*Editions étrangères
*Pluie de dictionnaires 2011 …sur un peu de tout
En 2010, on a pu lire des dictionnaires sur un peu tout : le football, la franc-maçonnerie, les petites phrases politiques, les injures littéraires, le rock’n'roll, et même Tintin. La tendance s’accentuera en 2011 : de plus en plus de sujets se racontent par abécédaire. Enquête.
Deux éditeurs ont été précurseurs :
*Plon avec ses très beaux « dictionnaires amoureux » du vin, de l’orthographe, de Naples, des trains, de l’Inde et de bien d’autres choses.
*Robert Laffont avec de très utiles dictionnaires du rock, du jazz, de De Gaulle, de Camus, de la civilisation mésopotamienne ou encore de la bêtise.
« Personnalité reconnue, belle écriture et passion partagée »
Jean-Claude Simoën, créateur des « dictionnaires amoureux » en 1998, parle de « vagabondage littéraire » lorsqu’il définit sa collection, et son travail avec des auteurs comme Bernard Pivot, Claude Hagège, Jacques Attali, Jacques Ferrandez, Jean Tulard, Mario Vargas Llosa, Jean-Claude Carrière, ou encore Antoine de Caunes pour son récent « Dictionnaire amoureux du rock ».
Stéphane Billerey, directeur commercial des éditions Plon, décrit le principe décliné par la maison : « L’alchimie du succès, c’est une personnalité reconnue, une belle écriture, et une passion partagée par le plus grand nombre. »
Il annonce un total de 800 000 ventes pour la grosse quarantaine de titres de la collection, dont 60 000 exemplaires pour celui d’Antoine de Caunes.
*A paraître, un « Dictionnaire amoureux des dictionnaires »
Plon prépare aussi un… « Dictionnaire amoureux des dictionnaires », écrit par Alain Rey. Vu l’intensité de la production éditoriale dans ce domaine, ça peut se comprendre. Ont paru en 2010 :
*un « Dictionnaire des injures littéraires » (L’Editeur)
*le « Dictionnaire du pire » (Inculte)
*un « Dictionnaire divertissant et culturel des phobies »
*un « Dictionnaire Jean Eustache » par Antoine de Baecque
*des « Dictionnaire énervés » (de la politique, du football, de Tintin) aux éditions de L’Opportun
*une collection de « Dictionnaires intempestifs » verra également le jour début 2011.
Quand certaines maisons (Grasset, Don Quichotte) éditent de tels ouvrages au compte-gouttes, d’autres se mettent maintenant à décliner des thématiques exclusivement en dictionnaires.
Jean-Claude Simoën peste contre ces « dérivés » : « Cela me fait pense à un mot utilisé par Bernard Pivot dans son Dictionnaire amoureux : “girafer”. Qu’il définit ainsi : “tendre le cou pour copier l’autre”. Ces éditeurs girafent, copient notre collection. »
« C’est un ouvrage que l’on garde plus qu’on ne le lit »
Emile Bramli, éditeur du « Dictionnaire des injures littéraires » chez L’Editeur, explique l’intérêt de mode de traitement : « C’est un ouvrage que l’on garde plus qu’on ne le lit. On est pas obligé de le lire en entier. »
Virginie François, auteur et journaliste à Marianne, qui dirigera les « Dictionnaires impertinents » chez Bourin Editeur, remarque : « Avant, on proposait un essai, maintenant on propose un dictionnaire. Ça correspond à notre époque, qui veut aller vite tout en sachant tout. Et le côté dictionnaire ajoute un côté pérenne, ils apportent un contenu en plus de la simple définition d’un dictionnaire classique. »
*Une époque où le métadiscours passe avant le discours
Qu’un tel nombre de dictionnaires soient en librairie ou en projet est un bon symbole de notre civilisation, son besoin grandissant de décryptages, sa tendance à faire primer le métadiscours sur le discours. Emile Bramli : « Internet donne l’impression qu’on sait beaucoup de choses, rapidement, mais c’est oublier l’important taux d’informations sans références sur Internet, et le taux d’erreurs encore important, sur Wikipedia par exemple. Le dictionnaire, lui, ajoute un sérieux culturel. »
Jean-Claude Simoën, qui, dans sa réponse, englobe ses propres dictionnaires comme ceux de ses concurrents, ajoute : « Un dictionnaire correspond tout à fait à l’esprit d’une époque qui est celle de la superficialité, où l’on veut tout savoir sans rien connaître. Mais contrairement au Web, qui ne fait que prendre le lecteur par le bras, un dictionnaire, lui, élargit sa curiosité. »
*Journalistes, spécialistes et éditeurs à la manœuvre
Trois sortes d’auteurs écrivent ces ouvrages.
*Des journalistes, qui y « anglent » et éditorialisent leurs informations différemment. C’est le cas de Thomas Legrand pour le « Dictionnaire énervé de la politique » ou de Vincent Duluc pour son « Dictionnaire énervé du football » (les deux aux éditions de L’Opportun). Ce sera le cas de Renaud Dély pour un « Dictionnaire impertinent du socialisme » prévu en mars 2012.
*Des spécialistes qui travaillent le sujet depuis longtemps. Par exemple, Albert Algoud pour son « Dictionnaire énervé de Tintin ». Dans le plan marketing, on les appellera « insiders ».
*Leurs éditeurs ! Emile Bramli témoigne du boulot réalisé sur la sélection d’« injures littéraires » soumise par l’auteur : « Une fois la copie rendue, il y a eu un retravail énorme. On a enlevé une entrée, où un homme d’extrême droite traitait Gainsbourg de “youpin”. Et on a énormément modernisé, puisque l’auteur avait voulu arrêter son livre aux années 50 et 60. C’est nous qui avons écrit tout ce qui est postérieur. »
Pour Virginie François, « le marketing est axé à la fois “culture” et “livre de journaliste” » : « On utilise la popularité de l’auteur : je communiquerai sur le nom de Martin Winckler lorsque paraîtra son “Dictionnaire impertinent de la médecine” en 2012. »
Stéphane Chabenat, pour L’Opportun, confirme, ajoutant qu’il est « très important de les vendre comme des livres d’opinions, écrits par des spécialistes. Des livres vifs, nerveux, et intéressants ».
Tout en nuançant : « Mais vous savez, on invente peu, dans l’édition. Le dictionnaire, ce n’est pas très nouveau… » Certes, mais jamais autant de sujets n’étaient entrés dans un dictionnaire. (Rue89-06.01.2011.)
A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89
► Une histoire abracadabrantesque de la Ve République
Ailleurs sur le Web
► « La mode des dictionnaires, tous le éditeurs y succombent », sur suite101.fr
► Antoine de Caunes présente son « Dictionnaire du rock » sur Dailymotion
Commander sur Fnac.com
► La collection Dictionnaire amoureux de Plon
► La collection Petit dictionnaire énervé des éditions de l’Opportun
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La vraie vie est un roman …(Enquête)
*Les personnages étant fictifs, toute ressemblance serait fortuite.
Parfois, elle ne l’est pas et finit en justice. Tenté par l’autofiction, notre rédacteur en a débusqué tous les pièges. Ce que ne firent pas Zola, Simenon, Desplechin…
Sarah, depuis que tu m’as quitté, je ne suis plus qu’une loque. Le jour, je pleure, la nuit, je suffoque. Pour survivre, j’ai écrit un roman autour de, comment dire, notre «histoire». Car nous avons vécu ensemble des choses pas banales, non ? Tu te souviens de ce week-end de folie à Neufchâtel-en-Bray ?
Mon éditeur trouve le texte pas mal du tout mais il craint qu’on ait des problèmes avec toi, même si j’ai changé ton prénom et pas mal d’autres choses. Je sors d’une réunion avec l’avocat de Gallimarion, qui est devenu extrêmement prudent à cause des affaires du moment : Angot, Jauffret, PPDA et tutti quanti.
*L’ex de PPDA
Tu sais qu’une femme s’est reconnue dans un personnage des Petits, le dernier roman de Christine Angot, et qu’elle menace d’assigner l’auteur pour atteinte à la vie privée. Régis Jauffret, c’est la famille Stern qui l’attaque parce que dans son roman Sévère, qui revisite l’affaire Edouard Stern avec les moyens de la fiction, il leur aurait causé un «préjudice moral résultant de la légèreté avec laquelle l’auteur a porté atteinte à leur vie privée». La famille demande carrément le retrait du bouquin. PPDA, c’est une ex qui lui reproche d’avoir transposé trop littéralement leur idylle dans son roman Fragments d’une femme perdue. Des affaires comme ça, il y en a pas mal. Résultat, tout le monde flippe. Les éditeurs, parce que ça leur coûte bonbon. Les auteurs, parce qu’ils estiment que leur liberté de création est menacée.
L’avocat m’a dit qu’il vaudrait mieux s’assurer que tu n’avais pas l’intention de, je le cite, «nuire à ma carrière d’écrivain». Il veut que je t’explique deux ou trois trucs. Ça sera un peu long mais rassure-toi, ça se lit bien car c’est plein d’anecdotes. Si tu m’aimes encore un peu, tu iras jusqu’au bout et tu comprendras. Sinon, nous risquons de nous retrouver au tribunal : après tout, pour les chagrins d’amour, c’est un autre genre de remède.
Maître Dugenou a commencé par me parler du cas de Marianne Denicourt, parce que c’est le plus proche du nôtre. Cette actrice a poursuivi son ex, le cinéaste Arnaud Depleschin, arguant que celui-ci s’était inspiré de très près de leur liaison et de sa vie privée à elle dans son joli film Rois et reines. Comme souvent, que ça soit du cinéma, de la littérature ou de la presse, l’affaire s’est terminée devant la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, en 2006.
Eh bien, note que Denicourt a été déboutée. Pour les juges, «s’il est incontestable qu’Arnaud Desplechin a construit ce film autour de sa propre personnalité, de ses obsessions, de son histoire et de celle de ses proches, qu’il n’a pas hésité à s’annexer, il a créé une œuvre de fiction qui ne saurait se réduire aux identifications alléguées en demande». En gros, ça veut dire que les juges estiment que l’on ne peut pas empêcher un artiste de raconter une histoire, même s’il y a dedans des éléments pêchés ici ou là dans la réalité. C’est comme les yaourts aux fruits, parfois on y met de vrais morceaux.
D’ailleurs, le résultat a été le même quand l’écrivaine Camille Laurens a été attaquée par son mari pour avoir exposé dans l’Amour, roman des éléments de leur vie privée, en gardant de surcroît les mêmes prénoms. Là aussi, le mari a été débouté car les juges ont conclu, en 2003, que l’utilisation des prénoms ne suffisait pas à «ôter à cette œuvre le caractère fictif qui confère à toute œuvre d’art sa dimension esthétique, certes nécessairement empruntée au vécu de l’auteur mais également passée au prisme déformant de la mémoire et, en matière littéraire, de l’écriture». Donc voilà : tout cela est une histoire de prisme et de yaourts aux fruits, je peux difficilement l’écrire en plus court.
Pour le reste, Me Dugenou m’a conseillé d’aller voir sa consœur Agnès Tricoire, qui vient d’écrire un excellent bouquin sur ce genre de problèmes, Petit Traité de la liberté de création (La Découverte). Me Tricoire m’a affirmé qu’en matière d’atteinte à la vie privée dans les livres, on voyait les décisions des juges converger peu à peu, laissant aux romanciers le droit d’utiliser le réel à condition de le fictionner suffisamment. Par contre, quand l’auteur s’inspire de faits divers en les mettant à sa sauce et qu’il se fait attaquer pour diffamation, l’affaire reste risquée, incertaine, mais on en reparlera plus loin. En tout cas, pour Agnès Tricoire, «on ne constate pas aujourd’hui une multiplication des poursuites contre les romanciers. Autofiction ou pas, il y a assez peu de procédures». Pas la peine d’en rajouter, Sarah.
*Le savant fou de Jules Verne
Tu sais, cela fait un bail que des gens croient se reconnaître dans des personnages de roman. En 1896, le chimiste Eugène Turpin avait poursuivi Jules Verne pour diffamation, étant persuadé (il n’avait pas tort) d’avoir servi de modèle pour le savant fou qui est le héros de Face au drapeau. Défendu par Me Raymond Poincaré, futur président de la République, Verne s’en est tiré sans dommages. Les juges soulignèrent en effet que le savant du roman était vraiment dingue «tandis que l’intégrité des facultés mentales de M. Turpin est certaine et n’a jamais été mise en doute». Surtout, le jugement conclut que «s’il n’était pas permis aux romanciers et aux auteurs dramatiques de prendre leurs personnages dans la vie réelle, dans ses événements mêmes, de s’inspirer du spectacle d’une grande action ou d’un crime honteux pour éveiller dans le cœur l’admiration ou la réprobation, il faudrait interdire le roman et fermer le théâtre». Bon, il est vrai qu’Eugène Turpin était un personnage public et que ce n’était pas un ex de Jules, à ma connaissance.
Zola, Montherlant, Simenon, Daninos et beaucoup d’autres ont été attaqués pour des motifs similaires. Ils n’en sont pas tous sortis indemnes. En 1882, un avocat a contraint Emile Zola à changer le nom d’un personnage peu recommandable de Pot-Bouille, car celui-ci, en sus d’un même patronyme, présentait beaucoup de similitudes avec le plaignant. Simenon fut poursuivi plusieurs fois, en particulier après la publication de Pedigree. Y étaient racontées les frasques d’un étudiant qui, bien des années plus tard, se reconnut dans le livre. L’homme, devenu le respectable Dr Marcel Chaumont, s’estima atteint dans son honneur – «Simenon m’a présenté comme un coureur et un détrousseur de cotillons…» - et réclama 4 millions de francs belges de dommages. L’avocat de Simenon, Me Maurice Garçon, fit voler ses manches et rétorqua : «Etymologiquement, détrousser exprime le contraire de l’acte de trousser. Celui qui détrousse rabat ce qui est troussé. Monsieur Chaumont en agissant ainsi accomplissait une action hautement morale qui l’honore encore à quarante ans de distance. Alors, de quoi se plaint-il ?». Cela n’empêcha pas Simenon d’être condamné, le 16 juin 1952, à verser au médecin 6 000 francs belges et à supprimer de Pedigree les passages incriminés.
*Jacob Goldfinger se voit en James Bond
Les annales judiciaires regorgent d’affaires encore plus risibles. Le comte et la comtesse de Beru s’en sont pris (sans succès) à Frédéric Dard, s’estimant ridiculisés par le personnage de Bérurier, dit Béru, dans la série des San Antonio. Un certain Jacob Goldfinger, représentant de commerce employé dans les services secrets de l’armée américaine, a poursuivi Ian Fleming, arguant d’un risque de confusion entre sa personne et le méchant Goldfinger des aventures de James Bond. Il a évidemment été débouté. L’ironie de l’histoire, c’est qu’en fait Fleming avait cherché à se venger d’un autre Goldfinger, l’architecte d’origine hongroise Ernö Goldfinger. Au début des années 50, Fleming et Goldfinger habitaient la même rue de Hampstead, dans le nord de Londres. Or, à la place de vieilles propriétés victoriennes que l’écrivain aimait bien, l’architecte avait fait construire des maisons dans le plus pur style du Mouvement moderne, dont Goldfinger fut une tête de proue en Angleterre. Fleming trouva ça très moche et le fit savoir de manière originale. L’architecte menaça l’écrivain d’un procès, puis laissa tomber.
Comme tout cela fait froid dans le dos, je suis allé aussi consulter Me Emmanuel Pierrat, dont le cabinet est l’un des trois ou quatre à Paris qui fait de la relecture juridique de manuscrits pour les éditeurs. Je lui ai dit : «Maître, croyez-vous que j’ai intérêt à obtenir un assentiment écrit de Sarah, mon ex, avant de publier mon autofiction ?» Il m’a répondu : «Houlà, mon garçon ! Ça ne vous mettrait à l’abri de rien, car assentiment préalable ne veut pas dire blanc-seing pour tous types de contenus. Cette démarche permettrait juste de réduire le montant d’éventuels dommages et intérêts que vous auriez à verser.»
C’est comme lorsque quelqu’un donne un accord de principe pour que l’on fasse son portrait en dernière page de Libération : l’intéressé est parfois étonné du résultat car une fois les mots imprimés noir sur blanc, les confidences prennent un poids que le «portraitisé» n’avait pas toujours anticipé. Mais alors, pour être vraiment à l’abri, faut-il que je fasse relire mon manuscrit à Sarah, où que je lui en envoie un synopsis ? «Dans ce cas, le risque n’est pas nul de se retrouver avec un référé sur le dos et l’interdiction de publier l’ouvrage», répond Emmanuel Pierrat. Ainsi Alain Delon, entre autres, a-t-il réussi à bloquer en 1998 la parution d’une biographie par Bernard Violet, chez Grasset, après lecture du synopsis de dix-huit pages qui lui avait été transmis.
Bon, j’ai dit, et si je place en ouverture du livre la fameuse formule «Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes… » ? Pierrat : «En droit, ça ne vaut rien. Le juge peut même estimer qu’agissant ainsi, vous étiez conscient du tort que vous risquiez de porter.» Donc pas de solution ? «Si, il suffit d’être vigilant, poursuit Emmanuel Pierrat. Faire en sorte que Sarah ne soit pas trop reconnaissable. Changer sa profession, la couleur de ses cheveux et d’autres éléments d’identification. L’idéal serait de mélanger les traits de plusieurs de vos ex, de telle façon qu’aucune d’entre elles ne puisse dire : « C’est moi »». Un puzzle à au moins 50 pièces, j’ai répondu.
Autre façon de se mettre à l’abri de ses personnages : les affubler de traits dépréciatifs. Zoé Shepard, l’auteure d’Absolument dé-bor-dée, a certes eu des problèmes avec son employeur, le conseil régional d’Aquitaine, mais elle n’a souffert d’aucun démêlé judiciaire avec ses collègues car personne n’avait envie de venir soutenir à la barre que le «gros connard» ou le «mec qui pue de la gueule», c’était lui. Aux Etats-Unis, où les poursuites contre les écrivains ne sont pas moins rares qu’en France, on appelle cela la Small Penis Rule (règle du petit pénis). En 2006, pour se venger d’un critique qui avait assassiné ses livres, Michael Crichton en avait fait, dans son roman Next, un journaliste pédophile avec un petit sexe. Naturellement, le critique n’a pas saisi de tribunal pour revendiquer ce membre rabougri.
Mais, Sarah, toi tu n’a pas un petit sexe, tu n’est pas conne, tu ne pue pas du bec : tu est belle, intelligente et je t’aime encore. Par contre, le crétin pour lequel tu t’es barrée, j’en ai fait un nain dyslexique qui pète.
*Les «amants» et les «petits» d’Angot
Chez Proust, les personnages sont pour la plupart des êtres composites, chacun réunissant des traits de plusieurs des connaissances ou proches de l’écrivain. Dans le roman contemporain, les correspondances sont souvent plus directes. Christophe Donner a eu pas mal d’ennuis avec ses livres, notamment l’Esprit de vengeance : Paul Ricœur porta plainte pour atteinte grave à l’intimité, et l’ouvrage dut être retiré des librairies. Une certaine Elise Bidoit serait parvenue, si l’on en croit le Monde, à faire cracher 10 000 euros au Seuil, éditeur du Marché des amants de Christine Angot, au motif qu’elle et ses enfants auraient été aisément reconnaissables dans le livre de la spécialiste de l’autofiction. L’affaire a l’air d’être partie pour se répéter avec le nouveau titre d’Angot, les Petits, mais cette fois c’est Flammarion qui est dans le collimateur de la plaignante et de son avocat.
Serge Rezvani a dû verser des dommages et intérêts à son ancien beau-frère Claude Lanzmann, décrit dans le Testament amoureux (1981) comme un juif fanatique. Emmanuel Carrère n’a pas eu de problème avec l’affabulateur Jean-Claude Romand, dont il a minutieusement retracé le parcours meurtrier dans l’Adversaire, mais il s’est fâché avec Catherine Erhel, alors journaliste de Libération, à qui il a prêté des propos sur la peine de mort que celle-ci a formellement contestés. Son nom fut supprimé du roman dès le deuxième tirage, et des indemnités versées en réparation du premier.
C’est dire, Sarah, s’il y a du boulot pour les avocats spécialisés. Emmanuel Pierrat relit deux ou trois manuscrits par semaine, travail facturé entre 1500 et 3 000 euros, selon l’épaisseur et la nature du texte, auquel il faut ajouter des consultations juridiques sur les passages à problème. Aux Etats-Unis, tu l’imagines bien, les avocats travaillent beaucoup aussi. Là-bas, c’est l’affaire Kathryn Stockett qui défraie la chronique en ce moment : cette écrivaine, qui a vendu plus de deux millions d’exemplaires de son premier roman, The Help, est poursuivie par une ancienne servante noire de sa famille, qui a cru se reconnaître dans l’un des personnages du livre, et se plaint d’en ressentir aujourd’hui une certaine «détresse». L’amusant de l’affaire est que cette femme est soutenue dans son action judiciaire par le propre frère de Kathryn Stockett, au service duquel la plaignante est passée depuis.
Mais l’amusement n’est que relatif dans le milieu de l’édition américaine, où tout le monde a en tête un triste précédent : en 2009, au terme de cinq ans de procédure, l’écrivaine Haywood Smith a été condamnée à payer 100 000 dollars de dommages et intérêts – pour diffamation et atteinte à la vie privée – à une femme, meilleure amie de Haywood pendant trente ans, qui reprochait à l’auteure, non seulement de s’être inspirée de sa vie dans le roman The Red Hat Club, mais en plus de la présenter comme une «salope alcoolique qui picolait quand elle travaillait comme hôtesse de l’air». Tout le problème pour les juges, une fois encore, a été de faire la différence entre un personnage basé sur quelqu’un, et un personnage identifiant directement quelqu’un, tout en regardant si l’on n’avait pas ajouté à ce quelqu’un des traits diffamatoires.
*Addiction et braquage de la pharmacie
Sarah, j’en arrive maintenant à la partie la plus délicate de cette lettre, et je te demande de redoubler d’attention. J’ai bien été obligé d’évoquer ton braquage de la pharmacie Duchnouf quand, avant de me connaître, tu étais accro au Palfium. Parce que je crois que cet épisode de ta vie détermine une grande partie du reste. Là encore, rassure-toi, j’ai transposé pas mal de choses, et j’ai un peu romancé. Mais je sais que le terrain du fait divers est sensible. Me Agnès Tricoire m’a rappelé que Philippe Besson s’est fait condamner en 2008 pour avoir écrit un «journal intime de Christine Villemin», l’Enfant d’octobre. Non pas parce qu’il révélait de l’intime, mais parce que cet intime inventé n’était pas conforme au réel. «C’est l’invention, dès lors qu’elle est vécue comme fausse, déloyale, dénigrante ou spéculative, qui est jugée causer un préjudice», souligne Me Tricoire.
C’est vrai qu’en brouillant la frontière entre le réel et la fiction, par sa volonté de faire croire au faux comme au vrai, Besson s’était mis dans une position délicate. Pareil pour Françoise Chandernagor qui, à l’été 2000, avait voulu feuilletonner l’affaire du Dr Godard (1) dans le Figaro à la manière de Truman Capote. Elle a été condamnée pour atteinte à l’intimité de la vie privée. Par contre, il est plus étonnant que Jean Failler se soit fait rétamer jusqu’en Cour de cassation pour son Renard des grèves. Publié en 2003, ce polar s’inspirait d’un fait divers survenu en Bretagne vingt ans auparavant. Pas de bol, une habitante du coin se reconnaît dans le personnage d’une ancienne prostituée et attaque l’auteur. Là encore, m’a dit Me Tricoire, on retrouve ce paradoxe qui consiste à «accuser un roman d’atteinte à la vie privée tout en expliquant que ce qu’il raconte est faux». Résultat : bien des mois plus tard, la Cour de cassation a clos l’affaire avec ces mots : «Une œuvre de fiction, appuyée en l’occurrence sur des faits réels, si elle utilise des éléments de l’existence d’autrui, ne peut leur en adjoindre d’autres qui, fussent-ils imaginaires, portent atteinte au respect de sa vie privée.» Conclusion inquiète d’Agnès Tricoire : «Cette règle, appliquée de façon générale, serait de nature à brider sérieusement l’imagination romanesque.»
Le plus prudent dans ce genre d’exercice, m’avait dit Emmanuel Pierrat, serait de s’en tenir aux gens décédés. Non pas parce qu’ils ne risquent plus d’attaquer, mais parce que les juges considèrent que la fiction charrie alors des enjeux moins vifs, moins sensibles. Mieux vaut toutefois que l’affaire ait déjà été jugée. Flaubert, pour Madame Bovary (2), et Stendhal, pour le Rouge et le Noir, sont partis de faits divers bien réels et récents, mais dont les protagonistes étaient morts. Mais toi, Sarah, tu es bien vivante et je n’ai aucunement l’envie de t’assassiner, car ma peine serait alors encore bien plus lourde.
Pour ton information, je te signale un autre cas de figure problématique : une fiction construite avec des personnages bien réels. Mathieu Lindon, de Libération, s’est retrouvé dans un hallucinant chemin de croix judiciaire pour avoir imaginé le Procès de Jean-Marie Le Pen. Les héritiers de Tolkien viennent de porter plainte aux Etats-Unis contre un certain Steve Hillard parce que celui-ci a fait du grand nom de la fantasy un personnage de son roman, Mirkwood : A novel about JRR Tolkien.
Je pourrais te donner mille autres exemples mais j’ai peur de te lasser, Sarah. Sache simplement que le résultat de tout cela, c’est qu’il y a désormais une terrible autocensure dans les maisons d’édition. On supprime, on édulcore. Ou alors on y va franco, en se disant que les ventes supplémentaires suscitées par le scandale rapporteront peut-être une somme supérieure aux dommages à verser. Ça oblige juste à faire des provisions financières.
*Cannibales de l’âme humaine
Autre résultat : aux yeux d’une partie du public, les écrivains passent désormais pour des anthropophages. Il est vrai que certains revendiquent clairement ce genre d’appétit. L’Américaine Cynthia Ozick est allée jusqu’à déclarer il y a une dizaine d’années : «Nous sommes des cannibales. Je pense que c’est une chose terrible que d’être un ami, un proche ou un parent d’écrivain.»
Dans certaines boutiques, on trouve des tee-shirts sur lesquels est floqué : «Fais gaffe ou tu finiras dans mon roman !» Au début de l’année, Rick Moody a écrit dans le Monde : «Le roman a dévoré tout le reste, la moindre forme littéraire, de la poésie épique au récit historique, de la lettre d’amour au bulletin scolaire […] Pourquoi n’aurait-il pas aussi le droit de dévorer de vraies gens ?» Dit comme ça, ça semble un peu violent. Mais, il faut tenter de comprendre. Comme le romancier, le lecteur a évolué : il trouve aujourd’hui son plaisir et sa vérité dans des livres au plus près de l’épiderme, non par voyeurisme mais parce qu’il faut fouiller toujours plus profond dans l’âme humaine. On ne va tout de même pas refaire et relire du Flaubert et du Proust ad vitam.
La littérature est aujourd’hui une aventure plus collective, risquée, dangereuse parfois, mais passionnante. Nous y sommes tous embarqués, toi et moi en particulier. Dis Sarah, tu veux bien être dans mon roman ? (Libération-27.03.2011.)
(1) En 1999, les époux Godard ont disparu mystérieusement avec leurs deux enfants.
(2) Lors de la publication en feuilleton dans «la Revue de Paris», Flaubert fut accusé d’«outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs», avant d’être acquitté.
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