Tunisie:émeutes et répression
7 01 2011
*Le régime de Ben Ali dos au mur
La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage et le régime policier instauré depuis près de 24 ans par le président Benali a dégénéré le week-end dernier en émeutes sanglantes, faisant quatorze morts à Thala et Kasserine selon le gouvernement, et au moins 23 selon l’opposition.
Après une accalmie de quelques heures, celle-ci s’est poursuivie hier pour la troisième semaine consécutive dans plusieurs localités du pays. Alors qu’un homme blessé dimanche par balles a succombé lors de son hospitalisation, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont repris, en effet, dans les villes de Kasserine, Thala et Regueb, situées dans le centre-ouest de la Tunisie. A Kasserine (290 km au sud-ouest de Tunis), un homme atteint de plusieurs balles et admis à l’hôpital dimanche, Abdelbasset Kasmi, a succombé à ses blessures hier matin, selon Sadok Mahmoudi, membre du bureau exécutif de l’Union régionale des travailleurs tunisiens (UGTT).
La même source a également fait état d’«un grand nombre» de personnes blessées qui se trouvaient en réanimation à l’hôpital de Kasserine, placé sous contrôle de l’armée. D’après des médecins, l’établissement manque de sang pour traiter les blessés. Sadok Mahmoudi a indiqué par ailleurs que les manifestations s’étaient poursuivies à la mi-journée dans le centre de Kasserine, devant le bâtiment du syndicat régional.
A Regueb, la police est intervenue pour disperser les habitants qui manifestaient à l’occasion de la mise en terre des morts du week-end. Dans cette localité, totalement paralysée en ce jour de marché hebdomadaire, l’armée a tenté de s’interposer entre les forces de sécurité et les manifestants, selon
Slimane Roussi, un enseignant défenseur des droits de l’Homme. Le mécontentement populaire ne semble pas près de s’arrêter. Au contraire, il peut à tout moment s’étendre à l’ensemble de la Tunisie.
A Tunis, la capitale du pays où des manifestations sont prévues aujourd’hui, des unités de la police antiémeute ont commencé d’ailleurs à se déployer dans le centre-ville pour renforcer le dispositif sécuritaire dans la capitale. Toujours au chapitre des droits de l’homme, nous avons appris hier que la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH) a réclamé la suspension des négociations sur un «statut avancé» de partenariat entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie, en raison des violences lors des manifestations dans ce pays. La Tunisie et l’Union européenne, déjà liées par un accord d’association, ont lancé en mai 2010 des négociations en vue d’un renforcement de leurs relations, dans la perspective d’un «statut avancé» qui serait accordé par l’UE. «Il est urgent de demander à l’Union européenne de suspendre les négociations pour le statut avancé en cours», a estimé la présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen.
«Il faut que ces négociations sur le statut avancé soient suspendues, en attendant d’intégrer tout ce que nous demandons depuis des années (…) et que soient respectés le développement de la démocratie et les droits de l’Homme», a ajouté Mme Belhassen. Mais il est peu probable que l’appel de la FIDH soit entendu dans la mesure où le régime de Benali bénéficie de la protection de certains poids lourds de l’UE. Le président tunisien, signale-t-on, devait prononcer hier une allocution télévisée, sa deuxième intervention à la télévision depuis le début des troubles à la mi-décembre, rapporte le journal Assabah. Dans sa première allocution, le chef de l’Etat avait jugé les manifestations violentes inacceptables, estimant qu’elles portaient atteinte aux intérêts de la nation. De son côté, le gouvernement tunisien a réitéré la «légitimité» du mouvement social en Tunisie, mais fustigé des médias accusés d’ «exagérer ou de déformer les faits». A rappeler que la Tunisie est un pays où la presse est muselée et où l’opposition politique ne dispose d’aucune marge de manœuvre.(El Watan-11.01.2011.)
**La Tunisie vit un moment historique
Joint par Rue89, un témoin des émeutes de Kasserine dit « rêver du moment où les policiers refuseront de tirer ». Entretien.
(De Tunis) La répression sanglante des manifestations continue à Kasserine, ville du centre-ouest de la Tunisie, à une centaine de kilomètres de Sidi Bouzid. (Voir la Google Map)
Je viens de joindre par téléphone Raphy Samyr, syndicaliste et militant des droits de l’homme.
Derrière le son de sa voix, les cris des manifestants mais, surtout, le retentissement de nombreux tirs d’armes à feu.
C’est très courageusement, prenant beaucoup de risques, que cet enseignant dans le secondaire me rapporte l’évolution de la situation sur le terrain.
Rue89 : A en croire le bruit derrière vous, la contestation continue, ainsi que le recours par la police aux armes à feu.
Raphy Samyr : C’est toujours le chaos, c’est vraiment terrible ! Huit jeunes ont été tués par la police ce [lundi] matin et une dizaine d’autres sont entre la vie et la mort, en réanimation [plusieurs vidéos, vraisemblablement tournées ce 10 janvier à Kasserine, ont été publiées sur Facebook, dont l'une, très forte, prise dans un hôpital, ndlr].
On compte même un enfant de 13 ans tué après que la police a tiré aveuglément dans un nuage de gaz lacrymogène.
La nuit a été calme mais dès ce [lundi] matin, en solidarité avec les familles [de victimes], les Tunisiens sont sortis massivement dans les rues.
C’est un engrenage qui ne semble jamais s’arrêter car la réponse de la police n’a pas changé : elle tire dans le tas.
[Dimanche], lorsque nous avons évoqué un bilan de trente morts en début d’après-midi, on nous a accusés de grossir les chiffres. Maintenant, la plupart des médias internationaux confirment ce bilan désastreux qui s’accroit d’heures en heures.
Les manifestants n’ont-ils pas peur d’y laisser leurs vies ?
Les gens sont portés par une rancœur qui dure depuis des mois, voire des années.
Kasserine est une des régions les plus déshéritées de la Tunisie, avec un échec scolaire très fort, une grande précarité, un accès aux soins insuffisant.
Les gens n’ont pas grand-chose à perdre mais, dans la rue, la plupart restent pacifiques. Ils crient des slogans appelant à la liberté, à la justice, à la fin du régime de Ben Ali.
Le gouvernement tunisien accuse certains habitants d’être des pillards, ce n’est pas vrai !
Les militants les plus radicaux s’en prennent aux bâtiments administratifs, à la permanence du RCD [le Rassemblement constitutionnel démocratique, parti présidentiel, ndlr] car ces édifices symbolisent l’arbitraire du pouvoir. Aucun bien n’a été volé, personne n’a eu sa maison détruite.
Pour avoir suivi les émeutes qui ont secoué la Grèce, je peux vous dire que la contestation [en Tunisie] est très pacifique.
Pourquoi, selon vous, le gouvernement ne fait-il aucune concession ?
Ben Ali et son gouvernement veulent faire de Kasserine un exemple. La démonstration de force est un signal fort à toutes les autres villes qui tenteraient de se soustraire à l’autorité du régime. C’est du terrorisme d’Etat : on va sacrifier Kasserine pour dissuader les manifestants dans le reste du pays.
Le tout, avec un double discours condescendant qui n’a pas de sens : le Président continue de traiter les manifestants d’« extrémistes », affirmant qu’il va les punir avec fermeté. Le ministre de la Communication multiplie les appels au calme. Quand va-t-on réellement nous écouter et arrêter de nous jeter de la poudre aux yeux ?
Ce [lundi] soir, cela fera trois jours que la police tire sur les manifestants. Les vidéos circulent largement sur Internet : pourquoi n’y a-t-il pas encore une intervention de la communauté internationale ?
Vous appelez les gens à sortir dans la rue ou à ne pas prendre de risques ?
Devant nous, c’est l’inconnu. On vit l’évènement au fil de son déroulement. La mobilisation doit cependant durer. Tous ces gens ne doivent pas mourir pour rien !
Il faut que ce mouvement aboutisse par une solution politique consensuelle car les revendications sont légitimes. Les dérives de ce régime ne sont pas acceptables. En fait, notre travail en tant que militants des droits de l’homme s’articule autour de deux axes :
- la mise en place de solutions d’urgence, comme le secours et le relais de l’information ;
- l’encadrement de la foule afin d’éviter les débordements.
Un sit-in a été proposé pour ce [lundi] après-midi, nous espérons que la police n’osera pas tirer sur des manifestants assis. Car les manifestants ont tous les âges : il y a des enfants, des vieux.
Kasserine présente un taux de chômage de 30%, il y a forcément beaucoup de chômeurs dans les cortèges, mais on trouve aussi des fonctionnaires et des commerçants.
Je rêve du moment où les policiers refuseront de tirer sur leurs compatriotes. D’ici là, le bilan s’alourdit d’heures en heures et le gouvernement de Ben Ali ne fait pas du tout machine-arrière.
Le Président est un militaire, pas un politique. Sa seule manière de sortir d’un conflit, c’est par la force, de l’avant et par la boucherie s’il le faut.
Y a-t-il eu des arrestations ?
Peu. Les personnes interpellées ont été pour la plupart tabassées au bureau de police, puis relâchées. Les policiers en civil ne se risquent pas dans les cortèges.
Le gouvernement va procéder comme à l’accoutumé : les arrestations seront effectuées quand il y aura un retour au calme. La police fera le nettoyage politique après et les interpellations seront nombreuses.
Pour ce lundi après-midi, mais aussi les jours à venir, c’est le grand inconnu. Vous avez peur ?
Non, je n’ai pas peur. Nous vivons un moment historique, il faut savoir le saisir. Une grève générale est annoncée dans le pays. Tous les Tunisiens doivent se mobiliser et rester déterminés contre le dictat de la terreur.
D’un autre coté, ici nous vivons une grande incertitude, même si ce qui se passe est relayé dans les provinces tunisiennes, nous n’avons aucun indice laissant penser à un recul du gouvernement. Nous faisons le pari de la communauté internationale en espérant que ce qui se vit ici aura un impact, notamment en France. (Rue89-10.01.2011.)
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*reprise des violences dans le centre-ouest, un mort à Kasserine…
Il y a 23 morts, depuis le début des émeutes, selon l’opposition.
Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont repris lundi dans le centre-ouest de la Tunisie, alors qu’un homme blessé dimanche par balles a succombé lors de son hospitalisation, ont indiqué des sources concordantes.
Trois localités –Kasserine, Thala et Regueb– étaient en proie à des violences lundi, signe de la poursuite des émeutes contre le chômage qui secouent la Tunisie depuis la mi-décembre. Ces violences ont fait au moins 14 morts selon le gouvernement, et plus de 20 selon des sources de l’opposition.
Lundi, des unités de la police anti-émeute se sont déployées dans le centre de Tunis pour renforcer la sécurité dans la capitale, où sont prévues des manifestations de jeunes.
A Kasserine (290 km au sud-ouest de Tunis), un homme atteint de plusieurs balles et admis à l’hôpital dimanche, Abdelbasset Kasmi, a succombé à ses blessures lundi matin, selon Sadok Mahmoudi, membre du bureau exécutif de l’union régionale des travailleurs tunisiens (UGTT, centrale syndicale).
M. Mahmoudi a également fait état d’ »grand nombre » de personnes blessées qui se trouvaient en réanimation à l’hôpital de Kasserine, placé sous contrôle de l’armée. Selon des sources médicales et syndicales, l’établissement manquait lundi de sang pour traiter les blessés. Selon M. Mahmoudi, les manifestations se poursuivaient lundi à la mi-journée dans le centre de Kasserine, devant le bâtiment du syndicat régional.
Plusieurs personnes se sont retranchés dans les locaux du syndicat pour fuir des tirs massifs de gaz lacrymogènes, a indiqué M. Mahmoudi, qui a ajouté que des ambulances sillonnaient la ville. Les commerces de la ville sont fermés et les habitants ont crié « leur colère conte leur régime », a-t-il ajouté.
A Regueb, la police est intervenue pour disperser les habitants qui manifestaient à l’occasion de la mise en terre des morts du week-end, a constaté un correspondant de l’AFP.
Dans cette localité, totalement paralysée en ce jour de marché hebdomadaire, l’armée a tenté de s’interposer entre les forces de sécurité et les manifestants, selon un enseignant défenseur des droits de l’Homme, Slimane Roussi. Il a assuré que des douilles de balles jonchaient les rues. A Thala, ville endeuillée près de Kasserine, la police à tiré des balles en caoutchouc, selon des sources syndicales.
La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage a dégénéré ce week-end en émeutes sanglantes, faisant quatorze morts à Thala et Kasserine selon le gouvernement, et au moins 23 selon l’opposition.(AFP-10.01.2011.)
**Le spectre du chaos avec la violence qui s’accentue
La violence s’accentue en Tunisie. Au moins quatorze jeunes sont morts dans les manifestations du week-end dernier, selon les autorités. Ils seraient 23 selon l’opposition et les associations de droits de l’homme. Pour Said Haddadi, chercheur à Amnesty International, ces derniers événements «marquent une progression» dans le mouvement social qui agite les jeunes tunisiens depuis maintenant un mois. 20minutes.fr fait le point sur la façon dont pourrait évoluer le mouvement.«Difficile de dire comment le mouvement va évoluer», explique Said Haddadi. Pour le chercheur, les jeunes pourraient d’abord être rejoints par les étudiants à l’université, jusque là en examen. En outre, les avocats ont également manifesté la semaine dernière, marquant leur soutien aux actions des lycéens et étudiants. «Ils ne sont pas isolés. Les relais commencent à fonctionner et cela va continuer», assure, confiante, Khadija Chérif, secrétaire générale de la FIDH. «La mobilisation est très forte. Si le pouvoir réprime autant, c’est pour faire taire. Mais selon moi, cela ne va pas arriver».
* une société paralysée par la peur
Selma Belaala, politiste à l’université de Warwick au Royaume-Uni, est plus hésitante. Selon elle, il y a peu de chances que ce scénario se produise. «Les ouvriers, le milieu rural, les classes moyennes ont peur des conséquences» même s’ils se disent favorables au mouvement. La répression des autorités effraie d’autant plus qu’il s’agit d’«une des plus sanguinaires du monde Arabe» selon Selma Belaala. «Il va y avoir beaucoup de sang», s’inquiète-t-elle. Mais cela ne mobilisera pas forcément d’autres professions. «Entre la sympathie silencieuse et la solidarité actée, il y a une différence», regrette la chercheuse.
«Toute la question est de savoir si ces sacrifices individuels et collectifs (soit les deux immolations et les 14 morts selon les autorités) vont être érigés en symbole», explique Selma Belaala. Sur ce point, un «soutien extérieur» pourrait aider. «La France a toujours eu un rôle primordial et noble à jouer. Il suffirait que des icônes intellectuelles, des journalistes ou des universitaires s’impliquent» pour que cela attise le mouvement social, assure la chercheuse.
De son côté, Khadija Chérif s’indigne: «La France est complice. Elle se tait sur ces événements car elle considère que ce sont des affaires internes.»
Les deux femmes se rejoignent sur ce point. «C’est complètement utopique de croire que Ben Ali va partir. Il est là depuis 1987. Il n’y a pas d’alternative. Aucun mouvement ni figure politique n’est capable d’incarner le changement et la stabilité», explique Selma Belaala. «On risque le chaos», renchérit Khadija Chérif. «Il faudrait que le gouvernement reconnaisse ses erreurs, écoute les jeunes. Au lieu de proposer un débat national, des réformes en profondeur, on voit de la répression, du silence et des violences accrues», dénonce la secrétaire générale de la FIDH. Selon elle, cette réponse policière est inquiétante. «Il y a un déni de la réalité» de la part des autorités et «pas de projets réels pour la région» assure-t-elle. De quoi faire «empirer» la situation dans les jours ou semaines à venir. (20Minutes-10.012011.)
*De nouveaux affrontements font quatre morts en Tunisie
Samedi, à Tunis, la foule a observé une minute de silence à la mémoire des «martyrs» du mouvement social. Quatre personnes au moins ont été tuées et six autres grièvement blessées samedi soir par balles lors de nouvelles échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre en Tunisie.
La révolte continue de gronder en Tunisie. Samedi, au cours d’une nouvelle soirée d’émeutes, plusieurs personnes ont été tuées lorsque les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur des manifestants dans le centre de Tala, une localité proche de Kasserine, dans le centre-ouest du pays. Selon le ministère de l’Intérieur, deux manifestants ont été tuées. Des sources concordantes – syndicale et des habitants de Tala – avaient fait état la veille d’au moins quatre tués par balles et de six blessés graves dans les affrontements.
Les autorités font état également de «nombreux agents de l’ordre blessés dont trois dans un état grave», affirmant que les forces de sécurité ont fait usage de leurs armes, après sommation, dans un acte de «légitime défense». Huit autres personnes ont été blessées et transférées dans un hôpital de Kasserine, chef-lieu de la région, où des affrontements sanglants ont été également signalés dans la nuit. Un enfant de 12 ans aurait été tué d’une balle à la tête dans la cité Ennour, a aussi affirmé un témoin.
Ces décès portent à au moins quatre morts le nombre de tués par balles depuis que Mohamed Bouazizi, 26 ans, s’est immolé par le feu le 17 décembre à Sidi Bouzid, à 265 km au sud de Tunis, pour protester contre la saisie de son étal de primeurs. Il est devenu depuis le symbole d’une révolte contre la précarité sociale et le chômage, notamment celui des jeunes diplômés.
Une minute de silence
A Tunis, lors d’un rassemblement public samedi, la centrale syndicale unique, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), a proclamé son appui aux revendications «légitimes» du mouvement. «Nous soutenons les revendications de la population de Sidi Bouzid et des régions intérieures», a déclaré à la foule le secrétaire général adjoint de l’UGTT, Abid Brigui. «Il est contre nature de condamner ce mouvement, il n’est pas normal d’y répondre par des balles», a-t-il lancé sous les applaudissements, appelant plutôt au «dialogue avec les jeunes». La foule a observé une minute de silence à «la mémoire des martyrs» du mouvement social, entre hymne national et chansons engagées diffusés par hauts-parleurs.
La veille, Tala a été le théâtre d’affrontements violents durant lesquels les manifestants ont saccagé des biens et mis le feu à une banque et à des bâtiments officiels, selon un dirigeant syndical local. Selon ce témoin joint par téléphone, l’armée s’est déployée samedi pour la première fois depuis le début des troubles, autour des bâtiments officiels.
Vendredi, cinq manifestants et un agent de sécurité ont été blessés lors d’un affrontement violent à Saïda, une localité proche de Sidi Bouzid. Ce qui devait être une marche pacifique de lycéens, rejoints en cours de route par des habitants du village, a dégénéré en affrontements avec les forces de sécurité, qui ont fait usage de lacrymogènes, puis de leurs armes à feu, selon des témoins.
De nouvelles tentatives de suicide ont par ailleurs été signalées samedi par des témoins à Kasserine et à Sidi Bouzid, dont celle d’un père de quatre enfants, Moncef Abdouli, 52 ans, qui a tenté de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu près du marché, en plein centre-ville. A Kasserine, un jeune chômeur, Hilmi Khadraoui, s’est aspergé de pétrole près du lycée, tandis qu’un homme de 35 ans avait tenté de se suicider après une manifestation, selon un journal privé local. (Le Figaro-09.01.2011.)
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*La gronde continue
Plus de trois semaines après le début des émeutes et malgré le durcissement de la répression, les Tunisiens continuent à descendre dans la rue pour demander le départ de Ben Ali. Pourtant, les alternatives au régime actuel sont minces et ont du mal à se structurer. En France depuis trois mois, Adel Ghazala suit les manifestations tunisiennes avec beaucoup d’attention. Cet activiste qui a demandé l’asile politique est pessimiste quand il s’agit d’évoquer l’après Ben Ali : « Il n’y a pas d’alternative possible pour le moment. Cela va prendre des années pour mettre sur pied un projet politique porteur. »« Les Tunisiens n’ont pas de culture politique du débat »Pour expliquer cette impasse, Yanis -le prénom a été modifié-, universitaire tunisien, dénonce le verrouillage politique opéré par Ben Ali : « Le régime a détruit tout espace de débat. Les Tunisiens n’ont pas de culture politique du débat, il est impossible de susciter un dialogue intellectuel d’où une personnalité et des idées nouvelles pourraient émerger. »Selon Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherche et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) et spécialiste du Maghreb, le président tunisien a opéré un virage sécuritaire depuis le début des années 90 . Contrairement à ce qu’il avait promis, le système de parti unique (le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), héritier du Parti socialiste destourien d’Habib Bourguiba) n’a pas été remis en cause.L’étau s’est progressivement resserré autour des organisations susceptibles de tenir tête au pouvoir en place. Le principal syndicat, l’Union générale du travail de Tunisie (l’UGTT), a ainsi été infiltré par le gouvernement. Selon Yanis, quelques sections régionales refusent encore de rallier le mouvement de protestation : « Certains responsables de l’UGTT occupent des fonctions dans le parti unique, ils ne veulent pas se mouiller. »Des partis d’oppositions officiels existent bien, mais n’emportent pas l’adhésion des Tunisiens. Un professeur tunisien précise : « Ils ont été créés par le gouvernement afin de légitimer son action. C’est un simulacre de démocratie. »Depuis le début des émeutes, cinq partis ont ainsi rejoint la position officielle dictée lors du discours de Ben Ali et selon laquelle les médias étrangers ont instrumentalisé la révolte partie de Sidi Bouzid.Une opposition déconnectée de la réalitéMalgré ce blocage politique, des personnalités se démarquent. Parmi elles, Hamma Hammami, leader du parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT). Déjà opposant sous Bourguiba, il a acquis une réputation d’homme honnête et constant dans sa lutte pour la démocratie.
Les membres de cette organisation, non autorisée par le pouvoir, sont obligés de vivre clandestinement. Un problème selon Yanis : « Hamma Hammami est longtemps resté dans la clandestinité. Même si ses idées sont intéressantes, il peine à être en lien direct avec la population tunisienne. »
Moncef Marzouki, ancien candidat à la présidentielle contre ben Ali, exilé politique en France depuis le début des années 2000, est aussi une des figures de l’opposition tunisienne. Fondateur du Congrès pour la République, il milite pour l’instauration d’une seconde république, le régime actuel se rapprochant selon lui davantage d’une monarchie.
S’il n’exclut pas d’être candidat à la présidentielle de 2014, il reconnaissait lors d’une conférence à Sciences-Po que le mouvement qu’il incarne ne représente pas une réelle menace pour le régime de Ben Ali : « C’est à la jeunesse maintenant de sortir, c’est à elle d’organiser ce front de rupture [avec la dictature]. »
Le professeur tunisien, que j’ai interrogé, nuance cependant son influence : « Il est très populaire parmi la diaspora qui l’apprécie pour sa combativité et la pertinence de son analyse, mais il n’est pas connu en Tunisie. » Pour Vincent Geisser, une caractéristique commune empêche les deux hommes de percer : « Ils font partie d’un cercle élitiste d’intellectuels en rupture avec le petit peuple tunisien, dont il n’a pas vu venir la colère. Le moteur des revendications actuelles provient vraiment de la base de la population. »Le chercheur souligne que les émeutes, qui ne sont pas du tout organisées, reposent davantage sur une solidarité familiale et locale que sur un soutien politique de ces partis d’opposition, aussi indépendants soient-ils.Ettajdid, le seul d’entre eux qui soit indépendant et toléré par le régime, partage ce même défaut. Marguerite Rollinde, chercheurse au Centre de recherche en science sociale et politique de Paris-équipe Genre, travail et mobilités, ajoute : « Comme d’autres partis d’opposition, il ne pourra pas prendre le relais car ses dirigeants ont trop longtemps oscillé entre une position en claire opposition à Ben Ali et un soutien au président, pour faire front commun contre les islamistes. »Les islamistes, une crainte réelle ?Ces derniers inquiètent Yanis : « Il existe à présent un terreau fertile pour les islamistes en Tunisie. Les habitants sont frustrés par la pauvreté et sont désormais nombreux à se tourner vers la religion. »Les attaques contre les personnalités critiques envers la pression de l’islam se sont multipliées. Sawsen Mâalej, comédienne progressiste, a ainsi été victime d’une campagne de dénigrement menée par le chanteur tunisien Psycho-M et très relayée sur Facebook, pour quelques blagues osées à la télévision.La sénatrice Riadh Zghal, qui a émis l’idée que l’appel à la prière pouvait gêner les élèves des écoles situées à proximité des mosquées, a elle aussi été vivement critiquée. Certains détracteurs ont même demandé la déchéance de son statut de musulmane.Pourtant, Rached Ghannouchi, leader historique des islamistes tunisiens, ne fait plus l’unanimité. Exilé à Londres, il a laissé derrière lui les partisans de son parti, Ennahada. Sévèrement opprimés par Ben Ali et libérés depuis peu, ils restent discrets et ne cherchent pas à prendre le contrôle du mouvement de revendication.Vincent Geisser précise : « Ghannouchi n’a aucune prise sur la population, les jeunes ne le connaissent pas. Au même titre que les autres partis d’opposition, il est dépassé par la réalité du terrain. »
Selon Yanis, l’alternative islamiste, possible sans être immédiate, sera plus radicale : « Il s’agira d’un mouvement situé à la droite de Ghanouchi, qui n’acceptera pas de faire un compromis politique comme Ennahda a tenté pour intégrer le régime. »
Un remplaçant issu du parti unique, mais à la réputation intacte ?
Le vide politique qu’a créé Ben Ali ne donne pas beaucoup d’illusions aux Tunisiens : personne n’affirme que son régime s’effondrera dans une semaine ou dans un mois. Vincent Geisser appelle à encore plus de patience. Pour lui, le changement ne sera pas radical, et viendra davantage de l’intérieur : « Des élites du parti de Ben Ali contestent de plus en plus la dictature. Une partie des cadres du parti est saine, il s’agit de haut fonctionnaires qui administrent le pays en dépit du régime autoritaire. »
Selon lui, il est possible que l’un d’entre eux succède au président actuel : « Il faudrait un remplaçant issu du sérail, mais dont la réputation n’a pas été salie par des affaires de corruption. Un technicien qui engagerait des réformes économiques et politiques, pour ouvrir progressivement le paysage politique. »
Il s’agira forcément de quelqu’un de soutenu par la communauté internationale : « Wikileaks a démontré l’implication des Etats-Unis, qui semblent chercher un successeur à Ben Ali, dont ils déplorent la corruption. »
En attendant, les émeutes continuent. En France, Adel Ghazal espère un changement, sans réellement y croire : « Il ne suffit pas d’être opposant pour être un leader crédible et porter une alternative. » (Rue89-06.01.2011.)
** La police a pris d’assaut la faculté
Depuis le 7 janvier, date de la rentrée universitaire tunisienne, les étudiants sont nombreux à manifester contre le pouvoir en place. Beaucoup sont également touchés par la répression du régime de Ben Ali. Un étudiant de l’université de Sousse, à 150 kilomètres de Tunis, raconte.
Après la reprise des cours début janvier, les étudiants et les lycéens tunisiens ont pris part à la révolte qui agite le pays depuis plusieurs semaines.
Craignant la visibilité des manifestations de rue, le régime tunisien fait encercler les établissements universitaires et secondaires par les forces anti-émeutes. Il interdit toute manifestation dans les lieux publics et tout rassemblement dans les rues.
Course-poursuite dans les locaux de l’université
« L’université de Sousse et en particulier la faculté des lettres et sciences humaines a subi vendredi l’assaut des forces de l’ordre tunisiennes.
Les étudiants s’étaient réunis en assemblée générale après la session d’examen du matin. Ils ont voulu occuper les locaux afin de protester contre l’arrestation par la police de deux étudiants de l’Union générale des étudiants tunisines (UGET). Ils ont été empêchés de sortir de la faculté pour aller manifester dans la rue.
Les brigades anti-émeutes se sont postées aux différents lieux de sortie. Le mot d’ordre, venu d’en haut, était : “Ils peuvent tout casser dedans, mais qu’ils ne sortent pas.” Face à cette situation, les étudiants ont tenté de forcer les barrages de police, ce qui a donné lieu à des heurts violents.
Suite à ces altercations, la police a répliqué en prenant d’assaut la faculté, pourchassant les étudiants dans l’enceinte des bâtiments. Elle a poursuivi les étudiants dans les salles d’examen, dans les bureaux et même dans l’infirmerie.
Plusieurs étudiants blessés et intoxiqués
Des dizaines de bombes lacrymogènes ont été lancées contre les étudiants. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été bléssés, sans compter les multiples intoxications. Les enseignants qui tentaient de s’interposer ont été matraqués et agressés, au point que l’un d’eux a perdu connaissance durant plus d’une vingtaine de minutes sans qu’aucun secours ne puisse l’atteindre.
Le doyen, qui cherchait à calmer la situation, a reçu son lot d’insultes et d’agressions de la part de la police.
L’indignation est à son comble, et un mot d’ordre de grève nationale a été lancée dans l’enseignement supérieur. Le régime de Ben Ali tente par tous les moyens d’intimider et d’étouffer une population dont la jeunesse, en particulier, s’est enfin débarrassée de la peur et de la soumission. » (Rue89-08.01.2011.)
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**Tunisie: l’agitation continue, grèves et arrestations de cybernautes
Entre manifestations de rue, grève des avocats, tentatives de suicide et arrestations d’internautes, l’agitation sociale partie de Sidi Bouzid (centre-ouest) il y a trois semaines s’est poursuivie jeudi en Tunisie, malgré des mesures d’apaisement du gouvernement.
A Sidi Bouzid (265 km au sud de Tunis), la plupart des lycées et collèges étaient en grève dans cette ville endeuillée au lendemain de l’enterrement de Mohamed Bouaziz, a indiqué à l’AFP Ali Zari, responsable syndical local.
Mohamed Bouazizi, 26 ans, s’était immolé le 17 décembre pour protester contre la saisie de son étal de primeurs par des agents municipaux. Il est devenu depuis le symbole d’une révolte contre la précarité sociale et le chômage, notamment celui des jeunes diplômés.
Le mouvement qui s’est étendu depuis à d’autres régions enclavées du centre et du sud ouest, a gagné jeudi des localités du littoral-est plus nanti.
A Jbeniana, près de Sfax (300 km au sud-est de Tunis), la police a dispersé une manifestation de lycéens et d’autres plus violentes à Tala (ouest) où des arrestations musclées avaient été signalées dès mercredi soir.
Un nouveau suicide, le 3e depuis le début des troubles, a eu lieu à Chebba, sur le littoral-est, où Mohamed Slimane, 52 ans, un ouvrier du bâtiment, père de deux diplômés de l’université sans emploi, a été retrouvé pendu.
L’homme était malade et aurait désespéré de recevoir une aide pour se soigner et nourrir sa famille.
A Regueb, près de Sfax, un jeune a menacé de se donner la mort par électrocution pour dénoncer la corruption et l’inégalité face à l’emploi et un autre s’est immolé à Metlaoui, un zone minière ayant connu des troubles en 2008.
Des milliers d’avocats ont observé une grève pour dénoncer la répression le 31 décembre d’une manifestation de solidarité avec les habitants de Sidi Bouzid, selon le bâtonnier Abderrazak Kilani.
Le barreau avait dénoncé “un usage sans précédent” de la force et affirmé le devoir de “défendre la liberté d’expression” et “le droit des habitants de Sidi Bouzid et d’autres régions démunies à l’emploi, à la dignité”.
La grève a été cependant été dénoncée comme un acte “politique” contre le régime par des avocats du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti au pouvoir du président Zine El Abidine Ben Ali).
Par ailleurs, un rappeur et deux blogueurs ont été arrêtés jeudi, au lendemain de cyber-attaques de groupes d’internautes solidaires du mouvement de protestation sociale. Celle d’un troisième n’a pu être confirmée.
Ces attaques répondaient à un mot d’ordre lancé par les “Anonymes” (Anonymous) qui se présentent comme un groupe d’internautes attachés à la liberté d’expression.
Selon son frère, Hamada Ben Amor, dit “Le Général”, arrêté à Sfax, est l’auteur d’un rap intitulé “Président, ton peuple est mort” diffusé sur internet, devenu un espace d’expression pour des milliers de jeunes tunisiens notamment sur Facebook et Twitter.
Slim Amamou et El Aziz Amami, cybernautes très actifs contre la censure ont été également arrêtés jeudi, selon le journaliste opposant Sofiene Chourabi.
A Paris, 200 personnes se sont rassemblées dans le cadre d’une journée internationale de solidarité avec la révolte sociale en Tunisie, et d’autres devant le consulat de Tunisie à Lyon (centre-est).
Une soixantaine de Tunisiens du Canada, dont de nombreux étudiants, ont manifesté jeudi soir devant le consulat de leur pays à Montréal pour réclamer le départ du président Ben Ali.
La France suit de près la situation en Tunisie, a dit la porte-parole adjointe du ministère français des Affaires étrangères, Christine Fages.
“Nous continuons de suivre de très près la situation en Tunisie et souhaitons que les tensions, qui ne sont dans l’intérêt de personne, s’apaisent. Il n’appartient pas à la France, pas plus qu’à un autre État, de conseiller les autorités tunisiennes dans le domaine économique et social”, a-t-elle ajouté.
Le président Ben Ali avait accusé l’opposition d’instrumentaliser la révolte à des fins “malsaines” avant de retoucher son gouvernement et de débloquer 116,6 millions d’euros pour l’emploi, en plus de 7,8 millions d’euros pour la création de projets à Sidi Bouzid.(AFP-06.01.2011.)
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**Les Tunisiens, fatigués d’un pays tenu par quelques familles
L’avocate engagée Bochra Beljaj Hamida détaille pour Rue89 les caractéristiques de cette mobilisation « sans précédent ».
(De Tunis) Me Bochra Beljaj Hamida était dans le cortège d’avocats malmenés par la police le 30 décembre devant le tribunal de Tunis. La veille, elle faisait sa première apparition télévisée sur la chaîne tunisienne privée Nessma TV, qui a brisé le verrouillage médiatique en diffusant une émission spéciale sur le mouvement de protestation.
Mais surtout, Bochra Beljaj Hamida est une figure des revendications démocratiques, du fait d’avoir obtenu la grâce de plusieurs condamnés à mort du temps de Habib Bourguiba. Elle considère le mouvement né à Sidi Bouzid comme sans précédent et défend plus que jamais un processus démocratique pour la Tunisie.
Je suis entré en contact avec elle la veille de notre entretien. Des policiers en civils avaient cependant été tenus au courant de ma visite chez elle à Tunis. Ils m’ont suivi quelques heures, sans intervenir.
Rue89 : Le mouvement social continue à prendre de l’ampleur avec des manifestations dans l’ensemble du pays. Va-t-il se poursuivre ?
Bochra Beljaj Hamida : Sans aucun doute ! C’est un mouvement sans précédent en Tunisie. Les gens se retrouvent dans les revendications sociales portées à Sidi Bouzid. Ils en ont assez de la corruption, de la précarité et de ce pouvoir qui n’est pas élu démocratiquement.
Dans les cortèges, certains manifestants traitent le Président de « lâche », de « voleur », comme un délinquant de droit commun en somme. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Car l’Etat ne parvient pas à aborder les Tunisiens comme des citoyens, nous sommes infantilisés par des technocrates qui sont loin de la vraie société.
Revenons au cas des jeunes diplômés, en Tunisie. Il n’est pas possible de valider un certificat d’aptitude au travail sans soudoyer un fonctionnaire. Aussi, il ne faut pas confondre : les manifestants ne demandent pas à l’Etat de leur trouver un travail mais dénoncent le fait que, sur le marché de l’emploi, les choses ne se font jamais dans la transparence et avec justice.
On ne peut pas reprocher au gouvernement de n’avoir rien fait en matière d’emploi, des programmes ont été lancés depuis plusieurs années, mais à cause d’une corruption systématique, on perd tout ce qui a été fait. Le blocage économique est là !
Nous voulons un dialogue avec les citoyens, que les gens puissent investir et travailler librement et que cela soit une réelle volonté politique.
Finalement, le mouvement social est né à Sidi Bouzid mais il aurait très bien pu voir le jour ailleurs…
Ce n’était pas le premier suicide d’un jeune dans une situation de précarité sociale comparable. Sidi Bouzid a été l’étincelle et la contestation s’est propagée dans tout le pays.
Paradoxalement, le calme est actuellement revenu à Sidi Bouzid car la présence policière y est très forte, mais aussi parce que le gouvernement a acheté les bonnes personnes, tout en donnant l’illusion d’une écoute en limogeant les responsables locaux.
Sauf que la grogne n’est pas propre à Sidi Bouzid et que c’est tout une masse de Tunisiens qui souhaitent exprimer leur ras-le-bol de la politique menée par le gouvernement. Ils sont fatigués de la propagande, de la corruption et du fait que le pays soit tenu par quelques familles.
Vous remarquerez que je parle du gouvernement, je ne veux pas personnaliser la lutte car, plus qu’une personne, nous voulons changer tout un système.
Pourquoi les avocats sont-ils si mobilisés ?
Nous nous sommes sentis solidaires. L’Ordre des avocats est engagé pour les droits humains. Mais, surtout en Tunisie, nous sommes l’un des rares corps élus, et de manière libre et démocratique.
Le bâtonnier n’est pas nommé par le gouvernement, nos décisions sont précédées de débats et de campagnes libres.
Le mouvement des avocats suit-il l’arrestation brutale de Me Abderraouf Ayali et Me Equité et Choukri Belaïd ?
Oui, certains avocats avaient manifesté spontanément, en début de semaine, en soutien au mouvement social de Sidi Bouzid. Me Ayali et Me Belaïd ont pris la parole et la police les a considérés comme les chefs de file du mouvement des avocats.
Le lendemain, la police politique, directement commandée par le palais présidentiel, a enlevé brutalement Me Ayali et Me Belaïd. Abderraouf Ayali a été menacé et gravement maltraité. Puis, le lendemain, il a été relâché.
Deux cents avocats ont alors décidé collectivement de dénoncer cette répression devant le palais de justice, avec le port du foulard rouge en signe de ralliement. Vous connaissez la suite : nous avons été sauvagement réprimés, les avocats comme les avocates !
Ce qui m’a choquée, c’est que ce sont des policiers en civil qui sont intervenus et que tout a été fait pour que les choses ne se passent pas dans le calme, pour que cela dégénère.
Lors de son intervention télévisée vendredi, le président Ben Ali paraissait mis en difficulté…
Je crois que le gouvernement réagit brutalement car il est fragile. Contrairement au discours officiel, le mouvement de contestation n’est pas manipulé à la base, il s’agit de manifestations quasi spontanées de gens qui appellent à en finir avec ce système politique. C’est un signal d’alarme fort pour le gouvernement !
Le Président est désormais devant un choix. Si sa réponse est un simple remaniement ministériel, il n’a rien compris aux attentes des Tunisiens. On a changé de ministre de la Communication, mais moi je dis « liberté, pas de ministère de la Communication » tout court !
Nous sommes dans un mouvement important, décisif, le gouvernement doit faire le choix d’un processus démocratique et non celui de la répression.
Vous avez participé à l’émission de Nessma TV consacrée à la situation à Sidi Bouzid, qui n’a pas été censurée. C’est un autre précédent porteur d’espoir ?
Peut-être un précédent sans suite ? L’émission n’a pas été rediffusée.
Disons qu’il ne faut pas voir le gouvernement comme un seul bloc. Il y a une complexité interne, certains tirent vers l’avant alors que d’autres maintiennent une position qui défend une logique de contre-information et de répression. Le gouvernement est bousculé en son sein. Ben Ali est tiraillé entre plusieurs tendances, voire plusieurs clans.
En Europe, nous restons prudents face à ce type d’évènements, en raison de la récupération éventuelle des islamistes. Qu’en pensez-vous ?
C’est le statu quo qui renforce les extrémistes. Plus on avance, plus il y a un processus démocratique fort, plus il y a des forces de dialogue et moins la société s’islamise. C’est une bataille culturelle, une question de société. Mais il faut bien rappeler que les islamistes n’aiment pas la démocratie.
Les Européens se trompent complètement : en Tunisie, ce sont les syndicats et les militants des droits de l’homme qui portent le mouvement, pas les religieux.
En France l’UMP agite aussi la menace islamiste. Pourquoi ? Parce que Chirac et Sarkozy n’ont jamais considéré les Tunisiens sur un pied d’égalité. Ils nous ont toujours perçus comme des colonisés.
Internet est-il une interface majeure dans la construction du mouvement social ?
Le mouvement revêt un autre caractère sans précédent : il y a de plus en plus de jeunes cherchant à s’engager. On a pu penser qu’un certain confort pourrait dissuader les nouvelles générations mais les gens qui ne sont pas nés avec Bourguiba se mobilisent fortement.
Un dynamisme d’autant plus fort que tous les nouveaux réseaux sociaux type Facebook, Twitter… sont des moyens très efficaces d’organisation contournant la censure.
En Tunisie, tous le monde connaît ce qu’est un proxy [système de contournement de la censure sur le Web, ndlr]. La plupart sont téléchargés depuis la Chine où la technologie a été très développée.
Pour les mobilisations à venir, Facebook est la première source d’information. (Rue89-02.01.2011.)
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*Maghreb: un profond malaise social, une absence de perspectives politiques
Les violentes protestations sociales en Algérie et en Tunisie témoignent d’un malaise social profond, touchant en particulier les jeunes diplomés, aggravé par la crise économique et l’usure des élites politiques, estiment des experts interrogés par l’AFP.
La Tunisie est en proie, depuis le 17 décembre, à une révolte sociale inédite, partie du centre-ouest du pays, qui a fait 4 morts au total: deux lors de manifestations et deux suicides. En Algérie, des émeutes ont éclaté ces derniers jours dans les villes du pays pour dénoncer le chômage et le coût de la vie.
Selon les analystes, il y a des points communs entre les deux pays, ainsi qu’avec le Maroc voisin. Leurs économies ne parviennent pas à offrir des perspectives aux jeunes, souvent diplômés, qui arrivent sur le marché du travail.
“Dans ces trois pays, il y a eu des efforts dans le domaine de l’éducation, mais on n’a pas pensé aux mécanismes d’intégration des jeunes diplômés à la collectivité, une intégration qui passe évidemment par l’emploi”, estime Driss Benali, économiste, professeur à l’université Mohammed V de Rabat.
Le Tunisien de 26 ans qui s’était immolé par le feu en décembre et qui est mort mardi des suites de ses blessures était l’un de ces jeunes diplômés. Il était vendeur ambulant, faute de mieux, et sa marchandise venait d’être confisquée par la police.
La crise mondiale est venue s’ajouter à ces difficultés, de même que la hausse des prix alimentaires qui, dans ces pays, sont pourtant subventionnés par l’Etat. Après les manifestations en Algérie, le gouvernement vient d’assurer que l’”Etat continuera à subventionner les produits” de première nécessité.
“Il y a beaucoup de chômage, beaucoup de diplômés-chômeurs et ça fait longtemps que ça dure. La situation tient tant qu’il y a de la croissance économique”, observe Pierre Vermeren, maître de conférence à l’université de Paris I.
“De plus, la crise économique a bloqué l’émigration” qui était une soupape pour les économies du Maghreb, en offrant un débouché à certains diplômés, note-t-il.
En outre, explique le chercheur, l’Algérie et la Tunisie sont “deux pays qui ont des systèmes politiques en crise” avec deux présidents, Abdelaziz Bouteflika et Zine el Abidine Ben Ali, qui s’approchent de la fin de leur carrière. En l’absence de relève, “cela crée une situation politique d’attente, sans perspective”, note-t-il.
Les régimes politiques des pays du Maghreb sont pourtant très différents, la Tunisie étant très critiquée pour l’absence de libertés politiques.
“En Tunisie, ils manifestent parce qu’ils étouffent, ce n’est pas une violence seulement sociale mais une protestation contre le fonctionnement du régime. Le régime et la famille Ben Ali ont écarté toutes les relèves potentielles. Il n’y a plus de relais du pouvoir, il y a la peur qui règne”, souligne Antoine Basbous, de l’Observatoire des pays arabes.
De fait, le président Ben Ali, qui tient le pays d’une main de fer, a peu de craintes de voir son pouvoir menacé par la révolte sociale, selon les analystes.
“Au Maroc, la situation n’est pas aussi fermée, il y une opposition constituée. Les jeunes au chômage peuvent manifester durant des mois devant l’Assemblée nationale à Rabat”, ajoute Karim Pakzad, de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), à Paris.
En Algérie, “le FLN (au pouvoir) a gardé une légitimité du parti de libération nationale” et “dans l’espace public, les partis d’opposition peuvent s’exprimer”, précise-t-il.
Pour les trois pays, il faut aussi désormais prendre en compte la dimension internet et le possible effet de contagion. “Les gens sont toute la journée sur internet, sur Facebook et les Algériens voient très bien ce qui se passe en Tunisie”, relève Pierre Vermeren, qui souligne aussi le rôle de la chaîne Al-Jazirah dans la diffusion de l’information au Maghreb.(AFP-06.01.2011.) *****
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