L’Algérie, après les émeutes de janvier 2011
12012011**l’Algérie doit changer.
*Après le constat d’échec du système actuel, un système qui ne profite qu’à une minorité de privilégiés…
cliquer ici: Météo-politique en Algérie*
aussi: 80% du sucre importé par l’Algérie est détenu par une seule personne. C’est incroyable et même inimaginable!!!
**UN MILLION D’OPÉRATEURS NE DÉCLARENT PAS LEURS ACTIVITÉS
«Le salarié paie plus d’impôts que le boucher!»
*Spéculateurs et manifestants ont causé d’énormes dégâts… Qui paiera la facture? Ces tenants du capitalisme pur et dur croyaient qu’avec une bonbonne d’huile l’on pouvait créer un séisme politique, un Watergate à l’algérienne. ** une loi de finances qui aura vécu moins de 72 heures
**Emeutes: y a-t-il eu manipulation ou pas ?
Il est très difficile d’expliquer la dimension nationale de ces émeutes dans un pays caractérisé par l’interdiction des manifestations publiques mise en place par l’état d’urgence depuis 1992. Dans un tel contexte, un peuple brimé ne peut pas sortir dans la rue spontanément. L’hypothèse de la manipulation prend donc toute sa signification.
** L’impression de déjà vu
**La politique de l’autruche Où va notre pays ? Vers quelles zones de turbulences politiques dangereuses chemine-t-il à présent ? Avec les émeutes urbaines quasi récurrentes- spontanées ou provoquées ?- qui le secouent depuis quelques années ne risque-t-il pas de renouer avec les démons de la décennie noire dont les souvenirs douloureux hantent encore l’imaginaire populaire ?
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**Un calme sur fond d’incertitudes
La tension était encore vive hier à Bachdjarrah. Des émeutes ont secoué ce quartier lundi dernier.
Bachdjarrah au lendemain des émeutes. La principale voie qui traverse ce quartier d’Alger est quadrillée. Les éléments de la police antiémeute surveillent les lieux comme du lait sur le feu. Ils sont positinnés tout le long de la voie publique.
Les baraques qui jonchaient les deux côtés de la route ont disparu. Les voix des vendeurs à la sauvette se sont tues. Ils se sont faits discrets. Il règne un calme précaire aux alentours du marché populaire de Bachdjarrah. «Je risque d’être surpris par la police», dit un vendeur de souliers à un passant intéressé par une paire de chaussures. Seulement, il n’avait pas ramené de l’argent. Il entre au marché. Deux autres vendeurs discutent de l’article d’un journal. La Une est consacrée aux émeutes qui ont opposé les commerçants illicites à la police, lundi.
«Nous ne sommes pas à l’abri d’autres échauffourées. Fais attention à ta marchandise», avertit l’un de ces vendeurs, un jeune en jaquette cuir et pantalon jean, son ami. «J’ai déjà pris mes précautions», lui répond ce dernier. Cette inquiétude est visible à l’entrée du centre des affaires Hamza. «Je ne peux exposer ma marchandise dans ce climat d’incertitude. Mon magasin risque d’être dévalisé», regrette un commerçant d’habits pour femmes. Les rayons du magasin sont vides. «A défaut de vendre, je nettoie la boutique», ironise le vendeur. Le centre commercial connaît une affluence moyenne de clients. La plupart des commerçants ont baissé rideau.
Un vendeur de bijoux de fantaisie affiche une grise mine. «Nous subissons la loi des pilleurs qui nous privent de notre pain», déplore-t-il. Cette détresse se lit sur les visages des passants dans la rue. La chaussée garde encore les traces des émeutes de lundi dernier. Elle porte le noir des échauffourées ayant opposé les jeunes aux forces de l’ordre. «Mon père est allé chercher du lait au marché. Il a été surpris par les émeutes. Les échauffourées ont été telles qu’il a dû rebrousser chemin», se souvient une habitante des lieux, la vingtaine entamée. Les affrontements ont commencé vers sept heurs du matin. Les policiers ont fait irruption. Ils ont délogé les marchands ambulants. Surpris, ces derniers ont violemment riposté.
Echanges d’amabilités, rixes et la situation a vite dégénéré. Des escarmouches ont éclaté. Sous la pression des manifestants, les policiers lâchent du lest. La rue livrée aux émeutiers, les commerçants veillent sur leurs biens. L’inquiétude est vive. Elle l’est encore le lendemain (hier). Elle s’estompe petit à petit sous la pluie fine qui s’abat sur Alger. Les citoyens reprennent prudemment le train-train quotidien. Un signe révélateur: la circulation est fluide. «Les citoyens préfèrent limiter leurs déplacements. Ils savent que cette accalmie peut être interrompue à n’importe quel moment», précise un taximan. Cela dit, à la basse Casbah, le marché populaire de Zoudj Ayoun (les Deux fontaines) a repris de plus belle. «Vous pouvez revenir à l’heure qui vous convient ce soir» assure un vendeur de cabas à un client. «Venez acheter des vêtements à bas prix!» crie un autre vendeur. Aucun policier n’est visible sur les lieux. Pourtant, le marché n’est pas loin du siège de la Direction générale de la sûrté nationale (Dgsn), sise en face du lycée Emir Abdelkader à Bab El Oued.
«L’Etat n’a pas interdit les marchés informels. Nous procédons à leur éradication graduellement. En parallèle, des marchés de proximité sont en train d’être installés au profit des marchands», avait déclaré Daho Ould Kablia, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, dans une tentative de calmer les esprits suite aux émeutes de ces derniers jours.
Une chose est sûre. L’Etat a reculé d’un cran devant les tenants du commerce informel. La pluie continue de s’abattre. Le ciel est gris. La baie d’Alger est bercée par la mélodie harmonieuse de la mer, mais l’horizon reste voilé d’incertitudes…(L’Expression-12.01.2011.)
**SOCIÉTÉ CIVILE ET CITOYENS L’EXIGENT
«Ouvrez le champ médiatique!»
La médiocrité des programmes et le traitement démagogique, populiste et superficiel des événements ont fini par lasser les téléspectateurs et la société civile.
Si les dernières émeutes qui ont secoué le pays ont dévoilé des carences, les limites de la télévision publique à couvrir les événements et à informer les Algériens sur ce qui se passe dans leur pays figurent en bonne place.
Ces limites s’ajoutent bien sûr à une panoplie de défections notamment en matière de communication officielle, la stérilité des positions des partis de l’Alliance présidentielle et leur lecture superficielle des événements.
Pour s’informer, comprendre les enjeux de la révolte, les Algériens ont dû suivre ce qui se passe en Algérie sur les chaînes étrangères.
De ce fait, l’ouverture du champ médiatique et notamment audiovisuel au privé et aux débats politiques contradictoires s’impose comme une condition sine qua non pour tout changement de la situation dans le sens positif.
«Les Algériens doivent parler de leurs problèmes en Algérie et à travers des canaux algériens pour comprendre tous les enjeux», a plaidé récemment Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT).
Cette revendication portée par un large pan de la société revient, à juste titre, suite à ces évènements, alimenter les demandes de la société civile. Dans un communiqué signé récemment par cinq organisations, il est exigé la levée de l’état d’urgence et l’ouverture du champ médiatique, politique, syndical et associatif «afin que les conflits puissent être réglés par la force d’un droit qui prend en charge les intérêts et les préoccupations de la majorité de la population et non pas par le droit d’une force qui protège les intérêts d’une minorité». Mais le blocage instauré par les pouvoirs publics quant à l’ouverture du champ audiovisuel à l’investissement privé, semble s’inscrire dans la durée. A une question d’un député sur l’ouverture du champ médiatique, le ministre de la Communication avait répondu, le 9 décembre dernier, en parlant de l’ouverture de l’unique télévision nationale au débat politique, aucune initiative dans ce sens n’est venue lever le blocus imposé dans ce domaine, depuis l’indépendance du pays. Mieux, des responsables politiques accusent souvent les chaînes étrangères de manipulation et d’exagération dans leur traitement de l’actualité en Algérie. «Il est temps d’ouvrir le champ médiatique pour ne plus accuser les Algériens d’être influencés par les chaînes étrangères», estiment plusieurs citoyens interrogés à ce sujet.
Du côté des décideurs, l’ouverture du champ médiatique et des médias lourds notamment l’audiovisuel est renvoyée aux calendes grecques. Pourtant, cette ouverture est revendiquée par des pans entiers de la société, et ce depuis plusieurs années déjà. «Il n’y a ni démocratie ni liberté sans l’ouverture des médias lourds (audiovisuel) à l’investissement privé», argumentent les promoteurs de cette idée.
Plusieurs partis politiques, organisations non gouvernementales (ONG) et acteurs du mouvement associatif, exigent pour une meilleure expression de la démocratie dans les milieux de la société, l’ouverture de ce champ squatté, selon eux, par des clans qui se succèdent au pouvoir. L’on se rappelle que des candidats à l’élection présidentielle du 9 avril 2009 ont fait du thème de l’ouverture du champ médiatique un sujet de campagne. Même l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a demandé à l’Algérie l’ouverture du champ audiovisuel au privé, comme préalable à son adhésion. L’espoir suscité par l’ouverture démocratique de l’après-1988, s’est vite estompé avec la remise en cause de cette ouverture elle-même.
Les autorités ne semblent pas disposées à procéder à une reconfiguration du paysage médiatique. Le pluralisme politique étant devenu une forme sans un véritable fond.
Les pouvoirs publics motivent leur refus, par le fait que le peuple algérien n’est pas encore prêt à assumer une telle initiative qui demande beaucoup de maturité.
Un prétexte caduque selon les défenseurs d’une ouverture de ce champ.
Pour les observateurs, si un tel pas est franchi, il faut s’attendre à une révolution médiatique sur tous les plans. Et si jamais le champ est ouvert? «Cela soldera une époque et marquera le début d’une autre», estime-t-on. (L’Expression-12.01.2011.)
**Les leçons d’une crise
Prenant appui sur le rapide reflux de la vague émeutière et sur le lourd bilan des vols et des destructions, le ministre de l’Intérieur occupe le terrain de la communication pour développer, sans prendre de gants, un seul message : ce qui s’est passé n’a été qu’une violente opération revancharde des marginaux et des exclus du pays, dénuée de toute signification politique. Ould Kablia est bel et bien dans son rôle de défenseur du pouvoir. Ce qu’il développe n’est pas différent de ce que ses prédécesseurs, ministres, avaient soutenu lors des émeutes du 5 octobre 1988 résumées par la célèbre phrase «un chahut de gamins». Mais à cette époque-là, le clan gravitant autour de Chadli avait vite compris que pour se préserver et perdurer, il fallait jeter du lest. Ce fut l’ouverture du jeu politique et médiatique. Une lourde concession, mais l’arrière-pensée des dirigeants de l’époque était d’arriver rapidement à la contrôler et à la récupérer, notamment par le biais d’un compromis avec les islamistes, alors en pleine ascension.
Face à la grave crise actuelle, l’équipe Bouteflika jettera-t-elle du lest, à l’image de ce qui a été fait au début de la décennie 1990 ? Beaucoup en doutent, avançant le fait que le système ne peut être réformé de l’intérieur car totalement discrédité. Mais d’autres voix – multiples – appellent les dirigeants en poste à un sursaut salutaire, mettant en avant le salut immédiat du pays.
La déferlante émeutière de ces derniers jours n’a certes pas l’ampleur de celle d’octobre 1988, mais elle ne s’en éloigne pas : elle est seulement étalée dans le temps. Des milliers de confrontations entre manifestants et forces de l’ordre ont marqué la seule année 2010. Avec la révolte des archs et les manifestations et sit-in apparus dans le monde du travail, c’est toute la décennie 2000 qui a été caractérisée par la contestation populaire. L’Algérie entière n’a pas arrêté de crier sa colère, refusant de s’accommoder des statu quo que leur imposent les dirigeants et cela, sans crainte de représailles.
Dans le sillage d’Octobre 1988, la peur a été définitivement exorcisée. On est loin des certitudes et des analyses de Ould Kablia. Si Bouteflika et ses soutiens comprennent tout cela, ils doivent tourner la page mais pas par des demi-mesures, des semblants de réformes ou des compromis douteux. Ils doivent, dès maintenant, créer les conditions d’une véritable rupture en ayant comme points de mire les législatives de 2012 et l’élection présidentielle de 2014. Ne pas aller vers le changement radical, c’est prendre le risque d’assister à une réédition des émeutes, le cycle ne s’interrompant qu’avec l’installation d’une véritable démocratie, mais avec un lourd coût : les émeutes sont traumatisantes et toujours coûteuses en vies humaines et en destruction de biens. Le régime a-t-il la lucidité et la capacité de franchir le pas, de sortir de l’immobilisme et de toutes ses certitudes ? Il y a un rendez-vous avec l’histoire à ne pas rater. (El Watan-12.01.2011.)
**Ksentini : «Les revendications sont légitimes mais la violence est injustifiée»
Contrairement au discours officiel, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, a estimé que «les émeutes sont engagées par une jeunesse désespérée en proie à la mal-vie et au chômage». Dans un communiqué, la Commission prend acte de ces émeutes, mais considère que la légitimité des manifestations «ne saurait justifier l’usage de la violence». Par ailleurs, plusieurs familles s’inquiètent «des arrestations arbitraires qui touchent des jeunes qui ne sont pas impliqués dans les manifestations». Hier, une femme résidant à Belouizdad est venue à notre rédaction pour signaler que son fils, «Belbal Nour El Islam (19 ans), a été arrêté vendredi dernier vers 14h à Belcourt par des policiers en civil et embarqué dans une voiture banalisée alors qu’il n’avait rien à voir avec les manifestations», a-t-elle assuré.(El Watan)
** LADH: «L’arbitraire a fini par désabuser la population»
Pour la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH), les émeutes qui secouent le pays depuis quelques jours sont l’expression d’un marasme social et politique profond.
Dans une déclaration parvenue, hier, à notre rédaction, la Ligue de maître Boudjemaâ Ghechir estime que «l’état de délabrement moral et politique d’un pays qui vit au rythme des émeutes et de la répression au quotidien est porteur de tous les dangers d’implosion». Regrettant les dégâts humains et matériels engendrés par les émeutes, la LADH désigne le pouvoir comme responsable de la dépolitisation des Algériens et du dérapage, conséquence directe, selon le document, du laminage de la société civile, des syndicats et partis politiques, cadres légaux et légitimes pour l’exercice de la citoyenneté et l’éducation à la démocratie.
Le pouvoir est tenu aussi responsable parce qu’il a livré l’économie et le commerce aux barons de l’informel qui imposent leur loi sur le marché, et pour sa politique caractérisée par le manque de visibilité et de transparence, et l’absence flagrante d’engagement dans la bataille contre la corruption. «L’arbitraire a fini par désabuser la population à l’égard des lois ; les citoyens se sentent complètement délaissés et expriment de plus en plus violemment leur désespoir», lit-on encore dans la déclaration. Sur la base de ce constat, la Ligue dénonce «les dérives et les carences de l’information», déplore «la défaillance totale des médias officiels» et condamne «l’utilisation des armes à feu avec des balles réelles contre les manifestants et les arrestations arbitraires et aveugles des jeunes».
Le document appelle aussi les autorités à procéder immédiatement à la levée de l’état d’urgence, à ouvrir le champ politique et à ratifier le protocole additionnel au pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 2008. La LADH, pour laquelle la recherche d’une sortie de crise appelle un renversement significatif des approches et des pratiques, appelle aussi à procéder à la libération des personnes détenues, à mener une enquête impartiale pour faire toute la lumière sur l’utilisation des armes à feu avec des balles réelles par des agents de l’ordre contre les manifestants, et à garantir les libertés individuelles et collectives, dont le droit à l’information et le droit de manifester pacifiquement. (El watan-11.01.2011.)
** la LADDH: «Divorce entre le peuple et le pouvoir»
La décision prise par le gouvernement d’éradiquer le marché informel n’est que l’étincelle. Les vraies raisons sont la corruption généralisée, l’injustice sociale et l’oppression dont souffrent les Algériens.
La corruption a eu des conséquences néfastes sur les droits économiques et sociaux des Algériens. Les raisons de la colère sont plus profondes que les augmentations des prix de l’huile et du sucre.» C’est l’explication donnée par le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh), Me Mustapha Bouchachi, aux événements violents qui secouent le pays depuis quelques jours. L’exclusion sociale qui se conjugue avec «un système politique qui a fermé tous les espaces d’expression, qui empêche les rassemblements et les manifestations pacifiques est un système qui pousse le peuple vers l’explosion sociale», a ajouté Me Bouchachi, qui s’exprimait lors d’un point de presse animé, hier, au siège de la Laddh à Alger.
«L’étendue de ces manifestations consacre un divorce entre le peuple et un système politique en faillite. Y a-t-il encore un responsable du gouvernement qui puisse faire face à ces jeunes ? Le système recourt aux imams pour tenter de calmer la rue, mais même les hommes de religion ont perdu leur crédibilité du fait de leur exploitation abusive par le pouvoir politique», a ajouté le président de la Laddh.
Par ailleurs, Me Bouchachi s’est élevé contre ceux qui qualifient les jeunes manifestants de «voyous». «Ce sont nos enfants, qui ont grandi dans l’état d’urgence, à qui le pouvoir n’a laissé aucune possibilité de s’exprimer et de revendiquer leurs droits par des moyens pacifiques.» Evoquant le caractère violent des manifestations, Me Bouchachi a estimé qu’«il ne s’agit là que d’une conséquence d’une gestion policière des affaires publiques.
Les marches et les rassemblements sont interdits à Alger depuis juin 2001, l’état d’urgence qui dure illégalement depuis 18 ans et l’interdiction imposée aux partis politiques d’opposition et organisations de la société civile d’activer librement sont autant d’éléments qui ont créé un vide total au sein de la société». «La responsabilité incombe totalement au pouvoir», a-t-il tonné, non sans cacher son étonnement des déclarations du ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, qui s’interrogeait la veille : «Pourquoi les jeunes ne manifestent-ils pas pacifiquement ?»
Dans le même sens, le président de la Laddh a dénoncé «l’utilisation disproportionnée de la violence par les services de sécurité et des arrestations arbitraires». Il a appelé, par ailleurs, les jeunes à exprimer leurs revendications de manière pacifique car «la violence risque de nuire à leur mouvement qui porte des revendications légitimes» pour «éviter que le pouvoir ne manipule cette violence pour la retourner contre des revendications légitimes».
M. Bouchachi a appelé les partis politiques de l’opposition, les syndicats et les organisations de la société civile ainsi que les personnalités politiques «à agir pour encadrer ce mouvement de contestation et donner ainsi un contenu à la colère d’une jeunesse qui en a ras-le-bol». Interrogé sur le silence du président de la République et de son Premier ministre, le conférencier dit ne pas se faire d’illusions : «J’ai l’intime conviction que le destin du peuple n’intéresse plu le régime, ce qui l’intéresse, par contre, c’est sa continuité.»
Me Bouchachi a saisi l’occasion pour «exiger une ouverture politique et élargir la base du système politique afin de donner plus de chance à la société politique et civile de jouer son rôle». (El Watan-09.01.2011.)
**LES CASSEURS ONT TERNI LES REVENDICATIONS DES JEUNES
L’Algérie panse ses blessures
Des familles pleurent leurs morts tandis que des milliers d’écoliers n’ont pas repris le chemin des établissements scolaires, vandalisés, détruits ou incendiés au même titre que des biens privés et publics.
Un vaste chantier de l’organisation du commerce reste à mettre en oeuvre. C’est le défi que doit relever Mustapha Benbada qui a la responsabilité de ce secteur. C’est une des premières leçons à retenir de ces émeutes violentes, aveugles et terribles. Les événements dramatiques de ces derniers jours ont donné de l’économie nationale hors hydrocarbures, une image d’économie de bazar qui fait la part belle aux spéculateurs de tout poil. Les producteurs importateurs mais surtout les grossistes, qui pour la majorité d’entre eux travaillent avec de faux registres de commerce, ont remporté la première manche. Des groupes d’intérêts ont fait main basse sur le monopole des produits de consommation de base mais aussi sur le marché des fruits et légumes, les viandes rouges, blanches, le poisson…La flambée des prix et les pénuries touchent tous ces produits depuis déjà belle lurette. Même les revendeurs à la sauvette ont interprété l’intervention du ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales comme une mesure en leur faveur. Ils ont réinvesti les rues et les ruelles pour reprendre leurs activités. La hausse vertigineuse des prix du sucre et de l’huile ne peuvent dans ce cas n’avoir été qu’un prétexte pour allumer la mèche. Les pouvoirs publics ont donné l’impression d’avoir cédé mais seulement par souci d’éteindre l’incendie. En plus d’avoir été sanglantes, les émeutes de ce début d’année vont coûter cher, très cher au Trésor public. Des milliards de dinars. Et qui dit Trésor public dit les citoyens. Toutefois, jeunes et moins jeunes se sont retroussé les manches pour effacer les stigmates de près d’une semaine d’émeutes. Le vide laissé par la classe politique dans son ensemble sur le terrain a été comblé de manière magistrale par la société civile. C’est le cas notamment à Béjaïa, où elle a joué le rôle de soupape de sécurité. Elle a lancé des appels répétés au calme pour mettre fin à un mouvement de protestation qui dirigeait le pays tout droit vers une issue incertaine et dramatique, sinon carrément vers le chaos. Ces émeutes ont cristallisé toutes les frustrations: logement, chômage, amélioration du pouvoir d’achat… et mis en exergue la Hogra. Certes, il n’y a pas eu de slogan. Cela s’est traduit à travers le discours tenu par des jeunes révoltés inquiets quant à leur avenir. Les gestes, quant à eux, ont été d’une violence extrême. C’est à se demander pour quelles raisons, pourquoi un tel saccage a été commis. Des abribus détruits, des établissements scolaires, des mairies…vandalisés et incendiés. Des blessés et surtout des jeunes qui ont laissé leur vie. Si pour les dégâts et les blessés, les cicatrices peuvent disparaître avec le temps, les traumatismes causés par la perte d’êtres chers provoquent par contre, des séquelles que rien ne peut effacer. Le témoignage du père d’une des victimes à un de nos confrères porte en lui toute la douleur de cette tragédie. Reste l’image d’un fils irréprochable qui demeurera gravée en lui jusqu’à la fin de ses jours. «Il était à la maison en train de regarder la télévision. Il est sorti à la demande de sa mère pour partir à la recherche de son jeune frère…» Abdelfettah Akriche ne reviendra pas vivant de Bousmaïl. Il y a des drames qui seront impossibles à effacer et des vies brisées par…«malchance». (L’Expression-12.01.2011.)
**Présentation des émeutiers devant la justice
Tout en jouant la carte de l’apaisement, les autorités comptent punir sévèrement les auteurs de ce qui est qualifié d’«actes criminels».
Les personnes arrêtées lors des dernières émeutes qui ont secoué le pays continuent d’être présentées devant les tribunaux. Pour le troisième jour successif, des dizaines de personnes sont passées devant le procureur de la République territorialement compétent. Comme l’a promis le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, les mineurs ont été remis en liberté ; pour les autres, c’est selon leurs dossiers.
Certains ont été mis sous mandat de dépôt, d’autres sous contrôle judiciaire. Attroupement illicite, destruction de biens publics et privés, obstruction de la voie publique, vol, vol qualifié, outrage à l’agent de l’ordre public, agression à l’arme blanche, incendie volontaire, atteinte à l’ordre public… sont autant de chefs d’inculpation qui ont été retenus contre eux.
Des chefs d’inculpation qui reviennent cycliquement quand il s’agit d’affaires liées aux émeutes. Il y a cependant des charges plus lourdes, comme «constitution de bande de malfaiteurs», retenues contre les individus impliqués dans des opérations de saccage et de pillage qui auraient été arrêtés la main dans le sac.
Dans ce cas de figure, les accusés risquent de lourdes peines, nous explique maître Salah Hanoune. Jusqu’à hier, la procédure judiciaire suivait son cours, dans le calme. Au tribunal de Chéraga, à l’ouest d’Alger, des dizaines de jeunes sont passés devant le procureur de la République. Certains ont été mis sous mandat de dépôt pour, notamment, «vol qualifié» et «destruction de bien d’autrui». Les séances se font dans un climat plutôt détendu, comme en témoigne Me Hanoune, présent sur place. Les militants politiques et défenseurs des libertés, comme Hamid Ferhi, ont été remis en liberté. Me Hanoune précise que le procureur de la République avait déclaré qu’il ne retenait aucune charge contre eux.
Des procédures qui risquent de durer
Ce qu’on peut considérer comme un signe de détente, d’apaisement. Mais d’un autre côté, il y a les personnes mises sous mandat de dépôt dont la procédure risque de durer des semaines. «Le juge d’instruction vient d’être désigné et peut demander des enquêtes complémentaires. Normalement, ils devraient être jugés dans un mois et demi, mais rien n’est encore sûr», souligne une avocate qui dit avoir trois clients, deux jeunes arrêtés à El Qaria, dans la commune de Zéralda. Comme à Chéraga, un calme plat régnait hier après-midi au tribunal Abane Ramdane où quelques jeunes ont été déférés devant le procureur. Hormis quelques avocats munis de leurs dossiers, le tribunal était quasi vide. Même constat au tribunal de Bir Mourad Raïs et à celui de Hussein Dey. Sur place, ni famille des prévenus ni mobilisation citoyenne pour leur libération.
A Alger comme ailleurs, les familles des accusés attendent, impuissantes, le jugement et le verdict des tribunaux. Mais la justice semble décidée à prendre son temps. Histoire, peut-être, de calmer les esprits et de laisser les choses se tasser. Le gouvernement reste cependant décidé à punir les responsables des actes de vandalisme. Ceux dont l’implication dans des actes d’agression, de pillage et de saccage est prouvée seraient ainsi sévèrement punis. «Les actes criminels ne sauraient être impunis», a déclaré, samedi dernier, le ministre de l’Intérieur, qui promet de sévir face aux auteurs de ce qu’il a qualifié d’actes obéissant à des «instincts revanchards». Pour remettre de l’ordre, les pouvoirs publics ont besoin de quelques procès exemplaires. En tout cas, la machine judiciaire est bel et bien mise en branle. Et au nom de la justice, certains prévenus risquent de se faire broyer… (El Watan-12.01.2011.)
**Assurances des biens saccagés
Quel dédommagement pour les sinistrés ?
Seule la clientèle détentrice de la police d’assurance Emeutes et mouvements de populations (EMP) est couverte contre ces sinistres. Les dégâts matériels provoqués par les émeutes sont considérables.
Même si personne ne peut, pour l’heure, donner le montant précis de ces dommages, il reste qu’ils sont estimés à des centaines de millions de dinars. Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, injoignable depuis deux jours, n’a pas encore avancé d’estimation quant à ces pertes – le ministre les a vaguement déclarées «immenses».
Les compagnies d’assurances sont d’ores et déjà à pied d’œuvre afin de procéder à l’opération d’expertise. Seulement, là où le bât blesse pour la majorité des souscripteurs ayant subi la dégradation d’un bien, c’est qu’ils ne sont pas tous concernés par un éventuel dédommagement.
Ainsi, au sein de nombreuses compagnies d’assurances, seule la clientèle détentrice de la police d’assurance Emeutes et mouvements des populations (EMP) est couverte quant à ces sinistres. Et ils ne semblent pas être très nombreux à avoir inclus cette garantie dans leur contrat. «Ce sont les professionnels, pour la plupart des sociétés étrangères ou leurs filiales qui ont assuré leurs biens contre ce type de sinistre. Usines, dépôts, agences, les opérations d’expertise sont en cours, et au vu de la complexité de la situation, un bilan final ne sera possible que dans une dizaine de jours», explique Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances.
La compagnie estime, pour l’heure, les dommages liés à ces émeutes à plus de 500 millions de dinars. Ces sommes colossales seront, confortent les compagnies d’assurances, amorties par les compagnies de réassurances.
Les plus pénalisés par ces émeutes sont donc les particuliers. Le citoyen ayant vu, par exemple, son véhicule saccagé n’est pas couvert par son assurance «tous risques».
«Sauf si une décision politique est introduite dans ce sens, l’indemnisation ne les concerne malheureusement pas», déplore M. Khelifati.
Pourtant, affirme-t-il, il est systématiquement proposé aux souscripteurs l’extension de leur contrat à cette garantie. En ce qui concerne les commerçants et autres épiciers, dont les locaux ont été pillés ou détruits, le dédommagement est possible, et ce dans le cadre de la police «multirisques professionnels», explique un cadre au sein d’une société d’assurances. (El Watan-12.01.2011.)
**Mesure de baisse des prix de l’huile et du sucre
Les commerçants attendent d’écouler l’ancien stock
Les mesures prises par l’Etat pour faire baisser les prix des produits alimentaires de première nécessité (huile et sucre) n’ont pas été suivies d’effet immédiat.
Nous avons fait ce constat, hier, au niveau de plusieurs magasins et supérettes d’Alger.
Dans le quartier populaire de Belouizdad, certains commerçants continuent à vendre le bidon de 5 litres d’huile à 900 DA, d’autres l’ont baissé à 830 DA, un geste en faveur des plus démunis et qui semble trouver preneur.
Cependant, l’un d’eux se veut rassurant : «On aura un nouvel arrivage bientôt, maximum en fin de semaine. Les prix ont baissé.» Il s’approvisionne chez des grossistes de Oued Smar qui lui ont promis une baisse des tarifs dès que l’ancien stock sera écoulé.
Dans une autre ruelle par contre, un commerçant vend déjà les 5 litres à 600 DA.
Mais pour le sucre, il faut encore patienter pour que les prix baissent car, selon lui, «le stock est beaucoup plus important que celui d’huile. On le vend pour le moment à 100 DA».
Mustapha Benbada, ministre du Commerce, avait appelé dimanche les grossistes à respecter les prix fixés par l’Etat – 90 DA le kilo de sucre et 600 DA pour le bidon de 5 litres d’huile – en les assurant qu’«ils recevront de la part des producteurs des chèques de ristourne» couvrant le différentiel des prix qui avaient atteint les seuils respectifs de 140 et 975 DA dans certains quartiers d’Alger. Les stocks déjà dans le circuit chez les détaillants et les grossistes devraient s’épuiser d’ici la fin de ce mois et ceux existant au niveau des producteurs le seront vers la mi-février.
Une brigade mixte, composée d’agents des ministères du Commerce et des Finances, a entamé hier une tournée des grossistes et détaillants pour faire l’inventaire des stocks de sucre et des huiles actuellement disponibles à leur niveau. Les grossistes attendent, pour l’heure, de voir l’évolution du marché et l’épuisement de leur stock actuel, avant de revoir à la baisse les prix de ces denrées de première nécessité.
A Oued Smar ou à Jolie-Vue (Kouba), même son de cloche: il faut attendre au moins une semaine avant que la situation ne revienne à la normale.
Les citoyens qui font face depuis quelques années à la détérioration de leur pouvoir d’achat devront encore prendre leur mal en patience.
L’Algérie est depuis plusieurs années sans réseau de distribution organisé. Notre pays s’est basé sur les grossistes et revendeurs privés qui, souvent, ne sont pas à la hauteur.
Cet état de fait a permis l’installation d’un système aléatoire quant au respect des règles élémentaires du commerce intérieur et des relations triangulaires production-prix-consommation.
Selon le ministre du Commerce, les grossistes, et à travers eux les importateurs, sont à l’origine de la flambée des prix constatée récemment sur le marché à cause des pratiques spéculatives. (El Watan-12.01.2011.)
**Après les troubles vécus par le pays
L’Exécutif ne songe pas à s’amender
Le soutien des prix du sucre et de l’huile coûtera quelque 300 millions de dollars au Trésor public, a annoncé hier un responsable du ministère du Commerce dans une déclaration reprise par l’APS.
Le gouvernement n’a pas hésité à mettre la main à la poche pour acheter la paix sociale.
Il en fera de même à chaque fois que la situation l’exigera, dans un mois, six mois ou une année, tant que l’argent du pétrole coule encore à flots. Pour la simple raison qu’un Exécutif qui n’a pas fait décoller une économie pendant une décennie ne pourrait certainement pas le faire en une année. C’est matériellement impossible pour n’importe quelle équipe gouvernementale, aussi compétente soit-elle.
Quel impact donc pourrait avoir une aussi large et violente contestation qui a fait quatre morts sur l’Exécutif ? De vagues rumeurs parlent d’un éventuel remaniement ministériel ! Mais pour qu’un tel changement intervienne, cela suppose que la responsabilité dans ce qui s’est passé dans le pays ces derniers jours est bel et bien établie.
Or, ce n’est pas le cas. L’on ne s’attend donc pas à des bouleversements de ce côté-là. Le gouvernement feint même de réduire le mouvement à «un chahut de gamins» dont le détonateur a été l’augmentation brusque des prix du sucre et de l’huile.
Le silence du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, et de son Premier ministre, Ahmed Ouyahia, serait une manière, pour eux, de reléguer des événements aussi importants à une simple escarmouche dont ils s’exemptent d’en être à l’origine.
Leur intervention publique aurait donné un cachet politique à l’émeute, ils s’en sont donc préservés. Ils ont préféré donc mettre au devant deux ministres, celui de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, et celui du Commerce, Mustapha Benbada. Et cela renseigne amplement sur les suites que réserverait l’Exécutif à la contestation populaire.
Le premier dira que les jeunes sont en «guerre» contre la société, donc ce n’est pas contre le pouvoir ; le deuxième s’est attelé à annoncer des mesures immédiates pour abaisser les prix des produits de base, qui ont flambé à cause des décisions prises par un opérateur de l’agroalimentaire d’appliquer des décisions que le gouvernement a lui-même décidées. A aucun moment, le gouvernement ou un de ses membres ne se sont sentis responsables de cette situation.
On a même évoqué la main des ennemis internes et externes, mais on ne sait lesquels, qui a voulu déstabiliser un pays baignant dans une parfaite prospérité que personne ne voit pourtant dans la société.
On voit donc que l’Exécutif, sa tête pensante et celui qui est chargé de traduire sur le terrain ses visions, n’est pas prêt à s’amender. On peut même dire que beaucoup de temps a été perdu dans des politiques menées au pas de charge que, pourtant, une large opinion nationale et même internationale a toujours considérées inopérantes.
Aujourd’hui, la solution n’est pas de chercher des boucs émissaires parmi les membres du gouvernement, mais que le bloc de l’Exécutif se convainque de sa responsabilité dans l’échec et en tire les conséquences. Mais tout porte à croire qu’on est loin de cette logique pour l’instant, ce qui veut dire que le pouvoir, du moins ce qu’il a montré, a mal capté le sens de la révolte. Les messages des émeutiers n’ont pas été reçus du côté d’El Mouradia. (El Watan-12.01.2011.)
** Il ne s’agit pas d’un simple feu de paille
«Réduire ces émeutes à une simple protestation contre l’augmentation des prix de première nécessité, c’est faire montre de myopie»,
a estimé Mohamed Hennad, professeur de sciences politiques à l’université d’Alger.
- Que vous inspire cette révolte qui touche pratiquement toutes les régions du pays ? Se limite-t-elle seulement à la question de l’augmentation des prix des produits de large consommation ou serait-elle plutôt d’ordre politique ?
Tout d’abord, je dois attirer l’attention sur le fait que l’analyse d’un événement de ce genre devrait s’inscrire dans une perspective qui va au-delà des observations empiriques. Autrement, on risque de passer à côté de la plaque. Pour ce qui est de ce que vous qualifiez de «révolte», je remarque que les émeutes se sont caractérisées par quatre faits majeurs : les émeutiers ne comptent pas, parmi eux, ceux qui vivent directement la douleur du marché ; les émeutes sont plus extensives (d’envergure nationale) qu’intensives (mobilisation très limitée jusqu’à présent) ; ces émeutes s’apparentent, plus ou moins, à une jacquerie – sans mots d’ordre soutenant une vision politique quelconque –, ce qui peut facilement induire en erreur ; absence de leadership auquel les émeutiers semblent ne pas s’y prêter. Même les courants islamistes se trouvent hors coup, et c’est peut-être une belle avancée déjà !
Mais, faisons attention : cela ne veut pas dire qu’il s’agit, forcément d’un simple feu de paille. Car des faits anodins peuvent être, parfois, annonciateurs de grands bouleversements, impensables avant leur déroulement ! Eh oui, la souris peut bien accoucher d’une montagne ! Réduire ces émeutes à une simple protestation contre l’augmentation des prix des produits de première nécessité, c’est faire montre de myopie. Primo, les Algériens, comme tous les autres peuples de la planète, ne sauraient être pris pour de simples tubes digestifs, même dans les cas d’«émeutes du pain». Secundo, ce n’est finalement pas l’augmentation des prix dont il est question ici, mais bel et bien du problème du pouvoir d’achat. Et qui dit «pouvoir d’achat» dit justice sociale. On est, donc, en plein cœur de la problématique de la gouvernance du pays.
- Que signifie pour vous l’émeute en tant que mode d’expression ?
Il faut savoir que l’émeute est un état d’âme. Un tel état d’âme est l’expression d’un sentiment, non seulement de fragilité sociale, mais surtout de perte de dignité humaine. Et lorsque les choses en arrivent là, cela veut dire défaillance en matière de gouvernance et, du coup, de communication. Chez nous, cette défaillance se traduit par le refus du pouvoir d’avoir des canaux de communication autres que ceux qu’il impose.
- Est-il juste de considérer l’émeute comme une espèce d’enfant illégitime d’un système dictatorial en ce qu’il exclut toute forme de contestation pacifique avec le verrouillage des espaces d’expression ?
L’expression «enfant illégitime» est en soi une connotation très péjorative. Je ne vais, donc, pas la prendre à mon compte. Certes, il est dans l’ordre des choses qu’un pouvoir comme le nôtre exclut toute forme de contestation pacifique porteuse d’un projet sérieux, parce qu’il est un pouvoir qui se sent non seulement faible, mais aussi incapable de se réformer sans s’exposer à de vrais risques. Quant au verrouillage des espaces d’expression, il me semble qu’au contraire, en Algérie, vous pouvez dire beaucoup de choses, parfois n’importe quoi, pourvu que vous n’en veniez pas à l’essentiel. Pour le régime, «les chiens aboient, la caravane passe» !
- Cela veut-il dire, pour autant, que nous sommes dans la liberté d’expression et de communication, a fortiori la communication politique ?
Evidemment pas. Il faut souligner, quand même, que la communication dans notre pays pose déjà un problème fondamental, tant au niveau de la société que de la classe politique. Si bien que l’on a du mal à débattre de nos problèmes sereinement, c’est-à-dire efficacement.
- Pensez-vous que ces événements pourraient faire bouger les lignes à l’intérieur du régime ?
Jamais ! Si vous voulez dire, par là, que ce régime va se ressaisir à cause de ces émeutes, il faut savoir qu’il n’a plus peur de personne. Il ne veut écouter personne maintenant qu’il a, plus ou moins, vaincu le terrorisme, mais grâce aux sacrifices des enfants du peuple, il faut le dire. Souvenez-vous que dans le passé une petite parole contestataire faisait trembler le trône. Maintenant, aucune contestation, aussi violente qu’elle puisse être, ne semble à même de troubler la quiétude de ce pouvoir.
- La réponse du gouvernement est-elle à la mesure du cri de colère de cette jeunesse dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle va mal ?
Malheureusement, le pouvoir refuse de voir dans lesdites émeutes un message politique quelconque. Il se contente de prendre les revendications affichées ça et là à la lettre. A vrai dire, le gouvernement n’offre pas de solution idoine, mais donne l’impression de céder en disant à la population qu’il a décidé, non pas d’annuler, mais de surseoir (pour quelques mois seulement) à des mesures qui sont, pourtant, impératives pour réduire l’hydre de l’économie informelle.
Cette économie qui continue à faire subir au pays des dommages considérables, tant en ce qui concerne l’organisation rationnelle de l’activité que par rapport au manque à gagner en termes de fiscalité, en sus des dangers qu’une telle économie représente et pour la santé publique et pour l’environnement. (El Watan-11.01.2011.)
** Nacéra Sadou. Psychologue clinicienne
«Quelque chose de traumatisant s’est passé»
Nacéra Sadou est psychologue clinicienne. Elle est consultante à la Société algérienne de recherche en psychologie (SARP). Cette association regroupe des chercheurs de l’université et des psychologues et prend en charge les familles victimes de violence. Nacéra Sadou a vu beaucoup de jeunes dans le cadre de son travail. Certains, sous l’effet de psychotropes, cherchent à s’en sortir et consultent. D’autres sont amenés par leur famille. Elle donne son analyse de la situation.
- Quelle lecture peut-on donner au fait que des lycées, des CEM mais aussi des banques et autres entreprises, symboles de consommation, aient été ciblés par les émeutiers ?
C’est l’inaccessible. L’émeutier n’arrive pas à penser. Il casse, il prend un ordinateur, un téléviseur. Il pense vraiment avoir besoin de cet objet et pouvoir le revendre. Il se dit : «Ils n’ont que ce qu’ils méritent ; ils sont riches. C’est mon droit.» Pour lui, c’est sa «part de pétrole». Combien de personnes n’avons-nous pas entendu dire lorsqu’il ne paie pas sont ticket de bus : «C’est ma part de pétrole.» La mesure n’est, certes, pas la même, cependant elle relève du même processus. C’est vrai qu’ils ne sont pas partis organisés, mais ce n’est pas le fait du hasard. Il y a visiblement de l’histoire avec les écoles touchées.
- Les émeutiers sont accusés d’être des toxicomanes et des voyous. Pourquoi le mouvement vient-il d’eux ?
Ils forment un symptôme. Pourquoi c’est eux qui parlent ? Parce que la population n’arrive pas à dire les choses. Déjà, l’adolescent a une grande capacité à passer à l’acte. Il ne peut pas penser qu’il peut trouver une solution ailleurs. Et les solutions dans l’institution ne sont pas à portée de main. Nous avons tous une part de violence en nous et souvent on répond à la violence par la violence. Parfois, l’entourage pousse à n’utiliser que cette part de nous-mêmes. C’est aussi une façon de se protéger. J’ai eu dans ma profession à rencontrer des jeunes qui étaient toujours dans le passage à l’acte. «Je ne veux plus me droguer, je ne veux plus taper mes sœurs. Je ne veux plus faire ça», me disent-ils. Mais que puis-je faire pour eux. Il n’existe pas de programme de réinsertion à la mesure de ces détresses. Il faut savoir que les jeunes représentent la part la plus fragile de la société. Les adultes n’ont pas pris la parole lors des dernières inflations. Ça n’a pas été pensé.
- Justement, qui aurait dû prendre la parole ?
Les philosophes, les sociologues, les psychologues, les gens de la loi, les chercheurs… Ce sont eux qui doivent parler. Les sciences humaines sont très mal considérées en Algérie, car elles représentent une menace. Elles peuvent apporter des changements réels et logiques. Les gens qui pensent sont marginalisés. Ces jeunes, parce qu’ils n’arrivent pas à formuler une insulte, ils frappent.
- Comment ces jeunes en sont-ils arrivés là ?
Il est normal que l’enfant rejette l’autorité parentale surtout à l’adolescence, mais il doit la trouver ailleurs. A l’école, auprès d’un enseignant, un chanteur, un modèle. Il doit trouver à l’extérieur une relation suffisamment aimante et autoritaire. La mosquée marche bien et récupère souvent ces jeunes, mais parfois c’est trop «surmoïque». Les enseignants ont parfois jusqu’à 40 élèves. Ils reçoivent directement la violence de la rue, du coup, l’enseignant la reproduit et il exclut. Il faut savoir que ces jeunes ne pensent pas. Ils sont dans le mouvement. C’est de la colère, rien n’est programmé. N’importe quoi peut l’arrêter, n’importe quoi peut déclencher une émeute. Cela fait déjà une année que je suis inquiète.
- C’est-à-dire ?
Déjà lors des matches de football face à l’Egypte, j’ai eu peur de voir avec quelle facilité on passe à la violence. On a vu en l’Egyptien l’ennemi juré. Et l’euphorie ! L’euphorie des Algériens lorsqu’ils ont gagné le match. Cela me pousse à dire que l’Algérie n’a pas fait le deuil. Le deuil du terrorisme. On a tourné la page, comme si rien ne s’était passé. On se pardonne, on s’embrasse et tout est oublié. Mais non. La transmission du non-dit se fait dans le passage à l’acte, dans la répétition. Quelque chose de traumatisant s’est passé et si les journaux, le théâtre, le cinéma, la littérature ne le reprennent pas, la reproduction est inévitable. (El Watan-12.01.2011.)
**Redonner confiance à la jeunesse
Cette «révolte» de la jeunesse algérienne est un signe d’une société dynamique. Les jeunes sont sortis dans la rue pour s’exprimer par le seul moyen qu’ils maîtrisent le mieux, c’est-à-dire la violence.
Par Mohammed Saïb Musette *
Cette génération n’est pas celle d’Octobre 1988, elle n’a pas eu d’enfance… elle est socialement marquée par des actes de violence des années 1990. Le mal est profond.
Cette révolte était-elle prévisible ? Pourquoi maintenant ? Quels résultats peut-on attendre de ce soulèvement ?
Une révolte attendue ? Le changement social ne peut provenir que de la jeunesse.
Les avis sont multiples quant à la prévisibilité de cette révolte des jeunes. Pour les uns, la situation sociale n’est pas aussi dramatique. On parle de manipulation par une main invisible qu’on convoque à chaque convulsion sociale. Les intellectuels (sic) s’abstiennent de tout commentaire.
Il n’y a pas d’avis à donner. Pour les autres, cette expression est légitime. La misère sociale s’installe durablement. Les clivages entre les «classes sociales» deviennent de plus en plus visibles. Cette révolte est aussi à inscrire dans les luttes sociales propres à l’entrée dans le capitalisme sauvage, c’est-à-dire où les règles ne sont pas encore établies.
Notre observation de la quotidienneté indique toute une série de malaises sociaux fondés sur des pratiques d’exclusion, d’où la paupérisation ambiante de larges couches de la société. Il existe des couches sociales qui ont accès à l’emploi (donc aux revenus), à la santé, au logement, aux loisirs, à la migration… Pour d’autres couches, l’accès est difficile, voire impossible. Les perspectives d’une reproduction sociale sont floues…
Le taux de chômage publié récemment par les autorités donne l’impression d’un marché du travail qui fonctionne positivement quant à l’accès à l’emploi. Pourtant, on a pu relever qu’il existe 25% de jeunes (16-24 ans) qui sont auto-exclus – ils ne sont ni sur le marché du travail ni dans le système éducation-formation. Pour les jeunes qui occupent un emploi, ils sont en majorité «sans sécurité sociale», autrement dit, ils vivent dans une situation précaire, avec un revenu aléatoire, aux humeurs d’un secteur privé, prompt à engranger le maximum de profits, à la limite de l’illégalité.
Pas de travail décent, exclus du marché du travail, ces jeunes deviennent de plus en plus un poids pour la famille, une institution en décomposition avancée avec la démission et/ou l’impuissance des parents. Elles sont nombreuses, les familles qui légitiment les pratiques informelles des enfants pour boucler les dépenses quotidiennes.
L’accès au logement est devenu, ces derniers temps aussi, un sujet de crises à répétition, souvent avec l’organisation de révoltes publiques marquées par des actes de violences épisodiques. L’éradication des bidonvilles dans les grands centres urbains est en soi une entreprise délicate. La stratégie populaire est connue : habiter un taudis dans un bidonville permet l’accès rapide au logement. Une situation paradoxale quand on sait que des millions de logements sont programmés… mais à la réception, la désillusion est totale !
Les couches aisées achètent par dizaines les logements en promotion pour les revendre, avec une marge de profit, dès la réception.
Il n’est plus question de l’offre qui ne correspond plus à la demande, mais d’un véritable dysfonctionnement dans les mécanismes de distribution.
Un débat national sur la crise sociale est indispensable afin de redonner confiance à la jeunesse. Les jeunes souffrent d’absence de perspectives.
Les espaces de dialogue social sont limités. Depuis 2007, l’élaboration d’une politique nationale de la jeunesse est attendue. Les ébauches engagées ont vite sombré dans les couloirs des stratégies sectorielles, chaque secteur devant produire des programmes en direction des jeunes. L’absence de stratégie intersectorielle devant donner corps à l’unicité d’un programme gouvernemental laisse ainsi des pans entiers de la jeunesse en marge du développement. Le programme national de lutte contre le chômage est resté un vœu pieux des initiateurs, qui se résignent à mettre en œuvre une politique sectorielle sans aucune assise nationale.La société civile naissante peine à tracer des perspectives, elle s’alimente des actions sporadiques selon les moyens mobilisables à des échelles microsociologiques. La soumission de la société civile, du mouvement associatif, à une programmation préalable, obéit plus à une solution comptable des deniers publics. L’évaluation des actions engagées et des résultats obtenus sur le terrain reste à faire. Il existe pourtant des expressions artistiques qui ne laissent aucun doute sur le malaise social ambiant.
La colère de la jeunesse algérienne ne doit pas être minimisée. Cet accès de violence traduit un malaise profond dont la hausse des prix n’a été qu’un argument de circonstance. La violence urbaine n’est pas une pratique nouvelle en Algérie. L’Algérie peine ainsi à élaborer une politique nationale de la jeunesse de manière globale. Des initiatives ont été prises, mais sont restées sans issues. Les jeunes assistent, de manière impuissante, à un ensemble de dérives que l’Etat tente, tant bien que mal, d’endiguer. Sur le plan global, la corruption est un mal qui gangrène le pays.
Les autorités ont démontré qu’il existe une volonté de lutte contre ce phénomène. Des actions sont engagées, mais beaucoup reste à faire.
Les problèmes de la jeunesse algérienne sont multiples. La socialisation de jeunes passe par au moins six phénomènes : l’école, le travail, la santé, la famille, le temps libre, la mobilité. Chaque espace comprend des risques qui menacent la mise en condition juvénile. L’échec scolaire conduit à la marginalisation.
Le chômage des jeunes traduit un sentiment d’inutilité sociale.
L’accès aux soins est limité. On dit bien qu’il faut éviter de prendre des risques sur le plan de la santé, mais c’est durant la jeunesse que la prise de risques est plus importante. Les jeunes restent plus longtemps célibataires, bien qu’on assiste à une hausse du nombre de mariages.
La famille algérienne est entrée aussi en crise. La démission parentale est légion dans le monde urbain. Puis, le problème d’accès au logement, malgré l’offre publique, la crise persiste avec des prix qui dépassent la rationalité économique.
L’espace de détente, de décompression des jeunes reste encore limité avec des pratiques en décalage avec les aspirations de la nouvelle génération. Quant à la mobilité des jeunes, on assiste encore à des tentatives de prendre la mer dans des conditions extrêmes.
La conjugaison de ces risques durant la phase de juvénilité mène inévitablement à une situation critique, d’où l’explosion sociale qui vient d’avoir lieu. Ce réveil de la fougue juvénile n’est pas aux antipodes du «nationalisme» que ces mêmes jeunes ont manifesté lors de la Coupe du monde. C’est dire l’imprévisibilité du comportement des jeunes ; ils sont capables du pire et du meilleur. (El Watan-12.01.2011.)
*Sociologue et chercheur au Cread
**Pour la construction d’un Front démocratique et social
Depuis quelques jours, le pays est confronté à des émeutes d’ampleur nationale. Une grande partie de la jeunesse exprime son exaspération et son désespoir face à un pouvoir autoritaire, autiste et méprisant.
Bien que désorganisée, sans mots d’ordre apparents et sans revendications clairement formulées, cette jeunesse n’en délivre pas moins un puissant message politique : celui du rejet d’un système corrompu, historiquement condamné et politiquement déliquescent. Un système qui ne doit sa survie qu’à la rente pétrolière, sa gestion brutale et violente de la société et la complaisance des Etats occidentaux. En tentant de réduire cette révolte à sa seule dimension économique, celle d’une augmentation soudaine et brutale des prix de certains produits de première nécessité, les autorités cherchent à l’expurger de toute dimension politique en l’inscrivant, comme un message, à l’adresse de l’opinion internationale, dans la série des «émeutes de la faim» que connaissent certains pays dans le monde du fait de la spéculation des marchés financiers sur les matières premières. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une remise en cause du système, mais d’un simple «cri du ventre» qu’une simple réunion interministérielle calmera !
Du déjà entendu ! Qu’on se remémore les événements d’Octobre 1988, qualifiés à l’époque de «chahut de gamins», qui ont fini par provoquer une brèche démocratique. Il est vrai que le contexte politique national et surtout international de l’époque l’avait favorisée.
La violence comme seul recours
Aujourd’hui, les données politiques ont changé. Depuis l’arrêt du processus démocratique en janvier 1992, les décideurs se sont appliqués à détruire les espaces démocratiques conquis grâce aux événements d’Octobre 88.
Une fiction de vie politique, sur fond d’élections truquées, est orchestrée par le régime, pour des besoins de consommation extérieure, en encourageant et en finançant des partis, des associations et des syndicats totalement fictifs, coupés de la réalité. Structurés de façon informelle autour des seigneurs du pays, ils se sont accaparés des richesses du pays pour les détourner à leur seul profit et celui de leur clientèle.
La privatisation des institutions de l’Etat a abouti à l’aggravation du fossé qui les sépare d’un peuple réduit à assister, sans aucun recours, à la constitution de fortunes colossales, aiguisant en lui un légitime et vif sentiment d’injustice.
Comment s’étonner dès lors d’assister de façon sporadique à des irruptions violentes, conséquence d’un ras-le-bol généralisé d’une jeunesse, privée de tout et même du droit de… rêver ?
Le recours à la violence n’est que la résultante de l’absence de canaux d’expression démocratiques. Ce serait une faute politique majeure que de tourner le dos à une révolte sous prétexte d’immaturité politique. L’obligation morale et politique qui s’impose aux authentiques militants de la démocratie, des droits de l’homme et de la justice sociale, au-delà d’un simple témoignage de solidarité, est de transformer une révolte en une grande force politique et sociale agissante.
Des opposants mais pas d’opposition !
En effet, beaucoup parmi nous expriment aujourd’hui la nécessité d’un encadrement politique en mesure de capter le sentiment légitime de révolte en le traduisant en un projet politique alternatif. Mais, hélas, tout cela ne s’improvise pas ! Certains, légitimement, vont même jusqu’à s’interroger sur l’existence d’une vraie opposition en Algérie. Cette interrogation ne se veut pas comme une provocation pour de nombreux militants qui tentent de résister, avec courage et bravoure en Algérie. Mais entendons-nous bien, à l’heure actuelle, il n’y a que des poches de résistance, mais pas une grande organisation démocratique et sociale en situation de traduire la révolte, de lui donner un sens et un débouché politiques. Sans accabler injustement les partis démocratiques, encore qu’il faille s’expliquer sur le sens à donner au terme «démocratique», il faut reconnaître qu’ils en sont réduits à n’être que de simples appareils sclérosés dont certains de leurs dirigeants sont plus attentifs aux «chants des sirènes» du pouvoir qu’aux «pulsations» émanant du cœur de la société.
Il est vrai que l’état d’urgence, la répression de toute forme d’expression politique et sociale pacifique, le système de corruption et de retournement des élites politiques acquises à la démocratie et à la justice sociale, n’auront pas permis le développement et l’enracinement de forces sociales et politiques autonomes.
Ne disposant pas de relais importants dans le cœur de la société, les partis dits démocratiques, sont condamnés à une certaine impuissance, qu’ils tentent maladroitement de théoriser pour échapper aux critiques de leurs militants et de leurs sympathisants.
Que périsse l’Algérie plutôt que le système !
Les appareils de sécurité, à leur tête le puissant DRS, ont ainsi le champ libre pour imaginer et concevoir, en toute impunité, les stratégies politiques meurtrières qui n’en finissent pas de plonger notre pays dans le plus profond des abîmes.
L’épouvantail islamiste et la lutte antiterroriste leur ont permis et leur permettent encore de neutraliser toute remise en cause et d’étouffer dans l’œuf toute amorce d’une quelconque forme de pression internationale. Ils ont su mettre à profit les attentats du 11 septembre 2001 et les thèses du «clash des civilisations» qui sert de grille d’analyse, de façon consciente ou inconsciente, aux élites et aux opinions publiques occidentales. Même les milieux progressistes, jusqu’alors critiques envers le régime algérien, se sont littéralement couchés face à l’émergence d’un sentiment de plus en plus répandu d’islamophobie et à la crainte de voir s’«exporter le terrorisme» en Occident. Les réactions quasi pathologiques contre «l’islamisation de la société occidentale» et la montée des mouvements xénophobes et identitaristes, en Europe notamment, renforcent de façon mécanique les dictatures nationalo-populistes ou prétendument «laïcisantes» dans le monde dit musulman.
L’état de déréliction politique et idéologique des forces démocratiques
Le reflux de l’universalisme humaniste, de la démocratie et des droits de l’homme affaiblissent davantage les forces démocratiques et les contraignent à des positions défensives. Pour celles qui ont orienté l’essentiel de leurs actions politiques vers la recherche d’hypothétiques soutiens internationaux pour provoquer une inflexion du système en place, elles semblent à présent déchanter. Les théories de la «fin de l’Histoire», prophétisant un triomphe mondial et quasi irréversible de la démocratie et de l’économie de marché, comme si ces deux notions constituaient un couple inséparable, sont démenties par les faits. Pour d’autres qui misent sur des dynamiques internes au système, espérant, comme par miracle divin, une prise de conscience salvatrice au sein des décideurs militaires vont encore longtemps camper dans leurs confortables salons, en guettant le moindre signe de tel ou tel autre ponte du régime ! La gigantesque manne financière les incite à davantage de voracité qu’à un sursaut patriotique. Cela sans jeter l’anathème sur toute l’institution militaire. Quant aux «démocrates» qui ont accompagné le régime dans la mise au pas progressive de la société et l’isolement des vraies forces démocratiques au nom de la lutte anti-islamiste, ils portent une lourde responsabilité. A défaut de s’amender ou de se «repentir», ils seront toujours considérés comme complices des «services», semant la confusion et brouillant les enjeux politiques réels. En tout cas, ils sont nombreux, parmi leurs soutiens, qui ne se laissent plus berner par l’idée mystificatrice d’un pseudo-affrontement entre un «bloc moderniste» et un «bloc islamo- nationaliste» au sein du pouvoir.
Que faut-il donc attendre des événements actuels ?
Cette description de l’état des forces démocratiques peut paraître pessimiste, voire démobilisatrice ; mais le but recherché, en forçant le trait, est de susciter un vrai débat entre acteurs du changement démocratique dans la perspective de la construction d’une grande force politique et sociale capable d’imposer une alternative démocratique. Ne soyons donc pas dupes. Les événements actuels n’auront peut-être pas d’effet immédiat sur la réalité du pouvoir, ils ne représentent pas non plus une menace directe pour les «rapaces» qui nous gouvernent, pour toutes les raisons déjà évoquées. Ils seront probablement instrumentalisés par tel ou tel autre clan ou faction du régime. Au profit de qui ? Toufik ou Bouteflika, ou d’autres encore? On s’en moque ! Du pareil au même !
En revanche, ce qui est essentiel, c’est que ces événements démontrent que les ressorts de la société ne sont pas cassés et que les espoirs d’une démocratisation ne sont pas chimériques. Ils doivent pour cela nous servir de point de départ pour la cristallisation d’une vraie conscience politique démocratique, indispensable à la construction d’une alternative démocratique et sociale.
L’exemple donné par nos amis de l’opposition tunisienne doit nous inspirer. Les luttes démocratiques doivent se structurer autour de mots d’ordre clairs et mobilisateurs, tels que la levée de l’état d’urgence, le rétablissement des libertés politiques civiles, la fin du monopole sur les médias publics, la justice sociale… Ces revendications peuvent trouver un écho très large et servir de base consensuelle aux partis, associations, syndicats ou militants indépendants engagés dans la construction de l’alternative démocratique. Pour y parvenir, il est impératif de repenser le projet de transformation démocratique en dépassant le faux clivage entre Démocratie, République et Islam et en l’inscrivant dans le cadre des nouvelles solidarités internationales de résistance à un capitalisme financier mondialisé qui sape les fondements de la paix, de la démocratie et de la justice partout dans le monde. (El Watan-12.01.2011.)
Samir Bouakouir, Ancien porte-parole du FFS
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Catégories : actualité, société
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