. «La police a débarqué et arrêté Hamma», selon Me Radia Nasraoui. «Plusieurs policiers ont forcé la porte de notre appartement, perquisitionné et cassé, avant de prendre Hamma sous les yeux de sa fille», a-t-elle raconté. Hamma Hammami (59 ans) est le dirigeant d’un parti «illégal» d’extrême gauche, autrefois très présent à l’université. Recherché par la police, il vivait dans la clandestinité jusqu’à récemment.
Durant les événements, il est intervenu plusieurs fois sur des télévisions étrangères pour dénoncer le régime du président Ben Ali.
Une preuve que Ben Ali ne cherche pas l’apaisement, mais plutôt le contraire.
La réplique lui a été donnée et s’est faite sentir à travers beaucoup de villes. La répression brutale n’a pas entamé la détermination des Tunisiens à faire tomber celui qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1987.
Des marches étaient organisées hier à Sfax, Bizerte, Sidi Bouzid, Kasserine et Thala.
«Les manifestants demandent le départ du président», nous a informé l’avocate, Mounia Bou Alia, qui se trouve dans la ville de Thala. Jointe par téléphone, elle a dépeint «un climat des plus inquiétants» dans cette ville qui a connu de violents affrontements depuis trois semaines. «La situation sécuritaire a franchi un cap très dangereux. Les services de sécurité nous infligent une répression sans égale. Durant la nuit de mardi à mercredi, la police a investi des maisons et a procédé à des arrestations massives.
Plus grave encore, une femme a été violée par un policier devant son mari. Aujourd’hui, il ne s’agit plus du pain ou du travail, mais de la dignité du peuple tunisien qui est violée. Une grande manifestation a été organisée contre la répression brutale de la police, mais les forces de l’ordre ont fait usage de bombes lacrymogènes et ont tiré avec des balles réelles contre des manifestants. Un jeune a été tué.» L’avocate a estimé que le départ du ministre de l’Intérieur «n’est qu’une manœuvre du Président. Le problème de la Tunisie, c’est Ben Ali, c’est lui qui a donné l’ordre de tirer sur la foule».
En somme, la Tunisie est en train de vivre un tournant historique. Le conflit entre le peuple et le pouvoir a atteint un point de non-retour.
Le mouvement de contestation est en passe de créer un rapport de forces en sa faveur, il semble plus fort que le régime. (El Watan-13.01.2011.)
**L’image d’épinal déchirée
Les Tunisiens viennent de déchirer l’image d’Épinal que le régime, pour perdurer et s’enrichir en vase clos, donne du pays depuis plus de vingt ans.
Le vent d’émeutes qui souffle depuis près d’un mois sur la Tunisie, vendue comme havre de paix dans les cartes postales, ne s’est pas apaisé. Il reste de même intensité contrairement à la réaction du régime qui tantôt tend la carotte, tantôt prend le bâton.
Le bâton, c’est la sortie brutale et sans retenue des forces de l’ordre que l’armée vient de rejoindre. C’est le discours de Ben Ali qui brandit la “main extérieure” et les actes de terrorisme pour ébranler les consciences et sauver l’image du pays à l’extérieur. Volte-face obligée devant la détermination des émeutiers à aller jusqu’au bout de leur ras-le-bol et dont la majorité est constituée de jeunes, laissés pour compte dans la répartition des richesses et dans le marché du travail.
La carotte, c’est le recul affiché avec l’éviction de deux ministres et la libération des manifestants détenus. Mais, malgré cela, le cri de la rue demeure de plus en plus fort et le “Tunis utile” est au bord du gouffre. Comme l’Algérie, le mal est plus profond que la question du pouvoir d’achat. Il porte sur le mépris affiché par une caste d’apparatchiks à l’endroit de la majorité de la population. La situation est plus grave chez nos voisins où tous les relais d’expression sont bâillonnés par la force et la peur, en contrepartie d’un semblant de stabilité, à chaque fois relooké par les pays européens qui l’exhibe, aux autres pays émergeants, comme un ours en cage.
Quoiqu’il en soit, les Tunisiens viennent de déchirer l’image d’Épinal que le régime, pour perdurer et s’enrichir en vase clos, donne du pays depuis plus de vingt ans. La dictature familiale (de la belle-famille, pour être plus précis) ne connaît plus de limites et, à force de menacer le deuxième cercle constitué d’hommes d’affaires, de la classe moyenne, a joué avec le feu. C’est ce qui est arrivé à la dynastie des Somoza au Nicaragua, déboulonnée par les Sandinistes, et au Chili avec le régime de Pinochet.
Le clan Ben Ali, en osant toucher à cette frange de la population, a réveillé un volcan qui bouillonnait depuis longtemps et qui a fini par exploser. (Liberté-13.01.2011.)
**La France propose son savoir faire sur: « comment mater la révolte des jeunes » !!
Alliot-Marie propose des cours de répression!!
C’est une étrange proposition que celle publiquement faite par la ministre française des Affaires étrangères aux autorités algériennes et tunisiennes. “Le savoir-faire, reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité, permet de régler des situations sécuritaires de ce type”.
Alliot-Marie explique le soulèvement par “énormément d’attentes de la part des jeunes, particulièrement de jeunes formés, de pouvoir accéder au marché du travail”, et nous assure que “le président Nicolas Sarkozy entend, dans le cadre du G8 et du G20, répondre aux préoccupations et aux besoins qui sont ceux de la Tunisie et de l’Algérie en la matière”. On voit mal comment il compte s’y prendre pour créer des emplois au Maghreb, quand on voit le nombre de jeunes Français qu’il n’arrive déjà pas à occuper. En attendant, apprécions l’intention, mais considérons aussi le projet de transfert du “savoir-faire” destiné à régler les “situations sécuritaires”, puisque c’est ainsi que MAM résume les mouvements de revendication politico-sociale qui s’expriment, actuellement, chez nous et chez nos voisins.
Sous quelle forme allons-nous bénéficier du savoir-faire “reconnu dans le monde entier des forces de sécurité” françaises, comme le précise Alliot-Marie ? S’agit-il de transporter des bataillons de CRS vers Tunis et Alger ? Ou bien s’agit-il, pour la police française, de refiler à ses homologues de cette rive-ci les secrets de ses méthodes ?
Outre que la proposition pose un problème de considération de la souveraineté des États qu’elle veut défendre contre sa population, Alliot-Marie n’a apparemment pas peur de réveiller des souvenirs des peuples, historiquement victimes du “savoir-faire” policier de la France. Ces souvenirs sont faits, en ce qui concerne l’Algérie, du 11 Décembre 1960 à Alger, au quartier Belcourt, et du 17 Octobre 1961 à Paris, par exemple. Avec un tel crédit, suggérer la sous-traitance du maintien de l’ordre pour le compte des régimes de ses anciennes colonies reviendrait à vouloir organiser un jubilé de ratonnades de triste mémoire.
La déclaration de la responsable de la diplomatie française, faite devant les parlementaires français, n’est pas à confondre avec une offre de compétence ou de moyens discrètement de gouvernement à gouvernement qui se soutiennent. On peut comprendre que les modes d’expression des jeunes Algériens et Tunisiens ne conviennent pas à l’idée qu’elle se fait de la manière dont on doit traiter des régimes “amis” ; mais l’image de la France, déjà suffisamment ternie par son silence complice habituel devant les massacres récurrents au Maghreb, n’est pas bonifiée par une offre qui constitue un affront aux souffrances, aux sacrifices et sévices que subissent en général les Maghrébins qui luttent pour leurs droits.
Ainsi, après la métropole voudrait soutenir l’effort de “pacification” et mater cette nouvelle révolte d’indigènes en Afrique du Nord ! Sans être de ceux qui voient partout la résurgence du fantasme colonial, on ne peut que trouver dans le fait de réduire une crise sociopolitique complexe, même si elle est marquée par des “casses”, à une situation sécuritaire, l’expression d’une représentation colonialiste de l’ordre public. (Liberté-13.01.2011.)
**Alliot-marie évoque une assistance sécuritaire pour tunis et alger
Paris propose des cours de répression
La France s’invite, d’une drôle de manière, dans les émeutes qui ont secoué l’Algérie et qui secouent toujours la Tunisie, en proposant ses services de répression des émeutes.
Par le biais de sa ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, la France officielle propose à la Tunisie et à l’Algérie “son savoir-faire” dans la gestion des questions sécuritaires lors des manifestations publiques. “Le savoir-faire, reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité, permet de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays de permettre dans le cadre de nos coopérations d’agir pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité”, a-t-elle dit. Critiquée à l’Assemblée nationale française par les députés de l’opposition sur la retenue française au sujet de la situation en Tunisie, la ministre française des Affaires étrangères, Mme Alliot-Marie, a indiqué mardi dernier que le gouvernement français “ne peut que déplorer qu’il puisse y avoir des violences qui concernent ces peuples amis”, selon des propos rapportés par l’AFP, ajoutant que “la priorité doit aller à l’apaisement après des affrontements qui ont fait des morts”.
“Notre premier message doit être celui de l’amitié entre les peuples français et tunisien, et on ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons face à une situation complexe”, a-t-elle dit à propos de la Tunisie, tout en invitant les dirigeants à “mieux prendre en compte les attentes” des populations. La diplomate française a expliqué le mécontentement social et politique par “énormément d’attentes de la part des jeunes, particulièrement de jeunes formés, de pouvoir accéder au marché du travail”. “Le président Nicolas Sarkozy entend, dans le cadre du G8 et du G20, répondre aux préoccupations et aux besoins qui sont ceux de la Tunisie et de l’Algérie en la matière”, a-t-elle affirmé. Le message officiel que Paris entend délivrer, même s’il s’éloigne de l’insolente ingérence prônée par Bernard Kouchner, n’en constitue pas moins une ingérence “soft”. Que veut dire, en effet, cette
proposition de mettre son “savoir-faire” en matière de répression des émeutes ? En dehors du fait qu’elle porte en elle l’éternelle arrogance française consistant à considérer les autres, surtout ceux du Tiers-Monde, comme étant incapables de gérer les situations délicates, comme les émeutes ou encore les prises d’otages, il y a lieu de relever cette ambiguïté du discours officiel français, qui consiste à dire : on va vous aider à réprimer, sans causer de morts ! En fait, si ambiguïté il y a, c’est en raison de la nature des relations qu’entretient Paris avec Alger et Tunis. La droite française, et Nicolas Sarkozy en premier, tient à ce que les relations traditionnelles, et les gros intérêts de la France, soient maintenus, même si elle ne peut pas faire la sourde oreille à ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée, et même si elle doit répliquer aux flèches de la gauche, connue pour ses positions interventionnistes, à quelques encablures de l’élection présidentielle française. Toutefois, la droite de Sarkozy, qui propose d’être le porte-parole et “le sauveur du Maghreb”, lors des prochains sommets du G8 et du G20, fait dans le paternalisme qui n’a aucune chance d’apporter un quelconque changement, sauf, peut-être lui donner une “bonne conscience” dans la campagne électorale à venir. Le G8 et le G20, c’est connu, ne distribuent pas l’argent à tort et à travers. L’on se souvient des promesses données aux dirigeants africains, lors du lancement du Nepad et des suites qui leur ont été réservées.(Liberté-13.01.2011.)
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**Autres articcles ici:Tunisie:La situation tourne au carnage
*Le vrai visage du régime Ben Ali…l’armée tire sur les manifestants désarmés
**le ministre tunisien de l’Intérieur limogé
**Les Tunisiens déterminés à en finir avec l’Etat policier
**«Zinochet» ou le président à vie d’une dictature touristique
**Le parapluie protecteur de la France
**Le fil des événements
Décembre 2010
- Le 17 : immolation d’un jeune marchand de rue, à Sidi Bouzid, à 265 km de Tunis (centre-ouest) qui protestait contre la saisie de sa marchandise par la police. Décédé le 4 janvier, une foule de 5000 personnes a assisté à son inhumation.
- Les 19-20 : violents affrontements entre forces de l’ordre et jeunes manifestants pour le droit au travail à Sidi Bouzid et dans la localité proche de Meknessi.
- Le 24 : les troubles s’étendent à Menzel Bouzayane (60 km de Sidi Bouzid), où la police tire sur des manifestants, faisant deux morts et plusieurs blessés.
- Le 28 : au lendemain de nouvelles manifestations contre le chômage et la cherté de la vie dans plusieurs villes, dont Tunis, le président Zine El Abidine Ben Ali dénonce une«instrumentalisation politique». Limogeage du gouverneur de Sidi Bouzid le 30.
Janvier 2011
- Les 3-7 : manifestation à Thala (centre-ouest). Les violences sont marquées par des saccages et l’incendie de bâtiments officiels. Nombreuses arrestations. Violences également à Saïda, près de Sidi Bouzid.
- Le 6 : des milliers d’avocats se mettent en grève.
- Les 8-10 : émeutes sanglantes à Kasserine (chef-lieu de la région centre-ouest) et à Thala où l’armée se déploie autour des bâtiments officiels ainsi qu’à Regueb (près de Sidi Bouzid). Les émeutes font 21 morts, selon les autorités, plus de 50, selon une source syndicale, qui dénonce une situation de «chaos» à Kasserine. Affrontements à Kairouan (centre). Intervention télévisée de Ben Ali qui dénonce des «actes terroristes». Sur facebook, des milliers de jeunes Tunisiens appellent à des manifestations.
- Le 11 : premiers affrontements dans une banlieue proche de Tunis, à Ettadhamen et Intilaka, alors que les violences se poursuivent à Kasserine. Des manifestations d’artistes et d’opposants sont réprimées à Tunis. Fermeture des écoles et des universités.
- Le 12 : le Premier ministre annonce le limogeage du ministre de l’Intérieur et la libération des personnes arrêtées, à l’exception de celles qui «sont impliquées dans des actes de vandalisme» et la formation d’une commission d’enquête sur la corruption. L’armée se déploie à Ettadhamen et dans Tunis. Deux civils sont tués par des tirs de la police à Douz (sud) lors d’une manifestation. L’UE condamne l’usage «disproportionné» de la force. (El Watan)
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**Situation socioéconomique préoccupante en Tunisie
Derrière les décors touristiques… la crise
Des plages de sable fin, des infrastructures hôtelières nombreuses et bon marché, une économie saluée par les institutions internationales.
La Tunisie a, pendant longtemps, offert l’image d’un paisible pays de cocagne, certes écrasé par le long règne de Ben Ali, mais qui peut, au moins, se targuer d’une relative stabilité économique. Les récents événements enregistrés dans les régions les plus déshéritées du pays ont ainsi levé le voile sur la face hideuse du régime tunisien. L’image de la destination de rêve cède la place à celle d’un pays dont la population souffre des maux du chômage et de la pauvreté.
Le malaise social est intimement lié, selon les analystes et les observateurs, à la crise économique mondiale qui a induit une baisse drastique des revenus touristiques. Pour le régime Ben Ali, les mauvaises nouvelles se sont accumulées : essuyant une mauvaise récolte en 2010, le pays ne pouvait plus offrir d’emplois supplémentaires. Mais les raisons de la colère sont bien plus profondes. Ce n’est certes pas un hasard si la révolte a démarré dans les régions les plus pauvres du pays, loin des côtes et des décors sublimes qu’aime à offrir le président tunisien.
Les analystes soulignent que le développement économique, ces vingt dernières années, a profité d’abord aux zones côtières où se concentrent le tourisme, l’immobilier et les industries. A l’inégalité régionale, s’ajoute l’inégalité sociale. Les 10% les plus riches de la population perçoivent le tiers des revenus, les 30% les plus pauvres doivent se contenter de moins de 10% du PIB.
Le candidat Ben Ali avait pourtant promis de rectifier le tir lors de la dernière élection présidentielle du pays, qualifiée de «mascarade électorale». A peine a-t-il retrouvé son siège pour la septième fois consécutive, que le président tunisien a oublié les promesses faites au peuple. Mais c’est surtout l’attitude de la première Dame qui exaspère les Tunisiens. Elle illustre, à elle seule, la rapacité de quelques familles qui tiennent à garder les affaires les plus avantageuses entre leurs mains.
Les câbles distillés par le site WikiLeaks, quelques jours avant la révolte, n’ont fait que confirmer ce que tout le monde susurrait. Mais ces émeutes pourraient affecter davantage l’économie tunisienne. «Nous avons observé une baisse de l’activité touristique dans tous les pays où il y a eu des événements violents», a assuré Lahcen Achy, chercheur au centre Carnegie du Moyen-Orient, dans une récente intervention médiatique. «Cela a été le cas, quand il y a eu des attentats au Maroc en 2003, ou des actes terroristes en Egypte.» Mais cela risque de contaminer les autres secteurs dont dépend l’économie tunisienne, qui reste extrêmement fragile, d’autant qu’elle est largement tournée vers les exportations vers l’Europe. (El Watan-13.01.2011.)
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**Mahmoud Ben Romdhane. Economiste et secrétaire général adjoint du parti Ettajdid
«Nous appelons à la mobilisation de toute la société»
L’économiste Mahmoud Ben Romdhane décrypte la crise sociale, économique et politique que traverse la Tunisie. Membre du secrétariat du parti Ettajdid, Mahmoud Ben Romdhane croit en une alternative démocratique au régime du président Ben Ali et appelle à une jonction des forces démocratiques au Maghreb. - L’annonce de la création de 300 000 emplois d’ici à 2012, par le président Ben Ali, est-elle crédible ? N’est-ce pas une fuite en avant ?Il s’agit d’abord de s’interroger si cette création de 300 000 emplois annoncée est possible ou simplement chimérique. La réponse est que cette annonce est chimérique. Au plus, et par miracle, les augmentations pourraient être de 10 à 12 % en termes de création d’emplois d’une année à l’autre, 100%, jamais ! Quels pourraient être les secteurs créateurs d’emplois. Le secteur privé va, de notre point de vue, voir baisser le nombre de ces créations d’emplois parce que c’est fortement lié à l’investissement ; il va y avoir un «recroquevillement» de l’investissement parce que celui-ci a besoin d’un climat de confiance, d’un climat de respect de l’Etat de droit, or nous sommes aujourd’hui en situation d’incertitude et de risque croissant quant à l’avenir. Il est clair que l’investissement privé ne va pas augmenter et qu’il n’y aura pas, de sa part, de créations d’emplois significatives. Reste le secteur public. Le discours est que les effectifs sont déjà pléthoriques, on peut envisager des créations d’emplois d’une dizaine, d’une quinzaine de milliers chaque année, mais pas 150 000 chaque année. Le dernier des économistes vous dira que c’est impossible.
- La situation en Tunisie a-t-elle atteint un point de non-retour ?
Nous avons tous les ingrédients de ce scénario en place, parce que la colère gronde partout dans le pays, elle embrasse toutes les catégories sociales, depuis les couches les plus pauvres jusqu’aux élites économiques et intellectuelles confondues et, malheureusement, nous avons affaire à un pouvoir autiste qui ne veut pas reconnaître la profondeur et la légitimité des revendications portées par la population, il les présente comme un complot venu de l’extérieur par des meneurs en eaux troubles terroristes. Cela veut dire qu’il y a le refus du mouvement social, c’est-à-dire le mépris des revendications et en réaction, on assiste au déploiement d’une vague répressive. Nous la voyons se dérouler depuis hier (lundi, ndlr) de manière brutale.
- La Tunisie a toujours été présentée comme un pays prospère, dynamique par rapport à ses voisins et ayant réussi son décollage économique. Comment se fait-il que ce «modèle» génère tant de chômeurs ?
Le taux de chômage national moyen est de 13,3%, selon la définition du BIT, c’est un taux de chômage élevé, mais il n’est pas plus élevé que celui enregistré dans les pays voisins. Il y a deux faits importants qui limitent le taux de chômage en Tunisie, tout d’abord l’émigration, plus d’un million de Tunisiens sont à l’étranger, et en second lieu, c’est un pays qui a engagé depuis longtemps sa transition démographique, sauf que depuis quelques années, il y a une pression qui est celle de la population en âge actif. L’économie tunisienne n’a pas généré suffisamment d’emplois au cours de ces dernières années, parce qu’il y a un ralentissement de l’investissement et que celui-ci est fortement lié à l’état de la confiance et au climat des affaires. Toutefois, le chômage dont la Tunisie souffre de manière particulière, c’est celui des diplômés. Le chômage des personnes analphabètes ou peu qualifiées est très faible, de l’ordre de 5% environ. Le taux de chômage élevé et qui s’accroît de manière exponentielle c’est celui des diplômés de l’enseignement supérieur. En mai 2009, selon les statistiques officielles, le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur était trois fois et demie plus élevé que celui des personnes analphabètes ou de niveau primaire. Depuis, deux nouvelles promotions de diplômés sont sorties de l’université. On avait officiellement 125 000 chômeurs diplômés en mai 2009, aujourd’hui leur nombre doit être d’au moins 200 000, soit un taux avoisinant les 33%. Dans les régions de l’intérieur, ce taux de chômage est beaucoup plus élevé. Dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, à partir duquel les événements ont démarré, le taux de chômage des universitaires était de 44,4% en mai 2009. Aujourd’hui à Sidi Bouzid, début 2011, dire que le taux de chômage est de 60% est tout à fait plausible. Mais ce n’est pas seulement le chômage, c’est aussi, comme on dit chez vous, «el hogra». A l’exemple de ce jeune diplômé, qui n’arrivant plus à trouver d’emploi, prend un étal pour vendre des fruits et des légumes et auquel on saisit sa marchandise, ne trouvant personne à qui se plaindre, méprisé et d’après nos dernières informations aurait même été giflé, a fini par s’immoler par le feu. Il exprime le désespoir d’une jeunesse. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui les Tunisiens et particulièrement les jeunes disent «basta» et ne veulent plus accepter l’humiliation et le mépris.
- Une alternative démocratique est-elle possible au mouvement de révolte populaire, autrement dit les forces démocratiques sont-elles suffisamment fortes pour pouvoir constituer une alternative au système en place ?
Bien évidemment, la Tunisie possède des forces qui ont été tues ou qui ont été mises sous le boisseau ou qui ont été cooptées, mais sous le feu du mouvement social aujourd’hui, elles sont obligées de se réunir, le pouvoir n’a plus prise sur elles pour les faire taire ou pour les instrumentaliser, on le voit à tous les niveaux. La Tunisie est tout à fait capable et les alternatives sont claires, le mouvement de la société civile, le mouvement démocratique tunisien, malgré la répression à laquelle il est soumis, est porteur d’un projet alternatif de société, d’ailleurs ce projet est tellement clair qu’il est tout à fait possible de le mettre en œuvre. Nous appelons aujourd’hui à la mobilisation de tous les secteurs de la société civile, de la société politique, de toutes les personnalités, de toutes les élites pour qu’ils fassent front à cette vague répressive et nous appelons aussi à une conférence nationale qui regroupe toutes les forces vives du pays pour envisager ensemble la manière de sortir de cette crise.
- Une date est-elle arrêtée pour la tenue de cette conférence nationale ?
Nous en sommes à notre premier appel. Nous allons voir quelles seront les réactions à cette offre.
- Avez-vous des liens, des contacts avec vos voisins démocrates algériens ? Une jonction entre démocrates maghrébins est-elle possible ?
Nous avons un grand besoin de convergence à l’échelle du Maghreb et avec les frères et les camarades algériens, d’une solidarité, mais nous sommes en retrait des exigences pour un grand nombre de raisons. Nous avons été les uns et les autres confrontés à des problèmes nationaux internes, mais il est grand temps que nos deux sociétés se solidarisent et que les organisations représentatives des forces démocratiques entrent en concertation et travaillent ensemble. Nous ne sommes pas du tout satisfaits de l’état des relations actuelles, mais nous sommes absolument confiants de l’impérieuse nécessité que nos deux mouvements démocratiques en Algérie et en Tunisie s’allient.
- Des contacts sont-ils pris ? Des approches réalisées ?
Nos moyens ont été jusqu’ici faibles, il y a dans la société civile des expériences de relations, de coopération, mais elles sont bien plus modestes qu’elles ne l’étaient dans le passé, il y a maintenant un besoin de monter en niveau et un besoin pour que les mouvements politiques se rapprochent. (El Watan-13.01.2011.)
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Catégories : actualité, société
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